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14/12/2000 | SUISSE | N°6S.538/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 décembre 2000, 6S.538/2000


«/2»
6S.538/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

Séance du 14 décembre 2000

Présidence: M. Schubarth, Président du Tribunal fédéral.
Présents: M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et
Mme Escher, Juges.
Greffière: Mme Michellod.
_________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, représenté par Me Vincent Kleiner, avocat à
Tavannes,

contre

l'arrêt rendu le 7 mars 2000 par la I

IIème Chambre pénale
de la Cour suprême du canton de Berne dans la cause qui
oppose le recourant au Procureur général du canto...

«/2»
6S.538/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

Séance du 14 décembre 2000

Présidence: M. Schubarth, Président du Tribunal fédéral.
Présents: M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et
Mme Escher, Juges.
Greffière: Mme Michellod.
_________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, représenté par Me Vincent Kleiner, avocat à
Tavannes,

contre

l'arrêt rendu le 7 mars 2000 par la IIIème Chambre pénale
de la Cour suprême du canton de Berne dans la cause qui
oppose le recourant au Procureur général du canton de
B e r n e;

(enlèvement)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 1er octobre 1999, le Tribu-
nal d'arrondissement judiciaire I de Courtelary-Moutier-
La Neuveville a reconnu X.________ coupable de dommages à
la propriété, violation de domicile, menaces, contrainte,
infraction grave à la LCR, viol, actes d'ordre sexuel
avec des enfants, insoumission à une décision de l'auto-
rité, mutinerie de détenus, mise en danger de la vie
d'autrui, séquestration, vol d'usage, violences ou
menaces contre les autorités et les fonctionnaires,
lésions corporelles simples. Le Tribunal l'a condamné à
une peine de cinq ans et demi de réclusion.

Par arrêt du 7 mars 2000, la IIIème Chambre
pénale de la Cour suprême du canton de Berne a libéré
X.________ de l'infraction d'actes d'ordre sexuel avec
des enfants et de l'infraction de menace pour les faits
du 15 juin 1998. Elle l'a par contre reconnu coupable
d'enlèvement commis le 10 octobre 1997 au préjudice de
son fils et l'a condamné à une peine de quatre ans et
demi de réclusion et à l'expulsion du territoire suisse
pour une durée de six ans.

B.- Cet arrêt retient notamment les faits sui-
vants:

a) X.________, ressortissant espagnol, a épousé
Y.________ le 22 décembre 1995. Début 1996, les époux se
sont rendus en Espagne dans l'intention de s'y installer.
Leur fils Z.________ est né le 17 décembre 1996.
X.________ souffrait d'alcoolisme et son épouse se
sentait très isolée. En mai 1997, Y.________ a séjourné

quelques mois en France puis a repris la vie commune avec
son époux en juillet 1997, à T.________. Les relations
entre les époux se sont rapidement dégradées.

b) Le 10 octobre 1997, le recourant s'est rendu
au domicile de ses beaux-parents à T.________, où la mère
d'Y.________ se trouvait seule avec Z.________. Il s'est
introduit dans la maison et a menacé sa belle-mère de
tous les tuer; il lui a arraché Z.________ des bras et
s'est enfui en courant. Il est ensuite parti avec
l'enfant pour l'Espagne. Le recourant a appelé son épouse
depuis ce pays, ce qui a permis de localiser l'enfant à
C.________, domicile des parents du recourant. Y.________
a entrepris des démarches sur le plan international;
après trois semaines environ, elle a appris que l'enfant
avait été placé en orphelinat. L'enfant est resté dix
jours dans cet établissement. Les parties ont signé une
convention judiciaire qui a permis le retour de l'enfant
en Suisse le 6 novembre 1997. Y.________ a déposé une
plainte pour enlèvement et séquestration de mineurs. Elle
l'a retirée le 15 avril 1998.

C.- X.________ a formé un pourvoi en nullité
contre l'arrêt du 7 mars 2000. Invoquant la violation des
art. 183 et 55 CP, il conclut à son annulation et solli-
cite en outre l'assistance judiciaire.

Invité à se déterminer, le Ministère public du
canton de Berne n'a pas réagi.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recourant estime que la cour cantonale a
violé le droit fédéral en le condamnant pour enlèvement
au sens de l'art. 183 CP.

a) Selon cette disposition, celui qui, en usant
de violence, de ruse ou de menace, aura enlevé une per-
sonne, sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou
de l'emprisonnement. Selon le ch. 2, encourra la même
peine celui qui aura enlevé une personne incapable de
discernement ou de résistance ou âgée de moins de seize
ans.

b) L'enfant est soumis, pendant sa minorité, à
l'autorité parentale (art. 296 al. 1 CC). Les détenteurs
de celle-ci ont le droit de garde sur l'enfant; ils
déterminent par conséquent si celui-ci vivra dans leur
foyer ou chez des tiers (Hegnauer, Droit suisse de la
filiation, Berne 1998, n° 26.06). La liberté de l'enfant
concernant son lieu de résidence est donc soumise aux
restrictions découlant de l'autorité parentale. Sur le
plan pénal, cela signifie que les détenteurs de l'auto-
rité parentale et du droit de garde ne peuvent pas com-
mettre d'enlèvement de leur enfant, au sens de l'art. 183
ch. 2 CP, puisque le bien protégé par cette disposition
n'est pas lésé (cf. Stratenwerth, Schweizerisches Straf-
recht, Bes. Teil I, 5e édition, Berne 1995, § 5 n° 40).

La situation est différente lorsque le droit de
garde a été attribué de manière exclusive à l'un des
parents. Tel peut être le cas dans le cadre de mesures
provisoires dans la procédure de divorce (art. 137 CC)
ou de mesures protectrices de l'union conjugale (art. 176
al. 3 CC). Dans ce cas, le droit de l'autre parent de

déterminer le lieu de séjour de l'enfant s'éteint
(Meier/Stettler, Droit civil VI/2, Les effets de la
filiation (art. 270 à 327 CC), Fribourg 1998, n° 347 et
349; Hegnauer, op. cit., n° 26.10). Si ce parent déplace
unilatéralement le lieu de séjour de son enfant, il est
susceptible de commettre un enlèvement au sens de l'art.
183 ch. 2 CP.

Lorsqu'aucune décision n'a été rendue en matière
d'autorité parentale et de droit de garde, les deux pa-
rents exercent ces prérogatives. Par conséquent, chacun
d'eux est légitimé à déterminer le lieu de résidence de
l'enfant; il en découle que si l'un des parents décide
sans l'accord de l'autre de déplacer l'enfant, la liberté
de celui-ci n'est pas lésée. La jurisprudence actuelle
prévoit une exception à ce principe en ce sens que le
déplacement de l'enfant devient punissable dès que cela
n'est plus compatible avec son bien et son intérêt (ATF
118 IV 61 consid. 3c p. 65). Cette exception mérite un
réexamen. En effet, elle signifie qu'un déplacement du
lieu de résidence d'un enfant par un parent autorisé à
le faire ou par les deux parents, devient punissable en
fonction de la manière dont celui-ci est traité. Or le
bien de l'enfant n'est pas un critère pertinent en ma-
tière d'enlèvement. Au demeurant, il est très délicat
de déterminer, suivant les cas, si le déplacement de
l'enfant est conforme à son intérêt ou si tel n'est pas
le cas. Il s'ensuit, en modification de la jurisprudence
susmentionnée, que seul le déplacement d'un enfant par un
parent qui n'a pas le droit de garde peut être réprimé
par l'art. 183 ch. 2 CP. Un déplacement effectué par un
parent qui détient l'autorité parentale et le droit de
garde ne tombe pas sous le coup de cette disposition,
même si ce déplacement ne sert pas le bien de l'enfant.

c) Cette modification de jurisprudence ne signi-
fie toutefois pas que le comportement du parent qui dé-
place unilatéralement le lieu de séjour de son enfant
échappe à toute norme pénale.

aa) Si le parent avec lequel vivait l'enfant
dépose une plainte pénale, l'auteur du déplacement unila-
téral est susceptible d'être condamné pour enlèvement de
mineur. En effet, le délit prévu à l'art. 220 CP protège
le détenteur de l'autorité parentale dans son droit de
déterminer le lieu de résidence du mineur qui dépend de
lui (ATF 125 IV 14 consid. 2a; 118 IV 61 consid. 2a
p. 63). Cette infraction peut être commise par l'un des
deux parents, s'il n'exerce pas ou pas seul l'autorité
parentale (cf. ATF 95 IV 68). Elle se poursuit sur
plainte. A noter que la question de savoir si cette in-
fraction devait être poursuivie d'office a donné lieu à
des débats au Conseil national; la majorité des parlemen-
taires a voté pour la poursuite sur plainte, afin de ne
pas imposer une procédure d'office aux époux (Bulletin
officiel de l'Assemblée fédérale - Conseil national,
1989, p. 702 s.).

bb) Par ailleurs, si le développement physique ou
psychique de l'enfant est menacé par le déplacement uni-
latéral qui lui est imposé, le parent responsable de cet
état s'expose à la sanction prévue par l'art. 219 CP.
Cette disposition réprime la violation du devoir d'as-
sistance ou d'éducation. Enfin, si la santé physique ou
psychique de l'enfant est atteinte lors de ce déplace-
ment, les dispositions sur l'intégrité corporelle sont
également susceptibles de s'appliquer (art. 122 s. CP).

2.- Dans le cas d'espèce, les époux vivaient
séparément sans qu'aucune décision judiciaire n'ait été

prise concernant l'autorité parentale et le droit de gar-
de sur l'enfant Z.________, âgé de dix mois. Celui-ci
vivait de fait avec sa mère.

Le recourant a été reconnu coupable d'enlèvement
au sens de l'art. 183 ch. 2 CP, pour avoir emmené son
fils en Espagne alors qu'il vivait auprès de sa mère en
Suisse. Celle-ci a dans un premier temps déposé une
plainte pour enlèvement de mineur au sens de l'art. 220
CP, puis après le retour de l'enfant en Suisse, l'a re-
tirée. Une procédure pénale pour enlèvement au sens de
l'art. 183 CP a été ouverte d'office.

Au moment des faits, le recourant était codéten-
teur de l'autorité parentale avec son épouse. Aucune
décision judiciaire n'ayant attribué le droit de garde
sur l'enfant à la mère, le recourant disposait donc du
droit de déterminer le lieu de séjour de son fils. Il en
résulte qu'en emmenant Z.________ en Espagne sans
l'accord de son épouse, le recourant n'a pas lésé le bien
juridique protégé par l'art. 183 ch. 2 CP, à savoir la
liberté de son enfant, puisqu'en vertu du droit civil, il
était légitimé à déterminer son lieu de séjour et que
l'enfant, mineur, était soumis à cette décision. Il ne
peut donc être reconnu coupable d'enlèvement au sens de
cette disposition.

Le pourvoi sera donc admis. Puisque la cour
cantonale devra statuer à nouveau sur la peine, il est
inutile d'examiner si la peine accessoire d'expulsion
viole le droit fédéral.

3.- Comme le recourant obtient gain de cause, il
ne sera pas perçu de frais (art. 278 al. 2 PPF) et une
indemnité sera versée par la Caisse du Tribunal fédéral à

son mandataire (art. 278 al. 3 PPF). Le recourant n'étant
exposé à aucun frais, sa demande d'assistance judiciaire
devient sans objet.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Admet le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et
renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision.

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

3. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
au mandataire du recourant une indemnité de 2'500 francs
à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Procureur général du canton de
Berne ainsi qu'à la IIIème Chambre pénale de la Cour
suprême du canton de Berne.
__________

Lausanne, le 14 décembre 2000

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.538/2000
Date de la décision : 14/12/2000
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 183 ch. 2 CP; enlèvement. Le déplacement d'un enfant de moins de seize ans par un parent qui détient le droit de garde ne tombe pas sous le coup de l'art. 183 ch. 2 CP, même si ce déplacement ne sert pas le bien de l'enfant (changement de jurisprudence).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-14;6s.538.2000 ?
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