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14/12/2000 | SUISSE | N°1P.546/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 décembre 2000, 1P.546/2000


«/2»
1P.546/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

14 décembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Favre. Greffier: M. Parmelin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

C.________ , représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 3 juillet 2000 par la Chambre d'accu-
sation du canton de Genève, dans la cause qui oppo

se le re-
courant au Chef de la police du canton de G e n è v e ;

(liberté personnelle; contrôle d'identité)

V...

«/2»
1P.546/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

14 décembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Favre. Greffier: M. Parmelin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

C.________ , représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 3 juillet 2000 par la Chambre d'accu-
sation du canton de Genève, dans la cause qui oppose le re-
courant au Chef de la police du canton de G e n è v e ;

(liberté personnelle; contrôle d'identité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Une manifestation autorisée à l'encontre de l'Orga-
nisation Mondiale du Commerce s'est déroulée en ville de Ge-
nève dans l'après-midi du 16 mai 1998. A un certain moment,
des casseurs ont infiltré le cortège et ont causé de nom-
breux dégâts; en fin de soirée, les manifestants se sont dé-
placés en direction de la Plaine de Plainpalais où de nou-
veaux dommages ont été commis. Ces faits, au cours desquels
neuf policiers ont été blessés, ont donné lieu à cinquante-
cinq interpellations, entre les 16 et 17 mai 1998 au soir.
A la suite de nouveaux heurts entre la police et les mani-
festants, des interpellations ont eu lieu les jours suivants
en ville de Genève, au Cimetière des Rois, au Parc des Cro-
pettes, à la Place des Nations et dans les locaux de l'asso-
ciation Artamis, à la rue du Stand.

B.- Le 18 mai 1998, à 02h30, C.________ a été appréhen-
dé avec les sept autres occupants d'un véhicule de marque
Mercedes à la rue de l'Athénée, à Genève, et conduit au pos-
te de police aménagé pour l'occasion dans les locaux de la
protection civile du Bachet-de-Pesay. La police a pris des
photographies et relevé ses empreintes, puis l'a interrogé
pendant dix minutes. Il a également été soumis à une fouille
corporelle, au cours de laquelle il a dû rester complètement
nu pendant cinq minutes. Il a été relâché vers 06h00 après
avoir dû rester debout une heure contre un mur sans autori-
sation de s'asseoir. Le même jour, vers 10h00, C.________
a été interpellé au Parc des Cropettes, près de la Gare de
Cornavin, puis emmené au centre du Bachet-de-Pesay; comme il
se refusait à toute déclaration, il a été arrêté, sur la ba-
se d'un mandat d'amener, puis conduit à la Prison de Champ-
Dollon où il a passé la nuit, avant d'être amené le lende-
main matin devant le Juge d'instruction qui a ordonné sa re-

laxe immédiate. Malgré cela, il a dû attendre jusqu'à 20h00
avant d'être libéré. Enfin, le 20 mai 1998, vers 01h00,
C.________ a été interpellé dans les locaux de l'association
Artamis, avec une douzaine d'autres personnes, puis transfé-
ré au poste de police du Bachet-de-Pesay où il est resté me-
notté à d'autres personnes durant environ deux heures autour
d'un pilier en béton, avant d'être fouillé puis interrogé,
pour finalement être libéré à 17h00. Dans les trois cas, il
a demandé sans succès à pouvoir aviser son avocat de son ar-
restation.

C.- A raison de ces faits, C.________ a déposé le 30
juin 1998, auprès du Procureur général du canton de Genève
(ci-après, le Procureur général), trois plaintes contre les
interventions de la police, au sens de l'art. 114A du Code
de procédure pénale genevois (CPP gen.), valant aussi plain-
tes pénales pour arrestations et détentions illicites. Il
concluait à la constatation de la violation des art. 17, 20
et 24 de la loi genevoise sur la police du 26 octobre 1957
(LPol), à la constatation de l'illicéité de ses arrestations
et détentions prolongées successives, à l'allocation d'une
indemnité équitable de 3'000 fr., à la destruction du maté-
riel photographique et dactyloscopique recueilli lors de ses
interpellations et à l'ouverture d'une instruction pénale.

Par ordonnance du 29 juillet 1999, notifiée le 5 mai
2000, le Procureur général a classé les plaintes pénales
et a constaté pour le surplus que les art. 16 à 22 LPol
n'avaient pas été violés.

C.________ a recouru le 16 mai 2000 contre cette déci-
sion auprès de la Chambre d'accusation du canton de Genève
(ci-après, la Chambre d'accusation ou la cour cantonale) en
invoquant le non-respect des exigences de notification et de
motivation de l'art. 114B al. 1 CPP gen. ainsi que la viola-
tion des art. 17 et 20 LPol et 116 CPP gen. Il concluait no-

tamment à titre subsidiaire à la production de la procédure
pénale P/5360/1998 ouverte sur ordre du Procureur général à
la suite de sa deuxième interpellation au Parc des Cropet-
tes. A l'audience de plaidoiries du 21 juin 2000, il a re-
quis, outre son audition, l'apport au dossier du procès-ver-
bal de son interrogatoire par la police et des enquêtes de
la gendarmerie le concernant.

Statuant par ordonnance du 3 juillet 2000, la Chambre
d'accusation a rejeté le recours et confirmé la décision at-
taquée. Elle a considéré que la motivation unique de l'or-
donnance de classement, malgré le dépôt de plusieurs plain-
tes, était suffisante pour que C.________ puisse utilement
faire valoir ses droits devant elle et a rejeté en consé-
quence la conclusion subsidiaire du recours tendant à ce que
le Procureur général motive succinctement sa décision après
avoir recueilli les observations écrites du Chef de la poli-
ce. Elle n'est par ailleurs pas entrée en matière sur les
griefs relevant de l'équipement des locaux ou des droits de
la personne entendue dans la mesure où ils ne concernaient
pas une intervention de la police au sens des art. 16 à 22
LPol. Sur le fond, elle a considéré que les interpellations
successives du plaignant étaient justifiées non seulement
pour vérifier son identité, mais également pour prévenir de
nouveaux troubles à l'ordre public, les conditions dans les-
quelles ces opérations sont intervenues étant au surplus
proportionnées et conformes aux art. 17, 18 et 20 LPol. Elle
a enfin estimé que les conditions d'un classement en oppor-
tunité des plaintes pénales étaient réunies.

D.- Agissant par la voie du recours de droit public,
C.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cette or-
donnance et de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision dans le sens des considérants. Il voit une
violation de son droit d'être entendu dans le refus de la
Chambre d'accusation d'ordonner l'apport au dossier de la

procédure pénale P/5360/1998. Il reproche à la cour cantona-
le de ne pas avoir sanctionné la motivation insuffisante de
l'ordonnance de classement du Procureur général. Au fond, il
se plaint à divers titres d'une constatation arbitraire des
faits et d'une atteinte à sa liberté personnelle. Il re-
quiert l'assistance judiciaire.

Le Chef de la police conclut au rejet du recours, de
même que le Procureur général, ce dernier dans la mesure où
il serait recevable. La Chambre d'accusation se réfère aux
considérants de sa décision.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 126 I
50 consid. 1 p. 52, 207 consid. 1 p. 209; 126 II 377 consid.
1 p. 381).

a) Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ, le
recours de droit public est ouvert seulement à celui qui est
atteint par l'acte attaqué dans ses intérêts personnels et
juridiquement protégés; le recours formé pour sauvegarder
l'intérêt général, ou visant à préserver de simples intérêts
de fait, est en revanche irrecevable (ATF 126 I 43 consid.
1a p. 44). Un intérêt est juridiquement protégé s'il est
l'objet d'une garantie constitutionnelle spécifique ou si
une règle de droit fédéral ou cantonal tend au moins acces-
soirement à sa protection; à elle seule, l'interdiction gé-
nérale de l'arbitraire n'est pas une protection suffisant à
conférer la qualité pour agir au sens de l'art. 88 OJ. La
qualité pour former un recours fondé, comme en l'espèce, sur
l'art. 9 Cst. dépend bien plutôt du fait que la législation
dont l'application arbitraire est alléguée accorde un droit

au recourant ou a pour but de le protéger d'une atteinte à
ses intérêts (ATF 126 II 377 consid. 4 p. 388; 126 I 81 con-
sid. 4 à 6 p. 87; 123 I 279 consid. 1b/aa p. 280; 122 I 44
consid. 3b/bb p. 47 et les arrêts cités).

Dans cette perspective, la jurisprudence dénie au plai-
gnant, sous réserve de l'hypothèse prévue à l'art. 8 al. 1
let. c de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux
victimes d'infractions (ATF 120 Ia 101 consid. 2a p. 105,
157 consid. 2c p. 162), la qualité pour recourir sur le
fond, par la voie du recours de droit public, contre une dé-
cision de classement de la procédure pénale ou un jugement
d'acquittement au motif qu'il n'est pas lésé dans un intérêt
personnel et juridiquement protégé par la décision de ne pas
poursuivre ou punir l'auteur d'une prétendue infraction (ATF
69 I 17; cf. ATF 125 I 253 consid. 1b p. 255; pour un aperçu
de la jurisprudence, voir Frank Meister, L'autorité de pour-
suite et le classement pour des raisons d'opportunité en
procédure pénale, thèse Lausanne 1993, p. 317). Il est néan-
moins habilité à invoquer la violation de règles de procédu-
re destinées à sa protection, équivalant à un déni de justi-
ce formel (ATF 121 IV 317 consid. 3b p. 324 et les arrêts
cités). Il en va de même de l'auteur d'une plainte à l'au-
torité de surveillance qui n'entre pas en matière ou rejette
celle-ci (ATF 121 I 42 consid. 2a p. 45, 87 consid. 1a
p. 90).

En l'occurrence, les plaintes formées en application de
l'art. 114A CPP gen. sont indépendantes des plaintes pénales
déposées par le recourant; elles ont une portée plus large
en tant qu'elles visent à faire constater l'illicéité d'ac-
tes d'intervention de la police qui ne sont pas nécessaire-
ment constitutifs d'un abus d'autorité, de séquestration
ou de contrainte (cf. SJ 1986 p. 284 consid. 4 p. 287). De
même, si elles présentent certaines analogies avec la plain-
te à l'autorité de surveillance, elles s'en distinguent en

ce sens que la victime d'actes d'intervention de la police
contraires aux règles des art. 16 à 22 LPol a droit à une
décision motivée portant non seulement sur la constatation
d'une violation de la loi, mais aussi sur la destruction du
matériel photographique et dactyloscopique et, en cas de
violation établie de la loi, sur l'allocation éventuelle
d'une indemnité équitable (cf. art. 114B al. 1, 2 et 4 CPP
gen.). Le recourant peut ainsi se prévaloir d'un intérêt ju-
ridiquement protégé, selon l'art. 88 OJ, à l'annulation de
l'ordonnance de la Chambre d'accusation, qui confirme le re-
jet de ses plaintes au Procureur général et le refus de lui
verser une indemnité équitable de 3'000 fr. en réparation du
préjudice résultant de ses interpellations et de ses réten-
tions dans les locaux de la police pendant environ 27 heu-
res.

De même, s'il n'a pas qualité pour agir sur le fond
contre le classement en opportunité de ses plaintes péna-
les, il est habilité à dénoncer une violation de son droit
d'être entendu tenant au refus de la Chambre d'accusation
d'ordonner l'apport au dossier de la procédure pénale
P/5360/1998. De ce point de vue également, le recours de
droit public est recevable au regard de l'art. 88 OJ.

b) Les autres conditions de recevabilité des art. 84 ss
OJ sont pour le surplus réunies, de sorte qu'il convient
d'entrer en matière sur le fond.

2.- Le recourant reproche tout d'abord à la Chambre
d'accusation d'avoir violé son droit d'être entendu en refu-
sant d'ordonner l'apport de la procédure pénale P/5360/1998
ouverte sur ordre du Procureur général, à la suite de sa
deuxième interpellation au Parc des Cropettes dans la mati-
née du 18 mai 1998. Cette mesure d'instruction devait per-
mettre d'établir l'heure à laquelle le mandat d'amener au-
rait été décerné contre lui et, le cas échéant, une viola-

tion des dispositions de la loi sur la police relatives au
contrôle d'identité.

a) La portée du droit d'être entendu et les modalités
de sa mise en oeuvre sont tout d'abord déterminées par la
législation cantonale, dont le Tribunal fédéral ne contrôle
l'application et l'interprétation que sous l'angle restreint
de l'arbitraire. Dans tous les cas cependant, l'autorité
cantonale doit respecter les garanties minimales déduites
de l'art. 29 al. 2 Cst., dont le Tribunal fédéral vérifie
librement si elles ont été observées (ATF 126 I 15 consid.
2a p. 16 et les arrêts cités).

En l'espèce, on cherche en vain, dans les normes régis-
sant la procédure de recours contre les décisions du Procu-
reur général et les ordonnances du Juge d'instruction, une
disposition traitant de l'administration des preuves devant
la Chambre d'accusation; quant aux art. 19 et 51 CPP gen.,
qui investissent les présidents de tribunaux d'un pouvoir
discrétionnaire pour ordonner toute mesure utile à la mani-
festation de la vérité, ils ne confèrent pas une réelle pré-
tention au justiciable à l'administration de ses moyens de
preuve, de sorte que les griefs allégués en relation avec la
violation du droit d'être entendu doivent être examinés à la
lumière de l'art. 29 al. 2 Cst.

b) Le droit d'être entendu est une garantie constitu-
tionnelle de caractère formel, dont la violation doit en-
traîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment
des chances de succès du recours sur le fond. Tel qu'il est
reconnu par l'art. 29 al. 2 Cst., il comprend en particulier
le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes,
de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit
donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de partici-
per à l'administration des preuves essentielles ou à tout le
moins de s'exprimer sur
son résultat lorsque cela est de na-

ture à influer sur la décision à rendre (ATF 126 I 15 con-
sid. 2a/aa p. 16 et les arrêts cités). Toutefois, selon la
jurisprudence tirée de l'art. 4 aCst. qui conserve toute
sa valeur sous l'empire de l'art. 29 al. 2 Cst., le droit
d'être entendu ne peut être exercé que sur les éléments qui
sont déterminants pour décider de l'issue du litige. Il est
ainsi possible de renoncer à l'administration de certaines
preuves offertes lorsque le fait à établir est sans impor-
tance pour la solution du cas, qu'il résulte déjà de consta-
tations ressortant du dossier ou lorsque le moyen de preuve
avancé est impropre à fournir les éclaircissements nécessai-
res. L'appréciation anticipée des preuves ne constitue pas
une atteinte au droit d'être entendu directement déduit de
l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 125 I 127 consid. 6c/cc p. 135;
124 I 208 consid. 4a p. 211, 241 consid. 2 p. 242; 124 V 180
consid. 1a p. 181 et les arrêts cités). Au même titre que
toute appréciation des preuves, l'appréciation anticipée de
celles-ci est soumise à l'interdiction de l'arbitraire (ATF
124 I 274 consid. 5b p. 285 et les références citées).

c) Concernant plus particulièrement le droit de consul-
ter le dossier, il est justifié par la nécessité de connaî-
tre préalablement les éléments dont dispose l'autorité pour
jouir d'une réelle possibilité de faire valoir ses arguments
dans une procédure. Cela suppose la consultation des pièces
au siège de l'autorité avec la possibilité de prendre des
notes et de faire des photocopies; ce droit ne peut être
limité que pour la sauvegarde d'un intérêt public prépondé-
rant, dans l'intérêt d'un particulier, voire même dans celui
du requérant lui-même (ATF 126 I 7 consid. 2b p. 10/11 et
les arrêts cités). En l'absence d'un tel intérêt, la consul-
tation s'étend à l'ensemble du dossier; l'autorité n'a pas
le droit de choisir certaines pièces à communiquer et d'en
soustraire d'autres à la consultation, sous réserve des do-
cuments internes qui ne concernent pas les administrés ou

les justiciables (cf. ATF 125 II 473 consid. 4a p. 474/475;
117 Ia 90 consid. 5b p. 96 et l'arrêt cité).

d) En l'espèce, il est constant qu'à la suite de sa
deuxième interpellation au Parc des Cropettes dans la mati-
née du 18 mai 1998, le recourant a été emmené au poste de
police parce qu'il refusait toute déclaration, puis incarcé-
ré à la Prison de Champ-Dollon en vertu d'un mandat d'amener
décerné contre lui par l'officier de police, que le Juge
d'instruction a ordonné sa relaxe immédiate le lendemain en-
tre midi et 14h30 et que cette ordonnance n'a été exécutée
que le soir vers 20h00. Le motif du mandat d'amener décerné
à l'encontre du recourant n'est pas énoncé, pas plus que
l'heure à laquelle il a été délivré, de sorte qu'il n'est
pas possible de déterminer si les prescriptions de l'art. 17
LPol ont été respectées. De même, aucune indication n'est
donnée quant au nombre de mandats d'amener décernés et de
personnes déférées devant le Juge d'instruction, élément qui
devrait être connu avec la procédure pénale spécifiquement
dirigée contre le recourant pour savoir dans quelle mesure
un certain retard était admissible pour les formalités admi-
nistratives de relaxe, compte tenu du nombre plus ou moins
grand de personnes faisant l'objet d'une telle décision.
Dans le contexte des plaintes déposées par l'intéressé et du
recours introduit devant la Chambre d'accusation, celle-ci
devait ordonner l'apport de la procédure pénale P/5360/1998,
afin que le recourant puisse développer ses moyens devant
elle en toute connaissance de cause et qu'elle soit elle-
même en mesure d'établir les faits avec objectivité et de
manière complète, au regard des griefs articulés devant
elle. En refusant de donner suite à cette mesure d'instruc-
tion, régulièrement sollicitée, la cour cantonale a par con-
séquent empêché le recourant d'organiser sa défense devant
elle, en violation de son droit d'être entendu.

Vu la nature formelle du droit d'être entendu, la déci-
sion attaquée doit être annulée en tant qu'elle concerne le
classement en opportunité des plaintes pénales déposées par
le recourant, la procédure se retrouvant dans l'état où elle
figurait avant son prononcé, le dossier de la procédure pé-
nale P/5360/1998 devant être mis à disposition de C.________
avant toute nouvelle audience de plaidoiries et de jugement.

3.- Dans le cadre des plaintes déposées contre les in-
terventions de la police en application de l'art. 114A CPP
gen., le recourant dénonce à divers titres une constatation
arbitraire des faits et une atteinte inadmissible à sa li-
berté personnelle garantie aux art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH.

a) La jurisprudence rendue en application de l'art.
4 aCst., mais qui garde toute sa valeur sous l'empire de
l'art. 9 Cst., reconnaît au juge un important pouvoir d'ap-
préciation dans la constatation des faits et leur apprécia-
tion (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40). Le Tribunal fédéral
n'intervient en conséquence pour violation de l'art. 9 Cst.
que si celui-ci a abusé de ce pouvoir, en particulier lors-
qu'il admet ou nie un fait pertinent en se mettant en con-
tradiction évidente avec les pièces et les éléments du dos-
sier, lorsqu'il méconnaît des preuves pertinentes ou qu'il
n'en tient arbitrairement pas compte, lorsque les constata-
tions de fait sont manifestement fausses ou encore lorsque
l'appréciation des preuves se révèle insoutenable (ATF 118
Ia 28 consid. 1b p. 30; 117 Ia 133 consid. 2c p. 39, 292
consid. 3a p. 294; cf. ATF 126 I 168 consid. 3a p. 170).

b) S'agissant de la première interpellation du 18 mai
1998, à 02h30, à la rue de l'Athénée, la Chambre d'accusa-
tion pouvait sans arbitraire retenir que le recourant avait
été arrêté en compagnie de plusieurs personnes qui avaient
participé aux manifestations contre l'Organisation Mondiale
du Commerce. Même si le rapport de renseignements établi le

21 avril 1999 par la gendarmerie ne parle que de "la" mani-
festation, il n'est en effet pas exclu que, par ce terme, il
faille comprendre l'ensemble des événements qui s'étaient
déroulés le 16 mai 1998, et non pas uniquement la manifesta-
tion autorisée de l'après-midi. En revanche, l'ordonnance
attaquée ne mentionne pas que les huit personnes contrôlées
à la rue de l'Athénée n'avaient aucune disposition hostile,
leur fouille sommaire à laquelle avait procédé la police sur
place s'étant révélée négative, en l'absence de tout objet
dangereux pour les tiers ou leurs possesseurs. Seule la
présence inexpliquée d'un ordinateur a paru suspecte aux
agents, ce qui pouvait justifier de conduire les intéressés
au poste de police aux fins de vérifier la provenance de cet
objet, lequel appartenait en définitive à la même personne
que celle qui avait prêté le véhicule. En ne relevant pas
ces éléments dans l'état de fait, alors qu'ils découlaient
du rapport de renseignements établi le 20 mai 1998 et qu'ils
pouvaient être clairement distingués du contexte global des
manifestations - autorisées ou non - du 16 mai 1998, alors
que le contrôle d'identité a pu être opéré sur place, la
cour cantonale a établi les faits d'une manière telle
qu'elle ne pouvait pas statuer raisonnablement sur les
griefs de violation des art. 17 et 20 LPol et 5 § 1 CEDH.

Le grief tiré d'une constatation arbitraire des faits
doit par conséquent être admis en tant qu'il a trait à l'in-
terpellation du recourant du 18 mai 1998 à 02h30 à la rue de
l'Athénée.

c) Concernant plus particulièrement la fouille subie
lors de sa première interpellation, le recourant prétend que
le gendarme ayant procédé à cette opération aurait agi en
violation des instructions de service explicitant l'art. 20
al. 3 LPol, à savoir que la fouille doit être pratiquée en
deux temps, et non pas intégralement en une fois. Dans ses
observations au recours de droit public, le Chef de la poli-

ce a confirmé l'existence et la teneur de ces instructions,
que les agents ont suivies lors des interpellations ulté-
rieures du recourant. Se fondant sur le rapport de rensei-
gnements établi par la gendarmerie le 21 avril 1999 à la de-
mande du Chef de la police, la Chambre d'accusation a consi-
déré pour sa part que la fouille avait eu lieu selon les
prescriptions réglementaires; elle n'a toutefois pas exclu
que la fouille ait eu lieu de la façon indiquée par le re-
courant et qu'il serait même resté cinq minutes nu en pré-
sence de l'agent ou des agents chargés de cette opération,
mais elle a retenu que ce désagrément ne constituait pas,
dans les circonstances exceptionnelles de l'espèce, une vio-
lation des art. 16 à 22 LPol.

La cour cantonale ne pouvait retenir, sur la foi d'un
rapport de renseignements établi près d'une année après les
faits incriminés sur la base de l'enquête, que la fouille du
recourant s'était passée de manière réglementaire sans pro-
céder à une instruction plus complète des faits; elle devait
soit retenir la version des faits du recourant et considérer
que la fouille s'était déroulée en violation de l'art. 20
LPol, même si elle estimait qu'une telle atteinte aux droits
de l'intéressé n'impliquait pas de réparation au sens de
l'art. 114B al. 3 et 4 CPP gen., soit convoquer le gendarme
ayant procédé à la fouille corporelle du recourant pour con-
tribuer à élucider cet élément de fait. Il n'est certes pas
exclu que cette mesure d'instruction ne donne aucun résultat
en raison du temps écoulé depuis les faits et du nombre de
personnes que le gendarme en cause a dû fouiller. Toutefois,
dans la mesure où l'autorité intimée entendait ne pas rete-
nir la version des faits du recourant, une telle mesure
s'imposait.

Le recours est donc également bien fondé sous cet an-
gle.

d) Pour ce qui est de la troisième interpellation, la
cour cantonale retient en fait qu'elle a eu lieu dans les
locaux de l'association Artamis et que le recourant a été
conduit au centre du Bachet-de-Pesay, puis relâché. En
droit, elle retient que ces locaux étaient connus de la po-
lice pour servir de "lieu de regroupement aux émeutiers",
raison pour laquelle l'interpellation de l'intéressé se jus-
tifiait, non seulement pour vérifier son identité, mais éga-
lement pour prévenir de nouveaux troubles à l'ordre public.
Enfin, l'interpellation "de centaines d'émeutiers" augmen-
tait le temps d'attente pour procéder aux interrogatoires et
aux formalités de relaxe, ce qui expliquait le temps durant
lequel le recourant avait été gardé au centre du Bachet-de-
Pesay, à la suite de son interpellation du 20 mai 1998.

Ici également, les faits n'ont pas été établis de ma-
nière à pouvoir vérifier si les conditions posées par l'art.
36 Cst. aux restrictions à la liberté personnelle étaient
remplies, notamment sous l'angle de la proportionnalité. En
particulier, la Chambre d'accusation n'a pas déterminé la
durée de la rétention policière, ni les conditions dans les-
quelles celle-ci s'est déroulée. Or, il ressort du dossier
ou des indications non contestées du recourant que la der-
nière interpellation a eu lieu le 20 mai 1998 entre 01h00 et
02h00 du matin, qu'une centaine de personnes ont été appré-
hendées et que la privation de liberté a duré jusque vers
17h00. Il appert également que l'identité du recourant était
connue par les formalités accomplies lors des deux précéden-
tes interpellations et qu'aucun mandat d'amener n'a été dé-
livré. Dans ces conditions, la cour cantonale ne pouvait se
déterminer sur les griefs qui lui étaient soumis sur la base
des éléments de fait à sa disposition, raison pour laquelle
l'ordonnance attaquée doit être annulée aussi en ce qui con-
cerne la troisième interpellation.

Il appartiendra à la Chambre d'accusation de se pronon-
cer à nouveau sur les griefs soulevés en relation avec cette
dernière, sur la base de tous les éléments qui découlent
déjà du dossier et sur ceux qu'elle peut obtenir au terme
d'une instruction adéquate, et, de façon plus générale, de
se prononcer sur le droit d'obtenir ou non, en tout ou en
partie, l'indemnité sollicitée.

4.- Le recours doit par conséquent être admis, ce qui
rend sans objet la demande d'assistance judiciaire. Vu l'is-
sue du recours, le canton de Genève est dispensé des frais
judiciaires, conformément à l'art. 156 al. 2 OJ. Il versera
en revanche une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens au
recourant qui obtient gain de cause avec l'aide d'un manda-
taire professionnel (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours.

2. Annule l'ordonnance rendue le 3 juillet 2000 par la
Chambre d'accusation du canton de Genève.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Dit que l'Etat de Genève versera au recourant une
indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens.

5. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant, au Chef de la police, au Procureur général et
à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

_________

Lausanne, le 14 décembre 2000
PMN/mnv

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.546/2000
Date de la décision : 14/12/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-14;1p.546.2000 ?
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