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06/12/2000 | SUISSE | N°4C.171/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 décembre 2000, 4C.171/2000


«AZA 1/2»

4C.171/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

les hoirs de Cheikh Youssef Mohamed Abdel Wahab Naghi, soit:
son épouse Hoda Ben Mohamed Omar Jamjoum et ses enfants
Mohamed, Yasser, Saleh et Ammar Naghi, à Jeddah (Arabie Saou-
dite), demandeurs et recourants, représe

ntés par Mes Paul
Gully-Hart et Raphaël Treuillaud, avocats à Genève,

et

Clariden Bank S.A., à Zurich, dé...

«AZA 1/2»

4C.171/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

les hoirs de Cheikh Youssef Mohamed Abdel Wahab Naghi, soit:
son épouse Hoda Ben Mohamed Omar Jamjoum et ses enfants
Mohamed, Yasser, Saleh et Ammar Naghi, à Jeddah (Arabie Saou-
dite), demandeurs et recourants, représentés par Mes Paul
Gully-Hart et Raphaël Treuillaud, avocats à Genève,

et

Clariden Bank S.A., à Zurich, défenderesse et intimée, repré-
sentée par Me Pierre-André Béguin, avocat à Genève;

(contrat de gérance de fortune; responsabilité du gérant;
instructions données par le mandant)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Cheikh Youssef Mohamed Abdel Wahab Naghi
(ci-après: Cheikh Naghi), homme d'affaires très fortuné domi-
cilié à Jeddah (Arabie Saoudite), s'est lié d'amitié avec
Richard Warczyk, qui s'occupait de ses fonds auprès de la
British Bank of Middle East depuis 1988. Richard Warczyk a
été engagé en août 1993 par Clariden Bank S.A. (ci-après:
Clariden), établissement bancaire de droit suisse et filiale
du Crédit Suisse.

Ayant confiance en Warczyk, Cheikh Naghi a ouvert
un compte auprès de Clariden. Le 2 août 1993, il a ainsi si-
gné un document d'ouverture de compte prévoyant notamment
l'application du droit suisse et la compétence des tribunaux
genevois; ce document précise que la banque a la possibilité
de faire un appel de fonds supplémentaires lorsque les
actifs
ou la marge sont insuffisants et que si le client ne fournit
pas les fonds supplémentaires requis, elle peut réaliser,
sans autre avertissement ou formalité, les actifs afin de
couvrir sa créance ou restaurer la marge.

Le 24 août 1993, Cheikh Naghi s'est rendu dans les
locaux de Clariden à Genève pour une entrevue avec Warczyk
et
Daniel Kropf, directeur de l'établissement bancaire. Cheikh
Naghi a exprimé sa conviction que le cours du dollar allait
monter de façon substantielle et fait part de sa volonté de
spéculer dans ce sens. Il a été convenu que les communica-
tions entre les parties seraient quotidiennes. Le même jour,
Cheikh Naghi a signé un mandat pour des transactions sur fu-
tures et options, dont les conditions générales précisaient
que le client confirmait avoir connaissance des risques in-
hérents à ces opérations et avoir soigneusement considéré
s'ils étaient compatibles avec sa situation de fortune;

s'agissant des opérations sur devises, la formule indiquait
que la banque pouvait demander au client une couverture
et/ou
une marge suffisante et liquider les positions ouvertes sans
avis préalable, en tout temps, en cas de couverture insuffi-
sante.

Le 27 août 1993, Cheikh Naghi a signé un mandat de
gestion en faveur de Clariden, limité aux transactions en de-
vises. Selon ce mandat, le client permettait à Clariden de
gérer son compte sans instructions particulières; la banque
était autorisée à prendre toutes les mesures dans le
meilleur
intérêt du client, ce dernier conférant à la banque un pou-
voir illimité d'administration dans ce sens. Il était
précisé
que la banque appliquerait à cette gestion la même diligence
que pour ses propres affaires.

Le même jour, Cheikh Naghi a versé sur son compte
la somme de 20 millions US$, sous forme de deux chèques de
10 millions US$ chacun. Si, dans un premier temps, le compte
a été subdivisé en deux, ces deux sous-comptes ont été ulté-
rieurement à nouveau réunis en une seule entité.

Le 13 octobre 1993, Cheikh Naghi a signé une procu-
ration en faveur de Yousuf Shaikh, lequel est intervenu par
la suite comme son conseiller financier.

Il semble que Cheikh Naghi était en contact télé-
phonique quotidien avec Warczyk et qu'il recevait chaque
jour
la communication des opérations.

b) Au début du mois de juillet 1994, Clariden a
fait un appel de marge, parce que la couverture n'était pas
suffisante et que le dollar évoluait défavorablement. Le 10
juillet 1994, Cheikh Naghi a fait transférer trois millions
US$ à Clariden. Le 14 juillet 1994, Yousuf Shaikh s'est en-
tretenu avec le responsable de la table des changes chez

Clariden; selon le rapport établi par ce dernier, Yousuf
Shaikh était parfaitement conscient de l'état des pertes qui
s'élevaient approximativement à 16,7 millions US$.

Les 21 et 22 juillet 1994, Richard Warczyk a con-
seillé à Cheikh Naghi de réaliser une partie de ses posi-
tions; l'opération n'a pu s'effectuer, car Cheikh Naghi a
fixé un cours minimum qui n'a pas été atteint.

Warczyk a expliqué que son activité essentielle
consistait en conseils, les ordres étant toujours donnés par
Cheikh Naghi ou Yousuf Shaikh, que la décision se prenait en
commun, que s'il y avait un désaccord, les protagonistes re-
nonçaient généralement et que le mandat de gestion signé par
Cheikh Naghi n'était qu'une garantie pour le cas où Warczyk
ne parviendrait pas à joindre son client.

Pour les opérations "forex" (foreign exchange ou
marché international des devises), il a été décidé, en août
1994, d'appliquer la méthode dite des cours historiques. Une
discussion a eu lieu à ce sujet entre Richard Warczyk et
Yousuf Shaikh; Cheikh Naghi a déclaré, lors d'une réunion
avec Daniel Kropf, qu'il bénéficiait de cette méthode à la
British Bank of Middle East.

Selon rapport des 11 et 12 août 1994, Richard
Warczyk a insisté pour une augmentation de la marge, les per-
tes s'élevant alors à 9 520 400 US$. Le 16 août 1994, Cheikh
Naghi a transféré à nouveau cinq millions US$ à Clariden.
Yousuf Shaikh a admis qu'il savait qu'il existait des pertes
sur le compte.

Le 18 octobre 1994 à Jeddah, Warczyk a tenté de
convaincre Yousuf Shaikh de ne pas augmenter les positions
pour ne pas accroître les risques. Cheikh Naghi a été averti
de la nécessité d'apporter des fonds supplémentaires.

Ultérieurement, le responsable de la table des
changes de Clariden a rencontré à nouveau deux fois Cheikh
Naghi, dont une fois en présence de Yousuf Shaikh. Selon ce
cadre bancaire, ses interlocuteurs connaissaient
parfaitement
les mécanismes du commerce des devises et donnaient l'impres-
sion de savoir où ils allaient, de sorte que la banque
n'avait rien à leur expliquer. A ses dires, si Cheikh Naghi
prenait toutes les décisions lui-même, le compte était suivi
attentivement par le département des crédits de Clariden, de
jour en jour, voire d'heure en heure et il y avait un contrô-
le de la marge doublé d'un contrôle informatique.

Au 31 décembre 1994, les actifs nets étaient de
22 787 669 US$ et au 6 janvier 1995 de 24 078 710 US$.

c) Selon un rapport de Warczyk du 9 janvier 1995,
celui-ci a souligné le danger de la baisse du dollar qui né-
cessitait des fonds supplémentaires pour maintenir la marge.

Le lendemain, à Jeddah, Cheikh Naghi a signé en fa-
veur de Clariden un mandat spécial pour les transactions à
options, en monnaies étrangères uniquement; selon ce mandat,
le client demandait à Clariden de gérer son compte d'une fa-
çon indépendante et sans directives spécifiques; la banque
s'engageait à agir avec la même diligence que celle qu'elle
applique à ses propres affaires; le droit suisse était décla-
ré applicable et l'accord signé mentionnait encore la préfé-
rence du client pour une gestion très "agressive" sur une
période de trois ans.

D'après un rapport établi par Warczyk le 6 février
1995, son auteur a fait part à Yousuf Shaikh de son inquiétu-
de à propos de la faiblesse du dollar et a refusé toute idée
d'augmentation. Ces derniers ont décidé de rester quotidien-
nement en contact, comme d'habitude, pour chaque nouvelle ac-
tion.

Le lendemain, les susnommés se sont revus et ont
discuté de la stratégie et des mesures à prendre en vue de
couvrir certaines pertes importantes dues à la chute
continue
du dollar, et du choix de maintenir aussi longtemps que pos-
sible la méthode des cours historiques. Warczyk a précisé
clairement qu'à l'avenir la banque n'appliquerait plus cette
méthode pour de nouvelles positions, lesquelles seraient dé-
sormais accompagnées de limites "stop loss" dans le but
d'éviter de trop grosses pertes. Les intéressés n'ont pas
pris de décision immédiate pour de nouvelles positions, pré-
férant attendre une stabilisation du marché.

Il résulte d'un nouveau rapport de Warczyk que
celui-ci a téléphoné à Cheikh Naghi le 7 mars 1995, que
l'homme d'affaires lui a promis l'envoi d'un fax pour le
transfert de fonds supplémentaires et que le même soir,
Cheikh Naghi l'a appelé pour organiser une conférence télé-
phonique avec un représentant du Crédit Suisse afin de
transférer l'argent nécessaire pour garder les positions
ouvertes.

Le 8 mars 1995 au matin, Cheikh Naghi a rappelé
Warczyk pour ce transfert, mais toutes les positions avaient
déjà été clôturées, laissant des actifs nets s'élevant à
4 367 783 US$.

Cheikh Naghi a manifesté son mécontentement. Le mê-
me jour, il a révoqué avec effet immédiat la procuration en
faveur de Yousuf Shaikh. Le 31 mars 1995, Warczyk a démis-
sionné de ses fonctions au sein de Clariden en raison de son
désaccord avec la clôture des positions de Cheikh Naghi. Ce
même jour, Daniel Kropf a expliqué à Cheikh Naghi que la clô-
ture de ses positions avait permis d'éviter des pertes
encore
plus importantes.

B.- Invoquant la responsabilité du gérant de for-
tune, Cheikh Naghi a déposé devant le Tribunal de première
instance du canton de Genève, le 21 février 1998, une
demande
en paiement dirigée contre Clariden, réclamant en dernier
lieu à cette dernière la somme de 27 030 057,83 US$ avec in-
térêts.

Par jugement du 8 septembre 1999, le Tribunal de
première instance a rejeté la demande.

Saisie d'un appel de Cheikh Naghi, la Chambre civi-
le de la Cour de justice du canton de Genève, par arrêt du
14
avril 2000, a confirmé le jugement attaqué. En substance, la
cour cantonale est parvenue à la conclusion que la banque
n'avait fait que suivre les instructions précises et quoti-
diennes de son client, lequel s'était obstiné, malgré les mi-
ses en garde, à spéculer sur une hausse du dollar à un
moment
où cette monnaie a connu une chute spectaculaire.

C.- Cheikh Naghi exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral. Reprochant à la banque d'être restée passi-
ve, malgré sa qualité de gérante discrétionnaire, entre le 9
janvier 1995 et le 7 mars 1995, il conclut à l'annulation de
l'arrêt attaqué et à la condamnation de sa partie adverse à
lui payer la somme de 19 700 000 US$ avec intérêts; subsi-
diairement, il demande le renvoi de la cause à l'autorité
cantonale.

L'intimée propose l'irrecevabilité, subsidiairement
le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué.

Par ordonnance du 17 août 2000, le Président de la
Ie Cour civile a admis la demande de sûretés en garantie des
dépens présentée par la défenderesse et invité le recourant
à
verser une somme de 80 000 fr., à défaut de quoi ses conclu-
sions seraient déclarées irrecevables.

Le 4 septembre 2000, l'avocat Raphaël Treuillaud a
informé le Tribunal fédéral du décès du recourant, survenu
le 7 juillet 2000 à Jeddah. Ses héritiers, à savoir son épou-
se Hoda Ben Mohamed Omar Jamjoum et ses enfants Mohamed,
Yasser, Saleh et Ammar Naghi ont pris sa place dans la procé-
dure.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Si une partie décède alors que la procédure
est pendante devant le Tribunal fédéral, ses héritiers pren-
nent sa place dans la procédure (art. 40 OJ, art. 17 al. 3
PCF; ATF 75 II 190 consid. 1; Poudret, COJ II, n. 1 ad art.
53 OJ).

b) Interjeté par la partie qui a succombé dans ses
conclusions en paiement et dirigé contre un jugement final
rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supé-
rieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la
valeur litigieuse est très largement supérieure au seuil de
8000 fr. (art. 46 OJ), le recours est en principe recevable,
puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 et 34
al. 1 let. a OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

c) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche
pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang cons-
titutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 126 III 189 consid. 2a, 370 consid. 5;
125 III 305 consid. 2e).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-

rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et
les
arrêts cités). Dans la mesure où les recourants
invoqueraient
un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la déci-
sion attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il ne serait pas
possible d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles
ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il
n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al.
1
OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

d) La prohibition des conclusions nouvelles ne fait
pas obstacle à la diminution des conclusions prises en der-
nière instance cantonale (cf. Poudret, COJ II, n. 1.4.3 ad
art. 55 OJ, p. 425). Les conclusions réduites présentées de-
vant le Tribunal fédéral sont donc recevables.

2.- a) Il résulte des constatations cantonales -
qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art. 63 al. 2 OJ) - que le client a signé des documents par
lesquels il autorise la banque à gérer ses fonds sans avoir
à
requérir un ordre particulier de sa part. Ces documents éta-
blissent la conclusion d'un contrat de gestion de fortune
(sur cette notion générale: cf. Stefan Jacques Schmid, Die
Geschäftsbeziehung im schweizerischen Bankvertragsrecht, thè-
se Berne 1993, p. 28 à 33; Alessandro Bizzozero, Le contrat

de gérance de fortune, thèse Fribourg 1992, p. 14 à 18;
Daniel Guggenheim, Die Verträge der schweizerischen Bank-
praxis, Zurich 1986, p. 63 à 72).

Par ce contrat, qui relève du mandat en tout cas
pour ce qui concerne les devoirs et la responsabilité du
gérant, la banque s'oblige à gérer, dans les termes de la
convention, tout ou partie de la fortune du mandant (arrêt
non publié du 29 octobre 1997, reproduit in SJ 1998 p. 200,
consid. 3a et les arrêts cités). La banque détermine elle-
même les opérations à effectuer, dans les limites fixées par
le client; elle doit déployer la diligence requise dans le
choix des opérations, la surveillance du marché et l'admi-
nistration du portefeuille. La banque assume alors un devoir
étendu d'informer son client, en particulier sur les chances
et les risques liés aux placements opérés (ATF 124 III 155
consid. 3a; 119 II 333 consid. 5a).

b) Selon l'état de fait déterminant, le client n'a
cependant jamais laissé la banque gérer ses avoirs de son
propre chef. Il semble que les contrats de gestion aient été
surtout conclus pour l'hypothèse (non réalisée) où les commu-
nications se seraient trouvées momentanément interrompues.
En
réalité, le client s'occupait lui-même tous les jours de la
gestion de ses avoirs et donnait constamment des instruc-
tions, de sorte qu'aucune opération n'était faite sans son
ordre. Il s'était adjoint un conseiller financier qu'il
avait
choisi (Yousuf Shaikh), lequel était habilité à le représen-
ter. Ainsi, chaque jour, le client (ou son conseiller finan-
cier) discutait avec l'employé de la banque, prenant seul
ses
décisions. Il n'est pas établi que l'employé de la banque
ait
jamais procédé à une seule opération de sa propre initiative
ou contre l'avis du client (ou de son conseiller).

La relation contractuelle, telle qu'elle s'est
réellement déroulée, correspond à un conseil en placements.

Dans ce cas de figure, la banque conseille le client dans la
gestion de sa fortune, mais ce dernier décide lui-même des
opérations à effectuer, dont la réalisation est confiée à la
banque; outre la bonne exécution des ordres suivis, la ban-
que, en tant qu'elle dispense des conseils, doit déployer la
diligence requise pour renseigner utilement son client et le
mettre en garde, s'il y a lieu, contre les risques encourus
(ATF 124 III 155 consid. 3a).

D'un point de vue juridique, il se pose donc le
problème du rapport entre le contrat de gestion qui a été
signé et la manière dont la relation contractuelle s'est en
fait développée.

Même lorsqu'un mandat de gestion a été donné, le
client reste l'ayant droit des fonds; il conserve la faculté
d'en disposer et, notamment, de donner des instructions à la
banque. Comme le mandant pourrait révoquer le contrat en
tout
temps, il est exclu de lui opposer le contrat de gestion
pour
faire obstacle à sa volonté; le mandat de gestion ne donne
pas à la banque un pouvoir exclusif qui annule le droit du
client (Daniel Guggenheim, Les contrats de la pratique ban-
caire suisse, 2ème éd., p. 91 s.; Alessandro Bizzozero, op.
cit., p. 94 s.; Bizzozero/Wermelinger, Gérance de fortune et
conseil en placement, in: Le monde et la pratique bancaires
suisses, tome II, Lausanne 1995, p. 251; en droit allemand:
Herbert Schönle, Bank- und Börsenrecht, 2ème éd., Münich
1976, p. 292).

Dès lors que le client avait clairement manifesté
la volonté de prendre lui-même les décisions aussi longtemps
qu'il était normalement atteignable, qu'il avait fait
savoir,
pendant la période cruciale, qu'il tenait à garder ses posi-
tions ouvertes (quitte à apporter des fonds supplémentaires
pour couvrir les pertes), spéculant toujours sur un renverse-

ment de tendance, la banque n'était pas en droit de
s'écarter
des instructions de son mandant.

C'est manifestement à tort que les recourants re-
prochent à la banque, en invoquant le mandat de gestion,
d'avoir eu un comportement passif entre le 9 janvier 1995 et
le 7 mars 1995. Les instructions quotidiennes et précises du
client, telles qu'elles devaient être interprétées de bonne
foi, interdisaient à la défenderesse d'agir à sa guise.

Ce n'est que lorsque la marge de sécurité convenue
a été entamée que les dispositions contractuelles permet-
taient à la banque de liquider les positions pour
sauvegarder
ses propres intérêts.

c) Les instructions du client ayant réduit le ges-
tionnaire au rôle de simple conseiller en placements, la ban-
que ne pourrait avoir engagé sa responsabilité de mandataire
que si elle avait donné un mauvais conseil, n'avait pas
donné
un conseil qui s'imposait, avait tardé à exécuter un ordre
ou
avait mal exécuté, de toute autre manière, les instructions
reçues.

Or, l'état de fait retenu souverainement par la
cour cantonale n'établit rien de semblable.

Les recourants reprochent à la banque d'avoir uti-
lisé la méthode dite des cours historiques. Il ressort pour-
tant des constatations cantonales que cette méthode a été ac-
ceptée par le client (respectivement son représentant),
après
les explications nécessaires. Au demeurant, il n'est pas
constaté que l'utilisation de cette méthode aurait causé au
client un dommage déterminé. La causalité naturelle relevant
des constatations de fait (ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II
305 consid. 2c/ee; 115 II 440 consid. 5b), elle ne saurait

plus être discutée en instance de réforme (art. 55 al. 1
let.
c OJ).

Il n'a pas été retenu que la banque aurait tardé à
exécuter un ordre ou mal exécuté des instructions du
mandant.
Quant aux conseils, les juges cantonaux ont admis définitive-
ment que le client a été informé des pertes subies, que tou-
tes les opérations lui étaient immédiatement communiquées,
qu'il a été invité à effectuer des versements
supplémentaires
et qu'il a été mis en garde contre les risques qu'il encou-
rait. Il appert donc que c'est le client qui a voulu garder
ses positions ouvertes, espérant avec obstination un renver-
sement de tendance; il a ainsi fait une spéculation, dont il
ne saurait répercuter les conséquences désastreuses sur un
mandataire qui s'est strictement conformé aux instructions
reçues. Compte tenu de l'expérience du client et de son re-
présentant, il n'est pas démontré qu'il s'imposait de donner
une autre information ou un autre conseil que ceux qui ont
été donnés; en tout cas, cela ne ressort pas de l'état de
fait cantonal qui lie le Tribunal fédéral.

3.- Le présent recours doit être rejeté, l'arrêt
critiqué étant confirmé. Vu l'issue du recours, les frais et
dépens de la procédure fédérale doivent être mis solidaire-
ment à la charge des recourants qui succombent (art. 156 al.
1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 50 000 fr. soli-
dairement à la charge des recourants;

3. Dit que les recourants verseront solidairement à
l'intimée une indemnité de 60 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.

___________

Lausanne, le 6 décembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.171/2000
Date de la décision : 06/12/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-06;4c.171.2000 ?
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