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04/12/2000 | SUISSE | N°6S.368/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 décembre 2000, 6S.368/2000


«/2»
6S.368/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

4 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, M. Kolly, Juge, et Mme Brahier
Franchetti, Juge suppléante. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

les époux Y.________, représentés par Me Yvan Jeanneret,
avocat à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 21 mars 20

00 par la Chambre d'ac-
cusation genevoise dans la cause qui oppose les recou-
rants à Z.________, représentée par Me Pierr...

«/2»
6S.368/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

4 décembre 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, M. Kolly, Juge, et Mme Brahier
Franchetti, Juge suppléante. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

les époux Y.________, représentés par Me Yvan Jeanneret,
avocat à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 21 mars 2000 par la Chambre d'ac-
cusation genevoise dans la cause qui oppose les recou-
rants à Z.________, représentée par Me Pierre de Preux,
avocat à Genève, à X.________, représentée par Me Robert
Assael, avocat à Genève, et au Procureur général du
canton de G e n è v e;

(ordonnance de classement; diffamation)

Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Dans un article paru le 5 août 1999 dans
la "Tribune de Genève", la journaliste A.________ a
relaté des événements survenus le 27 juillet 1999 dans
l'immeuble dit du "Vieux-Vatican" à Versoix, dont une
photographie figurait en pleine page, et ayant conduit
"au mystérieux décès d'un bébé de deux mois et demi à
Versoix". Il y était exposé qu'aux dires d'un témoin,
corroborés par le responsable du service de presse de
la police, le drame avait eu lieu en début d'après-midi,
à l'heure de la sieste du bébé et de son frère âgé de
4 ans, alors que la mère et la grand-mère étaient des-
cendues étendre du linge dehors en laissant la porte
ouverte; le bébé avait été retrouvé inerte et était
décédé à l'hôpital le lendemain, de graves lésions à la
tête; du sang avait été trouvé contre le mur, sur le
montant de la porte, et des prises de sang avaient été
effectuées dans le quartier pour tenter de trouver le
coupable; aucune hypothèse n'était à exclure.

b) Z.________, journaliste au quotidien "Le
Temps", a relaté le suivi de cette affaire dans un
article paru le 29 octobre 1999 en première page de la
rubrique "Société - Culture" de ce quotidien, sous le
titre "Jérémie, 4 ans, a tué sa petite soeur. Il doit
apprendre à vivre avec ce drame", suivi du sous-titre
"On parvient enfin à expliquer la mort d'un bébé de deux
mois et demi à Genève au mois d'août. Soupçonnés au
départ, les parents sont hors de cause. Mais la vérité
est bien lourde à porter pour eux". En substance, l'ar-
ticle exposait que, pour le juge d'instruction, l'hypo-
thèse la plus vraisemblable était que le frère de la

victime était à l'origine du drame; cet enfant, présen-
tait, selon les experts, une maladie génétique ayant
entraîné un déficit intellectuel et des troubles du
comportement le rendant brusque et maladroit; il aurait
probablement attrapé sa petite soeur par les jambes avant
de la faire tournoyer et de heurter le mur; il n'existait
toutefois aucune certitude au sujet des circonstances
exactes de l'accident; les deux autres hypothèses plau-
sibles, soit l'intervention d'un tiers ou des actes de
maltraitance des parents, avaient été écartées; comme un
enfant de moins de 7 ans échappe à la justice pénale, la
juge d'instruction comptait clore le dossier et le trans-
mettre au Parquet pour un très probable classement. Au
bas de l'article, il était précisé que Jérémie est un
prénom fictif.

c) Dans un article paru le 4 novembre 1999 dans
l'hebdomadaire "Genève Home Information" (GHI), qui se
veut un survol de l'actualité de la semaine et reprend
les informations émanant de dépêches, de communiqués de
presse ou d'articles publiés dans la presse quotidienne,
la journaliste X.________ a repris l'article de
Z.________ du 29 octobre 1999 en ces termes: "Bébé tué
par son frère. La petite fille de 2 mois et demi
retrouvée morte dans l'appartement de sa grand-mère à
Versoix en août dernier - la mère et l'aïeule s'étaient
absentées pour faire la lessive - a été tuée par son
petit frère de 4 ans! Selon "Le Temps", le frère souffre
d'une maladie génétique ayant entraîné un déficit intel-
lectuel et des troubles du comportement. Comme on ne peut
juger un enfant de moins de 7 ans, l'affaire sera classée
et l'enfant suivi médicalement".

B.- Le 15 novembre 1999, les époux Y.________,
agissant à titre personnel et à titre de représentants

légaux de leur fils B.________, ont déposé plainte pé-
nale, pour diffamation au sens de l'art. 173 CP, contre
toute personne impliquée dans la rédaction des articles
parus, respectivement, dans le journal "Le Temps" du 29
octobre 1999 et l'hebdomadaire GHI du 4 novembre 1999.

Le 18 novembre 1999, une voisine de la famille
Y.________ a requis du Procureur général un communiqué de
presse officiel afin de couper court aux bruits dont elle
faisait l'objet suite aux soupçons qui s'étaient portés
sur elle. Par courrier du 30 novembre 1999, le Procureur
général l'a informée que la procédure était en cours
d'instruction et qu'en l'absence d'inculpation il n'était
pas autorisé à publier des informations, mais qu'en
l'état il n'existait aucune raison de penser qu'elle
assumerait une quelconque responsabilité dans le drame.

Par ordonnance du 6 janvier 2000, le Procureur
général a classé la procédure. Il estimait qu'il ne fai-
sait aucun doute que le contenu de l'article paru dans
"Le Temps", résumé ensuite dans GHI, correspondait à
l'explication la plus probable du drame. A tout le moins,
les journalistes en cause devaient être créditées de leur
bonne foi, les informations diffusées ayant été confir-
mées par le magistrat instructeur; il y avait un intérêt
public à expliquer le drame - qui avait été annoncé pu-
bliquement au moment de sa survenance - ainsi qu'un inté-
rêt privé de certains tiers - qui avaient été soupçonnés
à la suite de la première publication - à ce qu'une ex-
plication complémentaire soit publiée par la même voie,
rien ne permettant par ailleurs de retenir une intention
des journalistes de dire du mal d'autrui. Au demeurant,
les articles incriminés ne permettaient pas d'identifier

B.________, qui n'était reconnaissable que pour les per-
sonnes déjà au courant de son identité.

C.- Saisie d'un recours des époux Y.________, la
Chambre d'accusation genevoise, par ordonnance du 21 mars
2000, a confirmé le classement. Elle a considéré qu'il
n'apparaissait pas que les articles incriminés aient un
caractère diffamatoire. Elle a ajouté que, même si tel
devait être le cas, il y aurait lieu d'admettre que les
journalistes pourraient apporter la preuve de leur bonne
foi; elles ne pourraient en effet se voir reprocher une
violation de la présomption d'innocence, puisque
B.________, qui ne pouvait être jugé par un tribunal
pénal, ne pourrait s'en prévaloir; de toute manière, les
journalistes pouvaient invoquer l'existence d'un intérêt
général à la publication des articles incriminés et
n'avaient pas agi sans motif suffisant, notamment dans le
dessein de dire du mal d'autrui; comme les articles in-
criminés se fondaient directement sur les propos tenus à
la journaliste du quotidien "Le Temps" par le magistrat
instructeur, cette journaliste, de même que celle de GHI,
qui n'avait fait que brièvement résumer l'article de sa
consoeur, pourraient prouver leur bonne foi.

D.- Les époux Y.________ se pourvoient en nul-
lité au Tribunal fédéral. Invoquant une violation de
l'art. 173 CP, ils soutiennent que les articles incri-
minés sont diffamatoires; ils font en outre valoir que,
de toute manière, la décision du Procureur général admet
à tort que les journalistes pourraient apporter la preuve
de la vérité et que c'est également à tort que ce magis-
trat et la Chambre d'accusation cantonale ont admis que

les journalistes pourraient prouver leur bonne foi. Ils
concluent à l'annulation de l'ordonnance attaquée, en
sollicitant l'assistance judiciaire.

Les intimées et le Procureur général concluent au
rejet du pourvoi.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Selon l'art. 270 al. 1 PPF, la qualité du
lésé pour se pourvoir en nullité dépend de trois condi-
tions cumulatives: il faut que le recourant soit lésé par
l'acte dénoncé, qu'il ait déjà été partie à la procédure
auparavant et que la décision attaquée puisse avoir un
effet négatif sur le jugement de ses prétentions civiles.

Les recourants, qui agissent en leur nom ainsi
qu'au nom de leur fils mineur, prétendent que tant eux-
mêmes que ce dernier sont lésés par l'infraction qu'ils
invoquent, ce qui suffit (ATF 124 IV 262 consid. 1a et b
p. 264 s.). Au demeurant, toute personne physique jouit
du droit à l'honneur, donc aussi un enfant, qui peut par
conséquent être lésé par une atteinte à l'honneur. Savoir
si les parents peuvent être lésés par une atteinte portée
à l'honneur de leur enfant est plus délicat; la question
peut toutefois demeurer indécise en l'espèce, les recou-
rants pouvant de toute manière agir en invoquant une at-
teinte à l'honneur de leur enfant.

Dans leur mémoire, les recourants, qui ont par
ailleurs manifestement participé à la procédure canto-
nale, expliquent en quoi la décision attaquée pourrait

influencer négativement le jugement de leurs prétentions
civiles, notamment en réparation du tort moral. Au demeu-
rant, en matière d'atteinte à l'honneur, le pourvoi du
lésé est recevable indépendamment de la réalisation de
cette condition (cf. ATF 121 IV 76 consid. 1c p. 80).
C'est donc en vain que l'intimée X.________ émet des
doutes quant à la recevabilité du pourvoi sur ce point.

2.- Les recourants soutiennent que les articles
incriminés sont diffamatoires en tant que le titre de
l'un d'eux affirme que leur fils a tué sa petite soeur et
que l'autre reprend cette affirmation. Au demeurant, le
caractère attentatoire à l'honneur des articles incri-
minés devrait de toute manière être admis du fait qu'ils
ne respectent pas la présomption d'innocence garantie par
l'art. 6 ch. 2 CEDH.

a) L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement de
celui qui, en s'adressant à un tiers, aura accusé une
personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une con-
duite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre
à porter atteinte à sa considération, ou aura propagé une
telle accusation ou un tel soupçon.

Cette disposition protège la réputation d'être un
homme honorable, c'est-à-dire de se comporter comme un
homme digne a coutume de le faire selon les conceptions
généralement reçues. Il faut donc que l'atteinte fasse
apparaître la personne visée comme méprisable; il ne
suffit pas qu'elle l'abaisse dans la bonne opinion
qu'elle a d'elle-même ou dans les qualités qu'elle croit
avoir, notamment dans le cadre de ses activités profes-
sionnelles, artistiques, politiques, etc.; échappent donc

à la répression les assertions qui, sans faire apparaître
la personne comme méprisable, sont seulement propres à
ternir la réputation dont elle jouit dans son entourage
ou à ébranler sa confiance en elle-même par une critique
visant en tant que tel l'homme de métier, l'artiste, le
politicien, etc. (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47 et les
arrêts cités).

Pour apprécier si une déclaration est attenta-
toire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens
que lui donne la personne visée, mais sur une interpré-
tation objective selon le sens qu'un destinataire non
prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui at-
tribuer (ATF 121 IV 76 consid. 2a/bb p. 82; 119 IV 44
consid. 2a p. 47; 118 IV 248 consid. 2b p. 251; 117 IV 27
consid. 2c p. 29 s.). S'agissant d'un texte, il doit être
analysé non seulement en fonction des expressions utili-
sées, prises séparément, mais aussi selon le sens général
qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 117 IV 27
consid. 2c p. 30; 115 IV 42 consid. 1c p. 44).

Le comportement délictueux peut consister soit à
accuser une personne, c'est-à-dire à affirmer des faits
qui la rendent méprisable, soit à jeter sur elle le soup-
çon au sujet de tels faits, soit encore à propager - même
en citant sa source ou en affirmant ne pas y croire - une
telle accusation ou un tel soupçon (ATF 117 IV 27 consid.
2c p. 29 et les références citées). Il peut être réalisé
sous n'importe quelle forme d'expression: verbalement,
par écrit, par l'image ou le geste, ou par tout autre
moyen (art. 176 CP).

Il n'est pas nécessaire que la personne visée
soit nommément désignée; il suffit qu'elle soit recon-
naissable (ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 29 et les arrêts

cités). Il n'est pas exigé qu'elle puisse être identifiée
par tout un chacun; il suffit que l'un des destinataires
puisse la reconnaître (Bernard Corboz, Les principales
infractions, Berne 1997, art. 173 CP, n° 39).

b) La décision attaquée admet que les termes
utilisés dans les titre et sous-titre du journal "Le
Temps" et dans le titre du journal GHI sont "regrettables
et maladroits", en ce sens qu'ils indiquent que l'enfant
"a tué sa soeur", ce qui peut évoquer, dans l'esprit du
lecteur, une idée de violence et de meurtre. Elle consi-
dère toutefois que le texte des articles doit être lu
dans son ensemble et que, compte tenu des précautions
rédactionnelles avec lesquelles il a été rédigé et de la
manière dont les faits y sont relatés, il n'en résulte
pas qu'une intention délictueuse et un acte criminel
seraient imputés à l'enfant; dans leur ensemble, les
propos s'avèrent suffisamment nuancés et ne font nulle-
ment apparaître l'enfant comme un meurtrier.

Il est vrai que, selon la jurisprudence rappelée
ci-dessus, un texte doit être analysé non seulement en
fonction des expressions utilisées, prises séparément,
mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte
dans son ensemble. Cela ne signifie cependant pas qu'il
faille
faire abstraction de l'impact particulier d'un
titre ou d'un intertitre; rédigés en plus gros caractères
et en gras, ceux-ci frappent spécialement l'attention du
lecteur; très généralement, ils sont en outre sensés ré-
sumer très brièvement l'essentiel du contenu de l'ar-
ticle; de plus, il n'est pas rare que des lecteurs, parce
qu'ils n'en prennent pas la peine ou parce qu'ils n'en
ont pas le temps, ne lisent que les titre et intertitre,
par lesquels ils peuvent être induits en erreur si leur
contenu ne correspond pas à celui de l'article. Aussi la

jurisprudence a-t-elle admis le caractère diffamatoire
d'un intertitre faisant état d'une escroquerie à l'as-
surance, quand bien même il ressortait de l'article
qu'aucune condamnation de ce chef n'avait encore été
prononcée (cf. ATF 116 IV 31 consid. 5b p. 42).

Le titre de l'article paru dans "Le Temps" af-
firme clairement que l'enfant a tué sa soeur et l'article
paru dans GHI reprend ses propos. Une telle affirmation,
même si elle vise un enfant, est incontestablement atten-
tatoire à l'honneur. Dire de quelqu'un qu'il a tué sa
soeur évoque objectivement une idée de violence, voire de
meurtre. Par ailleurs, l'honneur d'un enfant, même inca-
pable de discernement, est protégé (Trechsel, Kurzkommen-
tar, 2ème éd. Zurich 1997, art. 173 n° 13; Bernard
Corboz, op. cit., art. 173 CP, n° 21). Le fait qu'il
s'agisse d'un enfant peut certes jouer un rôle pour dé-
terminer si ce qui est dit porte atteinte à son honneur,
car ce qui peut faire apparaître une personne adulte
comme méprisable ne fait pas nécessairement apparaître
comme tel un enfant, dont on ne saurait attendre la même
conduite que de la part d'un adulte; ainsi dire à un en-
fant de 12 ans qu'il a besoin d'être éduqué moralement ne
le fait pas apparaître comme méprisable dans la mesure où
l'éducation d'un enfant n'est pas encore achevée à cet
âge (ATF 72 IV 173). En revanche, alléguer qu'un enfant
de moins de 7 ans, même s'il n'est pas soumis au code
pénal, a tué sa soeur le fait apparaître comme méprisable
aux yeux des tiers.

Peu importe que l'enfant ne soit pas nommément
désigné, dès lors qu'il est reconnaissable, au moins pour
les personnes proches de l'affaire en cause, à la lecture
du titre et du sous-titre de l'article paru dans "Le
Temps" et de l'encart paru dans le GHI.

De même il importe peu que les propos litigieux
soient ensuite tempérés dans l'article paru dans "Le
Temps", où le fait que l'enfant est à l'origine de la
mort de sa soeur est présenté comme l'hypothèse la plus
probable avancée par le magistrat instructeur. Pour les
motifs exposés ci-dessus, cela ne suffit pas à dénier le
caractère diffamatoire des titre et intertitre qui pré-
cèdent l'article. Au demeurant, que le fait avancé soit
vrai, que l'auteur fasse état de soupçons ou encore qu'il
formule ses propos sous la forme d'une interrogation ou
d'une supposition, la phrase incriminée n'en est pas
moins attentatoire à l'honneur (cf. ATF 117 IV 29 consid.
2c p. 29; Denis Barrelet, Droit de la communication,
Berne 1998, p. 288, n° 1003).

c) Au vu de ce qui précède, le caractère diffa-
matoire des propos litigieux a été nié à tort. Le pourvoi
étant sur ce point fondé, il est superflu d'examiner
l'argumentation subsidiaire des recourants relative à une
éventuelle violation par les intimées de la présomption
d'innocence garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH. Reste en
revanche à examiner si, comme l'estime l'autorité canto-
nale et ce que contestent les recourants, les intimées
auraient de toute manière dû être admises à apporter
l'une des preuves libératoires et auraient pu l'apporter.

3.- L'art. 173 ch. 2 CP dispose que l'inculpé
n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations
qu'il a articulées ou propagées sont conformes à la
vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir
de bonne foi pour vraies. L'auteur d'une diffamation
n'est toutefois pas admis à faire les preuves libéra-
toires ainsi prévues si ses allégations ont été articu-
lées ou propagées sans égard à l'intérêt public ou sans

autre motif suffisant, principalement dans le dessein de
dire du mal d'autrui, notamment lorsqu'elles ont trait à
la vie privée ou à la vie de famille (art. 173 ch. 3 CP).
Selon la jurisprudence, ces deux conditions doivent être
réunies cumulativement; la preuve libératoire ne peut
donc être refusée que si l'auteur s'est exprimée sans
motif suffisant et s'il a agi principalement dans le
dessein de dire du mal d'autrui (ATF 116 IV 31 consid. 3
p. 37, 205 consid. 3b p. 208).

Il résulte de la décision attaquée que le drame
qui s'est produit le 27 juillet 1999 avait été évoqué
antérieurement dans un article de presse du 5 août 1999
et que les intimées ont rédigé et fait publier les ar-
ticles incriminés pour informer au sujet du développement
de l'enquête ouverte à la suite de ce drame. Les recou-
rants, qui ne pourraient d'ailleurs le faire dans un
pourvoi en nullité (cf. art. 277bis al. 1 2ème phrase
PPF), ne contestent du reste pas la constatation can-
tonale selon laquelle les intimées ont voulu informer et
n'ont pas agi dans le dessein de dire du mal d'autrui.
Pour le surplus, l'admission à l'apport des preuves
libératoires se détermine exclusivement sur la base de
l'art. 173 ch. 3 CP; que les intimées n'auraient pas
respecté la présomption d'innocence ou que leurs allé-
gations causeraient à la personne visé une atteinte
illicite à la personnalité au sens de l'art. 28 CC
n'est à cet égard pas déterminant (ATF 122 IV 311
consid. 1 p. 313 ss).

La décision attaquée ne viole donc pas le droit
fédéral en tant qu'elle considère que les intimées au-
raient pu être admises à apporter les preuves libéra-
toires.

4.- Les recourants contestent que les intimées
auraient pu prouver la véracité de ce qu'elles avan-
çaient.

Comme ils l'admettent, la Chambre d'accusation
cantonale - dont seule la décision peut faire l'objet du
pourvoi (art. 268 ch. 1 PPF) - n'a toutefois pas tranché
cette question, considérant que celle-ci pouvait en dé-
finitive demeurer indécise, dès lors que les intimées
auraient de toute manière pu apporter la preuve de la
bonne foi. Il n'y a donc pas lieu d'entrer en matière.

5.- Selon les recourants, c'est à tort qu'il a
été admis que les intimées pourraient apporter la preuve
de la bonne foi. Les informations fournies par le juge
d'instruction ne permettaient pas aux intimées d'affirmer
que l'enfant "a tué sa soeur"; au demeurant, les inti-
mées, n'auraient pas respecté la présomption d'innocence,
de sorte qu'elles ne pourraient invoquer leur bonne foi.

a) La preuve de la bonne foi est apportée lorsque
l'auteur établit qu'il avait des raisons sérieuses de te-
nir de bonne foi ses allégations pour vraies. L'auteur
est de bonne foi s'il a cru à la véracité de ce qu'il di-
sait. La bonne foi ne suffit cependant pas; encore faut-
il que l'auteur ait eu des raisons sérieuses de croire ce
qu'il disait; il doit donc démontrer avoir accompli les
actes qu'on pouvait attendre de lui, selon les circons-
tances et sa situation personnelle, pour contrôler la
véracité de ses allégations et la considérer comme éta-
blie. Autrement dit, l'auteur doit prouver qu'il a cru à
la véracité de ses allégations après avoir fait cons-
ciencieusement tout ce que l'on pouvait attendre de lui
pour s'assurer de leur exactitude. Une prudence parti-

culière doit être exigée de celui qui donne une large
diffusion à ses allégations par la voie d'un média.
L'auteur ne saurait se fier aveuglément aux déclarations
d'un tiers. Pour déterminer si l'auteur avait des raisons
sérieuses de tenir de bonne foi ses allégations pour
vraies, il faut se fonder exclusivement sur les éléments
dont il avait connaissance au moment où il a tenu les
propos litigieux; il n'est pas question de prendre en
compte des moyens de preuve découverts ou des faits sur-
venus postérieurement. Il appartient à l'auteur d'établir
les éléments dont il disposait à l'époque, ce qui relève
du fait; sur cette base, le juge doit déterminer si ces
éléments étaient suffisants pour croire à la véracité des
propos, ce qui relève du droit (ATF 124 IV 149 consid. 3b
p. 151 s. et les références citées).

La jurisprudence a notamment précisé que, lors-
qu'elle donne compte rendu d'une procédure pénale pen-
dante, la presse doit faire preuve d'une circonspection
particulière et doit notamment prendre en considération
la présomption d'innocence garantie par l'art. 6 ch. 2
CEDH. Lorsqu'il s'agit de décrire une infraction qui n'a
pas encore été constatée dans un jugement passé en force,
la formulation utilisée n'est admissible que si elle fait
apparaître sans équivoque qu'il ne s'agit, en l'état, que
de soupçons et que le jugement du tribunal compétent est
réservé. La presse qui entend informer au sujet d'une
procédure pénale pendante doit par ailleurs tenir compte
du risque que des influences politiques ou la surcharge
des autorités judiciaires peuvent entraver le cours de la
justice. Une interprétation de l'art. 173 CP conforme à
la Cst. postule la prise en considération de toutes les
valeurs constitutionnelles, pouvant être partiellement en
conflit, qui entrent en ligne de compte, telles que la
liberté de la presse, le rôle de surveillance de cette

dernière, la protection de la personnalité et la présomp-
tion d'innocence (ATF 122 IV 311 consid. 2c p. 316 s.;
116 IV 31 consid. 5a p. 39 ss). Ainsi a-t-il été jugé
qu'un journaliste n'avait pas violé la présomption d'in-
nocence dans la mesure où il avait fait état de soupçons
quant à la commission d'un meurtre, mais qu'il était en
revanche allé trop loin en alléguant la commission d'une
escroquerie à l'assurance, alors que, dans ce cas, seul
un soupçon pouvait être formulé de bonne foi (ATF 116 IV
31 consid. 5b p. 41 ss).

b) Comme on l'a vu, l'article paru dans "Le
Temps" est diffamatoire en tant que son titre et son
intertitre affirment que l'enfant a tué sa petite soeur
et il en va de même de l'article paru dans GHI en tant
qu'il reprend ces propos. Or, les déclarations du magis-
trat instructeur - qui avait qualifié d'"hypothèse la
plus vraisemblable" le fait que le frère de la victime
soit à l'origine de la mort de celle-ci et qui, décrivant
ce qui avait probablement pu se passer, avait précisé
qu'"il n'existe toutefois aucune certitude sur les cir-
constances exactes de l'accident" - ne permettaient pas
de formuler une telle affirmation, c'est-à-dire de pré-
senter le fait que l'enfant a tué sa petite soeur comme
une certitude, comme une "vérité" bien lourde à porter
pour les parents, autrement dit comme un fait avéré. Pour
l'avoir méconnu, l'autorité cantonale a admis à tort que
les intimées auraient pu apporter la preuve de leur bonne
foi.

Le bien-fondé du pourvoi sur ce point rend super-
flu l'examen de l'argumentation subsidiaire des recou-
rants relative à une violation par les intimées de la
présomption d'innocence garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH.
Il se justifie cependant ici de relever que, contraire-

ment à ce qu'a estimé l'autorité cantonale, l'enfant peut
se prévaloir de la garantie précitée. Fût-il commis par
un enfant de moins de 7 ans, l'homicide n'est pas un acte
licite, mais un crime, pour lequel l'enfant ne peut tou-
tefois pas être poursuivi pénalement. En tant que per-
sonne, cet enfant bénéficie de la présomption d'inno-
cence, même si un procès pénal est exclu; au demeurant,
un procès civil dans le cadre duquel sa culpabilité
devrait être établie est possible (cf. art. 307 CC).

6.- Le pourvoi doit ainsi être admis et l'or-
donnance attaquée annulée, la cause étant renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

Vu l'issue du pourvoi, il ne sera pas perçu de
frais et une indemnité sera allouée au mandataire des
recourants à titre de dépens. La requête d'assistance
judiciaire devient ainsi sans objet.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Admet le pourvoi, annule l'ordonnance attaquée
et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision.

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

3. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
au mandataire des recourants une indemnité de 2500 fr. à
titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties, au Procureur général du canton de
Genève et à la Chambre d'accusation genevoise.
__________

Lausanne, le 4 décembre 2000

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.368/2000
Date de la décision : 04/12/2000
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-12-04;6s.368.2000 ?
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