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23/11/2000 | SUISSE | N°4P.190/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 novembre 2000, 4P.190/2000


«AZA 1/2»

4P.190/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

23 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

SGS Société Générale de Surveillance Holding S.A., à Genève,
représentée par Me Pierre-André Béguin, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 23 juin 2000 par la Chambre civile de la
Cour d

e justice genevoise dans la cause qui oppose la recou-
rante à la République Islamique du Pakistan, à Islamabad
(Pakistan), représent...

«AZA 1/2»

4P.190/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

23 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

SGS Société Générale de Surveillance Holding S.A., à Genève,
représentée par Me Pierre-André Béguin, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 23 juin 2000 par la Chambre civile de la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose la recou-
rante à la République Islamique du Pakistan, à Islamabad
(Pakistan), représentée par Mes Jacques Python et Dominique
Henchoz, avocats à Genève;

(arbitraire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 29 septembre 1994, la République Islamique
du Pakistan (ci-après: le Pakistan), qui déclarait vouloir
lutter contre l'évasion des capitaux, les fraudes et l'éva-
sion fiscale, détecter la sur- ou sous-facturation et encou-
rager le commerce, a conclu avec SGS Société Générale de Sur-
veillance Holding S.A. (ci-après: SGS) un contrat par lequel
elle chargeait cette société, moyennant rémunération, de con-
trôler dans les ports, avant leur embarquement, les marchan-
dises destinées à être importées au Pakistan, de déterminer
si elles correspondaient à la commande de l'importateur, de
vérifier si le prix était conforme au prix du marché, de don-
ner son opinion sur la classification douanière appropriée
et
sur la valeur taxable, et d'indiquer quel tarif devait être
appliqué pour les droits de douane et autres taxes pakista-
naises. L'accord prévoyait que le gouvernement mettrait en
place un organisme de contrôle à disposition des
importateurs
souhaitant contester l'opinion de la SGS en matière douaniè-
re. Selon l'art. 11 du contrat, tout litige qui se rapporte-
rait à cette convention serait tranché par un tribunal arbi-
tral ayant son siège à Islamabad (Pakistan). Il est établi
que le Pakistan souhaitait augmenter ses recettes douanières
grâce aux services de la SGS.

Le 12 décembre 1996, le Pakistan a communiqué à la
SGS sa volonté de mettre fin à leur accord. L'extinction des
rapports contractuels donne lieu à un litige entre les par-
ties.

B.- La SGS a déposé devant les tribunaux genevois
une demande en paiement dirigée contre le Pakistan, auquel
il
réclame la somme de 8 368 430, 49 US$ avec intérêts, repré-

sentant - selon la demande - le solde dû par le Pakistan sur
les factures de la SGS.

Le Pakistan a invoqué d'entrée de cause l'incompé-
tence des tribunaux genevois, en faisant valoir notamment
son
immunité de juridiction et l'existence d'une clause compro-
missoire.

Par jugement du 24 juin 1999, le Tribunal de pre-
mière instance du canton de Genève s'est déclaré incompétent
pour connaître de la demande, retenant que la SGS devait
agir
devant le tribunal arbitral.

Saisie d'un appel, la Chambre civile de la Cour de
justice, par arrêt du 23 juin 2000, a procédé à une substitu-
tion de motifs; elle a confirmé la décision d'incompétence
des tribunaux genevois, mais en se fondant sur l'immunité de
juridiction. La cour cantonale a estimé qu'en raison des tâ-
ches confiées à la SGS, le Pakistan avait agi "jure imperii"
et pouvait valablement se prévaloir de l'immunité de juridic-
tion; subsidiairement, elle a considéré que la cause ne pré-
sentait pas un lien suffisant avec la Suisse.

C.- La SGS forme un recours de droit public au Tri-
bunal fédéral contre l'arrêt du 23 juin 2000 dont elle con-
clut à l'annulation pour arbitraire.

La République Islamique du Pakistan invite le Tri-
bunal fédéral à rejeter le recours.

Parallèlement au recours de droit public, la SGS a
déposé auprès du Tribunal fédéral un recours en réforme.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Conformément à la règle générale, il convient
d'examiner le recours de droit public en premier lieu (art.
57 al. 5 OJ).

2.- a) Les règles sur l'immunité de juridiction re-
connue aux Etats étrangers doivent être considérées comme
des
normes de droit fédéral sur la compétence (ATF 124 III 382
consid. 2a).

Pour un recours de droit public, il faut considérer
comme une décision finale celle qui met un terme au procès,
qu'il s'agisse d'une décision sur le fond ou d'une décision
qui clôt l'affaire pour un motif tiré des règles de la procé-
dure; est en revanche une décision incidente celle qui est
prise pendant le cours de la procédure et ne représente
qu'une étape vers la décision finale; elle peut avoir pour
objet une question formelle ou matérielle, jugée préalable-
ment à la décision finale (ATF 123 I 325 consid. 3b; 122 I
39
consid. 1a; 120 III 143 consid. 1a).

Comme elle a admis l'immunité de juridiction, la
cour cantonale en a déduit qu'elle était incompétente. Cette
décision met un terme à la procédure et constitue donc une
décision finale susceptible d'un recours de droit public. Si
la cour cantonale avait admis sa compétence, le procès
aurait
continué, de sorte que la décision aurait revêtu un
caractère
incident; les décisions incidentes sur la compétence sont ce-
pendant également susceptibles d'un recours de droit public
immédiat (elles ne peuvent d'ailleurs être attaquées avec le
fond) (cf. art. 87 OJ; ATF 124 III 134 consid. 2a; 122 I 39
consid. 1a).

b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une décision cantonale pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a
OJ). Comme on vient de le voir, la décision attaquée doit
être qualifiée de finale. Elle n'est susceptible d'aucun au-
tre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal dans la
mesure où la recourante invoque la violation directe d'un
droit de rang constitutionnel, de sorte que la règle de la
subsidiarité du recours de droit public est respectée (art.
84 al. 1 et 86 al. 1 OJ). En revanche, si la recourante
soulève une question relevant de l'application du droit fé-
déral (et les règles sur l'immunité de juridiction en font
partie), le grief n'est pas recevable, parce qu'il pouvait
faire l'objet d'un recours en réforme (art. 43 al. 1 et 84
al. 2 OJ).

c) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
125 I 492 consid. 1b; 122 I 70 consid. 1c; 121 IV 317
consid.
3b). Il se fonde sur les faits retenus par l'instance canto-
nale, à moins que le recourant ne démontre que l'état de
fait
a été établi en violation de ses droits constitutionnels.

3.- a) En l'espèce, la recourante invoque l'inter-
diction de l'arbitraire découlant de l'art. 9 Cst.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-
ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci
est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou enco-
re lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la
justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée

pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation
formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 126 I 168 con-
sid. 3a et les arrêts cités).

b) La recourante reproche à la cour cantonale
d'avoir établi les faits arbitrairement en ne mentionnant
pas
la clause contractuelle - dont l'existence et le contenu ne
sont pas contestés - selon laquelle elle "n'agit pas en tant
qu'agence gouvernementale".

Le sens de cette clause contractuelle n'est pas
évident. Selon l'Etat intimé, il s'agissait pour lui
d'éviter
que la SGS puisse se prévaloir d'un statut d'organe
étatique.
On peut aussi imaginer que la SGS ait voulu se prémunir con-
tre le risque d'être considérée, au lieu où elle procédait à
la vérification des chargements, comme un organisme de
l'Etat
pakistanais. Quoi qu'il en soit, cette déclaration à caractè-
re protecteur ne change rien au contenu de la tâche confiée
à
la SGS, lequel est seul déterminant pour statuer sur l'immu-
nité de juridiction.

En choisissant de ne pas mentionner une clause qui
se révèle sans pertinence, la cour cantonale n'est pas
tombée
dans l'arbitraire.

c) Pour le reste, la recourante ne prétend pas que
la cour cantonale aurait mal reproduit le contenu du contrat
et des pourparlers; elle ne prétend pas non plus que la cour
aurait arbitrairement déterminé l'objet de la tâche confiée
à
la SGS et exercée par elle. En tout cas, elle ne le démontre
pas d'une manière répondant aux exigences de motivation dé-
duites de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 110 Ia 1
consid.
2a).

Elle critique plutôt l'analyse que la cour cantona-
le a faite de cette activité pour en déduire que l'Etat
avait
agi "jure imperii". Elle s'en prend ainsi non pas aux consta-
tations de fait, mais au raisonnement juridique élaboré sur
la base de celles-ci. Or, l'appréciation juridique des
faits,
c'est-à-dire leur qualification, est une question de droit
(art. 43 al. 4 OJ). Comme les règles sur l'immunité de juri-
diction appartiennent au droit fédéral (ATF 124 III 382 con-
sid. 2a), cette question pouvait donner lieu à un recours en
réforme (art. 43 al. 4 OJ), ce qui exclut qu'elle soit exa-
minée par la voie du recours de droit public, qui revêt un
caractère subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ).

d) La recourante reproche à la cour cantonale
d'être parvenue à la conclusion que la cause n'avait pas de
lien suffisant avec la Suisse sur la base d'une appréciation
arbitraire des faits.

Ce point concerne l'argumentation subsidiaire de la
cour cantonale. Or, comme on le verra dans le cadre du re-
cours en réforme déposé parallèlement, la cour cantonale a
admis sans violer le droit fédéral que l'intimé avait agi
"jure imperii" et pouvait se prévaloir de l'immunité de juri-
diction.

Ainsi, la question de savoir si la cause présente
un lien suffisant avec la Suisse est sans pertinence, puis-
qu'elle ne se pose que dans l'hypothèse où l'Etat a agi
"jure
gestionis" (cf. ATF 124 III 382 consid. 4a; 120 II 400 con-
sid. 4b). Dans ces circonstances, il importe peu de savoir
si, sur ce point, les faits ont été constatés
arbitrairement,
puisque cela ne serait de toute manière pas de nature à
faire
apparaître la décision attaquée comme arbitraire dans son ré-
sultat.

4.- Les frais et dépens doivent être mis à la char-
ge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al.
1
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 20 000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'Etat intimé
une indemnité de 25 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties et la Chambre civile de la Cour de
justice genevoise.

____________

Lausanne, le 23 novembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président, La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.190/2000
Date de la décision : 23/11/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-23;4p.190.2000 ?
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