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23/11/2000 | SUISSE | N°1P.666/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 novembre 2000, 1P.666/2000


«/2»

1P.666/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

23 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Catenazzi. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

C.________, représenté par Me Jacques Haldy, avocat à
Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 15 septembre 2000 par le Tribunal d'accusa-
tion du Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause
q

ui oppose le recourant au Juge d'instruction de l'arrondis-
sement du N o r d v a u d o i s ;

(droit du détenu à ...

«/2»

1P.666/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

23 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Catenazzi. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

C.________, représenté par Me Jacques Haldy, avocat à
Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 15 septembre 2000 par le Tribunal d'accusa-
tion du Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause
qui oppose le recourant au Juge d'instruction de l'arrondis-
sement du N o r d v a u d o i s ;

(droit du détenu à titre préventif
de téléphoner à sa famille)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- C.________, ressortissant colombien né le 11
septembre 1955, a été arrêté le 20 décembre 1996 en Espagne
en exécution d'un mandat d'arrêt décerné contre lui le 26
janvier 1995 et confirmé par un mandat d'arrêt international
du 31 décembre 1996, dans le cadre d'une enquête ouverte
contre lui pour infraction grave à la loi fédérale sur les
stupéfiants et blanchissage d'argent. Il a été extradé à la
Suisse le 23 juin 1998 et placé en détention préventive à la
prison du Bois-Mermet.

B.- Dès le 12 avril 1999, le Juge d'instruction en
charge du dossier (ci-après, le Juge d'instruction) a autori-
sé le prévenu à téléphoner une fois par mois à sa femme et à
ses enfants en Colombie.

Le 24 mars 2000, C.________ a requis l'autorisation
de leur téléphoner une fois par semaine. Il s'est par ail-
leurs plaint de n'avoir pas pu communiquer avec sa famille
du
21 janvier au 21 mars 2000, malgré diverses demandes en ce
sens. Le Juge d'instruction a refusé de donner suite à cette
requête, après avoir rappelé que les appels téléphoniques
étaient en principe interdits en détention préventive et
qu'il avait tenu compte des circonstances propres au prévenu
en lui accordant un droit de téléphoner une fois par mois à
sa femme et à ses enfants.

Contre cette décision prise le 7 avril 2000,
C.________ a formé une réclamation que le Tribunal d'accusa-
tion du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après, le
Tribunal d'accusation) a partiellement admise par arrêt du 5
mai 2000. Cette autorité a pris acte du fait que le Juge
d'instruction avait rejeté à tort la demande formulée par le

prévenu le 25 février 2000 tendant à pouvoir s'entretenir
par
téléphone avec sa femme et ses enfants. Elle a en revanche
tenu pour non arbitraire et conforme au principe de la prop-
ortionnalité la décision du premier juge de n'accorder au ré-
clamant l'autorisation de téléphoner avec sa famille qu'une
fois par mois.

Par arrêt du 20 juin 2000, le Tribunal fédéral a re-
jeté un recours du prévenu au motif que l'octroi d'une auto-
risation de téléphoner hebdomadaire était de nature à alour-
dir considérablement le travail des agents de la prison char-
gés de la surveillance des conversations téléphoniques et à
créer une inégalité de traitement par rapport aux autres dé-
tenus à titre préventif qui ne peuvent téléphoner que dans
des cas graves ou urgents, selon le régime mis en place à la
prison de la Tuilière (cf. art. 85 al. 1 du règlement de cet
établissement).

C.- Le 11 juillet 2000, C.________ s'est enquis au-
près de la Directrice adjointe des Maisons d'arrêts et de
préventive de la pratique existant au sein de la Prison du
Bois-Mermet en ce qui concerne le droit des détenus à titre
préventif de téléphoner à leur famille et des problèmes d'or-
ganisation qu'une augmentation de la fréquence des appels
pourrait engendrer.

Dans sa réponse du 17 juillet 2000, l'intéressée a
indiqué en substance que de nombreux prévenus bénéficiaient
d'une autorisation de téléphoner hebdomadaire,
indépendamment
des visites reçues de leur famille et de la durée de leur dé-
tention préventive; elle a par ailleurs précisé que les ins-
tallations téléphoniques de la Prison du Bois-Mermet
n'étaient de loin pas saturées et que le personnel était en
mesure d'assumer une augmentation importante de la fréquence
des conversations téléphoniques.

Fort de ces renseignements, C.________ a, par lettre
du 19 juillet 2000, vainement sollicité du Juge
d'instruction
l'autorisation de téléphoner au moins une fois par semaine à
sa famille. Le 14 août 2000, il a formé une réclamation au-
près du Tribunal d'accusation. A la requête de cette
dernière
autorité, le Chef du Service pénitentiaire du canton de Vaud
a confirmé, dans un courrier du 11 septembre 2000, que les
Maisons d'arrêts et de préventive étaient en mesure de per-
mettre aux prévenus un téléphone par semaine. Il a par ail-
leurs précisé que les surveillants de la prison se
trouvaient
dans l'incapacité de comprendre toutes les conversations en
langue étrangère, qui sont enregistrées, et qu'il
appartenait
en définitive au juge de fixer les limites de l'autorisation
de téléphoner pour chaque détenu selon ses possibilités de
contrôle.

Statuant par arrêt du 15 septembre 2000, le Tribunal
d'accusation a rejeté la réclamation. Il a considéré que
même
si elles étaient techniquement réalisables, les mesures de
surveillance nécessitées par l'octroi d'une autorisation de
téléphoner hebdomadaire impliquaient un important surcroît
de
travail pour l'Office du Juge d'instruction et qu'il était
par conséquent conforme au principe de la proportionnalité
de
limiter le droit du réclamant à pouvoir téléphoner une fois
par mois à ses proches.

D.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 8, 13, 14, 29 al. 1 et 2 Cst. ainsi
que des art. 6 § 1, 8 et 14 CEDH, C.________ demande au Tri-
bunal fédéral d'annuler cet arrêt et de l'autoriser à télé-
phoner à sa famille une fois par semaine durant quinze minu-
tes au maximum, au besoin sous surveillance et enregistre-
ment. Il voit une violation de son droit d'être entendu dans
le fait que le Tribunal d'accusation ne lui a pas donné l'oc-
casion de se déterminer sur le résultat des preuves adminis-
trées ni de produire ses moyens de preuves avant de statuer.

Il conteste par ailleurs que l'autorisation sollicitée
puisse
lui être refusée pour des raisons tirées de la surcharge de
l'Office du Juge d'instruction, d'un risque de collusion ou
des besoins de l'enquête. Il se plaint enfin d'une inégalité
de traitement par rapport aux autres détenus à titre préven-
tif qui bénéficient d'une autorisation de téléphoner hebdoma-
daire. Il requiert l'assistance judiciaire.

Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants
de son arrêt. Le Juge d'instruction de l'arrondissement du
Nord vaudois n'a pas déposé d'observations.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- L'arrêt attaqué a été rendu dans le cadre de la
détention préventive du recourant, qui est réglée par le
droit cantonal. Seule est donc ouverte la voie du recours de
droit public (art. 84 al. 2 OJ). Le recourant est
directement
atteint dans son droit d'entretenir des contacts avec sa fa-
mille durant son incarcération; il a dès lors qualité pour
recourir, selon l'art. 88 OJ, contre le refus de l'autoriser
à téléphoner une fois par semaine à sa femme et à ses
enfants
au besoin sous surveillance et enregistrement. Formé en
temps
utile contre une décision rendue en dernière instance canto-
nale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1 et
89
al. 1 OJ, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le
fond.

2.- a) Selon la jurisprudence, l'exercice des droits
constitutionnels ou conventionnels de la personne détenue ne
doit pas être restreint au-delà de ce qui est nécessaire au
but de la détention et au fonctionnement normal de l'établis-
sement (ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204; 123 I 221 consid.
I/4c p. 228; 122 II 299 consid. 3b p. 303; 118 Ia 64 consid.

2d p. 73). Cela concerne notamment le maintien de contacts
avec les membres de la proche famille, tels le conjoint et
les enfants, protégé tant par la garantie constitutionnelle
de la liberté personnelle que par celle du respect de la vie
privée et familiale consacrée à l'art. 8 CEDH. Le Tribunal
fédéral a ainsi jugé que la personne en détention préventive
devait en principe être autorisée à recevoir la visite de
ses
proches durant une heure par semaine au minimum, dès que la
durée de la détention excède un mois (ATF 106 Ia 136 consid.
7a p. 140/141). En revanche, sous réserve d'exceptions non
réalisées en l'espèce, ni le droit constitutionnel, ni le
droit conventionnel n'accordent à une personne détenue à ti-
tre préventif un droit de téléphoner librement aux membres
de
sa famille, à ses proches ou aux tiers qui leur sont assimi-
lés; lorsque le détenu dispose d'autres moyens de contact
avec l'extérieur, l'usage du téléphone doit s'exercer dans
le
cadre du règlement de l'établissement pénitentiaire dans le-
quel celui-ci est incarcéré (cf. arrêt du 31 mars 1995 dans
la cause S. contre Conseil d'Etat du canton du Valais, in
Pra
1996 n° 142 p. 474 consid. 24 p. 481/482; arrêt rendu le 20
juin 2000 dans la cause opposant les mêmes parties).

b) En l'occurrence, le règlement de la prison du
Bois-Mermet à Lausanne, du 9 septembre 1977, autorise les
prévenus en détention préventive à recevoir des visites
(art.
210) et à expédier ou recevoir de la correspondance (art.
226); il ne contient en revanche aucune disposition relative
à l'usage du téléphone par les personnes détenues à titre
préventif. En l'absence d'une disposition particulière à ce
sujet ou d'un droit constitutionnel ou conventionnel
reconnu,
cette question doit être résolue au regard des buts de la dé-
tention et du bon fonctionnement de l'établissement, dans le
respect du principe de la proportionnalité (cf. arrêt de la
CourEDH du 20 juin 1988 dans la cause Schönenberger et
Durmaz
c. Suisse, Série A, vol. 137, § 25; JAAC 1995 n° 114 p.
972).

Il ressort des indications fournies par la Direction
cantonale des Maisons d'arrêts et de préventive que l'augmen-
tation de la fréquence des appels téléphoniques ne poserait
aucun problème pratique au sein de la Prison du Bois-Mermet
dès lors que le personnel pénitentiaire ne contrôle pas les
conversations téléphoniques en langue étrangère, mais se
borne à les enregistrer et à les transmettre à l'Office du
Juge d'instruction pour traduction et contrôle. Dans ces
conditions, le premier motif retenu à l'appui de l'arrêt du
20 juin 2000 pour confirmer le refus du Juge d'instruction
d'autoriser le recourant à téléphoner une fois par semaine à
sa famille n'est plus d'actualité. Cela ne signifie pas en-
core que le recours doive être admis pour autant.

Pour s'opposer à la requête du recourant, le Tribu-
nal d'accusation se prévaut en effet du surcroît de travail
qu'impliqueraient pour l'Office du Juge d'instruction la
traduction puis le contrôle des entretiens téléphoniques
hebdomadaires. Il n'est a priori pas exclu qu'un tel motif
puisse justifier une limitation du nombre de conversations
téléphoniques des détenus à titre préventif en vertu du prin-
cipe de la proportionnalité. Le Juge d'instruction n'a cepen-
dant pas fait état d'une telle surcharge pour s'opposer à la
requête du prévenu et les pièces versées au dossier ne per-
mettent pas d'apprécier la situation réelle à cet égard. Il
ressort par ailleurs des pièces versées en annexe au recours
- dont on peut admettre la production au dossier dans la me-
sure où le recourant n'avait aucune raison de les produire
au
cours de la procédure cantonale au vu de la motivation rete-
nue par le Juge d'instruction pour rejeter sa demande - que
ce magistrat aurait autorisé à deux reprises au moins
C.________ à téléphoner à sa femme et à ses enfants sans
pour
autant procéder à l'enregistrement des conversations ni,
partant, en contrôler le contenu. Dans ces circonstances, il
paraît pour le moins difficile de justifier le refus d'aug-
menter la fréquence des appels téléphoniques par le surcroît

de travail occasionné pour l'Office du Juge d'instruction
par
les mesures de surveillance des conversations téléphoniques,
à tout le moins sans avoir préalablement interpellé le Juge
d'instruction à ce sujet.

Ce dernier justifie son refus d'autoriser le recou-
rant à téléphoner une fois par semaine à sa famille par les
inconvénients qu'une telle mesure aurait pour l'enquête,
liés
à l'impossibilité de contrôler l'identité de l'interlocuteur
et au fait que la divulgation éventuelle de faits couverts
par le secret de l'enquête ne pourrait être constatée et
sanctionnée que tardivement. Il est constant que les restric-
tions au droit de téléphoner peuvent être motivées par les
besoins de l'enquête, celle-ci pouvant être mise en danger
notamment par la collusion du détenu avec des tiers ou par
un
risque de fuite (cf. ATF 118 Ia 64 consid. 2d p. 73 et les
arrêts cités). Toutefois, C.________ se trouve en détention
préventive depuis bientôt quatre ans, ce qui tend à relativi-
ser le risque de collusion. Par ailleurs, le Juge d'instruc-
tion l'a autorisé à s'entretenir avec sa femme et ses
enfants
une fois par mois dès le 12 avril 1999; il aurait en outre
renoncé, à deux reprises au moins, à enregistrer les conver-
sations et, partant, à en contrôler le contenu, de sorte que
le refus d'augmenter la fréquence des appels téléphoniques
ne
saurait être motivé par les besoins de l'enquête.

Le Juge d'instruction se fonde également sur des
considérations tirées de l'égalité de traitement entre les
détenus à titre préventif pour refuser l'octroi au recourant
d'une autorisation de téléphoner hebdomadaire. Il ressort
cependant des indications fournies par la
Direction des Mai-
sons d'arrêts et de préventive que le régime prévu à l'art.
85 al. 1 du règlement de la prison de la Tuilière, limitant
l'usage du téléphone par les personnes détenues préventive-
ment aux seuls cas graves et urgents, ne serait pas appliqué
dans les faits et que la majorité d'entre eux
bénéficieraient

en réalité d'un régime plus souple sous la forme d'une auto-
risation de téléphoner hebdomadaire. S'ils devaient s'avérer
exacts, ces faits seraient de nature à affaiblir considéra-
blement la portée des motifs tirés de l'égalité de
traitement
entre détenus de même condition tenus pour décisifs par le
Tribunal fédéral pour rejeter le précédent recours. Les élé-
ments de fait ne sont toutefois pas suffisamment établis sur
ce point pour que celui-ci puisse prendre position à ce pro-
pos. Il ne lui appartient au surplus pas de prendre d'office
les mesures d'instruction propres à clarifier la situation
de
fait dans le cadre d'un recours de droit public.

En définitive, il y a lieu d'admettre le recours,
d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la cause au
Tribunal
d'accusation pour qu'il statue à nouveau après avoir détermi-
né la charge de travail réelle que représenterait pour l'Of-
fice du Juge d'instruction une augmentation de la fréquence
des appels téléphoniques du recourant à sa famille et, le
cas
échéant, le régime ordinaire auquel sont soumis les détenus
à
titre préventif quant à l'usage du téléphone, pour autant
qu'un tel régime puisse être défini.

3.- Vu l'issue du recours, la demande d'assistance
judiciaire devient sans objet. Conformément à l'art. 156 al.
2 OJ, le canton de Vaud est dispensé des frais judiciaires;
il versera en revanche une indemnité de dépens au recourant
qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un mandataire
professionnel (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours au sens des considérants et an-
nule l'arrêt attaqué.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Alloue au recourant une indemnité de 1'000 fr. à
titre de dépens, à la charge du canton de Vaud.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Juge d'instruction de
l'arrondissement
du Nord vaudois et au Tribunal d'accusation du Tribunal can-
tonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 23 novembre 2000
PMN/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.666/2000
Date de la décision : 23/11/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-23;1p.666.2000 ?
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