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13/11/2000 | SUISSE | N°4P.192/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 novembre 2000, 4P.192/2000


«/2»

4P.192/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

13 novembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

G.________, ainsi que par la S.I. X.________, tous deux
représentés par Me Philippe Schmidt, avocat à Genève;

contre

l'arrêt rendu le 23 juin 2000 par la Chambre civile de la
Cour de jus

tice du canton de G e n è v e dans la cause qui
oppose les recourants à la Banque Y.________, à Genève, re-
présentée par M...

«/2»

4P.192/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

13 novembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

G.________, ainsi que par la S.I. X.________, tous deux
représentés par Me Philippe Schmidt, avocat à Genève;

contre

l'arrêt rendu le 23 juin 2000 par la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de G e n è v e dans la cause qui
oppose les recourants à la Banque Y.________, à Genève, re-
présentée par Me Philippe Preti, avocat à Genève, et à
T.________, représenté par Me Bruno de Preux, avocat à Genè-
ve;

(procédure civile; appréciation arbitraire des preuves)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le notaire T.________ était en relation d'af-
faires avec G.________ depuis 1982.

Celui-ci a reçu un héritage se composant principa-
lement d'une fondation Z.________, établie au Liechtenstein.

G.________ a mandaté T.________ pour une opération
tendant à l'acquisition d'une villa et à la conclusion d'un
contrat de crédit.

Le 25 février 1991, T.________ a constitué la S.I.
X.________, qui avait pour administrateur unique M.________,
le clerc de son Étude. G.________ était le seul actionnaire
de cette société.

Le 28 février 1991, la SI X.________ a acquis la
propriété d'une villa sise à Blonay pour un prix de
2'650'000 fr. G.________ n'est pas intervenu et M.________
n'a agi que comme intermédiaire de T.________.

Le 22 mars 1991, T.________ a rencontré W.________
et C.________, respectivement directeur et sous- directeur
auprès de la Banque Y.________ (ci-après: la Banque).
G.________ n'a pas assisté à cet entretien et T.________ a
informé la Banque qu'il agissait en vertu d'une procuration
générale signée en sa faveur par G.________. La Banque a
reçu
la procuration au plus tard par courrier du 13 juin 1991.

Il ressort notamment de la note d'entretien rédigée
par C.________ que l'opération devait être gérée par Maître
T.________, que l'immeuble de Blonay était le logement de

G.________, actionnaire de la SI X.________, et que celui-ci
touchait une rente successorale annuelle d'un million de
francs provenant d'une fondation au capital de 38 millions;
un financement de deux millions était envisagé, moyennant le
nantissement de cédules en premier et deuxième rangs, ainsi
que du capital actions de la SI X.________; les débiteurs se-
raient la SI X.________ et G.________.

Il a été retenu que ces derniers avaient l'inten-
tion d'utiliser rapidement la somme prêtée à des fins qui
étaient soit fiscales, soit de nature à permettre le rembour-
sement de l'avance faite par la fondation à la SI X.________.

Le 29 mai 1991, la Banque a transmis à G.________
et à la SI X.________, pour adresse T.________, la confirma-
tion de l'octroi de deux avances fermes en premier et second
rangs, de 1'600'000 fr. et de 400'000 fr. A cet envoi
étaient
joints les pièces d'ouverture de compte qui prévoyaient ex-
pressément que la correspondance devait être adressée "p.a.
Maître T.________", l'acte de nantissement et deux cartons
de
signatures. L'un comportait le nom dactylographié de
G.________, l'autre celui de G.________ et de la SI
X.________. Les cases subséquentes des deux cartons
n'étaient
ni préparées ni tracées.

Le 12 juin 1991, G.________ et M.________ ont signé
ces documents, sans biffer sur les cartons de signatures les
cases suivant leurs signatures respectives. T.________ y a
apposé la sienne. Sur la demande d'ouverture de compte de
G.________, la rubrique "conditions éventuelles" permettant
d'exiger "aucun retrait sans l'accord écrit de (nom et adres-
se)" n'a pas été cochée.

Tous ces documents ont été transmis à la Banque le
13 juin 1991 par T.________, accompagnés de photocopies con-
formes de la procuration générale conférée par G.________ en

faveur de M.________ et de T.________. Ce dernier a
également
signalé qu'il priait son confrère P.________ d'autoriser la
Banque à lui délivrer le montant du prêt.

Le 14 juin 1991, P.________ a confirmé à la Banque
que celle-ci était inscrite au registre foncier en tant que
porteur des deux cédules hypothécaires et il l'a priée de
transférer le montant du prêt conformément aux instructions
qui allaient être données par T.________.

Le 25 juin 1991, les deux comptes ont été débités
respectivement de 1'600'000 fr. et de 400'000 fr. pour cou-
vrir un chèque de 2'000'000 remis par la Banque à
T.________,
qui l'a encaissé. Par la suite, le notaire a fait un usage
contesté des fonds obtenus.

M.________ a régulièrement reçu les avis d'intérêts
relatifs aux deux comptes débités. Pendant plusieurs mois,
M.________ et G.________ n'ont pas réagi aux relevés de
compte.

Au printemps 1992, T.________ a quitté Genève et,
sur demande de la Banque, M.________ a déposé pour nantisse-
ment, en juin 1992, le certificat d'actions de la SI
X.________.

Ni l'administrateur M.________ ni le conseil de
G.________ n'ont contesté immédiatement le retrait de deux
millions opéré par le notaire, mais ils se sont inquiétés du
mode d'exécution et de l'utilisation des fonds.

B.- Le 3 juin 1996, G.________ et la SI X.________
ont déposé une demande en paiement contre T.________ et la
Banque. Par mesure d'économie de procédure, les parties ont

décidé de limiter, dans un premier temps, l'instruction à la
question de la responsabilité éventuelle de la Banque.

Par jugement du 8 septembre 1999, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a constaté la responsa-
bilité de principe de la Banque et ordonné des enquêtes sur
la question de la quotité du dommage. Selon les juges, l'at-
tention de la Banque aurait dû être attirée par les agisse-
ments qualifiés d'insolites de T.________.

Sur appel de la Banque, la Cour de justice du can-
ton de Genève, par arrêt du 23 juin 2000, a annulé le juge-
ment du 8 septembre 1999 et, statuant à nouveau, a dit que
la
Banque ne devait pas répondre du dommage que prétendaient
avoir subi G.________ et la SI X.________. Puis, elle a ren-
voyé la cause à l'autorité de première instance pour suite
d'instruction.

C.- Contre cet arrêt, G.________ et la SI
X.________ interjettent un recours de droit public au Tribu-
nal fédéral. Invoquant l'arbitraire dans l'appréciation des
preuves et dans l'établissement des faits, ils concluent à
l'annulation de l'arrêt du 23 juin 2000.

La Banque propose le rejet du recours dans la mesu-
re de sa recevabilité, alors que T.________ déclare s'en rap-
porter à justice en ce qui concerne la recevabilité et le
bien-fondé du recours de droit public.

La Cour de justice se réfère, pour sa part, aux
considérants de son arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec
une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui
sont
soumis (ATF 126 I 81 consid. 1, 207 consid. 1 et les arrêts
cités).
a) Selon l'art. 87 OJ, dans sa teneur au 8 octobre
1999 entrée en vigueur le 1er mars 2000 (RO 2000 p. 417), le
recours de droit public est recevable contre les décisions
préjudicielles et incidentes sur la compétence et sur les
demandes de récusation, prises séparément; ces décisions ne
peuvent être attaquées ultérieurement (al. 1); le recours de
droit public est recevable contre d'autres décisions préjudi-
cielles et incidentes prises séparément s'il peut en
résulter
un préjudice irréparable (al. 2); lorsque le recours de
droit
public n'est pas recevable en vertu de l'al. 2 ou qu'il n'a
pas été utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes
peuvent être attaquées avec la décision finale.

Dans le cas d'espèce, l'action est intentée contre
deux défendeurs - la banque et le notaire - qui forment une
consorité simple. Sur le plan cantonal, il a été décidé de
limiter dans un premier temps la procédure à l'un des deux
consorts passifs, à savoir la banque, et l'action dirigée
contre celle-ci a été, du moins implicitement, rejetée en se-
conde instance par l'arrêt attaqué. La procédure cantonale
ne
peut ainsi se poursuivre qu'à l'encontre du notaire.

Le rejet de l'action envers l'un des deux consorts
constitue une décision partielle. Selon une acception généra-
le, une telle décision a un caractère final (du point de vue
de la banque), mais elle ne met pas fin à l'instance, car le
procès n'est pas encore terminé envers l'autre partie (cf.
Bernard Corboz, Le recours immédiat contre une décision inci-
dente, in SJ 1991 p. 621).

b) Ce n'est qu'en matière de recours de droit admi-
nistratif qu'une telle décision est considérée comme finale
(cf. ATF 107 Ib 341 consid. 1; Corboz, op. cit., p. 623).
S'agissant du recours de droit public, la jurisprudence assi-
mile les sentences partielles à des décisions incidentes au
sens de l'art. 87 OJ (cf. ATF 123 I 325 consid. 3b, qui se
fonde sur l'ATF 116 II 80 consid. 2b, critiqué - sous
l'angle
du droit de l'arbitrage - par Jean-François Poudret, La rece-
vabilité du recours au Tribunal fédéral contre la sentence
partielle de l'art. 188 LDIP, in JdT 1990 I p. 354 ss; du
même auteur, La recevabilité du recours au Tribunal fédéral
contre une sentence partielle, in BullASA 1990 p. 237 ss, et
Remarques au sujet des articles 190 et 191 LDIP, in BullASA
1992 p. 79 s.; cf. également Gabrielle Kaufmann-Kohler, Art.
190 et 191 LDIP: Les recours contre les sentences
arbitrales,
in BullASA 1992 p. 64 ss, 73 ss; Anton Heini, Anmerkungen zu
Art. 186-189, in BullASA 1992 p. 52 ss, 56 s.).

En matière de recours en réforme, le jugement par-
tiel n'est pas non plus considéré comme une décision finale
visée par l'art. 48 OJ, bien que la pratique le distingue
des
décisions préjudicielles ou incidentes (ATF 124 III 406 con-
sid. 1a). Le recours immédiat contre les sentences
partielles
est ainsi soumis à un régime particulier (ATF 124 III 406
consid. 1a; 123 III 140 consid. 2a et les références
citées),
dicté par des motifs d'économie de procédure (cf. ATF 117 II
349 consid. 2a; 107 II 349 consid. 2 p. 353).

Lorsqu'un jugement partiel fait à la fois l'objet
d'un recours de droit public et d'un recours en réforme, il
convient de s'en tenir à la jurisprudence selon laquelle, si
la voie du recours en réforme est ouverte, le recours de
droit public sera également considéré comme recevable, même
en l'absence de dommage irréparable au sens de l'art. 87 OJ
(cf. ATF 117 II 349 consid. 2b p. 351 par analogie).

c) Dans l'hypothèse où une décision partielle n'est
attaquée que par la voie du recours de droit public, l'appli-
cation de l'art. 87 OJ impose de résoudre la question du pré-
judice irréparable. Selon la jurisprudence relative à l'an-
cien article 87 OJ dont il n'y a pas lieu de se départir
sous
l'empire du nouveau droit (cf. ATF 126 I 207 consid. 2), il
faut, pour qu'un préjudice puisse être qualifié d'irrépara-
ble, qu'il cause un inconvénient de nature juridique. Tel
est
le cas lorsqu'une décision finale même favorable au
recourant
ne le ferait pas disparaître entièrement, en particulier
lorsque la décision incidente contestée ne peut plus être
attaquée avec la décision finale, rendant ainsi impossible
le
contrôle constitutionnel par le Tribunal fédéral (ATF 118 II
369 consid. 1; 116 Ia 446 consid. 2; Walter Kälin, Das Ver-
fahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., Berne 1994,
p. 342 et les références citées). En revanche, un dommage de
pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un ac-
croissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré comme
irréparable (ATF 123 I 325 consid. 3c p. 328 s.; 122 I 39
consid. 1a/bb p. 42). Un jugement partiel portant sur une
question matérielle ne remplira en pratique quasiment jamais
les exigences liées au préjudice irréparable, dès lors qu'il
est par définition possible de l'attaquer avec la décision
mettant fin au litige. En l'occurrence, l'arrêt entrepris
qui
concerne la banque pourrait encore être remis en cause par
le
biais d'un recours contre la décision finale relative au no-
taire. Or, la seule perte de temps n'est pas déterminante au
regard de l'art. 87 OJ. En outre, la situation des
recourants
sur le plan juridique ne se péjore en tout cas pas, puisque
le litige peut faire l'objet d'un recours en réforme. Dans
cette hypothèse en effet, le jugement partiel n'entre pas en
force de chose jugée tant que le jugement final (qui porte
sur tout le litige) est encore pendant et que, partant, la
voie du recours en réforme à son encontre est ouverte (cf.
art. 48 al. 3 OJ en rapport avec l'art. 54 al. 2 OJ). Par
conséquent, si l'on s'en tenait strictement à l'art. 87 OJ,
le recours devrait être déclaré irrecevable.

d) Une telle solution n'est pourtant pas satisfai-
sante, car elle ne tient pas compte des particularités d'une
décision partielle qui, comme en l'espèce, met
définitivement
fin à l'action dirigée contre l'un des consorts, alors que
cette action aurait aussi pu être formée séparément. Il sem-
ble difficilement concevable d'exiger de la banque qu'elle
attende une décision finale qui ne la concerne plus et dont
elle ignore quand et de quelle manière (par jugement, trans-
action ou retrait) elle sera rendue, ce qui influence égale-
ment sa possibilité de recourir.

Dans ces circonstances, il n'y a pas de raison que
le principe de l'économie de la procédure, qui est sous-
jacent à l'admission, dans certaines circonstances, du re-
cours en réforme
immédiat à l'encontre de décisions partiel-
les (cf. supra let. c), ne prévale pas aussi lorsqu'une
telle
décision ne fait l'objet que d'un recours de droit public.
La
jurisprudence s'est du reste déjà fondée sur l'économie de
la
procédure pour déroger à la condition du dommage irréparable
exigée par l'art. 87 OJ (cf. ATF 115 Ia 311 consid. 2a; 94 I
199 consid. 1a; 87 I 172 consid. 2), ces derniers temps sur-
tout en relation avec des questions liées à l'organisation
des tribunaux (cf. ATF 124 III 134 consid. 2a). Il convient
ainsi d'admettre que ce principe, associé à celui de la pro-
portionnalité et de l'intérêt bien compris des parties, jus-
tifie qu'un recourant puisse, à certaines conditions,
déposer
tout de suite un recours de droit public à l'encontre d'une
décision partielle, sans attendre la décision finale (cf.
ATF
115 Ia 311 consid. 2a; 94 I 199 consid. 1a). Ainsi, lorsque
l'on est, comme en l'espèce, en présence d'un jugement par-
tiel rendu dans le cadre d'un cumul subjectif d'actions diri-
gées contre des défendeurs liés par un rapport de consorité
simple et qui tranche définitivement le sort de la
prétention

contre l'un des consorts passifs, il y a lieu, pour éviter
la
situation insatisfaisante évoquée ci-dessus, d'entrer en ma-
tière sur le recours de droit public, sans se demander si la
décision attaquée entraîne un préjudice irréparable.

e) Interjeté en temps utile compte tenu des féries
(art. 34 al. 1 let. b et 89 al. 1 OJ) et dans la forme
prévue
par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est donc
recevable.

2.- La cour cantonale a considéré que la respon-
sabilité de la banque n'était pas engagée, dès lors que le
notaire avait agi en tant que représentant des recourants. A
cet égard, les juges ont développé une double motivation que
l'on peut résumer ainsi: ils ont tout d'abord admis que les
recourants avaient effectivement conféré au notaire des pou-
voirs de représentation au sens de l'art. 32 CO lui permet-
tant de débiter les comptes auprès de l'intimée. La cour
cantonale a ensuite considéré que, même si l'on envisageait
l'hypothèse prévue par l'art. 33 al. 3 CO, soit le fait que
le notaire ait, en débitant les comptes, outrepassé ses com-
pétences, la banque pouvait de bonne foi déduire d'actes
concluants ressortant du dossier que le retrait effectué par
le notaire sous la forme d'un chèque entrait dans le cadre
de
son pouvoir de représentation.

3.- Invoquant une violation de l'art. 9 Cst., les
recourants se plaignent exclusivement d'arbitraire dans
l'établissement des faits et dans l'appréciation des preuves.

a) Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé
par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre
solution que celle retenue par l'autorité cantonale pourrait
entrer en considération ou même qu'elle serait préférable;
le

Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que
lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait,
qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique
indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante
le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une déci-
sion soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas
que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore
que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF
125 I 166 consid. 2a, II 10 consid. 3a, 129 consid. 5b p.
134; 124 I 247 consid. 5 p. 250).

S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves et des constatations de fait, il y a arbitraire lors-
que l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sé-
rieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision,
lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa por-
tée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments re-
cueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Il
appartient au recourant d'établir la réalisation de ces con-
ditions en tentant de démontrer, par une argumentation pré-
cise, que la décision incriminée est insoutenable (art. 90
al. 1 let. b OJ; ATF 122 I 70 consid. 1c; 119 Ia 197 consid.
1d; 117 Ia 393 consid. 1c; 110 Ia 3 consid. 2a).

b) Les recourants considèrent que la cour cantonale
a écarté de manière arbitraire les déclarations du directeur
et du sous-directeur de l'intimée faites au cours de la pro-
cédure pénale concernant la portée donnée aux cartons de si-
gnatures, ce qui lui a permis de déduire de manière insoute-
nable que le notaire, titulaire d'une procuration générale,
avait le pouvoir de débiter les comptes.

aa) Ils relèvent tout d'abord que l'arrêt attaqué
indique faussement que, par convention du 30 septembre 1998,
les parties n'ont pas souhaité l'apport de la procédure péna-

le dans la première phase d'instruction concernant la ques-
tion de l'éventuelle responsabilité de la banque. Il est
vrai
qu'aux termes de leur accord, les parties ont été moins abso-
lues, dès lors qu'elles ont seulement précisé que ce n'était
que l'apport de la procédure pénale dans son intégralité qui
était réservé pour la seconde phase de l'instruction. Con-
trairement à ce que laisse entendre la formulation de la
cour
cantonale, toute utilisation de pièces issues de la
procédure
pénale n'était donc pas a priori exclue. Cette inexactitude
dans la retranscription de la convention des parties
figurant
dans l'arrêt attaqué n'a toutefois pas porté à conséquence,
puisque, comme le relèvent les recourants eux-mêmes, les ju-
ges se réfèrent à plusieurs reprises à des procès-verbaux
d'audience issus de la procédure pénale et produits par les
parties. L'arbitraire ne saurait donc être retenu sur ce
point.

bb) Concernant le contenu des déclarations du di-
recteur et du sous-directeur de l'intimée, il ressort de
l'arrêt entrepris que ces deux dirigeants n'ont pas
seulement
été entendus dans le cadre de la procédure pénale, mais
qu'ils l'ont également été au cours de l'instruction qui
s'est déroulée sur le plan civil. Or, les propos tenus par
ceux-ci devant les autorités civile et pénale n'étaient pas
identiques. En préférant la version présentée devant le juge
civil, la cour cantonale n'a pas écarté sans raison sérieuse
un moyen de preuve, comme voudraient le faire croire les re-
courants, mais elle n'a fait que choisir entre deux déclara-
tions divergentes. Elle a en outre expliqué, de manière con-
vainquante, qu'elle préférait s'en référer aux témoignages
enregistrés par le juge civil, parce que celui-ci avait en-
tendu longuement les témoins et parce que la banque intimée
n'était pas partie à la procédure pénale qui avait pour des-
tination principale de rechercher si le notaire était ou non
coupable. Dans ce contexte, on ne peut faire grief à la cour

cantonale d'avoir mis à l'écart de façon insoutenable les té-
moignages effectués devant le juge pénal.

Par conséquent, rien n'indique que la cour cantona-
le ait arbitrairement admis que le pouvoir de représentation
général du notaire lui permettait de débiter les comptes.

c) En dernier lieu, les recourants contestent l'ap-
préciation de la cour cantonale selon laquelle la banque
était de bonne foi lorsqu'elle a versé le solde des comptes
au notaire.

Lorsque la décision attaquée se fonde sur plusieurs
motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, tou-
tes suffisantes, les conséquences sur les recours au
Tribunal
fédéral sont doubles: d'une part, chacune des motivations
doit, sous peine d'irrecevabilité, être attaquée avec le
moyen de droit approprié (ATF 115 II 300 consid. 2a; 111 II
398 consid. 2b); d'autre part, il suffit que l'une des moti-
vations présentées soit conforme au droit fédéral ou à la
Constitution pour que la décision entreprise doive être con-
firmée.

Comme il l'a été indiqué (cf. supra consid. 2), la
cour cantonale a adopté une double motivation concernant le
pouvoir de représentation du notaire, considérant que celui-
ci disposait des pouvoirs lui permettant de débiter les comp-
tes, mais que, même si tel n'était pas le cas, la banque pou-
vait de bonne foi déduire du dossier que le notaire était ha-
bilité à procéder à un tel retrait. Or, on vient de voir que
c'est sans arbitraire que la cour cantonale a admis que le
pouvoir de représentation du notaire au sens de l'art. 32 CO
comprenait celui de débiter les comptes (cf. supra let. b).
La première motivation de la cour cantonale permet donc de
justifier la décision entreprise, de sorte qu'il n'est plus
nécessaire d'examiner la question de la bonne foi de la ban-

que, puisqu'elle se rapporte exclusivement à la seconde hypo-
thèse envisagée dans l'arrêt attaqué.

Dans ces circonstances, le recours doit être rejeté
dans la mesure où il est recevable.

4.- Les recourants, qui succombent, seront con-
damnés, solidairement entre eux, aux frais et dépens (art.
156 al. 1 et 7, 159 al. 1 et 5 OJ). Seule la banque intimée,
qui a pris des conclusions dans la présente procédure, aura
droit à une indemnité à titre de dépens.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 10'000 fr. à la
charge des recourants, solidairement entre eux;

3. Dit que les recourants, débiteurs solidaires,
verseront une indemnité de 12'000 fr. à la banque intimée à
titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de justice du canton de Genè-
ve.

__________

Lausanne, le 13 novembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.192/2000
Date de la décision : 13/11/2000
1re cour civile

Analyses

Art. 87 OJ; décision partielle. Admissibilité, pour des motifs d'économie de procédure, d'un recours de droit public déposé à l'encontre d'une décision partielle qui tranche définitivement le sort de la prétention dirigée contre l'un des consorts passifs, alors que cette action aurait aussi pu être formée séparément (consid. 1).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-13;4p.192.2000 ?
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