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08/11/2000 | SUISSE | N°1P.23/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 novembre 2000, 1P.23/2000


«/2»
1P.23/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

Séance du 8 novembre 2000

Présidence de M. Aemisegger, Président de la Cour.
Présents: MM. les Juges Nay, Aeschlimann, Féraud, Catenazzi,
Favre et Seiler, Juge suppléant.
Greffier: M. Thélin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représenté par Me Michel Ducrot, avocat à
Martigny,

contre

la loi valaisanne du 23 juin 199

9 sur la prévoyance profes-
sionnelle des magistrats de l'ordre exécutif, judiciaire et
du Ministère public;

(régime tra...

«/2»
1P.23/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

Séance du 8 novembre 2000

Présidence de M. Aemisegger, Président de la Cour.
Présents: MM. les Juges Nay, Aeschlimann, Féraud, Catenazzi,
Favre et Seiler, Juge suppléant.
Greffier: M. Thélin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représenté par Me Michel Ducrot, avocat à
Martigny,

contre

la loi valaisanne du 23 juin 1999 sur la prévoyance profes-
sionnelle des magistrats de l'ordre exécutif, judiciaire et
du Ministère public;

(régime transitoire; égalité de traitement)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 23 juin 1999, le Grand Conseil du canton du
Valais a adopté une loi sur la prévoyance professionnelle
des
magistrats de l'ordre exécutif, judiciaire et du Ministère
public.

Cette loi prévoit qu'à l'avenir, dès leur élection
ou nomination, le Chancelier d'Etat et les magistrats de
l'ordre judiciaire, y compris ceux du Ministère public, se-
ront affiliés à la Caisse de prévoyance du personnel de
l'Etat du Valais et soumis aux dispositions statutaires de
cette caisse (art. 2 al. 1). Une ordonnance du Conseil
d'Etat
doit déterminer la catégorie d'assurance, parmi celles que
comporte la caisse, et le taux de cotisation applicables
(art. 2 al. 2).

A titre transitoire, il est prévu que les magistrats
judiciaires déjà en fonction lors de l'entrée en vigueur de
la loi, âgés de plus de cinquante ans ou ayant atteint une
certaine durée de fonction, soit douze ans de fonction pour
les juges cantonaux ou seize ans pour les autres magistrats,
demeureront soumis au régime de pensions antérieur, institué
par un règlement du Grand Conseil du 30 mars 1979 (art. 5
al.
1). Il s'agit de pensions de retraite, d'invalidité ou de
survivants payées directement par l'Etat, sans financement
spécifique, hormis une cotisation retenue sur le traitement
des magistrats. Ce régime doit toutefois être modifié selon
les principes suivants (art. 5 al. 2 et 3):

"Il est fait application d'un taux de coordination
correspondant à celui retenu par la [Caisse de pré-
voyance]. Pour le calcul des prestations, les trai-
tements assurés (anciens et nouveaux) sont pris en
considération proportionnellement à leur durée ef-
fective d'application.

"Le taux de cotisation est identique à celui des
magistrats transférés à la [Caisse de prévoyance]."

Les magistrats judiciaires déjà en fonction, mais ne
satisfaisant pas aux conditions précitées d'âge ou de durée
de fonction, sont transférés à la Caisse de prévoyance (art.
6 al. 1). L'Etat verse à celle-ci les prestations de libre
passage dues selon le régime de pensions antérieur; il verse
en outre les montants complémentaires nécessaires au rachat
d'années d'assurance, de manière à garantir l'obtention de
prestations maximales dans le système de cette caisse (art.
6
al. 2). L'Etat impute toutefois, sur ces montants complémen-
taires, les avoirs de vieillesse que les intéressés se sont
ou auraient pu se constituer avant leur entrée dans la magis-
trature, selon la loi fédérale sur la prévoyance profession-
nelle (art. 6 al. 3).

D'autres dispositions règlent la prévoyance des
conseillers d'Etat, pour lesquels le régime antérieur est en
principe maintenu (art. 3 et 7).

L'entrée en vigueur de la loi a été fixée au 1er
janvier 2000 (art. 10 al. 2). Le Conseil d'Etat devait préa-
lablement adopter, par la voie d'une ordonnance soumise à
l'approbation du Grand Conseil, les "dispositions complémen-
taires absolument nécessaires au respect de la législation
fédérale sur la prévoyance professionnelle" à l'égard des
magistrats non affiliés à la Caisse de prévoyance; il devait
aussi régler "les questions expressément déléguées par la
loi" et adopter les dispositions nécessaires à son exécution
(art. 8).

B.- La loi était sujette au référendum facultatif,
qui n'a pas été demandé. Le Conseil d'Etat l'a promulguée
par
arrêté du 1er décembre 1999, publié le 3 suivant, en même

temps que l'ordonnance qu'il avait entre-temps adoptée le 13
octobre 1999 et soumise à l'approbation du Grand Conseil.

L'art. 16 al. 1 de cette ordonnance précise la base
de calcul des prestations telle que prévue par l'art. 5 al.
2, 2e phrase, de la loi. Il s'agit d'une moyenne pondérée
"prorata temporis" des traitements déterminants avant et
après la modification du règlement de 1979:

(D1 x T1) + (D2 x T2)
D1 + D2

D1: durée de fonction jusqu'au 31 décembre 1999;
D2: durée de fonction depuis le 1er janvier 2000;
T1: traitement effectif (100 %), déterminant jusqu'au 31
décembre 1999;
T2: traitement coordonné (85 %), déterminant depuis le 1er
janvier 2000.

Il résulte de ce système que plus la durée de fonc-
tion d'un magistrat se prolonge au delà du 1er janvier 2000,
plus la base de calcul de ses prestations diminue et se rap-
proche du traitement coordonné.

C.- Le Tribunal fédéral est saisi d'un recours de
droit public dirigé contre la loi du 23 juin 1999, formé par
X.________, né le xxx, juge d'instruction pénale depuis le
1er janvier 1988 puis juge de district depuis le 1er janvier
1992. Le recourant demande l'annulation des art. 5 al. 1 et
2
et 6 al. 1 de la loi. Il tient pour arbitraire de ne pas con-
server, à titre transitoire, le régime de pensions antérieur
pour tous les magistrats judiciaires déjà en fonction; il
critique, en particulier, les critères d'âge ou de durée de
fonction retenus aux art. 5 al. 1 et 6 al. 1. Il se plaint
aussi d'inégalité de traitement en tant que selon l'art. 5
al. 2, 2e phrase, les magistrats maintenus sous le régime de

pensions antérieur ne subiront qu'une réduction progressive
de la base de calcul de leurs prétentions, inhérente à l'in-
troduction "prorata temporis" d'un traitement assuré infé-
rieur au traitement plein, tandis que cette réduction sera
immédiate pour les magistrats transférés à la Caisse de pré-
voyance.

Invité à répondre, le Grand Conseil du canton du Va-
lais propose le rejet du recours. X.________ a déposé un mé-
moire complétif et a maintenu ses conclusions.

D.- Les documents joints à la réponse du Grand
Conseil révèlent que l'Etat du Valais a versé à la Caisse de
prévoyance le montant total de 8'041'009 fr.60 pour le trans-
fert de vingt-trois magistrats, qui devraient en outre appor-
ter globalement 464'055 fr.85 pour s'assurer des prestations
maximales. Dans le cas personnel du recourant, les montants
versés par l'Etat et à verser par l'affilié s'élèvent respec-
tivement à 435'732 fr.15 et 10'632 fr.50. Le recourant de-
vrait prélever ce dernier montant sur un capital de prévoyan-
ce de 123'869 fr.10 qu'il avait constitué avant son accès à
la magistrature, placé depuis sur un compte de libre passage
auprès de la Banque cantonale du Valais.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Au 1er janvier 2000, le recourant était âgé
de moins de cinquante ans et n'atteignait pas seize ans de
fonction en qualité de juge d'instruction ou de juge de dis-
trict. La loi attaquée a donc pour effet de le contraindre à
renoncer au régime de pensions institué par le règlement du
30 mars 1979, dont il bénéficiait auparavant, et de l'affi-
lier à un système de prévoyance moins avantageux. En particu-
lier, pour obtenir des prestations maximales dans ce
système,

il doit céder à la Caisse de prévoyance une partie du
capital
constitué avant son accès à la magistrature et, de toute ma-
nière, ses perspectives de retraite anticipée sont considéra-
blement réduites. Il a ainsi, en principe, qualité pour re-
courir selon l'art. 88 OJ.

Les situations des magistrats qui exercent la même
fonction publique mais sont soumis par la loi à des régimes
de prévoyance professionnelle différents sont étroitement
comparables; le recourant est donc autorisé à faire valoir,
le cas échéant, que les magistrats maintenus sous le régime
spécifique de 1979 bénéficient d'un avantage injustifié et
constitutif d'une inégalité de traitement (cf. ATF 109 Ia
252
consid. 4c p. 255; voir aussi ATF 124 I 159 consid. 1c p.
161, 110 Ia 7 consid. 1a p. 10). En revanche, le recours est
irrecevable dans la mesure où il tend à faire constater que
les modalités dudit régime, ou les modifications qui lui
sont
apportées par la loi attaquée, sont en elles-mêmes arbitrai-
res. En effet, le recourant n'est pas personnellement
touché,
même de façon seulement virtuelle, par les dispositions
concernées (cf. ATF 125 I 173 consid. 1b; 124 I 145 consid.
1c p. 148; 123 I 41 consid. 5b p. 43).

b) Le recours de droit public doit être formé dans
le délai de trente jours dès la communication, selon le
droit
cantonal, de l'acte attaqué (art. 89 OJ). Lorsque celui-ci,

tel une loi cantonale, est soumis au référendum obligatoire
ou facultatif, le délai court dès la publication de l'arrêté
de promulgation par lequel le pouvoir exécutif constate que
l'acte est définitivement adopté (ATF 121 I 187 consid. 1a
p.
188, 119 Ia 123 consid. 1a p. 126, 119 Ia 321 consid. 3a p.
325). En l'occurrence, le délai de recours est respecté.

2.- Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les
prétentions pécuniaires des magistrats ou fonctionnaires,
qu'il s'agisse des prétentions salariales ou de celles rela-

tives aux pensions, n'ont en règle générale pas le caractère
de droits acquis. Elles sont en principe régies par la légis-
lation en vigueur au moment où elles doivent prendre effet,
de sorte que des droits acquis ne naissent en faveur des per-
sonnes concernées que si la loi a fixé une fois pour toutes
les relations en cause pour les soustraire aux effets des mo-
difications légales, ou lorsque des assurances précises ont
été données à l'occasion d'un engagement individuel (ATF 118
Ia 245 consid. 5b p. 255, 117 V 229 consid. 5b p. 234, 107
Ia
193 consid. 3a p. 194, 106 Ia 163 consid. 1a p. 166). Le cas
échéant, la loi ne peut supprimer des droits acquis que si
un
intérêt public suffisant justifie cette mesure, et elle doit
assurer une pleine indemnisation (ATF 119 Ia 154 consid. 5c
p. 161/162, 117 Ia 35 consid. 3b p. 39, 117 V 229 consid. 5b
in fine p. 235). En l'occurrence toutefois, le recourant ad-
met expressément qu'il ne bénéficie pas de prétentions ainsi
garanties.

Dans la mesure où elles ne constituent pas des
droits acquis, les prétentions patrimoniales des magistrats
ou fonctionnaires sont néanmoins protégées contre les inter-
ventions du législateur par les art. 8 al. 1 et 9 Cst. A
l'instar de l'art. 4 aCst., ces dispositions constitution-
nelles empêchent que les prétentions en cause ne soient ar-
bitrairement supprimées ou réduites, notamment quant à leur
montant, et que des atteintes aux droits concernés intervien-
nent unilatéralement et sans justification particulière, au
détriment de quelques intéressés ou de certaines catégories
d'entre eux (ATF 118 Ia 245 consid. 5b p. 255, 117 V 229
consid. 5c p. 235, 106 Ia 163 consid. 1c p. 169; voir aussi
Ueli Kieser, Besitzstand, Anwartschaften und wohlerworbene
Rechte in der beruflichen Vorsorge, RSAS 43/1999 p. 290 ss,
p. 308; Jacques-André Schneider, La prévoyance professionnel-
le et l'égalité de traitement, in Aspects de la sécurité so-
ciale 2/1993 p. 22, ch. 3 ss). Selon les circonstances, le
législateur est tenu d'adopter des dispositions
transitoires,

soit pour éviter des conséquences ainsi prohibées, soit pour
permettre aux intéressés de s'adapter à la nouvelle
situation
légale (arrêt du 3 avril 1996 in Pra 1997 p. 1, SJ 1996 p.
661, consid. 4b; voir aussi ATF 122 V 405 consid. 3b/bb p.
409). Ces dispositions transitoires ne doivent pas comporter
elles-mêmes des distinctions arbitraires ou contraires à la
garantie de l'égalité de traitement (arrêt du 30 septembre
1988 in RSAS 33/1989 p. 313, consid. 4f p. 326).

3.- Il convient d'étudier les caractéristiques es-
sentielles des deux systèmes de prévoyance professionnelle
en
présence, ainsi que les effets des dispositions contestées.

a) Dans le régime des pensions institué par le rè-
glement du 30 mars 1979, l'âge de retraite des magistrats ju-
diciaires est en principe "celui fixé par l'AVS"; c'est cet
âge-terme qui détermine le calcul des prestations de libre
passage en cas de démission sans droit à la pension. Les ma-
gistrats judiciaires peuvent cependant prendre leur retraite
déjà après douze ans de fonction pour les juges cantonaux,
ou
après seize ans pour les autres magistrats, étant précisé
que
la pension complète suppose seize ans de fonction aussi pour
les juges cantonaux. Le magistrat qui n'est pas réélu a
droit
à une pension, le cas échéant réduite, quelle que soit sa du-
rée de fonction. Seules des années de fonction effectives en-
trent en considération; le régime ne comporte aucune possibi-
lité, ni aucune nécessité de rachat d'années. La pension com-
plète peut être réclamée dès l'âge de soixante ans ou dès un
âge plus élevé; réclamée plus tôt, elle est réduite de 2 %
par année manquante jusqu'à l'âge de soixante ans. Les pen-
sions complètes ouvertes avant le 1er janvier 2000 corres-
pondaient à 60 % du traitement effectif payé par l'Etat; les
pensions complètes ouvertes ou à ouvrir dès cette date cor-
respondent à 60 % d'un montant calculé conformément à l'art.
5 al. 2, 2e phrase, de la loi, compris entre le traitement

coordonné (85 % du traitement effectif), nouvellement intro-
duit dans ce régime, et le traitement effectif.

Auprès de la Caisse de prévoyance, selon les statuts
actuels adoptés le 23 juin 1999
pour entrer en vigueur le
1er
janvier 2000, la pension complète suppose soit quarante,
soit
trente-sept ans et demi de cotisation, selon la catégorie
d'assurance, et elle n'est jamais supérieure à 60 % du trai-
tement coordonné. Si un nouvel affilié dispose déjà d'un ca-
pital de prévoyance, il doit généralement l'affecter au ra-
chat d'années de cotisation manquantes. Si l'affilié opte
pour une retraite anticipée, la pension est réduite selon un
taux d'environ 7 à 7,5 % par année d'anticipation,
légèrement
dégressif.

b) A titre de juge de district, le recourant est at-
tribué à la catégorie d'assurance 1b, où la retraite statu-
taire est fixée à soixante-deux ans et nécessite, pour une
pension complète, quarante années de cotisation effectives
ou
rachetées. Le recourant atteindra cet âge en 2012. La
pension
complète correspondra à 60 % du traitement coordonné, soit
51 % du traitement effectif. Si le recourant pouvait conser-
ver le régime de pensions de 1979, tel que modifié par la
loi
attaquée, il pourrait obtenir au même moment une pension éga-
le à 55,5 % de ce traitement effectif. On constate donc qu'à
cette échéance lointaine, le système de la Caisse de pré-
voyance est moins avantageux que le régime antérieur, mais
que la perte d'expectative imposée au recourant n'est pas
très importante. Celui-ci conserve d'ailleurs l'essentiel du
capital de prévoyance qu'il avait constitué avant son accès
à
la magistrature; hormis un montant d'environ 10'500 fr., il
n'a pas besoin d'investir ce capital dans le rachat des an-
nées de cotisation manquantes.

Auprès de la Caisse de prévoyance, dans la catégorie
précitée, l'affilié peut prendre une retraite anticipée à

cinquante-sept ans au plus tôt. Même avec une carrière d'as-
surance sans lacune, la pension n'atteint alors que 33,02 %
du traitement effectif. Or, dans le régime de 1979 modifié,
le recourant pourrait obtenir, à cet âge, en 2007, une pen-
sion égale à 53,28 % du traitement effectif. Cette pension
serait à peine réduite par rapport à celle accessible cinq
ans plus tard. La différence entre les prestations de chaque
système, défavorable au recourant, est ici considérable. En-
fin, la loi attaquée retire au recourant, sans aucune alter-
native même moins avantageuse, la possibilité de prendre sa
retraite dès sa seizième année de fonction accomplie, à
cinquante-quatre ans, avec 50,82 % du traitement effectif.

c) Comparé au système de la Caisse de prévoyance, le
régime des pensions de 1979 se distingue ainsi par une durée
d'acquisition des prestations très brève et par un taux de
pension élevé. Les prestations de retraite à l'âge terme
"fixé par l'AVS" ne s'écartent guère de la norme, mais les
possibilités de retraites anticipées sont particulièrement
avantageuses et même tout à fait inusitées. Cette
singularité
est confirmée par le fait qu'en règle générale, l'équilibre
d'un système de prévoyance nécessite que les retraites anti-
cipées soient réduites d'environ 8 % par année manquante jus-
qu'à l'âge terme normal (Carl Helbling, Personalvorsorge und
BVG, 7e éd., Berne 2000, p. 214); or, le régime de 1979 ne
prévoit aucune réduction pour les retraites prises à
soixante
ans, et une réduction de 2 % seulement est opérée pour
chaque
année d'anticipation supplémentaire. De plus, les magistrats
retraités peuvent cumuler une pension complète avec la pré-
voyance vieillesse qu'ils ont eu le temps de se constituer,
en particulier sous forme d'une prestation de sortie d'une
institution de prévoyance, dans leur carrière
professionnelle
antérieure à leur entrée dans la magistrature.

Le transfert à la Caisse de prévoyance, tel qu'impo-
sé au recourant et à vingt-deux autres magistrats, a pour ef-

fet de déplacer l'âge de la retraite complète de soixante à
soixante-deux ans pour les quatorze magistrats attribués à
la
catégorie 1b; les neuf juges d'instruction pénale ou juges
des mineurs, que l'ordonnance attribue à la catégorie 2b,
conservent la retraite complète à soixante ans. Pour tous,
le
montant de la retraite complète est inférieur, dans une mesu-
re variable selon la date d'entrée en fonction, à celle qui
serait obtenue dans le régime de 1979 modifié. Pour tous éga-
lement, les perspectives de retraite anticipée sont suppri-
mées ou très fortement réduites. Cependant, en raison des mo-
dalités financières adoptées pour le rachat des années d'as-
surance manquantes, le cumul d'une retraite ordinaire avec
la
prévoyance antérieure à l'activité de magistrat subsiste par-
tiellement (en tant qu'il n'est pas exclu par le droit fédé-
ral: cf. Bernard Viret, La surindemnisation dans la prévoyan-
ce professionnelle, in Revue suisse d'assurances 67/1999 p.
15 ss, p. 26), dans une mesure d'autant plus étendue que
l'intéressé a entrepris une activité lucrative longtemps
avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la prévoyan-
ce professionnelle, intervenue le 1er janvier 1985; il en
est
ainsi dans le cas particulier du recourant. Enfin, tant les
cotisations que les prestations sont calculées d'emblée sur
la base du traitement coordonné, soit 85 % du traitement ef-
fectif.

Pour les magistrats non transférés à la caisse de
prévoyance, la cotisation retenue par l'Etat est calculée de
la même façon, et son montant est donc identique, mais les
prestations sont établies sur une base plus élevée, dégressi-
ve au fil du temps, en vertu de l'art. 5 al. 2, 2e phrase,
de
la loi. Cette différence favorable auxdits magistrats s'ap-
plique notamment aux prestations de vieillesse, y compris
les
retraites anticipées. Le mode de calcul ainsi fixé a pour
conséquence que dans le régime concerné, la pension de re-
traite la plus élevée s'obtient à l'âge de soixante ans; son
montant diminue si elle est réclamée plus tard.

4.- Il est ensuite nécessaire d'examiner les objec-
tifs de la loi attaquée, et les principes qui ont guidé son
élaboration.

Selon le message du Conseil d'Etat au Grand Conseil
du 27 mai 1998, le régime des pensions appliqué depuis 1979
devait être adapté, sur plusieurs points, à des dispositions
impératives de la législation fédérale sur la prévoyance pro-
fessionnelle. Ce régime apparaissait de toute manière incohé-
rent par rapport aux institutions modernes de prévoyance; en
outre, notamment en raison de la possibilité de cumul
laissée
aux bénéficiaires, ledit régime était indûment généreux pour
ces derniers et, par conséquent, excessivement coûteux pour
les finances publiques. C'est pourquoi le gouvernement propo-
sait que les nouveaux magistrats judiciaires soient
désormais
affiliés à la Caisse de prévoyance. Dans l'immédiat, l'Etat
supporterait des charges financières supplémentaires en tant
qu'il ne pourrait plus retenir une cotisation sur les traite-
ments concernés et devrait, au contraire, verser des cotisa-
tions d'employeur; à long terme par contre, il serait libéré
du service des pensions de retraite. Compte tenu des diffi-
cultés que soulevait un transfert à cette caisse des magis-
trats déjà en fonction, ou de seulement certaines catégories
d'entre eux, le Conseil d'Etat proposait de les maintenir
tous sous le régime de 1979.

Les travaux de la commission parlementaire chargée
d'examiner le projet sont consignés dans un rapport daté du
31 mars 1999. La commission a jugé que le régime transitoire
proposé par le Conseil d'Etat n'était pas satisfaisant, no-
tamment parce qu'il s'étendrait sur une durée trop longue;
afin d'élaborer une autre solution, elle a demandé un avis
de
droit sur la possibilité de transférer certaines catégories
de magistrats déjà en fonction, à délimiter d'après l'âge ou
la durée de fonction. Selon l'avis ainsi obtenu, fourni par
un spécialiste du droit de la prévoyance professionnelle,
une

modification du régime des pensions de vieillesse peut en
principe être imposée aux futurs rentiers; toutefois, une
personne proche de l'âge de la retraite doit être protégée
contre des réductions de ses expectatives, car elle ne dispo-
se plus du temps nécessaire à la préparation d'autres solu-
tions de prévoyance. Le critère d'un âge déterminé, pour dé-
partager les magistrats à maintenir sous le régime de 1979,
d'une part, et ceux à transférer à la Caisse de prévoyance,
d'autre part, était donc jugé pertinent au regard de la ga-
rantie de l'égalité de traitement. Il ne s'imposait par con-
tre pas, du point de vue juridique, d'instituer aussi un cri-
tère fondé sur une durée de fonction excédant douze ou seize
ans. L'avis de droit portait encore sur les modalités finan-
cières du transfert à la Caisse de prévoyance: l'Etat
devrait
verser au moins les prestations de libre passage dues selon
le régime de 1979, car chacune d'elle constituait un droit
acquis du magistrat concerné (cf. Kieser, op. cit. p.
310/311; Ulrich Fehlmann, Erworbene Rechte und Besitzstand,
Prévoyance professionnelle suisse 3/1990, p. 27); il lui in-
comberait en outre de garantir, par des versements complémen-
taires appropriés, la possibilité d'acquérir des retraites
complètes à l'âge terme. L'expert n'était pas consulté au su-
jet des modifications à apporter, le cas échéant, au régime
des pensions de 1979.

La commission a, dans l'ensemble, suivi ces recom-
mandations. Après discussion portant notamment sur la fixa-
tion de l'âge limite à cinquante, cinquante-cinq ou cinquan-
te-huit ans, elle a proposé la solution finalement consacrée
par la loi du 23 juin 1999, comportant le transfert à la
Caisse de prévoyance des magistrats de moins de cinquante
ans
d'âge et de moins de douze ou seize ans de fonction. En ou-
tre, dans un souci "d'égalité de traitement par rapport aux
magistrats soumis au régime ordinaire de prévoyance", la com-
mission a proposé d'introduire dans le régime de 1979 un
traitement coordonné et un taux de cotisation identiques à

ceux de la Caisse de prévoyance (art. 5 al. 2 et 3 de la
loi). L'application "prorata temporis" de ce traitement
coordonné, pour le calcul des pensions, avait pour but d'évi-
ter que les prestations assurées ne diminuent de 15 % "du
jour au lendemain"; la diminution devait plutôt intervenir
de
manière progressive et tenir compte des "droits acquis dans
le passé".

5.- a) Il n'est pas contesté que le législateur can-
tonal ait en principe le droit de mettre fin au régime de
pensions spécifique des magistrats judiciaires,
immédiatement
ou à terme, et de le remplacer par l'affiliation de ces ma-
gistrats à une institution de prévoyance classique. Il n'est
pas non plus contesté que cette réforme puisse s'accompagner
d'une réduction des prestations de prévoyance. En effet, il
est loisible au législateur de réduire certaines dépenses pu-
bliques afin de maintenir ou rétablir l'équilibre des finan-
ces; il lui appartient aussi, s'il le juge opportun, de révi-
ser et d'adapter le statut des magistrats, y compris leurs
prétentions pécuniaires, selon sa conception actuelle de
l'importance et de la valeur des fonctions qu'ils exercent,
comparées à celles des autres agents publics et à la situa-
tion du secteur privé. Il lui appartient enfin d'évaluer
l'opportunité de maintenir ou, au contraire, de supprimer
des
dispositions propres à favoriser l'indépendance des magis-
trats judiciaires. Le litige porte donc exclusivement sur le
régime transitoire adopté en l'occurrence, qui définit deux
groupes parmi les magistrats actuellement en fonction, les
uns étant transférés à la Caisse de prévoyance, les autres
maintenus sous le régime spécifique de 1979, avec les avanta-
ges que celui-ci comporte quant aux retraites anticipées.

b) Un régime transitoire a essentiellement pour but
d'assurer des délais d'adaptation aux personnes qui ont été
soumises à la réglementation ancienne, ou de leur permettre
de maintenir les dispositions qu'elles ont prises de bonne

foi, en fonction de cette réglementation, et sur lesquelles
il ne leur est pas facile de revenir (arrêt du 3 avril 1996
in Pra 1997 p. 1, SJ 1996 p. 661, consid. 4b). Un tel régime
introduit inévitablement des différences entre des
situations
qui ont pris naissance, respectivement, avant ou après cer-
taines dates; dans ce domaine, pour autant que les modalités
retenues ne comportent pas de distinctions arbitraires ou
contraires à la garantie de l'égalité de traitement (cf. ATF
123 II 433 consid. 9 p. 446/447; arrêt du 30 septembre 1988
in RSAS 33/1989 p. 313, consid. 4f p. 326), le législateur
dispose d'un large pouvoir d'appréciation.

La jurisprudence tient pour admissible, en particu-
lier, de maintenir inchangée la situation des magistrats ou
agents publics déjà en fonction lors du changement de légis-
lation, même si cela aboutit à ce que ces magistrats ou
agents bénéficient, pour la même activité, de prestations
plus avantageuses que celles accordées aux autres, nouvelle-
ment engagés (ATF 118 Ia 245 consid. 5d p. 257/258; arrêt du
21 octobre 1997 in Pra 1998 p. 227, consid. 4c p. 230). Le
législateur est toutefois aussi autorisé, en règle générale,
à soumettre d'emblée tous les magistrats ou agents
concernés,
y compris les anciens, à la nouvelle réglementation; il peut
également adopter une solution intermédiaire, qui consiste,
par exemple, à maintenir la situation antérieure seulement
pendant une période déterminée. Dans certaines conditions,
une telle solution peut apparaître obligatoire du point de
vue de l'art. 9 Cst. ou 4 aCst. (arrêt précité du 3 avril
1996, loc. cit.). Par ailleurs, compte tenu de la grande li-
berté du législateur dans l'aménagement du statut de la fonc-
tion publique, il peut aussi se justifier d'accorder, au con-
traire, une situation plus favorable aux magistrats ou
agents
nouvellement engagés
(arrêt du 20 janvier 1999 dans la cause
S., non publié, consid. 3a).

c) En l'occurrence, le régime transitoire distingue
deux groupes parmi les magistrats qui étaient déjà en fonc-
tion au 1er janvier 2000, date de l'entrée en vigueur du nou-
veau régime de prévoyance. Les uns, qui n'atteignaient alors
ni cinquante ans d'âge ni douze ou seize ans de fonction,
sont soumis audit régime, à l'instar des magistrats qui se-
ront élus ou nommés à l'avenir; les autres, plus âgés ou
plus
anciens, demeurent au bénéfice de l'ancienne réglementation,
amendée sur certains points; ils conservent notamment leurs
perspectives de retraites anticipées. On a vu qu'en
principe,
le législateur peut maintenir la situation des magistrats ou
agents déjà en fonction, ou au contraire les soumettre à la
nouvelle réglementation; on ne saurait donc lui dénier par
principe la faculté d'appliquer simultanément ces deux solu-
tions à deux groupes distincts, pour autant que les critères
de délimitation ne soient pas arbitraires.

Dans sa réponse au recours, le Grand Conseil sou-
tient à juste titre que des magistrats proches de l'âge de
la retraite doivent être protégés contre des réductions de
leurs expectatives en matière de pension, compte tenu qu'ils
ne disposent plus du temps nécessaire à la préparation d'au-
tres solutions de prévoyance. Cette considération s'impose
en
tout cas lorsque la réduction envisagée doit porter sur des
pensions de retraite à réclamer dès l'âge AVS ou peu
d'années
avant cet âge (arrêt du 30 septembre 1988 in RSAS 33/1989 p.
313, consid. 4f p. 326); il appartient cependant au législa-
teur d'apprécier l'âge limite à prendre en considération.

Pour le surplus, dans une profession qui ne comporte
ni exigences physiques particulières, ni incidences spécifi-
ques sur la santé, la possibilité de prendre sa retraite
avant soixante ans, avec une pension complète ou presque com-
plète, est un avantage qui excède le cadre d'une prévoyance
vieillesse ordinaire (cf. Roland Müller, Die Vorzeitige
Pensionierung [...], RSAS 41/1997 p. 337 ss, p. 344; Erika

Schnyder, La retraite anticipée dans le deuxième pilier, Pré-
voyance professionnelle suisse 9/1996, p. 93). Le maintien
de
cette possibilité n'est donc pas constitutionnellement garan-
ti aux intéressés. Néanmoins, le législateur cantonal ne tom-
be pas dans l'arbitraire en la conservant aux magistrats
ayant déjà atteint un certain âge, en l'occurrence celui de
cinquante ans, et qui étaient donc les plus proches de pou-
voir effectivement bénéficier d'une retraite anticipée à des
conditions très favorables. Avant l'âge précité, une
personne
peut éventuellement rechercher une autre situation profes-
sionnelle, si elle n'accepte pas de simplement renoncer aux
avantages particuliers que son statut comportait initiale-
ment; au delà de cet âge, un changement de ce genre devient,
en fait, plus difficile. La solution retenue et l'âge limite
fixés par le Grand Conseil échappent donc aux critiques du
recourant; il est sans importance qu'un régime transitoire
différent, plus favorable à ce dernier, eût aussi pu être
adopté.

L'accès aux retraites anticipées est maintenu, en
outre, pour les magistrats de moins de cinquante ans d'âge
mais qui avaient accompli, selon qu'ils appartiennent au Tri-
bunal cantonal ou à une autre juridiction, au moins douze ou
seize ans de fonction. Cet élément du régime transitoire a
pour objet de maintenir le droit des magistrats concernés
d'opter entre le départ en retraite immédiat ou la continua-
tion de leur activité, droit qu'ils auraient pu exercer déjà
avant le 31 décembre 1999; si leur situation n'avait pas été
spécifiquement prévue, ils auraient dû choisir entre présen-
ter leur démission avant cette date ou se soumettre au nou-
veau système de prévoyance. La modalité critiquée correspond
exactement à la situation juridique préexistante et elle
échappe donc, elle aussi, au grief d'arbitraire.

En tant que le recourant conteste la distinction
opérée entre les juges cantonaux et les autres magistrats,

quant à la durée de fonction déterminante, son argumentation
est dirigée plutôt contre le règlement de 1979 que contre le
régime transitoire de la loi attaquée. Elle est de toute ma-
nière privée de fondement: en effet, il n'est pas arbitraire
de différencier les rémunérations des magistrats, ou les au-
tres prestations pécuniaires qui leurs sont offertes,
d'après
la position hiérarchique des fonctions concernées. De plus,
en général, les juges cantonaux accèdent à leur fonction à
un
âge plus avancé que les autres magistrats. Enfin, ils
doivent
eux aussi accomplir seize ans de fonction pour obtenir, le
cas échéant, une retraite complète.

d) Le recourant critique spécialement l'art. 5 al.
2, 2e phrase, de la loi attaquée. Cette disposition est une
modalité de l'introduction du traitement coordonné dans le
régime de 1979; elle a pour objet d'éviter une diminution
soudaine, de 15 %, des prestations assurées dans ce régime.
Il est exact que les magistrats transférés à la Caisse de
prévoyance ne bénéficient d'aucune modalité comparable, et
que les prestations de cet établissement se calculeront d'em-
blée sur la base du traitement coordonné. On a cependant vu
que le législateur cantonal aurait pu maintenir sans change-
ment le régime de 1979 pour les magistrats les plus proches
d'obtenir effectivement une pension de retraite; on ne sau-
rait donc lui reprocher d'avoir adopté une solution intermé-
diaire qui aura pour effet de réduire, progressivement, les
pensions nouvelles dudit régime, et de les rapprocher ainsi
de celles de la Caisse de prévoyance.

6.- Le recours de droit public se révèle en tous
points mal fondé, dans la mesure où il est recevable, et
doit
donc être rejeté. L'émolument judiciaire incombe à son au-
teur.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

2. Met un émolument judiciaire de 2'500 fr. à la
charge du recourant.

3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant et au Département des finances et de
l'économie du canton du Valais.

Lausanne, le 8 novembre 2000
THE/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.23/2000
Date de la décision : 08/11/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-08;1p.23.2000 ?
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