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07/11/2000 | SUISSE | N°1P.279/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 novembre 2000, 1P.279/2000


«/2»

1P.279/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

7 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Favre. Greffier: M. Thélin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

R.________, représenté par Me Pascal Maurer, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 20 mars 2000 par la Chambre pénale de la
Cour de justice du canton de Genève;

(indemnisation du prévenu acq

uitté)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 19 juillet 1990, le Juge d'instruc...

«/2»

1P.279/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

7 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Favre. Greffier: M. Thélin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

R.________, représenté par Me Pascal Maurer, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 20 mars 2000 par la Chambre pénale de la
Cour de justice du canton de Genève;

(indemnisation du prévenu acquitté)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 19 juillet 1990, le Juge d'instruction du
canton de Genève a émis un mandat d'arrêt international diri-
gé contre R.________, prévenu d'escroquerie. Appréhendé à
Monaco le 9 août suivant, R.________ fut extradé à la
Suisse,
remis aux autorités genevoises et placé par elles en déten-
tion préventive. Cette incarcération s'est poursuivie jus-
qu'au 8 novembre 1990 à Genève, puis jusqu'au 12 suivant
dans
le canton du Valais.

Par la suite, en juillet 1992, le for de la poursui-
te pénale fut fixé dans ce dernier canton, en raison de l'an-
tériorité d'une autre enquête que ses propres autorités
avaient ouvertes en avril 1989, contre le même prévenu.

Le 13 septembre 1993, le Tribunal du IIe arrondisse-
ment pour le district de Sion a disjoint les deux causes pé-
nales correspondant aux enquêtes ouvertes respectivement en
Valais et à Genève; il a mis fin à la première cause par un
jugement d'acquittement et a requis un complément d'instruc-
tion dans l'autre.

B.- Cette cause-ci a elle-même pris fin par une dé-
cision de non-lieu, rendue le 10 mai 1996 par le Juge d'ins-
truction pénale du Valais central. Les frais étaient mis à
la
charge des trois prévenus visés par l'enquête, à raison d'un
tiers chacun; sur ce point, la décision n'était pas motivée.

Les prévenus ont tous trois recouru au Tribunal
d'arrondissement pour contester leur condamnation aux frais;
ce tribunal leur a donné gain de cause par un jugement du 3
mars 1997. Une nouvelle décision du Juge d'instruction, du
31
décembre 1998, a mis les frais à la charge du fisc.

C.- Entre-temps, par une requête datée du 9 mai
1997, R.________ avait saisi la Cour de justice du canton de
Genève d'une demande d'indemnité fondée sur l'art. 379 CPP
gen., afin d'obtenir la réparation du tort moral causé par
la
détention préventive, ainsi que le remboursement de ses
frais
de défense. Il concluait au paiement de 25'250 fr.

La Cour de justice s'est d'abord déclarée incompé-
tente par arrêt du 22 mars 1999, au motif que la compétence
pour instruire et juger avait été attribuée au canton de
Valais; les autorités genevoises avaient ainsi perdu la maî-
trise de la procédure. Statuant le 12 juillet 1999 sur un re-
cours de droit public formé par R.________, le Tribunal fédé-
ral a jugé que les mesures ordonnées ou requises par les au-
torités du canton de Genève donnaient lieu à indemnisation,
le cas échéant, à la charge de ce canton et selon les règles
de son propre droit, indépendamment du for de la poursuite
pénale. L'arrêt attaqué constituait ainsi un déni de justice
formel, ce qui entraînait son annulation.

La Cour de justice a rendu un nouvel arrêt le 20
mars 2000. Elle a cette fois rejeté la demande en retenant
que la décision de non-lieu du 10 mai 1996 n'équivalait pas
à une "constatation judiciaire de l'innocence du prévenu",
ni
à une "constatation que les conditions de la poursuite
n'étaient pas réalisées".

D.- Agissant à nouveau par la voie du recours de
droit public, R.________ requiert le Tribunal fédéral d'annu-
ler ce dernier prononcé. Il se plaint notamment d'une appli-
cation arbitraire de l'art. 379 CPP gen., relatif à l'indem-
nisation du prévenu mis au bénéfice d'un acquittement ou
d'un
non-lieu.

Une demande d'assistance judiciaire est jointe au
recours.

Invités à répondre, le Procureur général du canton
de Genève propose le rejet du recours; la Cour de justice
n'a
pas déposé d'observations.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Une décision est arbitraire, donc contraire aux
art. 4 aCst. ou 9 Cst., lorsqu'elle viole gravement une
norme
ou un principe juridique clair et indiscuté, ou contredit
d'une manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution re-
tenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si
sa
décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs
ou
en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas
que les motifs de la décision soient insoutenables; encore
faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A
cet
égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente
de celle retenue par l'autorité cantonale puisse être tenue
pour également concevable, ou apparaisse même préférable
(ATF
126 I 168 consid. 3a p. 170; 125 I 166 consid. 2a p. 168;
125
II 10 consid. 3a p. 15, 129 consid. 5b p. 134; 124 V 137
consid. 2b p. 139; 124 IV 86 consid. 2a p. 88).

2.- a) Aux termes de l'art. 379 CPP gen., concernant
l'"indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à
tort", une indemnité peut être allouée, sur demande, à l'ac-
cusé qui a bénéficié d'un non-lieu ou d'un acquittement,
pour
le préjudice résultant de la détention ou d'autres actes de
l'instruction (al. 1). Le juge détermine l'indemnité dont le
montant ne peut pas dépasser, sauf circonstances particuliè-
res, 10'000 fr. (al. 2). Il peut la refuser ou la réduire si
la conduite répréhensible de l'accusé a provoqué ou entravé
les opérations de l'instruction (al. 5).

Il est constant qu'en l'espèce, le recourant n'a pas
obtenu un acquittement au sens de l'art. 379 al. 1 CPP gen.,
car la poursuite ouverte contre lui n'a pas été conduite
jusqu'à un jugement sur l'action pénale. Il est par contre
nécessaire d'examiner si, indépendamment de sa dénomination,
la décision de non-lieu du 10 mai 1996, prise par le Juge
d'instruction pénale, correspond effectivement à un non-lieu
selon ladite disposition.

b) En droit genevois, le non-lieu ressortit à la
Chambre d'accusation. Il intervient lorsque cette autorité
est saisie de réquisitions du Procureur général tendant au
renvoi de l'inculpé devant la Cour d'assises ou la Cour cor-
rectionnelle, et qu'elle ne trouve pas d'indices de culpabi-
lité suffisant à justifier ce renvoi, ou juge que les faits
ne peuvent pas constituer une infraction (art. 204 al. 1,
207
CPP gen.). En outre, l'inculpé a le droit de recourir contre
un classement dans le but d'obtenir le non-lieu (art. 190 A
CPP gen.; Dominique Poncet, Le nouveau code de procédure pé-
nale genevois annoté, p. 270). La personne qui bénéficie de
cette mesure ne peut être poursuivie à nouveau pour le même
fait que si "de nouvelles charges se révèlent" (art. 206 al.
1 et 2 CPP gen.); la reprise de la poursuite suppose alors
de
véritables faits nouveaux nécessitant un complément d'ins-
truction (Poncet, op. cit. p. 287/288; voir aussi Harari/
Roth/Sträuli, Chronique de procédure pénale genevoise, SJ
112/1990 p. 430). Le non-lieu a ainsi pour effet de mettre
un
terme en principe définitif à la poursuite pénale, dans l'in-
térêt personnel de l'inculpé qui cesse d'encourir la
sanction
dont il était menacé, et qui a d'ailleurs le droit d'obtenir
cette décision si les conditions fixées par la loi sont rem-
plies (arrêts du 22 février 1995 dans les causes A. et H.;
voir aussi Heyer/Monti, Procédure pénale genevoise, Chambre
d'accusation, SJ 121/1999, vol. II, p. 171; Gérard Piquerez,
Procédure pénale suisse, Zurich 2000, p. 646, no 2956).

Le non-lieu se distingue du classement qui relève,
lui, du Procureur général, et intervient "sauf circonstances
nouvelles", lorsque ce magistrat estime que l'exercice de
l'action publique ne se justifie pas (art. 198 al. 1 CPP
gen.). La poursuite peut être reprise à la suite de tout
élément nouveau propre à faire reconsidérer l'opportunité du
classement; le Procureur général dispose à cet égard d'une
grande liberté (mêmes arrêts; voir aussi Poncet, op. cit. p.
280). Selon l'art. 379 CPP gen., seul le bénéficiaire d'un
non-lieu peut éventuellement obtenir une indemnité pour le
préjudice causé par la procédure pénale, à l'exclusion du
prévenu dont la poursuite n'a été suspendue que par un
simple
classement.

c) La décision du 10 mai 1996 était fondée sur
l'art. 113 ch. 2 CPP val., concernant la clôture de l'ins-
truction relative à un crime ou délit poursuivi d'office.
Selon cette disposition, le Juge d'instruction "suspend la
procédure par un arrêt de non-lieu motivé" s'il estime que
"la poursuite n'est pas justifiée"; les parties, y compris
le
Ministère public, peuvent appeler auprès du Tribunal d'arron-
dissement. L'art. 115 CPP val. prévoit l'éventuelle réouver-
ture du procès après non-lieu, mais celle-ci n'intervient "à
raison du même fait que si des nouveaux moyens de conviction
ont été découverts". Lorsque le Juge d'instruction a ouvert
une enquête relative à un crime ou délit poursuivi d'office
(cf. art. 46 CPP val.), celle-ci ne prend fin que par un
arrêt de renvoi en jugement ou de non-lieu, ou par une ordon-
nance pénale; il n'existe aucune mesure analogue au classe-
ment du droit genevois.

d) Au regard de cette réglementation, on ne discerne
aucun motif objectif de ne pas assimiler l'arrêt de non-lieu
rendu par le Juge d'instruction valaisan à une ordonnance de
non-lieu prononcée par la Chambre d'accusation du canton de
Genève. Le fait que le Juge d'instruction valaisan soit com-

pétent dans ce domaine, en première instance, alors que son
homologue genevois n'a pas d'attributions correspondantes,
ne
saurait être déterminant à cet égard. L'arrêt présentement
attaqué, qui se borne à retenir sans plus de motivation que
l'arrêt de non-lieu du 10 mai 1996 ne constitue pas une
"constatation que les conditions de la poursuite n'étaient
pas réalisées", apparaît ainsi arbitraire et constitutif
d'un
nouveau déni de justice; la juridiction intimée aurait
plutôt
dû évaluer le montant de l'indemnité à allouer au recourant,
sous réserve d'un éventuel motif de refus ou de réduction
fondé sur l'art. 379 al. 5 CPP gen.

3.- Le recours de droit public se révèle fondé et
doit donc être admis. Le recourant ayant droit à des dépens,
il n'est pas nécessaire de statuer sur sa demande d'assistan-
ce judiciaire.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Dit que le canton de Genève versera une indemnité
de 1'500 fr. au recourant à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant, au Procureur général et à la Cour de
justice
du canton de Genève.

Lausanne, le 7 novembre 2000
THE/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.279/2000
Date de la décision : 07/11/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-07;1p.279.2000 ?
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