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02/11/2000 | SUISSE | N°4P.166/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 novembre 2000, 4P.166/2000


«AZA 1/2»

4P.166/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

2 novembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Carruzzo.

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Statuant sur le recours de droit public
formé par

Philipp Holzmann AG, à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), et
Nord France S.A., à Montlhéry (France), composant la société
en participation Nord France Philipp Holzmann à Montlhéry
(France), toutes d

eux représentées par Me Bernard Dorsaz,
avocat à Genève,

contre

l'addendum du 25 mai 2000 à la sentence arbit...

«AZA 1/2»

4P.166/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

2 novembre 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Carruzzo.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Philipp Holzmann AG, à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), et
Nord France S.A., à Montlhéry (France), composant la société
en participation Nord France Philipp Holzmann à Montlhéry
(France), toutes deux représentées par Me Bernard Dorsaz,
avocat à Genève,

contre

l'addendum du 25 mai 2000 à la sentence arbitrale du 15 mars
2000 rendue par un tribunal arbitral siégeant à Genève, com-
posé de M. François Knoepfler, président, et de MM. Roland
Aquenin et Hans-Jürgen Schroth, arbitres, dans la cause qui
oppose les recourantes à L'Entreprise Industrielle S.A., Dé-
partement EI-Seitha, à Paris (France), représentée par Me
Cyril Troyanov, avocat à Genève;

(arbitrage international; compétence; rectification d'une
inadvertance)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Dans le contexte de la réalisation du parc
d'attractions Eurodisneyland à Marne-la-Vallée (France), les
sociétés Philipp Holzmann AG, à Francfort (Allemagne) et
Nord
France S.A., à Montlhéry (France), formant entre elles une
société en participation, ont sous-traité les études, la fa-
brication et l'exécution de travaux de chauffage,
ventilation
et climatisation de divers bâtiments à l'Entreprise Indus-
trielle S.A., Département EI-Seitha, à Paris (France), par
lettre d'intention du 9 août 1990, confirmée par la conclu-
sion d'un contrat daté du 5 novembre 1990.

A la suite de l'exécution des travaux, le décompte
entre les parties donna lieu à un litige.

Se fondant sur la clause compromissoire contenue
dans le contrat (prévoyant un arbitrage selon le règlement
de
la Chambre de Commerce Internationale), l'Entreprise Indus-
trielle S.A. déposa devant le Tribunal arbitral une demande
en paiement, à laquelle ses parties adverses opposèrent une
demande reconventionnelle. Le siège du Tribunal arbitral fut
fixé à Genève.

Par sentence du 15 mars 2000, le Tribunal arbitral,
composé des arbitres François Knoepfler, Roland Aquenin et
Hans-Jürgen Schroth, statua sur l'ensemble des conclusions
prises devant lui; il admit la demande principale à concur-
rence de 6 212 154 fr.fr. avec intérêts (ch. 2 du
dispositif)
et accueillit également la demande reconventionnelle par
1 743 658 fr.fr. avec intérêts (ch. 3 du dispositif).

Après avoir donné l'occasion aux parties de s'ex-
primer, le Tribunal arbitral a rendu une sentence addition-
nelle le 25 mai 2000, rectifiant le ch. 2 du dispositif de
la
sentence du 15 mars 2000. Il était désormais indiqué que les
intérêts sur la somme due à raison de la demande principale
(6 212 154 fr.fr.) devaient être "capitalisés dans les condi-
tions de l'art. 1154 du Code civil français".

B.- Philipp Holzmann AG et Nord France S.A., for-
mant entre elles la société en participation Nord France Phi-
lipp Holzmann, ont déposé un recours de droit public au Tri-
bunal fédéral en vue d'obtenir l'annulation de la sentence
additionnelle du 25 mai 2000. Invoquant l'art. 190 al. 2
let.
b LDIP, elles soutiennent, en substance, que le Tribunal ar-
bitral a épuisé sa saisine en statuant le 15 mars 2000 de ma-
nière finale sur toutes les conclusions prises devant lui,
de
sorte qu'il n'était pas compétent pour rendre une sentence
additionnelle le 25 mai 2000, par laquelle il s'est érigé en
instance de recours contre sa propre décision.

La requête d'effet suspensif présentée avec le re-
cours a été rejetée par ordonnance présidentielle du 11 octo-
bre 2000.

Le Tribunal arbitral et la partie adverse contes-
tent que la sentence additionnelle contienne une rectifica-
tion matérielle; à leur avis, il ne s'agissait que de corri-
ger une inadvertance dans le dispositif, de manière à le ren-
dre conforme à ce qui avait été clairement décidé dans la mo-
tivation de la sentence du 15 mars 2000. L'intimée conclut
tant à l'irrecevabilité qu'au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours de droit public au Tribunal fédé-
ral est ouvert contre une sentence arbitrale aux conditions
des art. 190 ss LDIP (art. 85 let. c OJ).

Comme le siège du Tribunal arbitral a été fixé en
Suisse et que l'une des parties au moins n'avait, au moment
de la conclusion de la convention d'arbitrage, ni son domici-
le, ni sa résidence habituelle en Suisse (art. 176 al. 1
LDIP), les art. 190 ss LDIP sont applicables, puisque les
parties n'en ont pas exclu l'application par écrit et qu'el-
les ne sont pas convenues d'appliquer exclusivement les rè-
gles de la procédure cantonale en matière d'arbitrage (art.
176 al. 2 LDIP).

Le recours au Tribunal fédéral contre la sentence
arbitrale est ouvert (art. 191 al. 1 LDIP), dès lors que les
parties ne l'ont en rien exclu conventionnellement (art. 192
LDIP), ni n'ont choisi, en lieu et place, le recours à l'au-
torité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP).

Le recours ne peut être formé que pour l'un des mo-
tifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP
(ATF 119 II 380 consid. 3c p. 383).

La procédure est régie par les dispositions de la
loi fédérale d'organisation judiciaire relatives au recours
de droit public (art. 191 al. 1 2ème phrase LDIP).

b) Condamnées à payer un intérêt composé en faveur
de l'intimée, les recourantes sont personnellement touchées
par la décision additionnelle attaquée, de sorte qu'elles
ont
un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce
que la sentence n'ait pas été rendue en violation des garan-

ties découlant de l'art. 190 al. 2 LDIP; en conséquence,
elles ont qualité pour recourir (art. 88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans
la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours
est
en principe recevable.

Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réali-
sées en l'espèce, il n'a qu'un caractère cassatoire (ATF 122
I 120 consid. 2a, 351 consid. 1f; 121 I 225 consid. 1b, 326
consid. 1b).

c) Dès lors que les règles de procédure sont celles
du recours de droit public (art. 191 al. 1 2ème phrase
LDIP),
les parties recourantes doivent invoquer leurs griefs confor-
mément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 117
II
604 consid. 3 p. 606). Saisi d'un recours de droit public,
le
Tribunal fédéral n'examine que les griefs admissibles qui
ont
été invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours
(cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495; 122 I 70 consid. 1c;
121 IV 317 consid. 3b p. 324). Les recourantes devaient donc
indiquer quelles hypothèses de l'art. 190 al. 2 LDIP étaient
réalisées à leurs yeux et, en partant de la sentence atta-
quée, montrer de façon circonstanciée en quoi consistait, se-
lon elles, la violation du principe invoqué (cf. ATF 110 Ia
1
consid. 2a); ce n'est qu'à ces conditions qu'il sera
possible
d'entrer en matière.

2.- a) Les recourantes soutiennent que le Tribunal
arbitral était incompétent pour rendre la sentence addition-
nelle, ayant épuisé sa compétence en rendant la sentence fi-
nale du 15 mars 2000; elles invoquent ainsi le motif de re-
cours prévu par l'art. 190 al. 2 let. b LDIP.

b) Le Tribunal arbitral rétorque qu'il n'a pas com-
plété ou modifié sa sentence du 15 mars 2000, mais qu'il

s'est borné à mieux rédiger le dispositif de celle-ci, de
manière à le rendre conforme à ce qui résulte clairement de
la motivation contenue dans ladite sentence.

Il convient d'examiner, en premier lieu, si le Tri-
bunal arbitral avait compétence pour corriger une inadvertan-
ce dans le dispositif de sa décision ou pour interpréter la
sentence afin d'en rendre le dispositif conforme à ses mo-
tifs. En effet, si même cette possibilité était exclue, le
recours devrait être admis sans autre examen.

Le règlement d'arbitrage adopté par les parties
(dans sa teneur de l'époque) ne prévoit pas cette éventuali-
té. On ne peut cependant pas en déduire que la compétence
soit exclue, puisqu'il est possible que ce cas de figure
n'ait tout simplement pas été envisagé. La doctrine - citée
par le Tribunal arbitral - admet qu'une telle possibilité
est
ouverte si la loi applicable au siège du tribunal arbitral
le
permet (Craig/Park/Paulsson, International Chamber of Commer-
ce Arbitration, 2e éd., Paris 1990, p. 368 s.). En tout cas
lorsque la convention d'arbitrage (en l'occurrence le règle-
ment adopté par les parties) n'exclut pas clairement une tel-
le éventualité, il n'y a pas de raison d'écarter l'idée que
les clauses contractuelles puissent être complétées par les
dispositions qui régissent l'arbitrage international au
siège
du tribunal.

Il est vrai que la LDIP - applicable au siège du
Tribunal arbitral - ne prévoit pas expressément l'hypothèse
de l'interprétation ou de la rectification d'une inadvertan-
ce. Cependant, les auteurs qui ont étudié la question admet-
tent de manière concordante que le droit suisse permet au
tribunal arbitral, en cas d'arbitrage international en Suis-
se, d'interpréter sa sentence et de rectifier une inadvertan-
ce (Anton Heini, IPRG Kommentar, n. 59 ad art. 190 LDIP; Ste-
phen V. Berti/Anton K. Schnyder, Commentaire bâlois, Interna-

tionales Privatrecht, n. 97 ad art. 190 LDIP; Bernard
Dutoit,
Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 2e éd.,
n. 12 ad art. 191 LDIP; Lalive/Poudret/Reymond, Le droit de
l'arbitrage interne et international en Suisse, ch. 6 ad
art.
191 LDIP). Même l'auteur invoqué par les recourantes ne dit
pas autre chose lorsqu'il affirme: "on peut, dans une certai-
ne mesure, admettre que le tribunal arbitral puisse
rétablir,
par une décision, la signification réelle de la sentence ori-
ginelle, en corrigeant des erreurs de rédaction ou de calcul
ou en interprétant un prononcé obscur ou équivoque" (Andreas
Bucher, Le nouvel arbitrage international en Suisse, p. 134
n. 410). Il n'y a pas de raison de s'écarter de l'opinion de
la doctrine. Le Tribunal fédéral tomberait d'ailleurs dans
l'excès de formalisme s'il interdisait à un tribunal
arbitral
de rectifier une inadvertance manifeste, ce qui reviendrait
à
l'empêcher de dégager le sens de ce qu'il avait compétence
pour décider (sur la notion d'excès de formalisme: cf. ATF
125 I 166 consid. 3a; 121 I 177 consid. 2b/aa; 120 II 425
consid. 2a et les références).

Il faut donc en conclure que le Tribunal arbitral
avait compétence pour interpréter sa sentence et pour recti-
fier une inadvertance.

c) Il reste à examiner si le Tribunal arbitral est
resté dans les limites de la compétence qui vient d'être dé-
finie.

Les recourantes soutiennent, en effet, que le Tri-
bunal arbitral a joué le rôle d'une instance de recours et
qu'il a modifié pour des raisons de droit le contenu même de
ce qu'il avait décidé dans sa sentence du 15 mars 2000.

A la page 130 de la sentence du 15 mars 2000, le
Tribunal arbitral a certes, sous ch. 10, déterminé à partir
de quelle date l'intérêt était dû. Cependant, sous ch. 11,
il

a procédé à une récapitulation de toutes les sommes admises
dans le cadre de la demande principale. S'agissant du calcul
de l'intérêt, il a ajouté (dernière phrase de la page): "la
capitalisation des intérêts se fera conformément à l'art.
1154 CC". Il n'est donc pas douteux que la somme admise au
titre de la demande principale devait porter intérêts et que
ces intérêts devaient être capitalisés conformément à l'art.
1154 du Code civil français. C'est manifestement par inadver-
tance que cette précision n'a pas été apportée au ch. 2 du
dispositif. Au vu de la contestation née entre les parties à
ce sujet, le Tribunal arbitral, dans sa sentence additionnel-
le, n'a fait que répéter dans le dispositif, au ch. 2, ce
qu'il avait déjà décidé et dit clairement à la page 130 de
la
sentence originelle. Celle-ci n'a donc pas été
matériellement
corrigée, de sorte que le Tribunal arbitral est resté dans
les limites de sa compétence, telle qu'elle a été admise ci-
dessus.

Pour soutenir le contraire, les recourantes invo-
quent la page 156 de la sentence du 15 mars 2000. Elles ten-
tent cependant, en exploitant la longueur de la sentence, de
créer une confusion entre la demande principale et la
demande
reconventionnelle. La page 156 se réfère expressément à la
demande reconventionnelle, parlant d'ailleurs "des intérêts
dus à la demanderesse". Ce passage se rattache à un ch. 4
qui
commence à la page 152 et traite de l'action directe que
l'intimée avait introduite. Il ressort des explications don-
nées dans ce contexte que l'intimée s'était adressée directe-
ment au maître de l'ouvrage pour faire bloquer les sommes
dues aux entrepreneurs, à savoir les recourantes; le
Tribunal
arbitral a admis que cette action avait causé un certain pré-
judice financier aux recourantes; s'agissant de l'intérêt dû
sur la somme admise au titre de la demande
reconventionnelle,
le Tribunal arbitral a estimé, à la page 156, que cet
intérêt
ne devait pas être capitalisé. C'est d'ailleurs bien
pourquoi
le ch. 3 du dispositif, qui concerne la demande reconvention-

nelle, ne mentionne pas de capitalisation et n'a fait
l'objet
d'aucune rectification dans ce sens.

Le Tribunal arbitral n'a donc fait qu'expliciter
clairement dans son dispositif rectifié ce qui résultait
déjà
indubitablement des motifs de la décision originelle. Il n'a
ainsi pas excédé
les limites de sa compétence telles
qu'elles
ont été admises ci-dessus.

Savoir si c'est à juste titre qu'un intérêt capita-
lisé a été admis pour la demande principale, mais non pour
la
demande reconventionnelle, est une question qui touche le
fond de la décision et ne peut être examinée ici, le recours
ne pouvant être formé que pour les griefs énoncés à l'art.
190 al. 2 LDIP.

3.- Les frais et dépens doivent être mis solidaire-
ment à la charge des recourantes qui succombent (art. 156
al.
1 et 7, art. 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 7000 fr. à la
charge des recourantes avec solidarité entre elles;

3. Condamne solidairement les recourantes à verser
à l'intimée une indemnité de 8000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et au Président du Tribunal arbitral.

__________

Lausanne, le 2 novembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.166/2000
Date de la décision : 02/11/2000
1re cour civile

Analyses

Arbitrage international; rectification d'une inadvertance. Le droit suisse permet au tribunal arbitral, en cas d'arbitrage international en Suisse, d'interpréter sa sentence et de rectifier une inadvertance (consid. 2b).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-02;4p.166.2000 ?
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