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02/11/2000 | SUISSE | N°1P.389/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 novembre 2000, 1P.389/2000


«AZA 1/2»

1P.389/2000
1P.401/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

2 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Jacot-Guillarmod. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur les recours de droit public
formés par

Patrick Chazaud, à Meyrin, représenté par Me François
Membrez, avocat à Genève,

et par

Eric Dougoud, à Genève, également représenté par Me Membrez,

contre
r> la loi adoptée le 19 mai 2000 par le Grand Conseil de la
République et canton de Genève;

(autorisation d'emprunt et ouverture ...

«AZA 1/2»

1P.389/2000
1P.401/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

2 novembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Jacot-Guillarmod. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur les recours de droit public
formés par

Patrick Chazaud, à Meyrin, représenté par Me François
Membrez, avocat à Genève,

et par

Eric Dougoud, à Genève, également représenté par Me Membrez,

contre

la loi adoptée le 19 mai 2000 par le Grand Conseil de la
République et canton de Genève;

(autorisation d'emprunt et ouverture d'un crédit;
droits politiques)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 19 mai 2000, le Grand Conseil de la Républi-
que et canton de Genève a adopté une loi n° 8194 qui accorde
d'une part au Conseil d'Etat l'autorisation d'emprunt de
262,2 millions de francs pour financer l'acquisition d'ac-
tions nominatives et au porteur de la Banque cantonale de
Genève (BCG; art. 1-3 de la loi), et qui ouvre d'autre part
un crédit de 100'000 francs en faveur de la Fondation de va-
lorisation des actifs de la BCG afin d'assurer
l'augmentation
requise de ses fonds propres et de répondre aux exigences de
la loi fédérale sur les banques (art. 4-25). Le Conseil
d'Etat genevois est en outre autorisé, par caution simple, à
garantir le remboursement de prêts d'un montant maximum de
cinq milliards de francs en faveur de la Fondation (art. 14).

B.- Cette loi, assortie de la clause d'urgence (art.
30) et destinée à entrer en vigueur le 25 mai 2000 (art. 28
al. 1), prévoit que la garantie de l'Etat déploie ses effets
rétroactivement au 1er janvier 2000 (art. 28 al. 2). Publiée
dans la feuille d'avis officielle le 24 mai 2000, elle a
fait
l'objet de deux recours de droit public de Patrick Chazaud,
et d'Eric Dougoud, agissant en personne. Dans des écritures
identiques, ceux-ci demandent l'effet suspensif, ainsi que
l'annulation de la loi dans son ensemble, subsidiairement de
ses articles 28 et 30. Patrick Chazaud demande en outre l'as-
sistance judiciaire.

Par ordonnance du 7 juillet 2000, le Président de la
Ie Cour de droit public a rejeté les demandes d'effet suspen-
sif.

Le 18 août 2000, Patrick Chazaud a demandé la récu-
sation de Robert Zimmermann, secrétaire présidentiel, en rai-

son de ses liens avec la Cheffe du département genevois des
finances.

Dans sa réponse, du 30 août 2000, le Grand Conseil
genevois conclut à l'irrecevabilité des recours, subsidiaire-
ment à leur rejet dans la mesure où ils sont recevables.

Le 25 septembre 2000, Me Membrez s'est constitué
pour chacun des recourants. Au nom de Patrick Chazaud, il a
retiré la demande de récusation du greffier Zimmermann. Le
16
octobre 2000, les recourants ont répliqué.

Le Grand Conseil a demandé à pouvoir dupliquer, pour
autant que l'argumentation présentée en réplique soit jugée
recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Les recours sont de teneur identique et diri-
gés contre une même loi. Les recourants sont par ailleurs re-
présentés par le même avocat. Cela justifie la jonction des
causes afin qu'il soit statué par un même arrêt.

b) Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 126 I
81
consid. 1 p. 83 et les arrêts cités). En l'espèce, les re-
cours sont interjetés dans le délai utile contre une loi qui
n'est pas susceptible d'un recours cantonal. Les recourants,
citoyens genevois, paraissent en outre avoir la qualité pour
agir, à tout le moins en tant qu'ils invoquent une violation
de leurs droits politiques (cf. par ailleurs le consid. 1d
ci-dessous).

En revanche, les recours ne satisfont pas aux exi-
gences de motivation posées à l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

c) Selon cette disposition, le recours de droit pu-
blic doit contenir un exposé des faits essentiels et des
droits constitutionnels ou des principes juridiques violés,
précisant en quoi consiste la violation.

En l'espèce, les deux recours sont formés pour vio-
lation des droits constitutionnels, au sens de l'art. 84 OJ.
Les recourants se plaignent d'une violation du principe de
la
rétroactivité des lois, ainsi que d'arbitraire dans la légis-
lation. Les recourants reprochent à l'Etat de Genève d'avoir
acheté des actions au porteur de la BCG en 1999 et en mai
2000, sans l'aval du Grand Conseil, afin de soutenir le
cours
du titre. La loi attaquée tendrait à couvrir rétroactivement
ces achats. L'introduction de la clause d'urgence serait par
ailleurs arbitraire et "antidémocratique": la création d'une
fondation dotée d'un capital de 100'000 fr., et bénéficiant
d'une garantie de l'Etat de 5 milliards de francs afin de
gérer les créances douteuses de la BCG, serait soumise au
référendum en vertu de l'art. 56 de la constitution
genevoise
(cst./GE), et la clause d'urgence ne tendrait qu'à empêcher
que le peuple se prononce. La Commission fédérale des
banques
avait octroyé un délai à fin juin 2000, prolongeable jusqu'à
fin septembre, pour augmenter les fonds propres de la BCG,
de
sorte qu'il n'y avait pas d'urgence.

aa) Pour partie tout au moins, les recours sont for-
més pour violation des droits politiques, sans que les recou-
rants ne se fondent explicitement sur l'art. 85 let. a OJ.
Cela n'est pas déterminant, sous l'angle de l'obligation de
motiver, dès lors que le recours pour violation des droits
politiques est soumis aux mêmes exigences procédurales que
les autres recours de droit public (ATF 121 I 357 consid. 2d
p. 360). En l'occurrence, il appartenait aux recourants de
démontrer en quoi l'adoption de la clause d'urgence à l'art.
30 de la loi attaquée était constitutive d'une violation de
leurs droits politiques. Or, le grief soulevé sur ce point

repose entièrement sur l'interdiction de l'arbitraire. Les
recourants parlent à ce propos d'une "manipulation de derniè-
re minute" ayant pour objectif de soustraire la loi à l'exa-
men du peuple. Ils ne précisent toutefois pas en quoi la pro-
cédure suivie par le Grand Conseil serait contraire aux dis-
positions cantonales relatives au référendum financier.
L'art. 54 cst./GE exclut en principe le référendum contre le
budget; l'art. 55 exclut également le référendum à
l'encontre
des lois "ayant un caractère d'urgence exceptionnelle" (al.
1), l'urgence ne pouvant être décrétée que par le Grand
Conseil (al. 2). L'art. 56 cst./GE prévoit le référendum fa-
cultatif contre les lois entraînant une dépense unique de
plus de 125'000 fr., ou une dépense annuelle de plus de
60'000 fr. L'art. 57 cst./GE exclut la possibilité de pronon-
cer l'urgence à l'égard de ces lois, sauf s'il s'agit d'une
loi relative à un emprunt.

Les recourants omettent de se prononcer sur la ques-
tion de savoir si l'emprunt destiné à l'acquisition
d'actions
de la BCG constitue une dépense (soit, en l'espèce, un ren-
flouement à fonds perdus) ou, comme le soutient le Grand
Conseil dans sa réponse, un placement dans l'établissement
bancaire en manque de liquidités. Quant au crédit d'investis-
sement destiné à la création d'une fondation de valorisation
des actifs de la BCG, la somme prévue n'atteint pas le mon-
tant de 125'000 fr. fixé à l'art. 56 cst./GE. Les recourants
ne sauraient ainsi se contenter de prétendre que l'exigence
du référendum aurait été détournée puisque tel est
l'objectif
ouvertement poursuivi lorsque l'urgence est décrétée. Les re-
courants n'expliquent pas plus en quoi l'octroi, par la CFB,
d'un délai prolongeable à fin septembre 2000 pour l'augmenta-
tion des fonds propres de la banque faisait cesser l'urgence
alléguée: l'art. 30 de la loi attaquée motive l'urgence par
la nécessité non seulement de permettre immédiatement l'aug-
mentation des fonds propres de la BCG, mais aussi, plus géné-
ralement, de lui assurer les moyens "de poursuivre ses acti-

vités". Or, on ne trouve rien dans le recours qui vienne
contredire ce besoin.

bb) En réplique, les recourants présentent une argu-
mentation complète, répondant aux explications fournies par
le Grand Conseil dans sa réponse. Les recourants soutiennent
qu'ils ne connaissaient pas la motivation de la loi
attaquée,
et ne possédaient en particulier aucun exposé des motifs à
l'appui de la clause d'urgence. Ces motifs ne figureraient
que dans la réponse de l'autorité, de sorte qu'il se justi-
fierait d'autoriser à ce stade un complément de l'acte de re-
cours. Tel n'est toutefois pas le cas.

Un tel complément n'est autorisé, selon la jurispru-
dence relative notamment au droit d'être entendu, que
lorsque
les considérants à l'appui de l'acte attaqué ne figurent que
dans la réponse de l'autorité (cf. art. 93 al. 2 OJ), de
sorte qu'il n'était pas possible au recourant de soumettre,
dans le délai de recours, une argumentation satisfaisant aux
exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. En l'espèce, la loi
attaquée énonce dans les grandes lignes, à son art. 30, les
raisons pour lesquelles l'urgence a été décrétée, raisons
que
les recourants étaient d'emblée à même de contester. Quant
aux dispositions de la constitution genevoise imposant le ré-
férendum, il était également loisible aux recourants d'en
discuter l'application. Dès lors, la motivation fournie en
réplique ne saurait pallier les carences des recours ini-
tiaux.

d) Les recourants invoquent par ailleurs le principe
de non rétroactivité des lois, violé selon eux par le fait
que la loi attaquée tendait à couvrir a posteriori l'achat
d'actions de la BCG par l'Etat, effectué déjà en 1999 et en
mai 2000. Les recourants se plaignent aussi d'arbitraire
dans
la législation.

Dans cette mesure, le recours est formé pour viola-
tion des droits constitutionnels des citoyens, au sens de
l'art. 84 al. 1 let. a OJ. Il est notamment soumis à la
règle
de l'art. 88 OJ, s'agissant de la qualité pour recourir. Se-
lon cette disposition, le recourant doit être lésé par l'ar-
rêté attaqué, c'est-à-dire touché personnellement dans ses
intérêts juridiquement protégés (ATF 126 I 97 consid. 1a p.
98). S'agissant d'un recours contre un acte normatif, le re-
courant doit rendre vraisemblable que celui-ci est suscepti-
ble de s'appliquer à son cas. Une atteinte virtuelle est
suffisante, pour autant qu'elle présente un minimum de vrai-
semblance (ATF 125 I 369 consid. 1a p. 371-372; 474 consid.
1d p. 477-478 et les arrêts cités). Que l'acte attaqué soit
un acte normatif ou une décision, le particulier n'est pas
admis à recourir dans l'intérêt de tiers, ni dans celui de
la
collectivité. Or, c'est précisément ce que font les recou-
rants, qui se prévalent uniquement de leur qualité de contri-
buables dans le canton de Genève, susceptibles - à l'instar
de tout contribuable genevois - de pâtir un jour des engage-
ments, selon eux excessifs, du canton de Genève. Déclarer
les
recours recevables reviendrait ainsi à admettre l'action po-
pulaire, ce que l'art. 88 OJ tend précisément à éviter (ATF
123 I 41 consid. 5b p. 42-43 et les arrêts cités). Ce grief
est donc, lui aussi, irrecevable.

2.- Sur le vu de ce qui précède, les recours doivent
être déclarés irrecevables. Cette issue était d'emblée prévi-
sible, ce qui conduit au rejet de la demande d'assistance ju-
diciaire formée par Patrick Chazaud. Compte tenu de la
nature
de la cause, il est renoncé à la perception d'un émolument
judiciaire.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

vu l'art. 36a OJ:

1. Déclare les recours irrecevables.

2. Rejette la demande d'assistance judiciaire formée
par Patrick Chazaud.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants et au Grand Conseil du canton de Genève.

Lausanne, le 2 novembre 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.389/2000
Date de la décision : 02/11/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-02;1p.389.2000 ?
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