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01/11/2000 | SUISSE | N°6S.295/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 novembre 2000, 6S.295/2000


«/2»
6S.295/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

1er novembre 2000
(suite à la séance du 27 septembre 2000)

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, M. Kolly et Mme Escher, Juges.
Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

Jean M u s y, à Bernex, représenté par Me Jean-Pierre
Garbade, avocat à Genève,

contre

l'arrê

t rendu le 10 avril 2000 par la Chambre pénale de la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose le re-
courant à la F ...

«/2»
6S.295/2000/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

1er novembre 2000
(suite à la séance du 27 septembre 2000)

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, M. Kolly et Mme Escher, Juges.
Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

Jean M u s y, à Bernex, représenté par Me Jean-Pierre
Garbade, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 avril 2000 par la Chambre pénale de la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose le re-
courant à la F o n d a t i o n H i r o n d e l l e, à
Lausanne, représentée par Me Charles Poncet, avocat à
Genève, et au Procureur général du canton de G e n è v e;

(diffamation)

Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Dans le cadre de la guerre civile et du
génocide survenus en 1994 au Rwanda, l'association
"Reporters Sans Frontières" (ci-après: RSF) a créé une
station de radio libre chargée de fournir une information
impartiale aux populations concernées, sous l'appellation
"Radio Agatashya" (ci-après: RA) signifiant en langue
kinyarwanda "Radio Hirondelle". Celle-ci a commencé à
émettre depuis la région de Bukavu, au Sud Kivu, en été
1994. A la fin de 1994, RSF s'est retirée du projet,
lequel a été repris par la "Fondation Hirondelle pour une
information en cas d'urgence" (ci-après: la Fondation
Hirondelle), qui fut inscrite au Registre du commerce de
Genève le 22 mars 1995 et dont le comité directeur était
composé des journalistes Philippe Dahinden, François
Gross et Jean-Marie Etter.

Bukavu se trouvait à proximité immédiate des
principaux camps de réfugiés, lesquels étaient également
considérés comme abritant des responsables du génocide et
des massacres perpétrés au Rwanda en 1994. Bukavu était
en outre le siège du gouvernement rwandais en exil, dont
un grand nombre d'observateurs estimait qu'il continuait
à exercer un contrôle sur les camps.

RA était essentiellement financée par la coopéra-
tion publique suisse, soit la Direction du Développement
et de la Coopération (ci-après: DDC).

A Bukavu, une cinquantaine de personnes ont tra-
vaillé sous la direction de Philippe Dahinden.

Les activités de RA ont pris fin au début de
l'année 1997.

b) Le journaliste Jean Musy a rédigé, signé et
fait publier, dans le numéro du 28 février au 13 mars
1997 du périodique "L'Objectif", un article intitulé "Et
si la "machine Agatashya" était une formidable escroque-
rie morale?"

Cet article était précédé d'un préambule en ca-
ractères gras ayant la teneur suivante:

"Les documents que nous révélons ici sont acca-
blants. Diktat de la coopération suisse sur le
projet, employés au service des responsables du
génocide, cassettes des programmes "vérifiées"
par un ex-ministre de l'ancien régime rwandais,
copinage entre journalistes, utilisation des
organisations humanitaires. Bref, la "machine"
Agatashya se révèle une formidable escroquerie
morale pour les populations africaines et le
contribuable helvétique qui lui a versé depuis
quatre ans plusieurs millions de francs."

L'article comportait notamment les passages sui-
vants:

"(...) En décembre dernier, le Conseiller
national Jean Ziegler (soc.) interpellait le
gouvernement au sujet de Radio Hirondelle, un
projet suisse de station à vocation humanitaire,
à Bukavu, au Zaïre. Il y dénonçait les millions
de francs du contribuable engagés dans la "mal-
heureuse entreprise" depuis deux ans et demi
pour un "effet nul, sinon néfaste". En Suisse
comme au Rwanda, plusieurs voix proches des
victimes du génocide avaient déjà dénoncé le
caractère tendancieux des informations, diffu-
sées par la station lancée en été 1994 par
Reporters sans frontières section suisse, à
destination des populations réfugiées
rwandaises.

(...) Le Conseil fédéral vient de lui répondre.
Il ne veut plus financer la radio Agatashya,

"Radio Hirondelle" en kinyarwanda. Sans vouloir
se déjuger sur son soutien passé, le gouverne-
ment suisse prend désormais ses distances avec
le projet. Pour s'assurer une sortie honorable,
il a pris soin de confier une évaluation externe
du travail de la station à trois experts "neu-
tres et indépendants" qui confirment en
substance son appréciation (...).

(...) Bien que présentée par ses initiateurs
comme le projet pilote de l'information objec-
tive et neutre, nous avions révélé dans ces
colonnes comment "la radio qui ne penche pas" a
servi de couverture à des opérations douteuses
pour le compte de la coopération suisse. Celle-
ci en a fait son instrument d'intervention dans
la région, derrière le paravent de l'action
humanitaire. Un véritable diktat (...).

(...) Rappelons que nombre de dignitaires de
l'ancien régime rwandais réfugiés dans les camps
zaïrois et responsables du génocide de 800.000
personnes au Rwanda, ont collaboré et dirigé des
projets suisses dans leur pays. Exemple: celui
des Banques populaires, le plus important. Pour
qui et pour quoi Philippe Dahinden est-il allé
tourner un film vidéo sur le fonctionnement des
Banques populaires dans ces camps de réfugiés?
Ces images, dont nous avons une copie, n'ont
jamais passé à la télévision. On y voit l'usage
du matériel pillé par les anciens responsables
rwandais du projet suisse. Les cadres des ban-
ques, en exil, sont parfaitement identifiables.

(...) N'oublions pas non plus l'ouverture d'un
coffre-fort volé des mêmes banques, dans la
maison suisse du projet Agatashya, à Bukavu.
Antoine Golay, responsable du bureau de coordi-
nation de la Direction de la coopération au dé-
veloppement (DDC) à Kigali, et Roland Tillmans,
journaliste de la Radio Suisse Romande et res-
ponsable suisse de Radio Hirondelle au Zaïre,
s'y échinaient, en short et à quatre pattes, à
coup de pied-de-biche et de meule électrique ...
Une tâche peu journalistique dans un projet de
radio qui se veut impartial, neutre et à voca-
tion humanitaire (...).

(...) Que dire encore sur la lecture de cas-
settes de Radio Agatashya et du courrier emmené
depuis la Suisse à Bukavu ou à Kigali, par un
membre de l'opposition de gouvernement actuel du
Rwanda? Dans une note interne no 6, datée du
8 mai 95, Jean-Pierre Husi, futur directeur de

la Fondation Hirondelle, confirme ainsi au Co-
mité de Fondation l'accord de James Gasana pour
cette tâche. Membre du Gouvernement du Président
Habyarimana à deux reprises, celui-ci a occupé
le poste de ministre de la Défense d'avril 1992
à juillet 1993, avant de quitter le pays pour la
Suisse. Il est un opposant notoire au régime de
coalition en place à Kigali (voir encadré). Son
recrutement manifeste-t-il le souci d'impartia-
lité et de neutralité tant affiché par les pro-
moteurs de Radio Hirondelle?

(...) D'après la charte de Radio Agatashya, les
organisations internationales et les Ong parte-
naires au projet lui transmettent "les informa-
tions qu'elles jugent utiles". Est-ce à dire que
la station dénoncera abus ou erreur les concer-
nant. En tout cas pas à l'antenne. Le filtre de
l'info humanitaire, c'est cela aussi. La bonne
information est celle qui est rendue crédible,
qui rassure les populations. Elle n'est pas la
vérité journalistique.

(...) Comment rendre compte de l'élection bidon
de chefs de camps de réfugiés rwandais, aux
mains couvertes de sang, comme nous l'avons
nous-mêmes constaté à Bukavu, sans légitimer la
prise d'otage des populations? Qu'importe. Et
même si des responsables de la radio sont com-
promis ou délibérément partisans, l'important
est que cela ne se sache pas (...)".

Ledit article faisait également état, dans un
encart intitulé "Un chèque en blanc sans frémissement",
d'une note interne n° 6 de Jean-Pierre Husi au Comité
directeur de la Fondation Hirondelle, en mai 1995,
retranscrite comme suit:

"Armon Hartmann, DDA (l'ex-DDC, NdR) m'informe
que l'ordre de nous verser les 200.000 fr. a été
signé et que cette somme devrait nous arriver
dans les quinze jours. Je l'informe de notre
intention d'adresser à la DDA une nouvelle
demande de subvention fédérale pour l'année en
cours. Pour M. Hartmann, cette demande devrait
couvrir la même période que celle pour la
demande de 200.000 fr., soit de mars 1995 à
avril 1996. Aucun frémissement de sa part à

l'évocation du chiffre possible de 500.000 fr.
pour cette future demande de crédit (...)".

Cette retranscription était suivie d'un remarque
de Jean Musy, précisant notamment:

"(...) La Confédération a ainsi versé "sans fré-
missement" plus d'un million et demi de francs
en 1995, sur ce mode-là. Avis aux amateurs.
(...) A voir les largesses dont jouit la Fonda-
tion Hirondelle, on comprend d'autant mieux la
politique de salaire pratiquée par la Fondation
Hirondelle envers ses cadres."

Etaient ensuite cités quelques exemples de sa-
laires, notamment ceux perçus par Jean-Pierre Husi et
Philippe Dahinden.

L'article comportait encore la liste des membres
du Conseil de la Fondation Hirondelle ainsi qu'une photo
de Jean-Marie Etter et François Gross, membres du Comité
directeur de ce conseil.

Enfin, dans un autre encart plus restreint, inti-
tulé "La Fondation ne répond plus", Jean Musy indiquait
avoir contacté Jean-Pierre Husi, alors directeur de la
Fondation Hirondelle, sans succès; il dénonçait "ce mé-
pris du droit à l'information" de la part des respon-
sables de la radio "qui ne penche pas".

c) Jean Musy a également rédigé, signé et fait
publier, dans le périodique "Gauchehebdo" du 6 mars 1997,
un article intitulé "Radio Hirondelle privée de crédits",
dans lequel il reproduisait les affirmations décrites
sous let. b ci-dessus.

d) Le 28 mai 1997, la Fondation Hirondelle, sous
les signatures de Jean-Marie Etter et Jean-Pierre Husi,
qui étaient alors respectivement son président et son
directeur, a déposé plainte pénale, pour calomnie et
diffamation, contre Jean Musy.

e) Par feuille d'envoi du 26 septembre 1997, le
Procureur général du canton de Genève a renvoyé Jean Musy
devant le Tribunal de police, retenant que les articles
incriminés étaient diffamatoires en tant qu'ils affir-
maient notamment:

- que la "machine" Agatashya s'était révélée une
formidable escroquerie morale pour les populations afri-
caines et pour le contribuable helvétique;

- que, selon des voix proches des victimes du
génocide, la radio avait diffusé des informations à
caractère tendancieux;

- que la radio avait servi de couverture à des
opérations douteuses pour le compte de la coopération
suisse;

- que la radio était compromise avec les respon-
sables du génocide, dont certains étaient employés par
elle;

- que les informations diffusées par la radio ne
correspondaient pas à la "vérité journalistique".

B.- Par jugement du 9 novembre 1999, le Tribunal
de police a condamné Jean Musy, pour diffamation (art.
173 CP), à la peine de 2 mois d'emprisonnement avec sur-
sis pendant 4 ans ainsi qu'à une amende de 1500 fr. Il a

en outre ordonné la publication, à charge et aux frais du
condamné, du dispositif du jugement en première page des
périodiques "Gauchehebdo" et "L'Objectif" ainsi qu'en
première page de la rubrique "Suisse" du journal "Le
Temps", à deux reprises et sur un vingtième de page, en
caractères gras; le dispositif ainsi publié devait être
précédé du titre "Jugement du Tribunal de police de
Genève dans le procès entre Fondation Hirondelle et Jean
Musy" et la publication devait intervenir dans le délai
de 15 jours à compter de la date à laquelle le jugement
serait devenu définitif et exécutoire; la mesure était
ordonnée sous la menace des peines prévues à l'art.
292 CP.

C.- Statuant sur appel du condamné, la Chambre
pénale de la Cour de justice, par arrêt du 10 avril 2000,
l'a rejeté, confirmant le jugement qui lui était déféré.

Elle a écarté le grief de l'appelant, qui contes-
tait que la Fondation Hirondelle soit directement lésée
au sens de l'art. 28 al. 1 CP. Elle a considéré qu'il
avait été admis à juste titre que les propos contenus
dans les articles incriminés étaient diffamatoires au
sens de l'art. 173 CP et que leur auteur n'avait pas
prouvé la véracité de ses allégations ni qu'il avait des
raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies.
Enfin, elle a estimé que la peine infligée était adé-
quate, confirmant en outre la publication du dispositif
du jugement en application de l'art. 61 al. 1 CP.

D.- Jean Musy se pourvoit en nullité au Tribunal
fédéral. Il invoque une violation de l'art. 28 al. 1 CP;
il se plaint également d'une violation de l'art. 173 CP,
soutenant en outre que sa condamnation pour diffamation

serait au demeurant incompatible avec la liberté d'ex-
pression et la liberté de la presse, garanties respecti-
vement par les art. 10 CEDH et 16 al. 2 Cst. ainsi que
par l'art. 17 al. 2 Cst.; il fait encore valoir que la
publication du jugement viole l'art. 61 CP. Il conclut à
l'annulation de l'arrêt attaqué, à son acquittement et au
renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle
statue sur les frais et dépens ainsi que sur une éven-
tuelle requête de sa part de publication du jugement;
subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l'au-
torité cantonale au sens des considérants. Il sollicite
par ailleurs l'assistance judiciaire.

La cour cantonale ne formule pas d'observations.
L'intimée et le Procureur général concluent au rejet du
pourvoi.


C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le pourvoi en nullité ne peut tendre qu'à
l'annulation de la décision attaquée et au renvoi de la
cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision (art.
277ter al. 1 PPF). Toutes autres conclusions sont donc
irrecevables.

2.- Invoquant une violation de l'art. 28 al. 1
CP, le recourant conteste la qualité de lésée de l'inti-
mée pour déposer plainte à raison des faits retenus.

a) Selon l'art. 28 al. 1 CP, lorsqu'une infrac-
tion n'est punie que sur plainte, toute personne lésée
pourra porter plainte. Est lésé au sens de cette dispo-

sition le titulaire du bien juridique directement atteint
par l'acte punissable; celui qui n'est concerné qu'indi-
rectement par l'acte punissable n'a pas la qualité de
lésé et, partant, ne peut déposer plainte (ATF 121 IV 258
consid. 2b p. 260; 118 IV 209 consid. 2 p. 211).

Pour déterminer quel est le titulaire du bien ju-
ridique protégé, il faut se référer à l'infraction en
cause (ATF 121 IV 258 consid. 2c p. 260; 118 IV 209 con-
sid. 2 p. 211). La diffamation (art. 173 CP) s'insère
parmi les infractions contre l'honneur. A la différence
du droit à la vie ou du droit à l'intégrité corporelle
ou sexuelle, le droit à l'honneur n'est pas un concept
qui s'attache exclusivement à la personne humaine (cf.
B. Corboz, Les principales infractions, Berne 1997, art.
173 CP n° 19). Jouit du droit à l'honneur non seulement
toute personne physique, mais toute personne morale ou
entité capable d'ester en justice, à l'exception des
collectivités publiques et des autorités (ATF 114 IV 14
consid. 2a p. 15 et les arrêts cités; cf. également
B. Corboz, op. cit., art. 173 n° 26 ss).

Seul le titulaire du bien juridique directement
atteint par l'acte punissable est lésé au sens de l'art.
28 al. 1 CP et, partant, habilité à déposer plainte à
raison de cet acte. S'agissant d'une personne morale, il
faut donc que l'atteinte soit dirigée contre elle en tant
que telle, et non pas seulement contre les individus qui
agissent pour elle (cf. B. Corboz, op. cit., art. 173
n° 28 et la référence citée).

La question de savoir si une personne est direc-
tement atteinte dans son honneur par des propos contenus
dans un article de presse doit être élucidée en fonction
des propos litigieux, en se plaçant du point de vue d'un
lecteur non prévenu. Il faut donc rechercher, non pas qui

l'auteur des propos entendait viser, mais qui apparais-
sait visé au vu des propos formulés dans le cas concret,
en se fondant sur le sens que le lecteur non prévenu
doit, dans les circonstances données, leur attribuer;
pour ce faire, il y a lieu de procéder à une interpréta-
tion objective, en analysant non seulement les expres-
sions utilisées, mais le sens qui se dégage du texte dans
son ensemble. Une personne est directement visée non seu-
lement lorsque l'un ou l'autre propos, examiné séparé-
ment, est dirigé directement contre elle, mais aussi
lorsqu'il résulte de l'ensemble du texte incriminé
qu'elle est directement concernée, étant rappelé qu'il
n'est pas nécessaire que la personne visée soit nommément
désignée, mais qu'il suffit qu'elle soit reconnaissable
(cf. ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 29 et les arrêts cités).

b) Les articles incriminés citent nommément l'in-
timée à plusieurs reprises, notamment dans trois passages
portant, respectivement, le sous-titre "Entre bricolage
et reportage", "Un ministre de l'ancien régime "vérifie"
les cassettes et le courrier de la radio" et "La Fonda-
tion n'aime pas l'esprit critique", ainsi que dans les
encarts intitulés "Un chèque en blanc sans frémissement"
et "La Fondation ne répond plus"; ces deux encarts la
concernent d'ailleurs exclusivement. Les articles incri-
minés comportent en outre une liste des membres du Con-
seil de l'intimée, précédée, en caractères gras, du titre
"Les membres du Conseil de la Fondation Hirondelle". L'un
d'eux reproduit de surcroît une photo de deux des membres
de ce Conseil, dont son président, avec mention au-dessous
de leurs noms.

Dans le préambule des articles ainsi que dans le
titre de l'un d'eux, est par ailleurs utilisé le terme
"machine" Agatashya. Il est constant qu'"agatashya" si-
gnifie, en français, "hirondelle", nom que porte aussi

bien la radio que la fondation par laquelle elle est
parrainée. Le terme "machine" qui lui est associé, certes
utilisé au sens figuré, est au reste trop imprécis pour
que l'on puisse discerner si c'est de la radio ou de
l'intimée, voire des deux, qu'il s'agit; cela n'est pas
précisé dans les articles incriminés, où il est question
aussi bien de la radio et de ses journalistes que, dans
une mesure non moindre, de l'intimée. L'expression li-
tigieuse ne permet donc pas au lecteur non prévenu de
discerner clairement et d'emblée qui au juste, de la
radio ou de la fondation, est ainsi visé, ni partant
d'exclure que ce soit de cette dernière ou du moins
aussi d'elle qu'il est question.

Enfin, les articles incriminés, comme cela
ressort du reste expressément du titre de l'un d'eux,
tendent essentiellement à dénoncer une "formidable
escroquerie morale", qui, selon les diverses allégations
formulées à l'appui, aurait consisté à faire accroire aux
populations africaines concernées - et au contribuable
helvétique dans la mesure où il la finançait - que RA
était une radio neutre, qui avait pour but et s'efforçait
de fournir une information impartiale à ces populations,
alors qu'en réalité elle diffusait des informations ten-
dancieuses, servait de couverture à des opérations dou-
teuses et était compromise avec les responsables du gé-
nocide. Ces diverses allégations sont certes dirigées
directement contre RA et ses journalistes, dans la mesure
où ce sont eux qui sont nommément désignés comme ayant
diffusé des informations tendancieuses, etc. L'intimée
est cependant aussi mise directement en cause.

Des articles incriminés dans leur ensemble, il
résulte en effet, implicitement mais clairement, que
l'intimée n'ignorait pas la manière dont RA et ses jour-
nalistes accomplissaient leur tâche d'information sur le

terrain et qu'elle l'a non seulement tû, mais a continué
à présenter la radio comme une source d'information neu-
tre et impartiale, s'employant même à obtenir pour la
radio des subventions dont celle-ci n'aurait pu bénéfi-
cier si son activité réelle avait été connue. L'intimée
est ainsi directement mise en cause comme ayant couvert
et même cautionné, si ce n'est encouragé, un comportement
malhonnête de la radio, qui, tout en s'affirmant comme
une source d'information neutre et impartiale, aurait en
réalité diffusé des informations tendancieuses, etc.

En retenant que l'intimée est directement lésée
au sens de l'art. 28 al. 1 CP par les articles incriminés
et, partant, qu'elle a qualité pour s'en plaindre, l'au-
torité cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral.

3.- Le recourant conteste sa condamnation pour
diffamation. Il fait valoir que les propos retenus comme
diffamatoires constituent des jugements de valeur ou
visent la réputation professionnelle, et non l'honnêteté,
des journalistes et moins encore celle de l'intimée, de
sorte qu'ils ne tombent pas sous le coup de l'art. 173 CP.
Au demeurant, selon le recourant, c'est à tort que l'auto-
rité cantonale - qui l'a admis à apporter ces preuves li-
bératoires en application de l'art. 173 ch. 3 CP - aurait
nié qu'il avait prouvé la véracité des propos litigieux ou
qu'il pouvait les tenir de bonne foi pour vrais. De toute
manière, de l'avis du recourant, sa condamnation pour dif-
famation serait incompatible avec la liberté d'expression,
garantie par les art. 16 al. 2 Cst. et 10 CEDH, et avec la
liberté de la presse, garantie par l'art. 17 al. 2 Cst.

4.- a) L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement
de celui qui, en s'adressant à un tiers, aura accusé une

personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite
contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à por-
ter atteinte à sa considération, ou aura propagé une telle
accusation ou un tel soupçon.

Cette disposition protège la réputation d'être un
homme honorable, c'est-à-dire de se comporter comme un
homme digne a coutume de le faire selon les conceptions
généralement reçues. Il faut donc que l'atteinte fasse
apparaître la personne visée comme méprisable; il ne suf-
fit pas qu'elle l'abaisse dans la bonne opinion qu'elle a
d'elle-même ou dans les qualités qu'elle croit avoir, no-
tamment dans le cadre de ses activités professionnelles,
artistiques, politiques, etc.; échappent donc à la ré-
pression les assertions qui, sans faire apparaître la
personne comme méprisable, sont seulement propres à
ternir la réputation dont elle jouit dans son entourage
ou à ébranler sa confiance en elle-même par une critique
visant en tant que tel l'homme de métier, l'artiste, le
politicien, etc. (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47 et les
arrêts cités). Une personne morale est atteinte dans son
honneur, lorsqu'il est allégué qu'elle a une activité ou
un but propre à la rendre méprisable selon les concep-
tions morales généralement admises (cf. par analogie:
ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 28 s.; 116 IV 205 consid. 2
p. 206); tel est le cas, par exemple, si elle est assimi-
lée à une organisation criminelle ou à un parti politique
que l'histoire a rendu méprisable ou encore si l'on sug-
gère qu'elle a de la sympathie pour le régime nazi (ATF
121 IV 76 consid. 2a/bb p. 82).

Pour apprécier si une déclaration est attenta-
toire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens
que lui donne la personne visée, mais sur une interpré-
tation objective selon le sens qu'un destinataire non
prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui at-

tribuer (ATF 121 IV 76 consid. 2a/bb p. 82; 119 IV 44
consid. 2a p. 47; 118 IV 248 consid. 2b p. 251; 117 IV
27 consid. 2c p. 29 s.). S'agissant d'un texte, il doit
être analysé non seulement en fonction des expressions
utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens
général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 117
IV 27 consid. 2c p. 30; 115 IV 42 consid. 1c p. 44).

Le comportement délictueux peut consister soit à
accuser une personne, c'est-à-dire à affirmer des faits
qui la rendent méprisable, soit à jeter sur elle le soup-
çon au sujet de tels faits, soit encore à propager - même
en citant sa source ou en affirmant ne pas y croire - une
telle accusation ou un tel soupçon (ATF 117 IV 27 consid.
2c p. 29 et les références citées). Il peut être réalisé
sous n'importe quelle forme d'expression: verbalement,
par écrit, par l'image ou le geste, ou par tout autre
moyen (art. 176 CP).

La diffamation suppose une allégation de fait,
et non pas un simple jugement de valeur (ATF 117 IV 27
consid. 2c p. 29 et la jurisprudence citée). Si l'auteur
se borne à émettre un jugement de valeur, la diffamation
est donc exclue; peuvent en revanche être constitutifs de
diffamation les faits allégués, le cas échéant, à l'appui
du jugement de valeur émis (cf. ATF 121 IV 76 consid.
2a/bb p. 83).

Il n'est pas nécessaire que la personne visée
soit nommément désignée; il suffit qu'elle soit recon-
naissable (ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 29 et les arrêts
cités).

Du point de vue subjectif, il suffit que l'auteur
ait eu conscience du caractère attentatoire à l'honneur
de ses propos et qu'il les ait néanmoins proférés; il

n'est pas nécessaire qu'il ait eu la volonté de blesser
la personne visée (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47 et la
jurisprudence citée).

b) S'adressant à des tiers au moyen de deux ar-
ticles de presse, le recourant, a dénoncé une "formidable
escroquerie morale pour les populations africaines et le
contribuable helvétique". Il est ainsi clairement fait
allusion à une énorme tromperie. Cette tromperie, comme
on l'a vu, est attribuée non seulement à la radio, qui
est accusée d'avoir diffusé des informations tendancieu-
ses et ne correspondant pas à la "vérité journalistique",
d'avoir servi de couverture à des opérations douteuses
pour le compte de la coopération suisse et de s'être com-
promise avec les responsables du génocide, mais également
à l'intimée, qui est présentée comme ayant, en toute con-
naissance de cause, couvert et même cautionné, si ce
n'est encouragé, le comportement malhonnête de la radio
qu'elle parrainait. Le recourant ne s'est ainsi pas borné
à émettre un jugement de valeur ni à critiquer l'activité
professionnelle de la radio et de ses journalistes; par
l'accumulation de petites touches et par une série d'al-
lusions, il a clairement suggéré que l'intimée s'était
faite pour le moins la complice de la "formidable escro-
querie morale" qui aurait consisté à faire accroire aux
populations concernées et au contribuable helvétique que
la radio était une source d'information neutre et impar-
tiale, alors qu'en réalité il n'en était rien; il a ainsi
jeté sur l'intimée le soupçon d'une conduite malhonnête.
Les propos litigieux sont donc objectivement attenta-
toires à l'honneur de l'intimée.

Au reste, que le recourant était conscient du
caractère attentatoire à l'honneur des propos qu'il a
néanmoins proférés résulte clairement de l'état de fait
retenu et n'est d'ailleurs pas contesté.

Dans ces conditions, l'arrêt attaqué ne viole pas
le droit fédéral dans la mesure où il considère que les
propos contenus dans les articles incriminés sont diffa-
matoires au sens de l'art. 173 ch. 1 CP.

5.- a) L'art. 173 ch. 2 CP dispose que l'inculpé
n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations
qu'il a articulées ou propagées sont conformes à la vé-
rité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de
bonne foi pour vraies.

Le
fardeau de la preuve libératoire incombe à
l'auteur de la diffamation. Celui-ci a le choix de four-
nir la preuve de la vérité ou celle de la bonne foi.
Lorsqu'une de ces deux preuves est apportée, l'accusé
doit être acquitté (ATF 119 IV 44 consid. 3 p. 48).

La preuve de la vérité est apportée lorsque
l'auteur de la diffamation établit que les allégations
qu'il a articulées ou propagées sont vraies (ATF 124 IV
149 consid. 3a p. 150; 121 IV 76 consid. 2a/bb p. 82/83).
La question de savoir ce qui est vrai relève du fait; la
décision sur la véracité ne peut donc faire l'objet d'un
pourvoi en nullité que si l'autorité cantonale a méconnu
l'objet de la preuve ou les autres conditions d'applica-
tion de l'art. 173 ch. 2 CP (cf. B. Corboz, La diffama-
tion, in SJ 1992 p. 627 ss, p. 657). La preuve de la vé-
rité doit porter sur le fait attentatoire à l'honneur qui
a été allégué, soupçonné ou propagé; si les propos liti-
gieux contiennent à la fois un jugement de valeur et une
allégation de fait, la preuve a pour objet les faits qui
fondent le jugement de valeur (cf. ATF 121 IV 76 consid.
2a/bb p. 83). La preuve de la vérité peut être apportée
par tous les moyens admis par la loi de procédure, y com-
pris par des éléments dont l'auteur de la diffamation

n'avait pas connaissance lorsqu'il a tenu les propos li-
tigieux, car seule est pertinente la question de la véra-
cité de ceux-ci (ATF 124 IV 149 consid. 3a p. 150).

La preuve de la bonne foi est apportée lorsque
l'auteur établit qu'il avait des raisons sérieuses de
tenir de bonne foi ses allégations pour vraies. L'accusé
est de bonne foi s'il a cru à la véracité de ce qu'il
disait. La bonne foi ne suffit cependant pas; encore
faut-il que l'accusé ait eu des raisons sérieuses de
croire ce qu'il disait; il doit donc démontrer avoir
accompli les actes qu'on pouvait attendre de lui, selon
les circonstances et sa situation personnelle, pour con-
trôler la véracité de ses allégations et la considérer
comme établie. Autrement dit, l'accusé doit prouver qu'il
a cru à la véracité de ses allégations après avoir fait
consciencieusement tout ce que l'on pouvait attendre de
lui pour s'assurer de leur exactitude. Une prudence par-
ticulière doit être exigée de celui qui donne une large
diffusion à ses allégations par la voie d'un média.
L'accusé ne saurait se fier aveuglément aux déclarations
d'un tiers. Pour déterminer si l'auteur avait des raisons
sérieuses de tenir de bonne foi ses allégations pour
vraies, il faut se fonder exclusivement sur les éléments
dont il avait connaissance au moment où il a tenu les
propos litigieux; il n'est pas question de prendre en
compte des moyens de preuve découverts ou des faits sur-
venus postérieurement. Il appartient à l'accusé d'établir
les éléments dont il disposait à l'époque, ce qui relève
du fait; sur cette base, le juge doit déterminer si ces
éléments étaient suffisants pour croire à la véracité des
propos, ce qui relève du droit (ATF 124 IV 149 consid. 3b
p. 151 s. et les références citées).

b) Reprenant les différentes allégations du re-
courant sur lesquelles repose l'accusation de tromperie

au préjudice des populations concernées et du contri-
buable helvétique, l'autorité cantonale a examiné si
elles étaient conformes à la vérité; elle n'a donc pas
méconnu l'objet de la preuve de la vérité, ce qui n'est
d'ailleurs pas contesté. Sur la base d'une appréciation
des preuves, qui ne peut être remise en cause dans un
pourvoi en nullité (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les
arrêts cités), elle a retenu, ce qui relève du fait et
lie donc la Cour de céans, qu'aucune de ces allégations
n'était vraie. Elle pouvait en déduire sans violer le
droit fédéral que la véracité des accusations portées par
le recourant n'avait pas été prouvée. Dans la mesure où,
pour le contester, le recourant, en rediscutant l'appré-
ciation des preuves, s'efforce de faire admettre que ses
affirmations étaient vraies, sa critique est irrecevable
dans un pourvoi en nullité.

c) L'arrêt attaqué constate que le recourant n'a
jamais expliqué à quelles vérifications il avait procédé
pour s'assurer de l'exactitude de ses affirmations; de-
vant les premiers juges, il s'était contenté d'affirmer
avoir effectué une enquête journalistique normale à
l'encontre des institutions humanitaires; à aucun moment,
il n'avait précisé la nature de ses investigations; il ne
l'avait pas davantage fait devant la cour cantonale,
alors même que le jugement de première instance lui re-
prochait de n'avoir pas procédé aux investigations qui
s'imposaient; il n'était dès lors pas établi que le re-
courant avait vérifié la véracité de ses affirmations.

Dans son pourvoi, le recourant, invoquant des
déclarations contenues dans divers documents, s'efforce
de démontrer que d'autres personnes, notamment d'autres
journalistes, auraient émis des critiques allant dans le
sens des accusations qu'il a formulées. Maintes déclara-
tions qu'il invoque sont toutefois tirées de documents

postérieurs aux articles incriminés, de sorte que c'est
en vain qu'il s'en prévaut. De toute manière, il ne suf-
firait pas que le recourant puisse démontrer que d'autres
personnes ont tenu des propos plus ou moins similaires;
encore faudrait-il qu'il soit établi que le recourant,
auquel cette preuve incombait, avait des raisons sé-
rieuses de tenir de bonne foi pour vrais les propos d'au-
trui sur lesquels il se fondait, ce qui impliquait qu'il
les ait vérifiés dans toute la mesure qu'on pouvait at-
tendre de lui. Or l'arrêt attaqué constate que le recou-
rant n'a jamais expliqué à quelles vérifications il au-
rait procédé; celui-ci n'explique d'ailleurs toujours pas
dans son pourvoi ce qu'il aurait fait, le cas échéant,
pour contrôler l'exactitude des déclarations sur les-
quelles il se fondait. En définitive, il apparaît que le
recourant s'est borné à reproduire des propos émis par
d'autres, sans chercher à en contrôler sérieusement la
véracité; il n'a en tout cas jamais établi l'avoir fait.
Dans ces conditions, l'autorité cantonale pouvait admet-
tre sans violer le droit fédéral que la preuve de la
bonne foi n'avait pas été apportée.

d) Le recourant ayant tenu des propos diffama-
toires sans apporter les preuves libératoires prévues à
l'art. 173 ch. 2 CP, sa condamnation pour diffamation ne
viole pas le droit fédéral.

6.- a) La violation directe de droits de rang
constitutionnel doit être invoquée dans un recours de
droit public; en revanche, le grief d'interprétation non
conforme à la Constitution fédérale ou à la CEDH d'une
disposition du droit fédéral peut être soulevé dans un
pourvoi en nullité (ATF 119 IV 107 consid. 1a, 242 con-
sid. 1c p. 244 et les arrêts cités). En l'espèce, le
recourant soutient que le condamner pour diffamation à

raisons des propos qu'il a tenus, en tant que journa-
liste, n'est pas admissible au regard de la liberté
d'expression, garantie par les art. 10 CEDH et 16 al. 2
Cst., et de la liberté de la presse, garantie par l'art.
17 al. 2 Cst. Le grief revient donc à se plaindre d'une
violation indirecte des dispositions de rang constitu-
tionnel invoquées, de sorte qu'il est recevable dans un
pourvoi en nullité.

b) L'art. 16 al. 2 Cst. garantit à toute personne
le droit de former, d'exprimer et de répandre librement
son opinion. Cette disposition concrétise la liberté
d'opinion, consacrée de manière générale par l'art. 16
al. 1 Cst., en mettant en évidence son aspect principal,
soit le droit de former librement son opinion, de l'ex-
primer et de la répandre par la parole, l'écrit, l'image
ou d'une autre manière (FF 1997 I 161). La liberté de la
presse est garantie par l'art. 17 al. 1 Cst.; elle con-
fère à chacun le droit de communiquer son opinion au
moyen de l'imprimerie (FF 1997 I 161). Il s'agit donc
d'une composante de la liberté d'expression, en tant que
cette dernière comporte le droit de répandre librement
son opinion par tous les moyens légaux; dans cette me-
sure, celui qui invoque à la fois la liberté de la presse
et la liberté d'expression ne formule pas de griefs dis-
tincts (cf. ATF 125 I 417 consid. 3a p. 420 s.; 113 Ia
309 consid. 4b p. 316 s. et les références citées). Quant
à l'art. 10 CEDH, il n'offre pas en l'espèce de protec-
tion plus étendue que celle qui peut être déduite des
garanties constitutionnelles invoquées (ATF 125 I 417
consid. 3b p. 422 et les arrêts cités).

A l'instar d'autres droits fondamentaux, la
liberté d'expression, comme la liberté de la presse, n'a
pas une valeur absolue. Des restrictions peuvent y être
apportées, si elles reposent sur une base légale suffi-

sante, sont dans l'intérêt public et demeurent propor-
tionnées (ATF 119 Ia 71 consid. 3b et c p. 73 s.; 117 Ia
472 consid. 3d p. 479 et les arrêts cités; cf. également
art. 10 ch. 2 CEDH). Des limitations à la liberté d'ex-
pression sont admises aux mêmes conditions par la Cour
européenne des droits de l'homme; dans sa jurisprudence,
celle-ci considère qu'une ingérence dans l'exercice de
la liberté d'expression est conforme à l'art. 10 CEDH si
elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légi-
time de protection de l'intérêt public, notamment de la
réputation et des droits d'autrui, et si elle est propor-
tionnée au but légitime poursuivi (cf. arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme du 2 mai 2000 en la
cause Bergens Tidende et autres c. Norvège, ch. 33 et
48 ss).

c) La diffamation est sanctionnée par l'art. 173
CP, qui protège le droit à l'honneur, la réputation
d'être une personne honorable. La condamnation du recou-
rant de ce chef repose donc sur une base légale suffi-
sante et poursuit un but légitime de protection de la
réputation et des droits d'autrui. Cela n'est du reste
pas contesté.

Il est constant que la radio se présentait comme
une source d'information neutre pour les populations
concernées et était également présentée comme telle par
l'intimée; il est également établi qu'en raison de ce
rôle, la radio bénéficiait d'importantes subventions de
la Confédération par le biais de la coopération publique
suisse. En soi, rendre compte dans des articles de presse
de ce qu'il en était au juste de la neutralité des infor-
mations fournies par la radio correspondait donc à un
intérêt public légitime; c'est d'ailleurs ce qui a con-
duit l'autorité cantonale à admettre le recourant à ap-
porter les preuves libératoires prévues par l'art. 173

ch. 2 CP. Le recourant devait toutefois agir de bonne
foi, de manière à fournir des informations exactes, d'au-
tant plus qu'il formulait des accusations graves et leur
donnait une large diffusion par la voie de la presse. Il
devait donc s'assurer autant que possible de la véracité
de ce qu'il avançait. Or, le recourant n'a pas prouvé que
ses affirmations - qui étaient incontestablement de na-
ture à nuire à la réputation de l'intimée - étaient
vraies, ni qu'il aurait sérieusement cherché à les véri-
fier. Dans ces conditions, il est manifeste que le droit
du recourant de s'exprimer librement ne saurait l'empor-
ter sur le droit de l'intimée à la protection de son hon-
neur. On ne saurait donc dire que la condamnation du re-
courant pour diffamation serait disproportionnée au re-
gard du but légitime poursuivi. Cette condamnation n'est
dés lors pas incompatible avec les garanties de rang
constitutionnel invoquées. Toute l'argumentation du re-
courant visant à faire admettre le contraire est d'ail-
leurs fondée sur l'hypothèse, non avérée (cf. supra,
consid. 5b et c), que ses allégations étaient vraies ou
qu'il pouvait le croire de bonne foi.

7.- Le recourant soutient que la publication du
jugement viole l'art. 61 al. 1 CP.

Cette disposition prévoit que le juge ordonnera
la publication du jugement aux frais du condamné si l'in-
térêt public ou celui du lésé ou l'intérêt de celui qui a
le droit de porter plainte l'exige.

En l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la
publication a été ordonnée dans l'intérêt de l'intimée,
en tant que lésée, eu égard à l'atteinte à son honneur
commise par la voie de la presse. Contrairement à ce que
soutient le recourant, qui ne saurait d'ailleurs s'en

plaindre dans son pourvoi en nullité, l'arrêt attaqué est
donc motivé en ce qui concerne la publication du juge-
ment.

Sauf si elle est ordonnée dans l'intérêt public,
la publication du jugement suppose une requête de l'inté-
ressé en ce sens (cf. art. 61 al. 3 CP). La réalisation
de cette condition n'est à juste titre pas contestée en
l'espèce.

Le recourant soutient que le discrédit jeté sur
l'intimée a déjà été réparé, dès lors que le jugement de
condamnation aurait reçu un large écho dans la presse.
Cette critique est irrecevable. Le pourvoi en nullité est
une voie de droit qui provoque le contrôle de l'applica-
tion du droit fédéral à un état de fait définitivement
arrêté par l'autorité cantonale, ce qui exclut notamment
que des faits nouveaux soient invoqués à l'appui d'un
pourvoi (art. 277bis al. 1 et 273 al. 1 let. b PPF). Or,
il est manifeste qu'au moment où le jugement de première
instance a été rendu, puis l'appel du recourant écarté
par la cour cantonale, la répercussion éventuelle qui
pourrait être donnée par la suite à chacune de ces déci-
sions dans la presse n'était pas connue, de sorte que les
juges cantonaux ne sauraient se voir reprocher de n'en
avoir pas tenu compte.

Il appartient au juge de fixer les modalités de
la publication (art. 61 al. 4 CP) et, notamment, de déci-
der si cette publication comprendra seulement le disposi-
tif du jugement ou aussi les motifs. En règle générale et
sauf si des circonstances particulières le justifient, il
y a lieu de s'en tenir à
la publication du dispositif, ce
qui est d'ailleurs dans l'intérêt du condamné, qui doit
en assumer les frais (art. 61 al. 1 in fine CP), lesquels
sont manifestement plus conséquents en cas de publication

étendue. En l'espèce, on ne discerne pas de circonstances
particulières justifiant une publication de l'entier du
jugement; en particulier, on ne voit pas - et le recou-
rant ne dit pas - en quoi la publication du seul disposi-
tif aurait pour lui "un côté infamant"; la publication du
jugement ayant en l'espèce été ordonnée dans l'intérêt de
la lésée, c'est en vain que le recourant conteste qu'elle
puisse atteindre son but d'intérêt public; au reste,
l'argumentation du recourant est pour le moins contradic-
toire, puisqu'il relève en définitive lui-même qu'une pu-
blication de l'ensemble du jugement serait disproportion-
née; la publication, en sus, du contenu de la feuille
d'envoi qu'il réclame le serait à fortiori; elle est de
toute manière exclue, seule la publication du jugement,
et non celle de l'acte d'accusation, étant prévue par
l'art. 61 CP.

Au vu de ce qui précède, la publication du juge-
ment, telle qu'elle a été ordonnée, ne viole en rien le
droit fédéral.

8.- Le pourvoi doit ainsi être rejeté dans la
mesure où il est recevable.

La question de savoir si l'intimée est directe-
ment lésée au sens de l'art. 28 al. 1 CP par les articles
incriminés (cf. supra, consid. 2) méritait d'être soule-
vée. Pour le surplus, les conclusions du recourant
étaient en revanche vouées à l'échec (cf. ATF 119 Ia 251
consid. 3b p. 253). La requête d'assistance judiciaire du
recourant, qui a au reste suffisamment démontré son indi-
gence, sera donc partiellement admise; le recourant ne
supportera donc qu'une partie des frais et une indemnité
réduite sera allouée à son mandataire (cf. art. 152 OJ).

Une indemnité sera par ailleurs allouée à l'intimée, qui
obtient gain de cause (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Rejette le pourvoi dans la mesure où il est
recevable.

2. Admet partiellement la requête d'assistance
judiciaire du recourant.

3. Met à la charge du recourant un émolument ju-
diciaire de 400 francs.

4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
une indemnité de 1000 fr. au mandataire du recourant
ainsi qu'une indemnité de 1000 fr. à l'intimée.

5. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties, au Procureur général du canton de
Genève et à la Chambre pénale de la Cour de justice gene-
voise.
__________

Lausanne, le 1er novembre 2000

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.295/2000
Date de la décision : 01/11/2000
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-01;6s.295.2000 ?
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