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01/11/2000 | SUISSE | N°5P.146/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 novembre 2000, 5P.146/2000


«/2»
5P.146/2000

IIe C O U R C I V I L E
*****************************

1er novembre 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Braconi.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Dame L.________, représentée par Me Bertrand Reich, avocat à
Genève,

contre

la décision rendue le 18 janvier 2000 par la Commission de
taxation des honoraires d'avocat du canton de Genève dans la
cause qui oppose

la recourante à R.________, représenté par
Me Pierre Schifferli, avocat à Genève;

(art. 9 Cst., etc.; honoraires d'avo...

«/2»
5P.146/2000

IIe C O U R C I V I L E
*****************************

1er novembre 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Braconi.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Dame L.________, représentée par Me Bertrand Reich, avocat à
Genève,

contre

la décision rendue le 18 janvier 2000 par la Commission de
taxation des honoraires d'avocat du canton de Genève dans la
cause qui oppose la recourante à R.________, représenté par
Me Pierre Schifferli, avocat à Genève;

(art. 9 Cst., etc.; honoraires d'avocat)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Dame L.________ a consulté Me D.________ dans une
affaire matrimoniale; le mandat a débuté le 19 août 1994 et
s'est achevé le 16 octobre 1996, date à laquelle la mandante
l'a révoqué. L'avocat lui a alors adressé deux notes de
frais
et d'honoraires d'un montant total de 127'798 fr.35, dont à
déduire 38'000 fr. de provisions et 10'000 fr. versés à la
suite de poursuites qu'il a engagées à l'encontre de son an-
cienne cliente, laissant un solde impayé de 79'798 fr.35.

B.- Le 17 août 1999, dame L.________ a saisi la Commis-
sion de taxation des honoraires d'avocat du canton de Genève
d'une requête en modération.

Par décision du 18 janvier 2000, la commission a fixé à
70'000 fr. le solde encore dû par la requérante sur les
notes
de frais et d'honoraires.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public au
Tribunal fédéral, dame L.________ conclut, avec suite de
frais et dépens, à l'annulation de la décision attaquée et
au
renvoi de l'affaire à l'autorité inférieure pour nouvelle dé-
cision.

L'intimé propose l'irrecevabilité, subsidiairement le
rejet, du recours; la Commission de taxation se réfère aux
considérants de sa décision.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté à temps contre une décision qui
arrête,
en dernière instance cantonale (art. 44 al. 2 LPAv/GE), les

honoraires d'avocat (ATF 93 I 116 consid. 1 p. 120, ainsi
que
la jurisprudence citée), le présent recours est recevable au
regard des art. 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.

b) Le chef de conclusions tendant au renvoi de la cause
pour nouvelle décision est superfétatoire (arrêt non publié
L. du 12 mars 1987, in Rep. 1988 p. 323 consid. 1b); c'est
la
conséquence de l'éventuelle admission du recours (ATF 112 Ia
353 consid. 3c/bb p. 354; Messmer/Imboden, Die Rechtsmittel
in Zivilsachen, p. 226 n. 10).

2.- a) La recourante se plaint d'abord d'une violation
de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 49 Cst.).
Elle
soutient, en bref, que la Commission de taxation était tenue
d'examiner le bien-fondé de la réclamation en honoraires et
débours au regard du droit fédéral, en l'espèce les art. 394
al. 3 et 402 al. 1 CO, au lieu d'appliquer uniquement la loi
cantonale sur la profession d'avocat; partant, elle devait
tenir compte de l'exécution défectueuse du mandat et réduire
en conséquence les prétentions de l'intimé, ce d'autant plus
que son prononcé lie le juge civil.

A l'instar du système prévu par l'art. 161 OJ (ATF 85 I
56 consid. 2 p. 57; Messmer/Imboden, op. cit., p. 38 n. 33),
l'art. 45 al. 1 LPAv/GE prévoit que la commission de
taxation
se borne à arrêter le montant des honoraires et des débours,
alors que les questions relatives à l'existence et au
montant
de la créance, notamment celles qui ont trait à l'exécution
du mandat, ressortissent au juge ordinaire. C'est la
solution
adoptée dans la plupart des cantons (arrêt non publié S. du
11 novembre 1981, in SJ 1982 p. 452 consid. 4b; ATF 112 Ia
25
consid. 1c/aa p. 27 et les références). Or, comme l'a jugé
le
Tribunal fédéral dans le dernier arrêt cité, la cognition de
l'autorité de taxation est librement déterminée par le droit
cantonal (ibidem, p. 27/28). En refusant d'entrer en matière

sur les reproches de la recourante portant sur la façon dont
l'intimé a rempli son mandat, l'autorité cantonale ne
pouvait
donc violer le droit fédéral (cf. art. 122 al. 2 Cst.).

b) La recourante reproche, en outre, à la Commission de
taxation d'avoir commis un déni de justice prohibé par les
art. 29 et 30 Cst. en ne tranchant pas la question de savoir
si elle devait rembourser, en sus des honoraires,
l'émolument
judiciaire de 14'985 fr. versé par l'intimé.

Il faut concéder à la recourante que les conclusions en
paiement de 1'000'000 fr. à titre de «tort moral», formulées
par son ancien conseil dans le cadre du procès en
«annulation
de mariage», apparaissent exagérées au regard de la pratique
suisse (cf. Brehm, Berner Kommentar, N 81 ss ad art. 49 CO
et
les références citées). Il n'en reste pas moins que le
mérite
de la prétention au remboursement de cette avance s'apprécie
dans le contexte de l'exécution régulière du mandat (art.
402
al. 1 CO; cf. ATF 110 II 283 consid. 3a p. 285 et les arrêts
cités), question qui est soustraite à la connaissance du
juge
modérateur (supra, let. a). Sous cet angle, c'est dès lors à
juste titre que l'autorité cantonale a refusé de se
prononcer
sur l'«adéquation des conclusions». Bien que succincte, une
telle motivation est non seulement suffisante (cf. ATF 122 I
54 consid. 2c p. 57 et les arrêts cités), mais encore
exempte
d'arbitraire.

3.- C'est, en revanche, avec raison que la recourante
soutient que les honoraires ont été arrêtés en violation de
l'art. 9 Cst.

a) La décision attaquée constate explicitement que, si
les notes d'honoraires en cause énumèrent avec précision les
interventions du ou des avocats, elles ne renseignent pas
sur
la durée de chacune d'elles; seul un récapitulatif annuel
des

frais et honoraires permet de reconstituer le nombre
d'heures
facturées, à savoir environ 300h. Au regard du dossier et
des
procédés entrepris, la Commission de taxation a estimé que
le
temps consacré à l'affaire «paraît quelque peu démesuré» et,
en l'absence d'indications quant à la durée de ces
démarches,
le total facturé «exagéré»; elle a, par conséquent, réduit
de
9'798 fr.35 le solde des honoraires encore dû, tenant ainsi
pour justifiée une activité comprise entre 280 - 267h.

Or, on ne voit pas sur la base de quel(s) critère(s)
une
telle durée pourrait avoir été admise. L'autorité inférieure
mentionne, il est vrai, de multiples interventions, mais, de
son propre aveu, la durée de chacune d'elles n'est nullement
explicitée. Certes, une appréciation globale peut être
portée
sur les éléments du dossier immédiatement perceptibles par
le
juge modérateur (mémoires, lettres, chargés de pièces,
listes
de témoins, etc.); en revanche, tel n'est pas le cas pour
les
autres opérations, particulièrement nombreuses en l'espèce,
comme les conférences et entretiens téléphoniques. Le nombre
d'opérations, en tant qu'il influe directement sur le temps
consacré à l'affaire, ne revêt d'ailleurs de pertinence que
dans la mesure où celles-ci n'apparaissent pas superflues ou
procéduralement irrecevables (cf. pour l'art. 161 OJ [supra,
consid. 2a]: arrêt non publié de la IIe Cour civile dans la
cause 5C.188/1992, consid. 3) et s'inscrivent
raisonnablement
dans le cadre de la mission confiée au mandataire (ATF 117
Ia
22 consid. 4b p. 25 et les arrêts cités). Enfin, l'autorité
précédente n'a pas spécifié les interventions qui permettent
de qualifier de «quelque peu démesurée», voire d'«exagérée»,
l'activité déployée par l'avocat; il n'est donc pas possible
de s'assurer que tous les facteurs déterminants ont été pris
en considération, lesquels pourraient justifier une
réduction
plus forte encore des honoraires, par exemple la révocation
du mandat par la recourante (arrêt non publié de la IIe Cour

civile dans la cause 5P.428/1999, consid. 2b; cf. au sujet
de
l'art. 161 OJ: arrêt non publié de la Ie Cour civile dans la
cause 4C.106/1990, consid. 2c).

b) La Commission de taxation a également retenu, à
juste
titre, que l'intervention de plusieurs mandataires est
propre
à «multiplier d'autant le tarif horaire». A la lecture de la
décision attaquée, on ne peut cependant mesurer l'importance
qu'elle a attribué à cette circonstance dans la fixation des
honoraires; or, il incombait à l'intimé d'exposer en quoi le
recours à d'autres confrères était indispensable pour
remplir
son mandat (arrêt non publié M. du 4 juillet 1994, in SJ
1995
p. 99), et à l'autorité de taxation d'apprécier la
pertinence
des motifs invoqués. On ignore, au surplus, comment ont été
comptabilisées les opérations communes des avocats - parfois
jusqu'à quatre - de l'étude (par exemple: «conférences» des
18 octobre 1994, 28 juin et 11 juillet 1996, «rendez-vous»
du
30 août 1994, ou «entretien téléphonique» du 31 août 1994).

c) D'après la Commission de taxation, le tarif horaire
appliqué, à savoir 450 fr./h pour l'intimé et 300 fr./h pour
ses collaborateurs, est adapté «à la difficulté de
l'affaire,
à la situation de la cliente et à ses prétentions».

Une telle motivation, qui reprend en substance l'art.
40
LPav/GE, apparaît trop lacunaire pour permettre à la cour de
céans de vérifier que les honoraires fixés demeurent dans
les
limites du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité de
taxation. Rien ne permet d'affirmer que l'affaire («demande
en divorce transformée ultérieurement en demande
d'annulation
de mariage») présentait des difficultés particulières en
fait
et en droit, du moins ne ressortent-elles pas de la décision
attaquée; à lui seul, le nombre élevé d'opérations ne
saurait
du reste présumer de la complexité de la cause, sous peine
de

favoriser les procédés superflus ou prolixes. La «situation
de la cliente» est rappelée sans de plus amples
explications,
alors même que l'intéressée avait fait état de ses modestes
revenus à l'appui de sa requête de modération; c'est en vain
que l'intimé se réfère à sa fortune (appartements à Genève
et
à Paris, «solides comptes en banque»), dès lors qu'il s'agit
d'allégations nouvelles, partant irrecevables (ATF 118 III
37
consid. 2a in fine p. 39). Les «prétentions» de la mandante,
apparemment la valeur litigieuse, peuvent certes constituer
un critère non dénué d'importance, autant toutefois qu'elles
n'ont pas été artificiellement enflées par l'avocat dans le
but de pouvoir précisément majorer ses honoraires. Enfin, la
Commission de taxation ne dit mot du résultat obtenu (ATF 93
I 116 consid. 5a p. 122).

4.- En conclusion, la Commission de taxation est tombée
dans l'arbitraire en arrêtant les honoraires litigieux à
près
de 120'000 fr., débours compris (127'798.35 - 9'798.35). Sa
décision doit dès lors être annulée (ATF 93 I 116 consid. 5b
in fine p. 123), avec suite de frais et dépens à la charge
de
l'intimé, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule la décision attaquée.

2. Met à la charge de l'intimé:
a) un émolument judiciaire de 4'000 fr.,
b) une indemnité de 4'000 fr. à payer
à la recourante à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la Commission de taxation des honoraires
d'avocat du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 1er novembre 2000
BRA/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.146/2000
Date de la décision : 01/11/2000
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-11-01;5p.146.2000 ?
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