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31/10/2000 | SUISSE | N°6P.93/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 octobre 2000, 6P.93/2000


«/2»

6P.93/2000/gnd
6S.384/2000

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

31 octobre 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Prési-
dent du Tribunal fédéral, MM. Schneider et Kolly, Juges.
Greffière: Mme Revey.

Statuant sur le recours de droit public
et sur le pourvoi en nullité
formés par

X. , représenté par Me Philippe Juvet, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 19 mai 2000 par

la Cour de cassation
genevoise dans la cause qui oppose le recourant au
Procureur général du canton de G e n è v e;

(a...

«/2»

6P.93/2000/gnd
6S.384/2000

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

31 octobre 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Prési-
dent du Tribunal fédéral, MM. Schneider et Kolly, Juges.
Greffière: Mme Revey.

Statuant sur le recours de droit public
et sur le pourvoi en nullité
formés par

X. , représenté par Me Philippe Juvet, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 19 mai 2000 par la Cour de cassation
genevoise dans la cause qui oppose le recourant au
Procureur général du canton de G e n è v e;

(art. 9 Cst. et 113 CP: constatation arbitraire
des faits, meurtre passionnel)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X. , ressortissant portugais né en
1941, a été engagé en 1987 en qualité d'emballeur-déména-
geur par l'entreprise Y. à M. . Au début
de l'année 1998, le directeur de l'entreprise, Z.
, lui a annoncé que son salaire journalier serait ramené
de 300 fr. à 250 fr.

Le 26 mars 1998, X. est entré dans les
locaux de l'entreprise muni de deux revolvers qu'il avait
dérobés. Il s'est rendu directement vers le bureau de
Z. et a tiré sur lui en le visant à la tête, lui
causant des blessures graves. Il s'est ensuite avancé
vers A. , un autre dirigeant, a également fait feu
sur lui à plusieurs reprises et l'a blessé. Alors que
celui-ci le poursuivait, il a encore tiré deux coups de
son second revolver et l'a tué. Il a ensuite requis ses
collègues de travail d'appeler la police.

Le 17 septembre 1999, la Cour d'assises du canton
de Genève a condamné X. à quatorze ans de
réclusion et quinze ans d'expulsion du territoire suisse
pour meurtre et tentative de meurtre (art. 111 CP). Elle
a retenu notamment ce qui suit:

"(...) La faute de X. est d'une
exceptionnelle gravité tant les faits qui lui sont
reprochés (...), commis avec une certaine froideur
sont insoutenables et comportent un caractère in-
supportable pour les victimes.

(...) X. est décrit comme un homme
travailleur et intelligent, ce qui aurait dû
l'amener à mieux apprécier les aléas qu'il traver-

sait. Il présente de manière générale une grande
froideur affective, une grande intériorité.

Aucune circonstance atténuante ne lui a été recon-
nue (...) et sa responsabilité est entière.

Cependant, il doit être tenu compte des conditions
sociales particulières qu'il a rencontrées en Suis-
se. X. a travaillé pendant une douzaine
d'années dans la même entreprise, à la satisfaction
de tous (...). Malgré le temps écoulé, il est
toujours resté en situation illégale et n'a pu
bénéficier de ce fait de reconnaissance sociale,
vivant sous le couvert de tiers. Si cet état
n'était pas trop problématique en situation de
plein emploi, il l'est devenu lorsque X. a
vu son salaire réduit substantiellement par deux
fois en peu de temps et a pu craindre d'être de
surcroît moins souvent appelé. En effet, ne tr-
availler que sur appel est un élément de désé-
curisation supplémentaire, le travailleur au noir
sur appel étant a priori démuni face à l'absence de
revenus ou d'emploi, subjectivement soumis à l'idée
d'une interruption brusque et définitive des rap-
ports de travail. Ces circonstances particulières
que, malheureusement et par égoïsme, X. a
accentuées en raison de ses tendances de type
paranoïaque, permettent de considérer que ses actes
ne sont pas purement gratuits, mais liés à
l'appréciation qu'il avait de ladite situation.

(...) La situation personnelle de l'accusé n'appa-
raît pas particulièrement difficile au vu de ses
déclarations; il n'a pas fait état de pauvreté par-
ticulière, ayant déclaré que son activité de démé-
nageur lui permettait de faire face à ses obliga-
tions, au moins jusqu'à fin 1997. Il ne paraît pas
trop avoir eu le souci de sa famille et avoir en
cette circonstance également réagi avant tout par
égoïsme et par susceptibilité. (...)"

X. a déféré ce jugement à la Cour de
cassation genevoise. Il soutenait que deux faits essen-
tiels n'avaient pas été constatés, à savoir la situation
financière catastrophique et la profonde dépression dans
lesquelles il se trouvait à l'époque du drame. Il
prétendait en outre au bénéfice de l'art. 113 CP en ce

qui concerne le profond désarroi. Le 19 mai 2000, la Cour
de cassation a rejeté le recours. Se fondant largement
sur le considérant de la Cour d'assises précité, qu'elle
reproduisait également, elle a confirmé que l'intéressé
souffrait d'un profond désarroi au moment des actes, mais
que celui-ci n'était pas excusable.

B.- Agissant le 7 juin 2000 par la voie du pour-
voi en nullité et le 15 juin 2000 par celle du recours de
droit public, X. demande au Tribunal fédéral
d'annuler l'arrêt du 19 mai 2000 de la Cour de cassation
et de renvoyer la cause à cette autorité pour nouvelle
décision. Il sollicite le bénéfice de l'assistance
judiciaire.

X. reprend en substance les griefs
développés devant l'autorité intimée. Ainsi, il se plaint
d'une constatation arbitraire des faits dans son recours
de droit public et, dans son pourvoi en nullité, il
requiert l'application de l'art. 113 CP relatif à l'état
de profond désarroi.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

I. Recours de droit public (6P.93/2000)

1.- Le recours de droit public au Tribunal fédé-
ral est recevable contre une décision cantonale pour vio-
lation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84
al. 1 let. a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert pour se

plaindre d'une violation du droit fédéral, qui peut don-
ner lieu à un pourvoi en nullité (art. 269 al. 1 PPF); un
tel grief ne peut donc pas être invoqué dans le cadre
d'un recours de droit public, qui est subsidiaire
(art. 84 al. 2 OJ; art. 269 al. 2 PPF).

En dehors d'exceptions non réalisées en l'espèce,
le recours de droit public ne peut tendre qu'à l'annula-
tion de la décision attaquée (ATF 125 I 104 consid. 1b
p. 107; 125 II 86 consid. 5a p. 96). Aussi la conclusion
du recourant tendant au renvoi de la cause à l'autorité
intimée pour nouvelle décision est-elle irrecevable.

Sous cette réserve, le Tribunal fédéral peut en-
trer en matière.

2.- a) Le recourant soutient que la Cour de cas-
sation est tombée dans l'arbitraire en ne mentionnant pas
certains faits relatifs à sa situation financière, pro-
fessionnelle et personnelle à l'époque des infractions,
alors que ceux-ci devaient conduire à appliquer l'art.
113 CP. Pour les mêmes motifs, il prétend que la Cour de
cassation a violé l'art. 340 let. d du Code de procédure
pénale du canton de Genève du 29 septembre 1977, selon
lequel la voie de la cassation est ouverte lorsque des
dispositions essentielles de la procédure ont été violées
et qu'il a pu en résulter un préjudice pour le recourant.
Il déclare à cet égard que la constatation des faits par
une autorité de jugement constitue un principe essentiel
de procédure.

Plus précisément, l'autorité intimée aurait dû
retenir que ses revenus mensuels moyens avaient passé de

4'000 fr. en moyenne de 1994 à 1997 à 2'700 fr. en moyen-
ne en 1998, soit un montant inférieur au minimum vital,
que son salaire journalier avait subi deux réductions dès
la fin de l'année 1997, tombant de 330 fr. à 300 fr. puis
à 250 fr., et qu'il n'avait travaillé que 39 jours le
premier trimestre 1998, dont seulement trois jours en
mars. En outre, cette diminution des appels procédait
d'une volonté délibérée de l'employeur de recourir le
moins possible à ses services afin de respecter un aver-
tissement téléphonique de l'Office cantonal de la popula-
tion. Enfin, toujours selon le recourant, l'employeur
avait refusé d'entreprendre les démarches exigées par une
régularisation de son statut, bien qu'il travaillât en
Suisse depuis douze ans déjà.

Par ailleurs, le recourant reproche à la Cour de
cassation de ne pas avoir pris en considération la pro-
fonde dépression dont il souffrait à la mi-mars 1998,
quelques jours avant le drame, abattement découlant de la
grave fragilisation de sa situation professionnelle, so-
ciale et financière.

En conclusion, la Cour de cassation devait rete-
nir que le profond désarroi dans lequel il était plongé
au moment des actes procédait d'une maladie dépressive,
elle-même provoquée par des éléments objectifs.

b) En recours de droit public, le Tribunal fédé-
ral ne revoit que sous l'angle de l'arbitraire les cons-
tatations de faits et l'appréciation des preuves effec-
tuées par l'autorité cantonale. Une jurisprudence cons-
tante reconnaît en effet au juge du fait un large pouvoir
d'appréciation dans ce domaine (ATF 120 Ia 31 consid. 4b
p. 40; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366 et les arrêts cités).

Ainsi, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'appré-
ciation des preuves est insoutenable ou si elle heurte
d'une manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité. Tel est le cas lorsque l'autorité cantonale a
admis ou nié un fait pertinent en se mettant en contra-
diction évidente avec les pièces et éléments de son dos-
sier, qu'elle n'a tenu compte que des preuves allant dans
le même sens, qu'elle méconnaît des preuves pertinentes
ou qu'elle n'en tient arbitrairement pas compte ou encore
lorsque les constatations de fait sont manifestement
fausses (ATF 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 con-
sid. 4b p. 40; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366; 118 Ia 28
consid. 1b p. 30 et les références citées).

c) aa) S'agissant de la baisse d'activité et de
revenu du recourant, la Cour de cassation a retenu que
son salaire avait été réduit deux fois en peu de temps,
notamment de 300 fr. à 250 fr. par jour au début 1998.
Elle a constaté en outre l'insécurité professionnelle et
financière résultant de sa situation de travailleur clan-
destin sur appel, ainsi que la fragilisation accrue de
ses conditions de travail quelques mois avant le drame,
après douze ans de service à la satisfaction des em-
ployeurs. Dès lors, même s'il n'aurait pas été inutile
au regard de l'art. 113 CP de déterminer plus précisément
les ressources et expectatives financières du recourant
au moment du drame, la Cour de cassation pouvait y renon-
cer sans arbitraire.

Du reste, certains éléments avancés par l'inté-
ressé ne ressortent pas du dossier de manière manifeste,
de sorte que la Cour de cassation n'est de toute façon
pas tombée dans l'arbitraire en n'en tenant pas compte.

En particulier, il n'est pas indubitablement éta-
bli que le recourant n'a travaillé que trois jours en
mars 1998. Certes, les témoins S. et V.
ont affirmé le 26 mars 1998, soit le jour des actes, que
le recourant n'avait été appelé que trois ou quatre jours
ce mois-là. Toutefois, le recourant a lui-même déclaré le
même jour à la police avoir oeuvré 13 et 11 jours les
deux mois précédents. De plus, S. a rectifié ses
dires le 16 juin 1998 en affirmant qu'il avait travaillé
10 ou 15 jours en mars 1998, les décomptes étant
cependant effectués dès le 15 de chaque mois.

Il n'est pas davantage certain que cette baisse
d'activité, cas échéant, soit entièrement imputable à
l'employeur. A cet égard, selon les déclarations de
V. les 26 mars, 16 juin et 14 juillet 1998, d'une
part le domaine du déménagement connaît d'ordinaire une
période creuse de février à avril et, d'autre part, s'il
est vrai que la direction entendait n'appeler le re-
courant qu'en cas de véritable nécessité, celui-ci avait
refusé du travail la semaine précédant le drame en allé-
guant être malade. Du reste, le recourant a lui-même af-
firmé à la police le jour des actes avoir été souffrant
depuis le début du mois, quand bien même il a soutenu en-
suite que son état de santé n'était pas le motif l'ayant
empêché de travailler.

bb) Quant à l'état d'esprit du recourant au mo-
ment des actes, la Cour de cassation a constaté que l'in-
téressé s'était senti fortement désécurisé en raison de
la fragilisation accrue de sa situation, déstabilisation
qu'il avait perçue de manière encore plus sensible en
raison de sa susceptibilité, de son égoïsme et de ses
tendances de type paranoïaque.

L'autorité intimée n'a effectivement pas retenu
que le recourant souffrait de dépression, mais cet élé-
ment ne ressort pas du dossier au point qu'il était arbi-
traire de l'écarter. Certes, le 17 septembre 1999, le té-
moin B. a relaté ainsi qu'il suit sa rencontre
avec l'intéressé quelques jours avant les infractions:
"(...) J'avais en face de moi un homme brisé qui ne
savait pas ce qu'il allait devenir. C'était comme s'il
avait le désespoir devant lui, le néant (...). Je n'au-
rais pas été étonné qu'il fasse un acte contre sa person-
ne. Il m'a donné l'impression d'être un homme brisé." Ce-
pendant, les autres témoignages sont loin d'être aussi
catégoriques. Ainsi, O. a exposé le 12 octobre
1998 que le recourant était alors "plutôt désespéré", "un
peu déprimé", souffrant d'une "espèce d'abattement qui ne
laissait cependant rien présager de ce qui s'est passé".
De même, L. a relevé le même jour que le re-
courant était "un peu déprimé" et "n'avait pas le moral".
Enfin, l'expertise psychiatrique du 16 février 1999 a
posé un diagnostic "d'épisode dépressif léger" en ex-
cluant toutefois la présence d'un état dépressif suf-
fisamment grave pour constituer une maladie mentale au
sens de la loi.

d) Dans ces conditions, la Cour de cassation n'a
pas constaté les faits de manière arbitraire. En consé-
quence, elle n'a
pas davantage violé l'art. 340 let. d du
Code de procédure pénale cantonale, à supposer que ce
grief, qui se confond en l'occurrence avec celui d'arbi-
traire, soit pertinent.

II. Pourvoi en nullité (6S.384/2000)

3.- Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal
fédéral est lié par les constatations de fait contenues
dans la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). L'ap-
préciation des preuves et les constatations de fait qui
en découlent ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en
nullité, sous réserve de la rectification d'une inadver-
tance manifeste. Le recourant ne peut pas présenter de
griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou
de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).
Dans la mesure où il présenterait un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, il
ne serait pas possible d'en tenir compte. Autrement dit,
le raisonnement juridique doit être mené exclusivement
sur la base de l'état de fait retenu par l'autorité can-
tonale (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66; 124 IV 81 consid.
2a p. 83, 92 consid. 1 p. 93 et les arrêts cités).

Le pourvoi en nullité, qui a un caractère cassa-
toire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé que
pour violation du droit fédéral et non pour violation di-
recte d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF).

La Cour de cassation n'est pas liée par les mo-
tifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des con-
clusions du recourant (art. 277bis PPF), lesquelles doi-
vent être interprétées à la lumière de leur motivation
(ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66; 124 IV 53 consid. 1
p. 55; 123 IV 125 consid. 1 p. 127).

4.- Le recourant soutient que ses actes doivent
être qualifiés de meurtre passionnel (art. 113 CP), et
non de meurtre (art. 111 CP).

a) Le meurtre passionnel est une forme privilé-
giée d'homicide intentionnel (ATF 119 IV 202 consid. 2a
p. 204), qui se caractérise par le fait que l'auteur "a
tué alors qu'il était en proie à une émotion violente que
les circonstances rendaient excusable ou qu'il était au
moment de l'acte dans un état de profond désarroi"
(art. 113 CP).

Tandis que l'émotion violente suppose que l'au-
teur réagisse de façon plus ou moins immédiate à un sen-
timent soudain qui le submerge, le profond désarroi vise
un état d'émotion qui mûrit pendant une longue période
progressivement, couve pendant longtemps jusqu'à ce que
l'auteur soit complètement désespéré et n'y voie d'autre
issue que l'homicide (FF 1985 II 1035 s.; ATF 119 IV 202
consid. 2a p. 204; 118 IV 233 consid. 2a p. 236).

Pour admettre le meurtre passionnel, il ne suffit
pas de constater que l'auteur se trouvait dans un état de
profond désarroi, il faut encore que son état ait été
rendu excusable par les circonstances. Ce n'est pas l'ac-
te commis qui doit être excusable, mais l'état dans le-
quel se trouvait l'auteur. On doit garder à l'esprit que
le profond désarroi est l'aboutissement d'un lent mûris-
sement; il est donc possible, s'agissant d'une évolution
progressive pendant une longue période, que plusieurs
causes, plus ou moins difficiles à établir, concourent à
provoquer l'état de l'auteur; on peut imaginer notamment
un jeu d'actions et de réactions, par exemple dans le
cadre d'un conflit conjugal. Le plus souvent, l'état de
l'auteur est rendu excusable par le comportement blâmable
de la victime à son égard; il peut cependant l'être aussi
par le comportement d'un tiers ou des circonstances ob-
jectives. La jurisprudence n'a pas exclu que dans certai-

nes circonstances le caractère excusable du profond dé-
sarroi résulte, avec l'écoulement du temps, de l'état
dans lequel se trouvait l'auteur. L'application de l'art.
113 CP est réservée à des circonstances dramatiques dues
principalement à des causes échappant à la volonté de
l'auteur et qui s'imposent à lui (cf. ATF 119 IV 202
consid. 2a p. 204 s.).

Pour que son état soit excusable, l'auteur ne
doit pas être responsable ou principalement responsable
de la situation conflictuelle qui le provoque (ATF 118 IV
233 consid. 2b p. 238; 107 IV 103 consid. 2b/bb p. 106).

b) En l'espèce, l'autorité intimée a admis que le
recourant se trouvait au moment des actes dans un état de
profond désarroi, mais a estimé que celui-ci n'était pas
excusable, contrairement à ce que soutient l'intéressé.

Déterminer si l'on se trouve ou non en présence
d'un profond désarroi excusable est une question de droit
qui peut être librement examinée dans le cadre d'un pour-
voi en nullité, sur la base des faits retenus dans la dé-
cision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF; ATF 119 IV 202
consid. 2a p. 205; 118 IV 233 consid. 2a p. 238 et les
références citées).

c) Il ressort en substance des constatations can-
tonales que le profond désarroi dont souffrait le recou-
rant à l'époque des infractions résultait de la fragili-
sation de sa situation professionnelle, aggravation res-
sentie de manière encore accrue en raison de sa suscepti-
bilité, de son égoïsme et de ses tendances de type para-
noïaque.

Certes, la précarisation de ses conditions de
travail ne peut guère être imputée au recourant, dans la
mesure où il n'était pas en son pouvoir de régulariser sa
situation ou d'augmenter son activité. Toutefois, cela ne
signifie pas que son désarroi soit excusable.

Encore faut-il en effet, selon l'appréciation ob-
jective des causes du désarroi exigée par l'art. 113 CP,
qu'un homme raisonnable, de la même condition que l'au-
teur et placé dans la même situation se trouverait faci-
lement dans un tel état (ATF 107 IV 105 consid. 2b/bb
p. 106; Bernard Corboz, Les principales infractions,
Berne 1997, nos 13, 14 et 20 p. 36 s.). Il convient à
cet égard de tenir compte de la condition personnelle de
l'auteur, notamment des moeurs et valeurs de sa communau-
té d'origine, de son éducation et de son mode de vie, en
écartant les traits de caractère anormaux ou particu-
liers, tels qu'une irritabilité marquée ou une jalousie
maladive, lesquels ne peuvent être pris en considération
que dans l'appréciation de la culpabilité (ATF 108 IV 99
consid. 3b p. 102; 107 IV 105 consid. 2b/bb p. 106, 161
consid. 2 p. 162; Corboz, loc. cit.; Rehberg/Schmid,
Strafrecht III, 7ème éd., Zurich 1997, nos 4.12 et 4.2
p. 8 s.; Stratenwerth, Bes. Teil I, 5ème éd., Berne 1995,
p. 31 n° 28).

En l'occurrence, il convient d'examiner si un
homme raisonnable de la même condition que le recourant
et placé dans la même situation sociale, professionnelle,
financière et de police des étrangers, à savoir un tra-
vailleur clandestin sur appel voyant après douze ans de
service son salaire modeste encore réduit et son emploi
peu à peu supprimé, aurait été amené à tuer et à tenter
de tuer ses employeurs. Il sied de préciser à cet égard

que la susceptibilité, l'égoïsme et les tendances de type
paranoïaque du recourant qui, selon les constatations de
fait des autorités cantonales, ont contribué à la commis-
sion des infractions en cause, sont des traits de carac-
tère particuliers qui ne peuvent être pris en considéra-
tion dans une appréciation objective du désarroi. Compte
tenu de cette restriction, force est de retenir qu'un
homme raisonnable tel que défini ci-dessus n'aurait pas
commis les actes reprochés au recourant. Certes, les cir-
constances subies sont difficilement acceptables tant du
point de vue matériel, le recourant n'étant plus assuré
de pouvoir subvenir à ses besoins élémentaires, que psy-
chologique, dans la mesure où l'intéressé ne peut que
constater avec amertume que douze ans d'effort et de tra-
vail dans la précarité ne lui ont pas permis d'obtenir la
stabilisation, la sécurité et la reconnaissance escomp-
tées. Toutefois, ces éléments ne sont pas si dramatiques
qu'ils puissent rendre compréhensibles l'homicide et la
tentative d'homicide de deux employeurs.

En conséquence, il sied de constater que le re-
courant ne s'est pas trouvé exposé à des circonstances
extérieures indépendantes de sa volonté que chacun puisse
considérer comme dramatiques et propres à entraîner faci-
lement un état émotionnel altérant la faculté de juger
correctement la situation et de se maîtriser (cf. ATF 119
IV 202 consid. 2b p. 206). Dès lors, le profond désarroi
du recourant ne pouvait être tenu pour excusable, de sor-
te que c'est à juste titre que l'autorité cantonale a
qualifié les actes commis de meurtre, et non de meurtre
passionnel.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le
recourant, l'autorité intimée n'a pas violé le droit fé-

déral en se référant au principe de la proportionnalité
pour apprécier l'excusabilité du désarroi. S'il est vrai
que ni la jurisprudence ni la doctrine n'y recourent di-
rectement, il n'en demeure pas moins que cette notion est
implicitement appliquée, dès lors que le juge doit compa-
rer le comportement incriminé avec celui qu'aurait pu
adopter un homme raisonnable de la même condition que
l'auteur et placé dans la même situation.

Enfin, le recourant reproche à tort à la Cour
de cassation d'avoir examiné l'excusabilité de l'auteur
alors que, selon lui, seule celle du désarroi est déter-
minante. La distinction n'est en effet pas pertinente,
car l'auteur n'est "excusable" au point de bénéficier de
l'art. 113 CP que si son désarroi l'était. Or, la Cour de
cassation a précisément constaté que tel n'était pas le
cas pour le recourant.

III. Frais

5.- Vu ce qui précède, le recours de droit pu-
blic est mal fondé en tant que recevable et le pourvoi en
nullité est mal fondé. Comme tous deux étaient d'emblée
dépourvus de chances de succès, l'assistance judiciaire
est refusée (art. 152 al. 1 OJ). Succombant, le recourant
doit supporter les frais judiciaires (art. 278 al. 1
PPF). Il n'y a toutefois pas lieu d'allouer des dépens à
l'autorité qui obtient gain de cause (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours de droit public en tant que
recevable.

2. Rejette le pourvoi en nullité.

3. Rejette la demande d'assistance judiciaire.

4. Met un émolument judiciaire de 800 fr. à la
charge du recourant.

5. Communique le présent arrêt au mandataire du
recourant, au Procureur général du canton de Genève et à
la Cour de cassation genevoise.

Lausanne, le 31 octobre 2000

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6P.93/2000
Date de la décision : 31/10/2000
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-31;6p.93.2000 ?
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