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30/10/2000 | SUISSE | N°1P.547/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 octobre 2000, 1P.547/2000


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1P.547/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

30 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Jacot-Guillarmod et Favre. Greffier: M. Zimmermann.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

la société S.________ S.A., représentée par Me Michel
Ducrot,
avocat à Martigny,

contre

la décision prise le 11 juillet 2000 par le Tribunal
cantonal
du canton du Valais dans la cau

se opposant la recourante à
X.________ et à Y.________, au Juge d'instruction pénale et
au Ministère public du Valais cent...

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1P.547/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

30 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Jacot-Guillarmod et Favre. Greffier: M. Zimmermann.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

la société S.________ S.A., représentée par Me Michel
Ducrot,
avocat à Martigny,

contre

la décision prise le 11 juillet 2000 par le Tribunal
cantonal
du canton du Valais dans la cause opposant la recourante à
X.________ et à Y.________, au Juge d'instruction pénale et
au Ministère public du Valais central;

(art. 9 Cst.; art. 48 et 168 CPP val.; art. 4 et 5 LRCPA
val.; déni de justice formel; qualité pour agir dans la
procédure pénale cantonale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 23 juin 1988, l'Office de la recherche et de
la documentation pédagogique du Valais romand (ci-après:
l'Office), subdivision du Département de l'instruction publi-
que du canton du Valais, a commandé à la société S.________
S.A. (ci-après: la Société), des programmes informatiques
désignés sous les noms "GP-Untis" et "GP-Mentor" servant res-
pectivement à l'élaboration des horaires scolaires et à la
répartition des cours entre les enseignants. En signant la
commande, l'Office s'est engagé à utiliser ces programmes
exclusivement pour ses propres besoins.

Le 1er mars 1994, la Société a ouvert action contre
l'Etat du Valais en requérant le paiement de dommages-inté-
rêts. Elle a allégué que l'Office avait permis à plusieurs
établissements scolaires du canton d'utiliser le programme
"GP-Untis", en violation de l'engagement pris envers la So-
ciété et sans l'accord de celle-ci. L'instruction du procès
civil a permis de déterminer que le collège des Creusets, à
Sion, ainsi que les Cycles d'orientation de Grône, de
Savièse
et de Sierre, s'étaient servi du programme "GP-Untis".

Entendu le 25 janvier 1995 comme témoin dans cette
procédure, X.________, directeur du Cycle de Grône, a
déclaré
avoir utilisé le logiciel "Untis" seulement pour des essais,
lors de l'année scolaire 1994/1995. Entendu le 31 mars 1995,
également comme témoin, Y.________, directeur du Cycle
d'orientation de Savièse, a fait des déclarations analogues.

Par jugement du 2 septembre 1997, le Tribunal canto-
nal du canton du Valais a constaté que l'Etat du Valais, res-
pectivement l'Office, avait violé les droits de la Société,
en mettant le logiciel "GP-Untis" à disposition d'établisse-

ments scolaires du Valais romand sans l'autorisation de la
Société. Le Tribunal cantonal a condamné l'Etat du Valais à
payer à la Société le montant de 10'192 fr., avec intérêts à
5% dès le 1er mars 1994.

Le 1er avril 1998, N.________ a déclaré que
Y.________ lui aurait dit, ce jour-là, qu'il utilisait le
logiciel "Untis" "depuis quatre ou cinq ans". Le 5 avril
1998, L.________ a déclaré que X.________ lui aurait dit, en
1992, qu'il utilisait le programme "Untis" "depuis plusieurs
années".

Le 22 février 1999, la Société, se prévalant de ces
déclarations, a déposé une plainte pénale pour faux témoigna-
ge contre Y.________ et X.________.

Le 5 janvier 2000, le Juge d'instruction du Valais
central a refusé de donner suite à la plainte pénale.

Par décision du 11 juillet 2000, le Tribunal canto-
nal a déclaré irrecevable la plainte formée par la Société
contre la décision du 5 janvier 2000. Il a considéré que le
dénonciateur ne peut recourir contre le refus de donner
suite
à la plainte, selon l'art. 48 ch. 1 CPP val., que pour
autant
qu'il puisse, comme lésé, prendre des conclusions civiles
dans la procédure pénale. Or, à cet égard, Y.________ et
X.________, en tant que fonctionnaires, auraient agi dans le
cadre de leur fonction et la Société ne pourrait pas prendre
contre eux des conclusions civiles dans le procès pénal;
elle
n'en aurait d'ailleurs pas pris.

B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
S.________ S.A. demande au Tribunal fédéral d'annuler la dé-
cision du 11 juillet 2000. Elle se plaint d'un déni de jus-
tice formel.

Le Tribunal cantonal se réfère à sa décision. Les
autres parties n'ont pas formulé d'observations.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une
pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 126 I 81 consid. 1 p. 83; 126 III p. 274 consid.
1 p. 275; 125 I 253 consid. 1a p. 254, 412 consid. 1a p.
414,
et les arrêts cités).

a) Ont qualité pour recourir les particuliers lésés
par des décisions qui les concernent personnellement (art.
88
OJ).

Selon une jurisprudence constante, le plaignant n'a
pas qualité pour agir contre le classement ou
l'acquittement,
au motif que l'action pénale appartient exclusivement à
l'Etat; elle est instituée dans l'intérêt public et ne pro-
fite qu'indirectement au lésé. Celui-ci n'est dès lors pas
habilité à recourir, au regard de l'art. 88 OJ, contre une
décision relative à la conduite de l'action pénale; il est
fait exception à cette règle uniquement lorsque le lésé se
plaint de la violation des droits formels que lui reconnaît
le droit cantonal de procédure ou qui découlent directement
de la Constitution et de la CEDH, s'agissant notamment du
droit d'être entendu et de participer à l'administration des
preuves (ATF 126 I 97 consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b
p. 255). Si, comme en l'espèce, le recourant se plaint de la
violation d'une garantie de procédure qui équivaut à un déni
de justice formel, l'intérêt juridique protégé exigé par
l'art. 88 OJ découle alors non pas du droit de fond, mais du
droit de participer à la procédure (ATF 125 II 86 consid. 3b
p. 94; 123 I 25 consid. 1 p. 26/27; 122 I 267 consid. 1b p.

270; 121 I 223 consid. 4a, 119 Ia 428 consid. 3c). Ainsi, in-
dépendamment du fond, le recourant est habilité à reprocher
à
l'autorité cantonale d'avoir commis un déni de justice
formel
en lui refusant la qualité pour recourir (ATF 119 Ia 424
consid. 3c-e p. 428/429; 117 Ia 84 consid. 1a p. 86, 90
consid. 4a p. 95, et les arrêts cités).

b) Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte
de recours doit contenir un exposé des droits constitution-
nels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi
consiste la violation. Le Tribunal fédéral examine
uniquement
les griefs soulevés devant lui de manière claire et
détaillée
(ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492 consid. 1b p. 495; 122 I
70 consid. 1c p. 73; 119 Ia 197 consid. 1d p. 201, et les ar-
rêts cités).

L'acte de recours ne mentionne pas les droits cons-
titutionnels dont se prévaut la recourante. En tant que
celle-ci se plaint d'un déni de justice formel, en
reprochant
au Tribunal cantonal de lui avoir arbitrairement dénié la
qualité pour recourir contre la décision du 5 janvier 2000,
il y a toutefois lieu d'admettre que la recourante invoque,
d'une manière implicite et juste suffisante au regard de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'art. 9 Cst. prohibant l'arbi-
traire.

Le recours est ainsi recevable.

2.- Selon le Tribunal cantonal, la recourante n'au-
rait pas pris de conclusions civiles à l'encontre de
Y.________ et de X.________, ce qui exclurait, pour ce motif
déjà, sa qualité pour recourir contre le refus de donner
suite à la plainte pénale. La recourante tient cette
solution
pour arbitraire.

a) Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole
gravement une norme ou un principe juridique clair et indis-
cuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité; à cet égard, le Tri-
bunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'auto-
rité cantonale de dernière instance que si elle apparaît in-
soutenable, en contradiction manifeste avec la situation ef-
fective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un
droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de
la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il
que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF
126
I 168 consid. 3a p. 170; 125 I 10 consid. 3a p. 15, 166
consid. 2a p. 168; 125 II 129 consid. 4b p. 134; 124 I 247
consid. 5 p. 250/251, 310 consid. 5a p. 316, et les arrêts
cités). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
interprétation de la loi soit possible, ou même préférable
(ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250/251; 120 Ia 369 consid. 3a
p. 373; 118 Ia 497 consid. 2a p. 499; 116 Ia 325 consid. 3a
p. 326/327).

b) Le Ministère public et le lésé peuvent porter
plainte contre la décision par laquelle le juge
d'instruction
refuse de donner suite à la dénonciation ou à la plainte
qu'ils ont déposée (art. 46 ch. 4 CPP val.). Celui qui se
prétend lésé par une infraction poursuivie d'office peut se
constituer partie civile dans le procès pénal; il doit en
faire la déclaration formelle, par écrit ou par dictée au
procès-verbal; le plaignant est de plein droit partie civile
(art. 48 ch. 1 CPP val.). La partie civile peut soit prendre
des conclusions en réparation du dommage, soit demander acte
de ses réserves (art. 48 ch. 2 al. 1 CPP val.). Le lésé qui
entend obtenir par le jugement pénal la réparation du
dommage
doit, s'il n'a pas précisé ses intentions en se constituant
partie civile ou en les consignant au procès-verbal,
déposer,
au plus tard cinq jours avant les débats de première instan-

ce, un mémoire motivant ses conclusions (art. 48 ch. 3 CPP
val.).

En l'espèce, la recourante s'est constituée partie
civile en même temps qu'elle a déposé sa plainte du 22 fé-
vrier 1999. Il ressortait clairement de celle-ci que le but
de la plainte était de faire reconnaître que Y.________ et
X.________ auraient commis un faux témoignage dans le procès
civil, de manière à pouvoir obtenir la modification du
jugement du 2 septembre 1997. En outre, comme le relève à
juste titre la recourante, le Tribunal cantonal ne saurait
exiger du dénonciateur qu'il formule d'emblée ses
prétentions
civiles, à peine de le priver de sa qualité de lésé et, par-
tant, du droit de recourir contre le refus de donner suite à
la plainte. En effet, l'art. 48 ch. 3 CPP val. réserve ex-
pressément la possibilité, pour le lésé, de présenter des
conclusions en réparation du dommage jusqu'à cinq jours
avant
l'audience de jugement de première instance. S'il n'y a rien
à redire au fait que la jurisprudence cantonale veuille exi-
ger du lésé qu'il fasse valoir des prétentions civiles, à
l'instar de ce que veut la jurisprudence relative à l'art.
270 al. 1 PPF, le Tribunal cantonal ne peut pas faire préva-
loir cette interprétation de la loi sur le texte clair de
l'art. 48 ch. 3 CPP val. A cela s'ajoute, comme le fait re-
marquer aussi à juste titre la recourante, que la qualité
pour agir contre les décisions du juge d'instruction par la
voie de la plainte au sens des art. 166ss CPP val., est
régie
par l'art. 168 CPP val., à teneur duquel ont qualité pour
porter plainte non seulement les parties, mais aussi toute
personne à qui une mesure et une décision porte un préjudice
injustifié. L'art. 168 CPP val. complète sur ce point l'art.
46 ch. 4 CPP val. Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion
de
dire que l'on ne saurait limiter au seul lésé, au sens de
l'art. 48 CPP val., la qualité pour agir régie par l'art.
168
CPP val. (arrêt non publié Hoirie F. du 13 octobre 1993,
consid. 2c.). En l'occurrence, il ne fait aucun doute que la

recourante est directement intéressée à savoir si Y.________
et X.________ ont effectivement commis un faux témoignage
(cf. consid. 3 ci-dessous). En excluant la qualité pour agir
de la recourante sous l'angle de l'art. 46 CPP val., le Tri-
bunal cantonal a violé arbitrairement les art. 48 ch. 3 et
168 CPP val.

3.- Le Tribunal cantonal a également dénié à la re-
courante la qualité pour agir au motif que Y.________ et
X.________, en témoignant dans le procès civil, auraient agi
dans le cadre de leur fonction de directeurs du Cycle
d'orientation. Seule la responsabilité de l'Etat serait en-
gagée, à l'exclusion de celle de Y.________ et X.________,
contre lesquels la recourante ne pourrait prendre des conclu-
sions civiles. Conformément à ce qu'exige d'elle la juris-
prudence (cf. ATF 119 Ia 13 consid. 2 p. 16; 107 Ib 264
consid. 3b p. 268), la recourante critique aussi cette solu-
tion, qu'elle tient pour arbitraire.

a) A teneur de l'art. 4 al. 1 de la loi valaisanne
du 10 mai 1978 sur la responsabilité des collectivités publi-
ques et de leurs agents (LRCPA), l'Etat et les collectivités
communales répondent du dommage causé illicitement à un
tiers
par un agent dans l'exercice de ses fonctions. L'agent n'est
pas tenu personnellement envers le lésé de réparer le
dommage
(art. 5 LRCPA).

b) Il est constant que Y.________ et X.________, en
tant que directeurs du Cycle d'orientation, sont des agents
au sens de l'art. 4 LRCPA. S'il va de soi qu'ils ont été
appelés à témoigner sur des faits liés à l'exercice de leur
fonction (soit l'utilisation du programme "GP-Untis" pour
les
besoins de l'organisation de l'établissement scolaire qu'ils
dirigent), on ne saurait en déduire, comme le fait le Tribu-
nal cantonal, qu'un faux témoignage entrerait dans le cadre
des fonctions de l'agent public, pour lequel l'Etat verrait

sa responsabilité engagée selon l'art. 5 LRCPA. Il est tout
aussi choquant d'admettre, avec le Tribunal cantonal, que
l'agent public devrait, en vertu de son devoir de fidélité,
commettre un faux témoignage pour réduire le dommage mis à
la
charge de l'Etat. Poussée dans ses dernières limites,
la so-
lution retenue par le Tribunal cantonal en l'espèce pourrait
signifier qu'un agent public qui refuserait de faire un faux
témoignage en faveur de l'Etat recherché en responsabilité
s'exposerait de ce fait à des sanctions disciplinaires, ce
qui est manifestement insoutenable. L'arrêt attaqué produit
en outre des effets qui vont au-delà de la question de la
qualité pour agir de la recourante. Il tend à exclure toute
possibilité pour un tiers, qu'il soit plaignant, lésé ou dé-
nonciateur, de faire engager des poursuites pénales à raison
d'un faux témoignage commis par un agent public, en relation
avec son activité professionnelle, au motif que seule la res-
ponsabilité de l'Etat serait engagée.

Sous cet aspect aussi, la solution retenue dans
l'arrêt attaqué est arbitraire.

4.- Le recours doit ainsi être admis et l'arrêt
attaqué annulé. Il est statué sans frais (art. 156 al. 1
OJ).
L'Etat du Valais versera à la recourante une indemnité de
2000 fr. à titre de dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Met à la charge de l'Etat du Valais, en faveur de
la recourante, une indemnité de 2000 fr. à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties,
au Juge d'instruction pénale et au Ministère public du
Valais
central, ainsi qu'au Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 30 octobre 2000
ZIR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.547/2000
Date de la décision : 30/10/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-30;1p.547.2000 ?
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