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25/10/2000 | SUISSE | N°4C.175/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 octobre 2000, 4C.175/2000


«AZA 1/2»

4C.175/2000

Ie C O U R C I V I L E
**************************

25 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. Centre médical du Valentin S.A.,
2. René Marendaz,
tous deux à Lausanne, défendeurs et recourants, représentés
par Me Nathalie Fluri, avocate à Lausanne,

et

1. Didier Kohli,
2. Jean-Jacques Schwab,

tous deux exécuteurs testamentaires de Charles Guyot, à Lau-
sanne, demandeurs et intimés, représentés par Me Olivier Bur-
net, avocat ...

«AZA 1/2»

4C.175/2000

Ie C O U R C I V I L E
**************************

25 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. Centre médical du Valentin S.A.,
2. René Marendaz,
tous deux à Lausanne, défendeurs et recourants, représentés
par Me Nathalie Fluri, avocate à Lausanne,

et

1. Didier Kohli,
2. Jean-Jacques Schwab,
tous deux exécuteurs testamentaires de Charles Guyot, à Lau-
sanne, demandeurs et intimés, représentés par Me Olivier Bur-
net, avocat à Lausanne;

(contrat de bail; devoir de diligence du locataire; art. 8
CC)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Le 30 août 1982, Charles Guyot a conclu un
contrat de bail portant sur des locaux, sis à Lausanne, à
usage d'"unité médicale" avec une société anonyme dénommée
L'Espace médical du Valentin (devenu depuis lors le Centre
médical du Valentin S.A.) et René Marendaz, solidairement
entre eux.

Les parties avaient conclu précédemment plusieurs
conventions répartissant l'aménagement des locaux entre
elles; l'une de ces conventions, datée du 11 novembre 1981,
mettait les sanitaires à la charge du locataire, avec une
participation de 9900 fr. du bailleur.

Le W.-C., qui se trouvait à côté du local de radio-
logie, comportait un robinet de rinçage qui devait être ou-
vert chaque jour un moment pour suppléer à une pente insuf-
fisante dans la tuyauterie et éviter que celle-ci ne se bou-
che.

b) La consommation annuelle d'eau froide de l'im-
meuble facturée au bailleur par les Services industriels de
la Ville de Lausanne a varié, si l'on arrondit les chiffres,
entre 11 000 m3 en 1988, 12 000 m3 entre 1989 et 1992,
15 000 m3 en 1993, 14 000 m3 en 1995, 9600 m3 en 1996 et
10 000 m3 en 1997. Cependant, en 1994, elle a atteint
29 959 m3 facturés 1 fr.50 le m3, plus la taxe d'épuration
des eaux usées, de 85 centimes le m3.

Après avoir reçu la facture relative à l'année
1994, la gérance du bailleur a chargé l'entreprise Alfred
Aubort S.A. de rechercher les causes de la surconsommation
d'eau et a demandé au concierge d'afficher une lettre invi-

tant les locataires de l'immeuble à contrôler si leurs W.-C.
coulaient. Pendant ces investigations, une secrétaire du
centre médical a téléphoné au concierge pour lui signaler
qu'elle n'arrivait pas à ouvrir le robinet de rinçage des
W.-C. à côté du local de radiologie. Le concierge a constaté
sur place que le robinet était en fait déjà ouvert.

c) Le 20 juin 1995, la gérance du bailleur a infor-
mé le centre médical que la facture des Services industriels
pour 1994 laissait apparaître une importante surconsommation
d'eau par rapport à 1993. Elle précisait que la cause de cet-
te surconsommation était, selon l'entrepreneur qu'elle avait
mandaté, un robinet de rinçage des conduites d'écoulement
des
W.-C. dans les locaux du centre qui était resté ouvert "cer-
tainement par inadvertance".

Par lettres des 14 février et 25 avril 1996, la gé-
rance et le bailleur ont déclaré aux locataires qu'ils enten-
daient mettre à leur charge le coût de la surconsommation et
qu'ils leur réclamaient à ce titre 41 000 fr. Un
commandement
de payer a été notifié aux preneurs, qui y ont fait opposi-
tion.

B.- a) Après échec de la procédure de conciliation,
le bailleur a ouvert action, le 14 novembre 1996, devant le
Tribunal des baux du canton de Vaud. Ses conclusions ten-
daient au paiement, par les locataires, solidairement entre
eux, de 41 000 fr. avec intérêts et à la mainlevée de l'op-
position à due concurrence.

En cours de procédure, une expertise judiciaire a
été confiée à Charles Weinmann, physicien SIA-ASIC. La mis-
sion confiée à l'expert était de déterminer les causes de la
surconsommation d'eau froide. Dans son rapport, déposé le 17
août 1997, l'expert a précisé notamment que cette surconsom-
mation de 15 000 m3 "correspond à une moyenne de 41 m3 par

jour, ce qui est considérable". Il a ajouté : "comme la sur-
consommation a disparu le jour où (le concierge) a découvert
le robinet et l'a fermé, il paraît hautement probable que ce
robinet de rinçage ait bien été la cause de la surconsomma-
tion. J'ai répété un essai de courte durée avec ouverture de
ce robinet et observation du compteur. Les effets de surcon-
sommation sont reproductibles et conduisent aux mêmes propor-
tions. En l'absence d'autres causes vraisemblables
possibles,
il faut admettre que ce robinet de vidange resté ouvert doit
bien en être la cause". L'expert a conclu que la cause de la
surconsommation ne pouvait être prouvée avec certitude, mais
que l'analyse entreprise démontrait avec une très forte pro-
babilité qu'il ne pouvait s'agir que du robinet de rinçage
du
Centre médical du Valentin.

Par jugement du 16 juin 1998, le Tribunal des baux
a fait droit aux conclusions du bailleur. Il a estimé que
l'instruction avait permis d'établir avec suffisamment de
vraisemblance que la surconsommation d'eau avait été provo-
quée par le robinet de rinçage laissé ouvert dans les locaux
du Centre médical. Ayant relevé que ce robinet avait au de-
meurant été installé par les défendeurs qui, avec leur per-
sonnel, en avaient seuls l'accès, il a jugé que les locatai-
res avaient fait preuve de négligence (art. 97 al. 1 CO) et
qu'ils devaient en conséquence réparation du dommage subi
par
le bailleur.

b) Saisie par les locataires, la Chambre des re-
cours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a confirmé le
jugement du Tribunal des baux par arrêt du 26 avril 2000.

La Chambre des recours a tout d'abord rejeté un
moyen des défendeurs fondé sur la violation de l'art. 8 CC.
Elle a jugé que, lorsque les premiers juges avaient considé-
ré, après analyse de l'expertise, inspection locale et audi-
tion de plusieurs témoins, que "l'instruction a permis

d'établir avec suffisamment de vraisemblance que la surcon-
sommation d'eau a été provoquée par le robinet de rinçage
laissé ouvert dans les locaux litigieux", il ne s'agissait
pas d'une simple vraisemblance, mais d'une vraisemblance
suffisante pour que le tribunal tienne le fait pour prouvé
en
se fondant sur l'expérience générale de la vie, vu la diffi-
culté de la preuve à apporter dans le cas particulier.

La Chambre a également écarté le grief de violation
de l'art. 257f CO formulé par les locataires. Elle a considé-
ré qu'en laissant le robinet de rinçage ouvert, les défen-
deurs avaient fait preuve de négligence et n'avaient pas res-
pecté les devoirs de diligence liés à l'usage de la chose.

C.- Les défendeurs recourent en réforme au Tribunal
fédéral. Leurs conclusions tendent principalement au rejet
de
la demande, subsidiairement à l'annulation de l'arrêt rendu
par la Chambre des recours et au renvoi de la cause à la
cour
cantonale pour complément d'instruction.

Le bailleur est décédé le 14 avril 2000. Ses deux
exécuteurs testamentaires, Didier Kohli et Jean-Jacques
Schwab, ont pris sa place dans la procédure (art. 518 CC;
ATF
116 II 131). Ces derniers ont déposé un mémoire de réponse
signé par l'avocat Olivier Burnet. Ils concluent au rejet du
recours, dans la mesure où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Les défendeurs s'estiment victimes d'une
violation de l'art. 8 CC. Ils reprochent au Tribunal des
baux
puis à la Chambre des recours de s'être contentés d'une preu-
ve par vraisemblance; l'échec de la preuve aurait dû être
mis
à la charge du bailleur.

Les défendeurs font en particulier grief aux juges
précédents d'avoir tenu pour établi que le robinet en cause
avait à une occasion été laissé ouvert, supputant implicite-
ment que cela l'avait été également sur la durée nécessaire
à
la surconsommation litigieuse de l'ordre de 300 jours. Les
juges se seraient fondés à tort sur cet élément de fait et
sur l'expérience générale de la vie pour affirmer que le ro-
binet ouvert était la cause de la consommation. Or, d'une
part, l'expérience générale de la vie ne saurait suppléer au
défaut de constatation technique et, d'autre part, l'experti-
se ne dirait pas que ledit robinet aurait effectivement été
laissé ouvert et, de surcroît, pour combien de temps; ainsi,
de pures supputations auraient servi de base à un raisonne-
ment erroné.

b) L'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve et
indique quelle est la partie qui doit assumer les conséquen-
ces de l'échec de la preuve (ATF 125 III 78 consid. 3b). Cet-
te disposition ne détermine pas quelles sont les mesures pro-
batoires que le juge doit ordonner, ni sur quelles bases il
peut former sa conviction (ATF 122 III 219; consid. 3c; 119
III 60 consid. 2c; 118 II 142 consid. 3a; 118 II 365 consid.
1). Lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge de
la
réalité ou de l'inexistence d'un fait, la question de l'ap-
plication de l'art. 8 CC ne se pose plus (ATF 119 II 114 con-
sid. 4c; 117 II 387 consid. 2e); seul le moyen tiré d'une ap-
préciation arbitraire des preuves, à invoquer impérativement
dans un recours de droit public, est alors recevable.

c) Dans le cas d'espèce, la cour cantonale a estimé
que les premiers juges n'avaient pas violé l'art. 8 CC et
qu'ils avaient tenus pour prouvé le fait que la surconsomma-
tion d'eau avait été provoquée par le robinet laissé ouvert,
constatation de fait qu'elle a fait sienne. En d'autres ter-
mes, elle a considéré comme constants le fait que le robinet
de rinçage avait été laissé ouvert et la relation de causali-

té naturelle entre cette circonstance et la surconsommation
d'eau. Ainsi, l'appréciation des preuves a convaincu les ju-
ges précédents de la réalité de ces deux faits, de telle sor-
te que l'art. 8 CC ne saurait être invoqué pour tenter de
faire corriger cette appréciation. Le grief des défendeurs
est privé de tout fondement.

On est donc en définitive en présence d'une ques-
tion typique d'appréciation des preuves et d'établissement
des faits qui ne peut être revue dans un recours en réforme
(ATF 126 III 189 consid. 2a et arrêts cités).

2.- a) Dans un second moyen, les recourants contes-
tent avoir violé leur devoir de diligence découlant de
l'art.
257f CO. Selon eux, on ne pourrait déduire de l'art. 257f CO
une obligation quelconque pour le locataire d'utiliser l'eau
avec parcimonie. De plus, l'art. 257a al. 2 CO ne
permettrait
de mettre à la charge des locataires des frais accessoires
que pour autant que cela ait été convenu spécialement.

b) L'obligation imposée au locataire d'user de la
chose avec le soin nécessaire (art. 257f CO) implique notam-
ment qu'il ne l'utilise pas contrairement à son affectation,
mais conformément à sa destination (Tercier, Les contrats
spéciaux, 2e éd., n. 1678 s.). L'utilisation d'une installa-
tion de manière inadéquate ne constitue pas un usage
soigneux
des locaux et viole l'art. 257f al. 1 CO (Lachat, Le bail à
loyer, chap. 2 n. 1.3.6, p. 51). Pour déterminer l'usage de
la chose, c'est tout d'abord le contrat qui fait foi et l'af-
fectation qui y figure ou découle des circonstances interpré-
tées selon le principe de la bonne foi. Le locataire doit se
comporter en bon père de famille, et éviter des dommages inu-
tiles (SVIT-Kommentar, 2e éd., n. 8, 10, 18, 19 ad art. 257f
CO; Higi, Commentaire zurichois, n. 9, 10, 14, 19 ad art.
257f CO).

Au vu de ce qui précède, on ne peut mettre en doute
que laisser couler inconsidérément l'eau d'un robinet de vi-
dange au point d'entraîner une surconsommation importante et
insolite ne constitue pas un usage de la chose conforme à sa
destination et à son affectation, selon les règles de la bon-
ne foi. La violation de l'art. 257f al. 1 CO est indiscuta-
ble.

Le preneur répond d'une telle violation même si
elle a été commise par négligence, comme en l'espèce. La
surconsommation fautive ayant causé un dommage au bailleur,
les locataires défendeurs doivent le réparer, conformément à
ce qu'ont ordonné les juges précédents. L'obligation de ver-
ser des dommages-intérêts existe, en dépit du fait qu'elle
ne
soit pas mentionnée à l'art. 257f CO (à la différence de
l'art. 261 al. 2 aCO), car elle résulte déjà des
dispositions
générales du CO (art. 97 ss) (SVIT-Kommentar, n. 3 ad art.
257f CO).

3.- Le recours est mal fondé dans la mesure où il
est recevable. Les défendeurs supporteront les frais de jus-
tice et verseront une indemnité de dépens aux demandeurs
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge des recourants, solidairement entre eux;

3. Dit que les recourants, débiteurs solidaires,
verseront aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité
de 3000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

_____________

Lausanne, le 25 octobre 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.175/2000
Date de la décision : 25/10/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-25;4c.175.2000 ?
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