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23/10/2000 | SUISSE | N°I.177/00

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 octobre 2000, I.177/00


«AZA 7»
I 177/00 Rl

IIIe Chambre

composée des Juges fédéraux Schön, Spira et Widmer; Addy,
Greffier

Arrêt du 23 octobre 2000

dans la cause

Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, La Chaux-de-Fonds, recourant,

contre

A.________, intimé, représenté par Maître Luc Jacopin,
avocat, avenue de la Gare 53, Neuchâtel,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- S.________ a travaillé dès 1980 en qualité

de
maçon. En 1995, puis dès le début de l'année 1998, il a
connu à plusieurs reprises de courtes périodes d'arrêt de
travail dues à d...

«AZA 7»
I 177/00 Rl

IIIe Chambre

composée des Juges fédéraux Schön, Spira et Widmer; Addy,
Greffier

Arrêt du 23 octobre 2000

dans la cause

Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, La Chaux-de-Fonds, recourant,

contre

A.________, intimé, représenté par Maître Luc Jacopin,
avocat, avenue de la Gare 53, Neuchâtel,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- S.________ a travaillé dès 1980 en qualité de
maçon. En 1995, puis dès le début de l'année 1998, il a
connu à plusieurs reprises de courtes périodes d'arrêt de
travail dues à des épisodes de lombalgies. Une hospitalisa-

tion intervenue en août 1998 a permis de déceler l'existen-
ce d'une hernie discale L4/L5. Le docteur X.________,
médecin traitant de S.________, a attesté une incapacité de
travail totale dès le 24 août 1998, pour une durée
indéterminée.
Le 15 septembre 1998, le prénommé a déposé une demande
de prestations de l'assurance-invalidité tendant à son
reclassement dans une nouvelle profession.
L'Office AI du canton de Neuchâtel (ci-après :
l'office) a confié une expertise au docteur L.________,
médecin-chef au Service de rhumatologie et de médecine
physique de l'Hôpital de Z.________. Dans un rapport du
1er avril 1999, ce médecin a posé le diagnostic de lom-
bosciatalgies droites dans le cadre d'une hernie discale,
d'une obésité modérée et d'un état dépressif léger. Il a
considéré que la capacité de travail de l'assuré comme
maçon était de 50 % au plus, mais qu'elle était en revanche
entière «dans toute profession sans port de charges dépas-
sant 10 à 15 kg ou positions statiques prolongées».
Par décision du 31 août 1999, l'office a rejeté la
demande de prestations dont il était saisi, d'une part au
motif que des mesures d'ordre professionnel n'entraient pas
en ligne de compte car l'assuré se considérait comme inapte
au travail et, d'autre part, parce que l'atteinte à la
santé n'entraînait pas une perte de gain suffisante pour
ouvrir droit à une rente d'invalidité.

B.- S.________ a recouru contre cette décision. A
titre principal, il a conclu à l'allocation d'une rente
entière d'invalidité et, subsidiairement, à l'octroi d'une
demi-rente d'invalidité complétée par «des mesures de ré-
adaptation à définir».
Par jugement du 9 février 2000, le Tribunal adminis-
tratif de la République et canton de Neuchâtel a admis le
recours et renvoyé la cause à l'office pour instruction

complémentaire et nouvelle décision. En bref, la Cour can-
tonale a considéré que l'office n'avait pas examiné avec
suffisamment de soin quelles étaient les activités encore à
la portée de l'assuré en dépit de son handicap ni déterminé
le revenu qu'il pourrait en tirer.

C.- L'office interjette recours de droit administratif
contre ce jugement dont il requiert l'annulation, en con-
cluant à la confirmation de sa décision du 31 août 1999.
Pour l'essentiel, il expose qu'il s'est conformé à la
jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances en
retenant que l'assuré pouvait encore réaliser un revenu
d'invalide de 4294 fr., montant qui correspond, selon les
statistiques, au salaire moyen de l'année 1996 des hommes
effectuant des activités simples et répétitives dans le
secteur privé. L'office ajoute que, dans la mesure où
l'assuré «est à même de travailler sans limitation dans une
activité sans port de charges dépassant 15 kg et excluant
les positions statiques prolongées (...), il existe une
grande constellation d'emplois de ce genre, au point qu'il
n'incombe pas à l'assurance-invalidité mais bien aux or-
ganes de l'assurance-chômage de procurer pareils emplois».
Au terme d'une prise de position circonstanciée, le
Tribunal administratif considère qu'une précision de ju-
risprudence est nécessaire sur la manière d'utiliser les
données statistiques quand elles servent à déterminer le
revenu d'invalide d'une personne assurée. Selon la Cour
cantonale, ce n'est en effet pas le salaire statistique
moyen du secteur privé, toutes branches économiques confon-
dues, qui doit être pris en considération comme salaire
d'invalide, mais plutôt le salaire statistique moyen du
domaine d'activité pour lequel l'assuré présente encore,
après examen de ses aptitudes concrètes, une capacité de
travail résiduelle.

S.________ conclut au rejet du recours, tandis que
l'Office fédéral des assurances sociales en propose
l'admission.

Considérant en droit :

1.- L'objet de la contestation porte sur le droit de
l'intimé à des prestations de l'assurance-invalidité, sin-
gulièrement une rente.

2.- Selon l'art. 28 al. 2 LAI, la réadaptation a la
priorité sur la rente dont l'octroi n'entre en ligne de
compte que si une réadaptation suffisante est impossible.
Saisie d'une demande de rente ou appelée à se prononcer à
l'occasion d'une révision de celle-ci, l'administration
doit donc élucider d'office, avant toute chose, la question
de la réintégration de l'assuré dans le circuit économique
(ATF 108 V 212 s., 99 V 48).
En l'espèce, l'office recourant a renoncé à mettre en
oeuvre des mesures d'ordre professionnel, en particulier
une aide au placement, au motif qu'une telle mesure appa-
raissait d'emblée inutile, vu la nature et l'importance des
plaintes émises par l'assuré et ses connaissances rudi-
mentaires du français. On ne voit pas de motif de s'écarter
de ce point de vue, qui n'a du reste à aucun moment été
sérieusement démenti par l'intimé. A cela s'ajoute que la
capacité de travail de celui-ci est entière dans une acti-
vité adaptée, d'après les conclusions convaincantes du
docteur L.________, dont le rapport d'expertise, fondé sur
deux consultations médicales et des examens complets, a
pleine valeur probante pour trancher le litige (cf. ATF
125 V 353 consid. 3b/cc et les références). Or, une telle
capacité de travail résiduelle laisse supposer, en l'ab-
sence d'indices contraires, que l'assuré est à même de

trouver par ses propres moyens - ou le cas échéant avec
l'aide des organes de l'assurance-chômage - un emploi
adapté à son état de santé (VSI 2000 consid. 2 p. 70 sv.).
Il ne reste par conséquent à examiner que l'éventua-
lité du droit de l'intimé à une rente d'invalidité.

3.- Le jugement entrepris expose correctement les dis-
positions légales qui fixent les conditions et l'étendue du
droit à la rente (art. 28 al. 1 et 2 en relation avec
l'art. 4 al. 1 LAI), de sorte qu'il suffit d'y renvoyer.

a) Les premiers juges ont retenu que, sans invalidité,
l'assuré aurait été en mesure de gagner un revenu de
4217 fr. par mois en 1999 (ce qui donne, sur 13 mois, un
revenu sans invalidité de 54 821 fr. par année). Ce chiffre
n'est pas critiquable. Il correspond en effet au salaire
mensuel effectivement réalisé en 1998 par l'intimé juste
avant le début de son incapacité de travail, majoré de
30 fr. pour tenir compte d'une augmentation accordée en
1999 par convention collective aux «ouvriers B» du secteur
de la construction (c'est-à-dire aux ouvriers qui, à
l'instar de l'intimé, ne disposent d'aucun certificat de
capacité reconnu, mais sont en revanche au bénéfice de
connaissances professionnelles).

b) aa) Quant au revenu d'invalide, les premiers juges
ont considéré que le montant retenu à ce titre par l'office
recourant, soit le salaire mensuel brut (valeur centrale)
que pouvaient prétendre en 1996, selon les données statis-
tiques, les hommes effectuant des activités simples et
répétitives dans le secteur privé, à savoir 4294 fr. par
mois (Enquête suisse sur la structure des salaires, 1996,
tabelle 1), ne prend pas suffisamment en compte la situa-
tion effective de l'intimé. A cet égard, ils relèvent que
les importants écarts de salaire entre les différentes

branches économiques qui servent de référence pour calculer
le salaire brut précité «justifient pour le moins que
l'administration détermine avec soin les possibilités de
travail concrètes qui entrent en considération pour chaque
assuré».

bb) Il est exact que le recours à des données statis-
tiques pour établir le revenu d'invalide d'un assuré ne
dispense pas les organes de l'AI de procéder à un examen
concret des activités adaptées qui demeurent à la portée de
celui-ci. L'administration doit au contraire s'efforcer de
tenir compte des difficultés objectives que peut présenter
la réadaptation professionnelle de l'assuré selon les
circonstances. A cet égard, elle faillirait à sa tâche si
elle déterminait le revenu raisonnablement exigible en se
fondant sur des possibilités d'emploi irréalistes, ou en se
bornant à prendre en considération un genre d'activité
quasiment inconnue du marché du travail (Plädoyer 1998/2
p. 63, consid. 1 let. d et e). Par ailleurs, l'administra-
tion doit également tenir compte du fait que la rémunéra-
tion dont l'assuré pourrait bénéficier dans les activités
lucratives pouvant encore être exigées de lui sera, en
principe, inférieure aux salaires qui sont usuellement
servis dans les secteurs économiques où il pourrait être
occupé. Aussi bien pourrait-il se justifier, si le revenu
d'invalide devait être déterminé uniquement sur la base de
données statistiques, de s'écarter du salaire brut standard
pour la catégorie d'emplois en cause (ATF 124 V 323 con-
sid. 3b/bb; Plädoyer eod. loc.).
Dans un arrêt récent, la Cour de céans a rappelé que
les abattements destinés à prendre en considération les
empêchements propres à la personne de l'invalide ne doivent
pas être effectués de manière schématique, mais tenir
compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier,
et cela dans le but de déterminer, à partir des données

statistiques, un revenu d'invalide qui représente au mieux
la mise en valeur économique exigible des activités com-
patibles avec la capacité de travail résiduelle de l'in-
téressé.
Une déduction ne doit par ailleurs pas être opérée
automatiquement, mais seulement lorsqu'il existe des in-
dices qu'en raison d'un ou de plusieurs facteurs, l'assuré
ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail
sur le marché du travail qu'avec un résultat économique
inférieur à la moyenne. En outre, il n'y a pas lieu de
procéder à des déductions distinctes pour chacun des fac-
teurs entrant en considération comme les limitations liées
au handicap, l'âge, les années de service, la nationalité
ou la catégorie de permis de séjour, ou encore le taux
d'occupation. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation
globale, dans les limites du pouvoir d'appréciation, des
effets de ces facteurs sur le revenu d'invalide, compte
tenu de l'ensemble des circonstances du cas concret. Enfin,
on ne peut procéder à une déduction globale supérieure à
25 %.
L'administration doit motiver brièvement la déduction
opérée. Quant au juge, il ne peut, sans motif pertinent,
substituer son appréciation à celle de l'administration
(ATF 126 V 78 ss consid. 5).

cc) En l'espèce, l'office recourant a déterminé le
revenu d'invalide en reprenant tel quel, sans procéder à
aucune réduction, le salaire brut (valeur centrale) que
réalisaient les hommes effectuant des activités simples et
répétitives dans le secteur privé en 1996 (soit 4294 fr.).
Eu égard aux circonstances de l'espèce, singulièrement les
atteintes à la santé dont souffre l'intimé qui ne peut plus
effectuer de travaux lourds et qui doit éviter les posi-
tions statiques prolongées, l'office aurait dû s'écarter de
ce salaire statistique pour déterminer le revenu d'invalide

de l'intimé. Cette erreur ne prête toutefois pas à consé-
quence. En effet, indépendamment de l'augmentation des sa-
laires nominaux intervenue entre 1996 et 1999 (cf. Annuaire
statistique de la Suisse 1999 p. 123 et 2000 p. 122), un
salaire mensuel hypothétique de 4294 fr. comme l'a retenu
l'office représente, compte tenu du fait que les salaires
bruts standardisés se basent sur un horaire de travail de
40 heures, soit une durée hebdomadaire inférieure à la
moyenne usuelle dans les entreprises (41,9 heures en 1997;
La Vie économique 2000/2, annexe p. 27, Tabelle B9.2), un
revenu d'invalide de 53 976 fr. par année (4294 fr. x 12
x 41,9 : 40). Or, même si l'on procède à un abattement de
25 % (soit le maximum admis par la jurisprudence), il en
résulte encore un revenu d'invalide de 40 482 fr.
(53 976 fr. x 75 %) dont la comparaison avec un revenu
réalisable sans invalidité de 54 821 fr. (cf. supra con-
sid. 3a) conduit à un degré d'invalidité de 26 %, ce qui
est insuffisant pour ouvrir droit à une rente (art. 28
al. 1 LAI).
Que le revenu d'invalide ainsi déterminé repose sur le
salaire mensuel brut (valeur centrale) pour des activités
simples et répétitives du secteur privé, toutes branches
économiques confondues, ne permet pas de conclure, con-
trairement à l'opinion des premiers juges, que la situation
effective de l'intimé n'a pas été convenablement élucidée.
Certes aurait-il été préférable, afin de coller au plus
près de la réalité, de déterminer d'abord avec précision
quelles activités l'intimé était encore en mesure d'exercer
malgré son handicap (en les spécifiant clairement), puis
d'évaluer le revenu d'invalide sur la base du salaire
statistique servi dans la ou les branches économiques
correspondantes. Toutefois, dans la mesure où le montant de
4294 fr. retenu comme revenu d'invalide représente le sa-
laire mensuel brut (valeur centrale) pour des postes de
travail qui ne requièrent pas de qualifications profession-

nelles particulières, force est d'admettre que la plupart
de ces emplois sont, abstraction faite des limitations
physiques éprouvées par l'intimé, conformes aux aptitudes
de celui-ci. Par ailleurs, au regard du large éventail
d'activités simples et répétitives que recouvrent
les
secteurs de la production et des services, on doit égale-
ment convenir qu'un nombre significatif de ces activités
sont légères et permettent l'alternance des positions et
sont donc adaptées au handicap de l'intimé. Le salaire
statistique qui a été pris en considération, après déduc-
tion de 25 %, est donc représentatif de ce que pourrait
gagner l'intimé en mettant à profit sa pleine capacité de
travail dans une activité adaptée.
Au demeurant, à l'exception de l'hôtellerie et de la
restauration, dans toutes les autres branches des secteurs
de la production et des services, les activités simples et
répétitives permettaient d'obtenir en 1996, selon les
statistiques (pour 1998, les chiffres ne sont pas encore
disponibles), un salaire mensuel brut (valeur centrale)
d'un montant qui, même après un abattement de 25 %, était
encore trop élevé pour justifier l'octroi d'une rente
d'invalidité à l'intimé.

c) Il suit de ce qui précède que l'intimé ne peut
prétendre, vu sa capacité de gain résiduelle, une rente
d'invalidité. Le recours est bien fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis et le jugement du 9 février 2000
du Tribunal administratif de la République et canton
de Neuchâtel est annulé.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif de la République et canton de
Neuchâtel et à l'Office fédéral des assurances so-
ciales.

Lucerne, le 23 octobre 2000

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.177/00
Date de la décision : 23/10/2000
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-23;i.177.00 ?
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