La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/10/2000 | SUISSE | N°1C.5/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 octobre 2000, 1C.5/1999


«»

1C.5/1999

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

23 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Nay, Juge présidant,
Féraud et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Dans la cause qui oppose

B.________, représenté par Me Marc-Henri Gard, avocat à
Sierre,
demandeur,

à

l'Etat du V a l a i s , représenté par son Conseil d'Etat
et
au nom de qui agit Me Christian Favre, avocat à Sion,
défendeur;

(resp

onsabilité de l'Etat pour détention illégale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- B.___...

«»

1C.5/1999

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

23 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Nay, Juge présidant,
Féraud et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Dans la cause qui oppose

B.________, représenté par Me Marc-Henri Gard, avocat à
Sierre,
demandeur,

à

l'Etat du V a l a i s , représenté par son Conseil d'Etat
et
au nom de qui agit Me Christian Favre, avocat à Sion,
défendeur;

(responsabilité de l'Etat pour détention illégale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- B.________ a été arrêté le 9 mars 1999, en vertu
d'un mandat d'arrêt décerné contre lui le 26 février 1999
par
le Juge d'instruction pénale du Valais central (ci-après: le
Juge d'instruction), et placé en détention préventive dès le
10 mars 1999 sous les inculpations de faux dans les titres,
d'obtention frauduleuse de constatations fausses et d'infrac-
tions fiscales. Il est soupçonné d'avoir touché des dessous-
de-table non déclarés au fisc à l'occasion de plusieurs ven-
tes immobilières convenues à des prix supérieurs à ceux indi-
qués dans les actes notariés.

Le 15 avril 1999, B.________ a requis sa mise en li-
berté immédiate. Le 28 avril 1999, le Juge d'instruction a
rejeté cette requête et maintenu le prévenu en détention pré-
ventive en raison d'un risque de collusion.

Statuant le 26 mai 1999 sur une plainte du prévenu,
la Chambre pénale du Tribunal cantonal valaisan a confirmé
cette décision. Elle a constaté que le Juge d'instruction
avait omis de prolonger la détention préventive dans le
délai
de trente jours suivant sa décision initiale, imparti par
l'art. 75 ch. 2 du Code de procédure pénale du canton du
Valais (CPP val.); elle a toutefois précisé que B.________
ne
pouvait se prévaloir que d'une illégalité temporaire car le
Juge d'instruction était libre de prolonger la détention pré-
ventive ultérieurement ou de l'ordonner à nouveau si les
conditions posées à la prise d'une telle mesure étaient réu-
nies, ce qui était le cas en l'espèce. Elle a au surplus
considéré que le maintien de la détention préventive se jus-
tifiait par un risque concret de collusion et n'était pas
disproportionné.

Le 2 juin 1999, B.________ a interjeté un recours de
droit public contre cette décision auprès du Tribunal
fédéral
en invoquant une violation de l'art. 75 ch. 2 CPP val. ainsi
que des principes de la célérité et de la proportionnalité
consacrés aux art. 5 § 3 CEDH et 4 aCst. Le prévenu ayant
été
relaxé le 24 juin 1999, le Tribunal fédéral a, par décision
du 9 juillet 1999, constaté que le recours était devenu sans
objet et a rayé la cause du rôle. Il a toutefois renoncé à
percevoir un émolument judiciaire et a condamné le canton du
Valais à verser une indemnité de 1'000 fr. au recourant à
titre de dépens, au motif que le recours présentait
certaines
chances de succès quant au grief tiré de l'art. 75 ch. 2 CPP
val.

B.- Par demande adressée le 10 décembre 1999 au Tri-
bunal fédéral, B.________ a ouvert action contre l'Etat du
Valais en paiement d'une somme de 40'000 fr. pour le tort
moral lié à la détention illégale qu'il aurait subie entre
le
10 avril 1999, date à laquelle le Juge d'instruction aurait
au plus tard dû statuer sur la prolongation de la détention
préventive en vertu de l'art. 75 ch. 2 CPP val., et le 24
juin 1999, date à laquelle il a été relaxé.

Dans sa réponse, l'Etat du Valais conclut au rejet
de la demande.

Par ordonnance du 28 février 2000, le Président de
la Ie Cour de droit public a admis la demande de sûretés en
garantie des dépens présentée par le défendeur et a invité
le
demandeur à verser la somme de 8'000 fr. à la Caisse du Tri-
bunal fédéral. B.________ s'est exécuté dans le délai qui
lui
avait été imparti.

Une audience préparatoire a eu lieu le 8 juin 2000;
tentée à cette occasion, la conciliation a échoué. Le deman-
deur a produit un rapport médical établi le 5 juillet 2000

par le Docteur L.________, à Crans-sur-Sierre, concernant
son
état de santé à sa sortie de prison. Selon ce rapport,
B.________ souffrait d'un état anxieux réactionnel à son
emprisonnement prolongé qui se manifestait par des bouffées
d'angoisse, des troubles du sommeil, une fatigabilité
accrue,
des troubles digestifs fonctionnels et une tendance à une
consommation d'alcool exagérée, ayant nécessité la mise en
place d'un traitement anxiolytique et antidépresseur ainsi
qu'une psychothérapie de soutien jusqu'au début juin 2000.

La procédure probatoire a été close le 15 août 2000.

Les parties ont déposé un mémoire conclusif en lieu
et place des débats principaux.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Dirigée contre un canton à raison d'une déten-
tion injustifiée, l'action répond aux conditions de l'art.
42
al. 1 OJ quant à la nature de la cause et à la valeur liti-
gieuse (ATF 121 III 204 consid. 1a p. 206; 118 II 206
consid.
2c p. 209; 112 Ib 446, 459, 460; 107 Ib 155 consid. 1 p.
157;
SJ 1981 p. 225 consid. 1a p. 227/228). Le défendeur n'en met
d'ailleurs pas en doute la recevabilité, de sorte qu'il y a
lieu d'entrer en matière.

2.- Le demandeur réclame à l'Etat du Valais une som-
me de 40'000 fr. en réparation du tort moral subi à la suite
de la détention illégale dont il aurait fait l'objet à
partir
du 10 avril 1999, date à laquelle le Juge d'instruction au-
rait au plus tard dû statuer sur la prolongation de la déten-
tion préventive en application de l'art. 75 ch. 2 CPP val.,
jusqu'à sa libération provisoire le 24 juin 1999.

a) Selon l'art. 4 al. 3 de la Constitution du canton
du Valais du 8 mars 1907 (Cst. val.), l'Etat est tenu d'in-
demniser équitablement toute personne victime d'une erreur
judiciaire ou d'une arrestation illégale. Par ce dernier ter-
me, il faut entendre d'une manière générale la détention pré-
ventive injustifiée, par exemple parce qu'il n'y a pas de mo-
tif d'arrestation ni de détention. Il se peut également que
la détention soit ordonnée et maintenue de façon justifiée,
parce que l'existence d'un motif de détention pouvait être
retenue, mais qu'elle se révèle injustifiée après coup. Il
se
peut enfin qu'une détention soit justifiée en elle-même,
mais
que la décision qui la prescrit ou la maintient n'a pas été
rendue selon les formes prévues par la loi; une telle déten-
tion doit aussi être considérée comme formellement illégale
(ATF 113 Ia 177 consid. 2a p. 180; arrêt du 14 mai 1969 paru
à la RVJ 1969 p. 348 consid. 3b p. 353).

b) L'arrestation et l'incarcération d'un prévenu
sont régies dans le canton du Valais aux art. 65 ss CPP val.
A teneur de l'art. 65 CPP val., le prévenu ne peut être arrê-
té que s'il existe contre lui des indices sérieux de culpabi-
lité et si, de plus, il présente un risque de fuite, de col-
lusion ou de récidive. L'art. 75 ch. 1 CPP val. dispose que
le prévenu arrêté doit être mis en liberté dès que le main-
tien de la détention n'est plus nécessaire pour
l'instruction
ou justifié par les circonstances. L'art. 75 ch. 2 CPP val.
précise que si la détention a été décidée pour empêcher le
prévenu d'entraver l'instruction, elle ne doit pas, en règle
générale, dépasser trente jours. Si le Juge d'instruction
estime nécessaire de la prolonger, il doit en donner une dé-
cision motivée au prévenu et à son défenseur.

Selon la jurisprudence, une disposition cantonale
telle que l'art. 75 ch. 2 CPP val. exige que le magistrat
compétent, au plus tard le dernier jour du délai, prenne la
décision de prolonger la détention ou ordonne
l'élargissement

du prévenu. S'il omet l'une et l'autre de ces mesures, l'in-
carcération devient illégale. Une décision prise après l'ex-
piration du délai est tardive; elle n'a pas pour effet de
prolonger rétroactivement le titre juridique de la
détention,
devenu caduc, et ne répare pas l'illégalité de cette mesure.
La détention ne peut reprendre un cours conforme au droit
que
si les conditions et les formalités d'une nouvelle arresta-
tion sont satisfaites (cf. ATF 109 Ia 320 consid. 3e p. 324;
arrêt non publié du 17 septembre 1998 dans la cause M.
contre
Procureur du district de Zurich, consid. 3c).

c) En l'occurrence, il est établi que le Juge d'ins-
truction n'a pris aucune décision de prolongation de la dé-
tention à l'échéance du délai de trente jours imparti par
l'art. 75 ch. 2 CPP val. et que la détention subie par
B.________ à partir du 10 avril 1999 était ainsi irrégulière
au regard du droit de procédure cantonale (cf. ATF 109 Ia
320
consid. 3b p. 322/323; voir aussi arrêt de la CourEDH du 27
novembre 1997 dans la cause K.-F. contre Allemagne, Recueil
1997 p. 2657, §§ 69-73). Cet état de fait illicite a perduré
jusqu'au 28 avril 1999, date à laquelle le Juge
d'instruction
a rejeté la demande de mise en liberté présentée par le pré-
venu et maintenu celui-ci en détention préventive, dans la
mesure où cette décision peut être assimilée à un nouveau
mandat d'arrêt (cf. ATF 109 Ia 320 consid. 3e p. 324). Le
Juge d'instruction n'a certes pas interrogé le demandeur
dans
le délai imparti à l'art. 71 ch. 2 CPP val. Cette formalité
n'était toutefois pas nécessaire s'agissant d'une
arrestation
fondée sur les mêmes motifs que la décision d'arrestation
initiale, le Juge d'instruction pouvant se limiter à communi-
quer au prévenu la décision portant maintien de la détention
(art. 75 ch. 2 al. 2 CPP val.). On ne saurait par ailleurs
inférer de la décision prise le 9 juillet 1999 par le Tribu-
nal fédéral que l'arrêt rendu le 26 mai 1999 par la Chambre
pénale du Tribunal cantonal valaisan aurait été arbitraire
quant au fond, soit en l'absence du vice de forme constaté.

Au contraire, comme le Tribunal fédéral l'a admis dans le
cadre d'un arrêt rendu le 18 mai 1999 sur un recours formé
par l'un des coaccusés du demandeur contre le refus de sa
mise en liberté provisoire, le Juge d'instruction avait des
raisons plausibles de soupçonner B.________ d'avoir commis
les infractions qui lui étaient reprochées et pouvait tenir
à
juste titre pour établie l'existence d'un risque concret de
collusion, propre à justifier le maintien de la détention
préventive, tenant au fait que le prévenu et ses partenaires
avaient fait des déclarations divergentes quant à leurs
rôles
respectifs dans la perception des dessous-de-table et, par-
tant, à la nécessité de rechercher et d'entendre les ache-
teurs des immeubles incriminés sans que les prévenus
puissent
prendre contact avec eux avant leur audition (cf. ATF 123 I
31 consid. 3c p. 35/36 et les arrêts cités).

En définitive, le demandeur a été détenu illégale-
ment du 10 au 28 avril 1999. Il reste ainsi à examiner si et
dans quelle mesure il doit être indemnisé de ce chef.

3.- a) Bien que l'art. 4 al. 3 Cst. val. impose
d'une façon générale à l'Etat d'indemniser toute personne
victime d'une arrestation illégale, on ne peut l'interpréter
dans le sens qu'une telle personne aurait nécessairement
droit à une indemnité. Cette disposition prévoit elle-même
que la loi règle l'application du principe. Accorder dans
tous les cas une indemnité à celui qui a été détenu illéga-
lement pourrait conduire à des résultats injustes que le
constituant n'a pas pu vouloir. Les conditions de l'indem-
nisation n'étant fixées ni par la constitution, ni par la
loi, que ce soit aux art. 114 ou 141 CPP val., relatifs aux
détentions qui se révèlent injustifiées à la suite d'un non-
lieu ou d'un acquittement, ou dans la loi valaisanne du 10
mai 1978 sur la responsabilité des collectivités publiques
et
de leurs agents, auquel renvoie l'art. 114 ch. 6 CPP val. et
sur laquelle le demandeur fonde son action, il faut les
tirer

des principes généraux du droit (cf. arrêts du 14 mai 1969
parus à la RVJ 1969 p. 348 consid. 3c p. 354 et à la RVJ
1969
p. 358 consid. 4 p. 360/361; voir également le jugement
rendu
le 20 mai 1980 par le Tribunal cantonal valaisan dans la
cause C., publié à la RVJ 1981 p. 262).

Selon la jurisprudence, l'obligation d'indemniser
est subordonnée à une certaine gravité objective des opéra-
tions de l'instruction et à l'existence d'un préjudice impor-
tant en relation de causalité avec ces dernières; il appar-
tient au requérant d'apporter la preuve de son dommage et
d'en établir le montant (ATF 118 IV 420 consid. 2b p. 423;
117 IV 209 consid. 4b p. 218; 108 IV 202 consid. 2b in fine
p. 203; 107 IV 155 consid. 5 p. 157; 84 IV 44 consid. 2c et
d
p. 47). Si la décision d'arrestation ou de prolongation de
la
détention est simplement viciée quant à la forme,
l'intéressé
ne peut faire valoir un droit à indemnité que si le vice de
forme lui a causé un dommage. La responsabilité de l'Etat re-
pose en effet sur la causalité; elle ne naît que si l'activi-
té ou l'inactivité des organes de l'Etat est la cause adéqua-
te du dommage. Si l'on voulait reconnaître un droit à l'in-
demnité sur la base d'un simple vice de forme et sans tenir
compte de la relation de cause à effet, on aboutirait là
aussi à des résultats inadmissibles: on devrait par exemple
indemniser un détenu simplement parce que l'ordre d'écrou
aurait été donné verbalement au lieu de l'être par écrit,
comme le prescrit la loi, alors même que la détention pré-
ventive aurait été rendue nécessaire par de fausses déclara-
tions du prévenu (cf. RVJ 1969 p. 348 consid. 3d p. 354).
L'art. 5 § 5 CEDH n'interdit d'ailleurs pas de subordonner
l'octroi d'une indemnité à l'établissement, par l'intéressé,
d'un dommage résultant du manquement invoqué (arrêt de la
CourEDH du 27
septembre 1990 dans la cause Wassink c. Pays-
Bas, Série A 185A, § 38).

b) Il ressort des différents certificats médicaux
versés au dossier que B.________ a souffert d'un état
anxieux
réactionnel à son emprisonnement prolongé, qui se
manifestait
par des bouffées d'angoisse, des troubles du sommeil, une
fatigabilité accrue, des troubles digestifs fonctionnels et
une tendance à une consommation d'alcool exagérée, et qui a
nécessité la mise en place d'un traitement anxiolytique et
antidépresseur ainsi qu'un accompagnement
psychothérapeutique
jusqu'au début du mois de juin 2000. S'il est incontestable
que la détention est la cause des troubles constatés chez le
demandeur, on ne saurait toutefois dire que cet état est dû
aux dix-huit jours de détention formellement illégale. Une
telle conclusion n'a pas de fondement et ne saurait être ti-
rée des rapports médicaux figurant au dossier. On se trouve
ainsi dans un cas analogue à celui décrit dans l'arrêt paru
à
la RVJ 1969 p. 354, où le Juge d'instruction a commis un
vice
de forme, sans influence cependant sur la durée de la déten-
tion, et où l'arrestation et le maintien de la détention
étaient justifiés par les circonstances. Enfin, la constata-
tion de la violation dénoncée (consid. 2 ci-dessus), quant à
la détention du 10 au 28 avril 1999, est une compensation
suffisante du dommage moral allégué.

4.- La demande doit par conséquent être rejetée aux
frais du demandeur qui succombe (art. 156 al. 1 OJ); ce der-
nier versera en outre une indemnité de dépens au défendeur
(art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette la demande.

2. Met à la charge du demandeur un émolument judi-
ciaire de 5'000 fr.

3. Dit que le demandeur versera à l'Etat du Valais
une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties.

Lausanne, le 23 octobre 2000
PMN/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Juge présidant,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1C.5/1999
Date de la décision : 23/10/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-23;1c.5.1999 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award