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11/10/2000 | SUISSE | N°1P.561/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 octobre 2000, 1P.561/2000


«AZA 3»

1P.561/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

11 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay, Aeschlimann, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

le Canton de Genève, représenté son Conseil d'Etat,

contre

l'arrêt rendu le 24 juillet 2000 par la Cour de justice
du canton de Genève dans la cause l'opposant à Serguei

Michailov, à Moscou, représenté par Me Salomé Paravicini,
avocate à Genève;

(art. 88 OJ; qualité pour agir du canto...

«AZA 3»

1P.561/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

11 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay, Aeschlimann, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

le Canton de Genève, représenté son Conseil d'Etat,

contre

l'arrêt rendu le 24 juillet 2000 par la Cour de justice
du canton de Genève dans la cause l'opposant à Serguei
Michailov, à Moscou, représenté par Me Salomé Paravicini,
avocate à Genève;

(art. 88 OJ; qualité pour agir du canton)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par arrêt du 11 décembre 1998, la Cour correc-
tionnelle du canton de Genève a acquitté Sergei Michailov
des
accusations de participation à une organisation criminelle
et
de faux dans les titres (art. 260ter et 251 CP). Elle l'a re-
connu coupable d'infractions à l'art. 28 al. 1 LAIE, mais
l'a
dispensé de toute peine de ce chef.

B.- Le 2 décembre 1999, Michailov a présenté à la
Cour de justice du canton de Genève une demande d'indemnisa-
tion fondée sur l'art. 379 CPP gen. Cette disposition
prévoit
notamment que l'accusé qui a bénéficié d'un acquittement
peut
demander une indemnité dont le montant ne dépasse pas, sauf
exceptions, 10'000 fr. Michailov a conclu à l'octroi d'une
indemnité de 800'000 fr., tout en estimant le dommage subi à
1'662'461 fr.

Le 24 juillet 2000, la Cour de justice a condamné
l'Etat de Genève à payer à Michailov une indemnité de
800'000 fr., à titre de réparation selon l'art. 379 CPP
gen.,
ainsi qu'une indemnité de 10'000 fr. à titre de dépens.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
le canton de Genève demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt du 24 juillet 2000. Il invoque les art. 9 et 29 al.
2
Cst. en exposant que la Cour de justice aurait commis un
déni
de justice formel en ne motivant pas de manière suffisante
son arrêt; la solution de celui-ci serait en outre arbitrai-
re.

Il n'a pas été demandé de réponse au recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une
pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 126 I 81 consid. 1 p. 83; 126 III p. 274 consid.
1 p. 275, et les arrêts cités).

2.- Le recourant invoque l'art. 9 Cst. prohibant
l'arbitraire et l'art. 29 al. 2 Cst. garantissant le droit
d'être entendu dans la procédure judiciaire ou administra-
tive. Seul entre en ligne de compte le recours de droit pu-
blic pour la violation des droits constitutionnels des ci-
toyens (art. 84 al. 1 let. a OJ).

a) L'Etat n'est en principe pas recevable à agir par
cette voie puisqu'il n'est pas - par définition - titulaire
des droits constitutionnels qui s'exercent contre lui (ATF
125 I 173 consid. 1b p. 175; 123 I 41 consid. 5c/ee p.
44/45;
121 I 218 consid. 2a p. 219; 120 Ia 95 consid. 1a p. 96/97;
119 Ia 214 consid. 1a p. 216; 112 Ia 356 consid. 5a p. 363,
et les arrêts cités).

Cette règle connaît trois exceptions, qu'il convient
d'examiner successivement.

b) Une collectivité publique peut, par la voie du
recours de droit public, défendre l'autonomie que lui garan-
tit le droit public cantonal (ATF 125 I 173 consid. 1b p.
175; 121 I 218 consid. 2a p. 220; 120 Ia 95 consid. 1a p.
97,
et les arrêts cités). Ce cas de figure ne concerne pas le re-
courant.

c) La collectivité publique peut agir par la voie du
recours de droit public lorsqu'elle n'intervient pas en tant
que détentrice de la puissance publique, mais agit sur le

plan du droit privé ou lorsqu'elle est atteinte de façon
identique ou analogue à un particulier, notamment en sa qua-
lité de propriétaire de biens du patrimoine financier ou ad-
ministratif, ou encore lorsqu'elle est débitrice de taxes ou
d'impôts (ATF 123 III 454 consid. 2 p. 456; 121 I 218
consid.
2a p. 220; 120 Ia 95 consid. 1a p. 97, et les arrêts cités).
Est déterminante la nature juridique du rapport formant le
litige et non la qualité des parties (ATF 123 III 454
consid.
2 p. 456; 120 Ia 95 consid. 1a p. 97, et les références ci-
tées).

Le recourant prétend être touché par l'arrêt attaqué
comme une personne privée: la procédure d'indemnisation pré-
vue par l'art. 379 CPP gen. placerait les parties à cette
procédure dans un rapport d'égal à égal, l'Etat étant appelé
à répondre, à l'instar de tout particulier, du dommage causé
par un acte qu'il a commis à un titre quelconque. Admettre
ce
point de vue reviendrait, comme le recourant l'indique lui-
même, à reconnaître à l'Etat la qualité pour agir au sens de
l'art. 88 OJ dans tous les litiges où il est recherché du
chef de sa responsabilité. Or, dans un arrêt que cite le re-
courant, le Tribunal fédéral a précisément refusé de s'enga-
ger dans cette voie (ATF 66 I 72, confirmé aux ATF 99 Ia 110
consid. 2 p. 111 et 109 Ia 173 consid. 2 p. 175; cf. aussi,
en dernier lieu, l'arrêt non publié du 21 avril 1999 concer-
nant l'Etat de Fribourg). Contrairement à ce que voudrait le
recourant, il n'y a pas lieu de se départir de cette juris-
prudence. Le contentieux relatif à la responsabilité de
l'Etat relève du droit public et présente des traits parti-
culiers qui le distinguent de celui de la responsabilité ci-
vile. En édictant l'art. 379 CPP gen., l'Etat de Genève
s'est
mis lui-même dans l'obligation de réparer - dans une
certaine
mesure - le dommage causé par ses organes aux personnes déte-
nues ou poursuivies à tort. Cette obligation découle de
l'exercice de la puissance publique - soit, en l'occurrence,
le fait d'avoir ordonné des poursuites pénales contre

Michailov et de l'avoir incarcéré préventivement pour les
besoins du jugement - et participe à la nature de celle-ci.
Que la Cour de justice statue selon les formes de la procé-
dure civile (art. 380 al. 2 CPP gen.) et que l'Etat appa-
raisse comme une partie à cette procédure ne change rien au
caractère administratif du litige. Le recours de droit
public
pour la violation des droits constitutionnels des citoyens
n'est ainsi pas destiné à faire du Tribunal fédéral
l'arbitre
du différend opposant le canton à la Cour de justice, et
cela
même s'il peut paraître choquant que l'Etat ne puisse
déférer
au Tribunal fédéral une décision défavorable, alors que sa
partie adverse dispose de cette possibilité. Peu importe,
pour le surplus, que le litige soit de nature pécuniaire,
pas
davantage le fait que la solution de l'arrêt attaqué paraît
inconciliable tant avec le texte légal qu'avec la jurispru-
dence cantonale et fédérale relative à l'art. 379 CPP gen.
(cf. notamment les arrêts rendus par le Tribunal fédéral
dans
les causes B., du 29 septembre 2000; S., du 13 juin 2000;
M.,
du 12 novembre 1997, reproduit in: SJ 1998 p. 333; T., du 27
juin 1997; M., du 17 octobre 1995; C., du 22 février 1995;
N., du 19 décembre 1994, reproduit in: SJ 1995 p. 285; R.,
du
10 mars 1994; P., du 9 mars 1993; R., du 6 mars 1990 et R.,
du 25 janvier 1989, reproduit in: SJ 1989 p. 286).

Modifier la jurisprudence dans le sens que préconise
le recourant commanderait d'en faire de même pour tous les
cas où l'Etat est condamné par un tribunal cantonal à payer
une prestation en argent en contrepartie de l'atteinte étati-
que aux droits des particuliers. Il faudrait ainsi reconnaî-
tre notamment la qualité pour agir du canton aussi contre
les
arrêts rendus par les tribunaux cantonaux en matière d'expro-
priation formelle, contrairement à ce que veut une jurispru-
dence constante (ATF 99 Ia 110). On peut certes se demander
si le développement de la juridiction administrative, consa-
crant une meilleure protection des droits des citoyens
contre
l'Etat, ne devrait pas avoir pour contrepartie la création

d'une voie de droit permettant à la collectivité publique
d'entreprendre devant le Tribunal fédéral un arrêt cantonal
arbitraire qui sans cela deviendrait définitif. Il n'appar-
tient cependant pas au juge d'en décider, mais au législa-
teur, auquel le recourant a d'ailleurs les moyens de s'adres-
ser directement (cf. art. 160 al. 1 Cst.).

d) La jurisprudence admet qu'indépendamment de la
qualité pour agir au fond, le particulier puisse se
plaindre,
par la voie du recours de droit public, de la violation
d'une
garantie de procédure équivalant à un déni de justice
formel.
Dans ce cas, l'intérêt juridique protégé exigé par l'art. 88
OJ découle non pas du droit matériel, mais du droit de parti-
ciper à la procédure. Un tel droit existe lorsque le particu-
lier avait qualité de partie en procédure cantonale et il
peut se plaindre de la violation des droits formels que lui
reconnaît le droit cantonal ou qui découlent notamment des
art. 29 Cst. et 6 CEDH (ATF 125 II 86 consid. 3b p. 94; 123
I
25 consid. 1 p. 26/27; 122 I 267 consid. 1b p. 270, et les
arrêts cités). A titre subsidiaire, le recourant demande à
pouvoir, comme toute partie à la procédure, remettre en
cause
l'arrêt attaqué dans la mesure où celui-ci ne contiendrait
pas une motivation suffisante, en violation de son droit
d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (cf. à ce
sujet: ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17; 125 II 369 consid.
2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149; 124 V 180 consid.
1a
p. 181; 123 I 25 consid. 1 p. 26/27). Toutefois, comme le re-
courant l'indique lui-même, la jurisprudence reconnaît à la
collectivité publique la faculté de se plaindre de la viola-
tion de ses droits de partie uniquement lorsqu'elle est habi-
litée à agir pour la défense de son autonomie (ATF 121 I 218
consid. 4a p. 223; 120 Ia 95 consid. 2 p. 100, et les arrêts
cités). Or, tel n'est pas le cas en l'espèce (cf. consid. 2b
ci-dessus) et le recourant, tout en s'interrogeant sur son
bien-fondé, ne remet pas fondamentalement en cause cette
jurisprudence, qui doit être maintenue.

3.- Le recours est ainsi irrecevable. Les frais sont
mis à la charge du recourant (art. 156 al. 2 OJ a
contrario).
Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimé Michailov
qui n'a pas été invité à se déterminer sur le sort de la
cause, scellé d'emblée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Déclare le recours irrecevable.

2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 2000 fr.

3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie à la manda-
taire de l'intimé, au Conseil d'Etat, au Procureur général
et
à la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 11 octobre 2000
ZIR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.561/2000
Date de la décision : 11/10/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-11;1p.561.2000 ?
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