La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/10/2000 | SUISSE | N°4P.146/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 octobre 2000, 4P.146/2000


«AZA 1/2»

4P.146/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

4 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

______________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Hussein Abdullatif, à Riyad (Arabie Saoudite), représenté
par
Me Jean Comina, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 25 mai 2000 par la Chambre civile de la
Cour
de justice genevoise dans la cause qui

oppose le recourant à
Georges Mooser, à Genève, représenté par Me Jean-Marie
Faivre, avocat à Genève;

(art. 9 et 29 al. 2 Cst...

«AZA 1/2»

4P.146/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

4 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

______________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Hussein Abdullatif, à Riyad (Arabie Saoudite), représenté
par
Me Jean Comina, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 25 mai 2000 par la Chambre civile de la
Cour
de justice genevoise dans la cause qui oppose le recourant à
Georges Mooser, à Genève, représenté par Me Jean-Marie
Faivre, avocat à Genève;

(art. 9 et 29 al. 2 Cst.; arbitraire; droit d'être entendu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat du 18 octobre 1984, la société
Saudi Finance Corporation S.A. (ci-après: Saudifin) accorda
un prêt avec intérêts de 3 000 000 US$ pour une durée de
trois ans à TGR Holding S.A. (ci-après: TGR), société
anonyme
au capital de 50 000 fr. ayant son siège à Fribourg, dont
les
administrateurs étaient Georges Mooser et Abdelmoumen
Diouri,
ce dernier étant l'actionnaire unique. Le même jour, les
deux
administrateurs de TGR signèrent, au nom de cette dernière,
un billet à ordre du même montant en faveur de Saudifin.
Hussein Abdullatif, qui était un ami de Diouri, se porta ga-
rant du prêt par le nantissement d'actifs.

La somme empruntée fut transférée à Diouri, sous la
seule signature de ce dernier. TGR n'inscrivit pas dans son
bilan le prêt consenti par Saudifin; elle ne mentionna pas
davantage le paiement d'intérêts dans son compte de pertes
et
profits. Dans le procès-verbal de l'assemblée générale du 10
janvier 1985, il fut indiqué que la seule activité de TGR
consistait à détenir une créance pour un tiers représentant
le montant de 3 000 000 US$.

TGR fut dans l'incapacité de rembourser le prêt à
son échéance, le 18 octobre 1987, et d'honorer le billet à
ordre. Georges Mooser déclara que la société agissait à
titre
fiduciaire pour un client.

Sur requête de Saudifin dans le cadre d'une pour-
suite pour effet de change, la faillite de TGR fut prononcée
le 7 novembre 1988.

Saudifin sollicita le remboursement par le garant,
Hussein Abdullatif, qui s'exécuta le 18 novembre 1988.

La masse en faillite de TGR céda à Abdullatif sa
créance en responsabilité civile contre les organes de la so-
ciété.

B.- Invoquant une violation des devoirs de l'admi-
nistrateur et un dommage indirect subi par le créancier so-
cial, Hussein Abdullatif introduisit devant les tribunaux ge-
nevois une demande en paiement dirigée contre Georges
Mooser,
lui réclamant la somme de 3 000 000 US$ avec intérêts.

Le Tribunal de première instance (par jugement du
1er avril 1993), puis la Cour de justice (par arrêt du 22
septembre 1995) ont admis la demande.

Par arrêt du 27 août 1996, le Tribunal fédéral a
annulé l'arrêt cantonal et renvoyé la cause à la Cour de jus-
tice pour nouveau jugement. En substance, il a rappelé que
le
créancier social ne pouvait invoquer un dommage indirect
qu'à
la condition que la société elle-même ait subi un dommage;
en
l'espèce, il convenait d'examiner si, d'après la volonté des
parties, TGR était vraiment la cocontractante de Saudifin
(même à titre fiduciaire pour le compte de Diouri) ou s'il
s'agissait d'un contrat simulé, le prêt étant conclu directe-
ment entre Saudifin et Diouri, TGR ne servant que de para-
vent, sans être titulaire de droits ou d'obligations en rela-
tion avec le prêt.

Après avoir complété l'administration des preuves,
le Tribunal de première instance, par jugement du 25 février
1999, a derechef admis la demande. Cependant, la cour canto-
nale, par arrêt du 25 mai 2000, a annulé ce jugement et en-
tièrement débouté le demandeur de ses conclusions. Procédant
à une appréciation des preuves, la cour cantonale est parve-

nue à la conviction que, selon la volonté réelle des
parties,
le prêt a été conclu directement entre Saudifin et Diouri,
le
contrat signé avec TGR n'étant qu'un acte simulé.

C.- Hussein Abdullatif saisit le Tribunal fédéral
parallèlement d'un recours de droit public et d'un recours
en
réforme. Dans le recours de droit public, il se prévaut du
droit d'être entendu et de l'interdiction de l'arbitraire,
concluant à l'annulation de la décision attaquée.

L'intimé conclut au rejet du recours dans la mesure
de sa recevabilité, alors que l'autorité cantonale se réfère
aux considérants de son arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Conformément à la règle générale de l'art.
57 al. 5 OJ, il y a lieu de statuer d'abord sur le recours
de
droit public.

b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une décision cantonale pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a
OJ).

L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final,
n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan
fédéral ou cantonal dans la mesure où le recourant invoque
la
violation directe d'un droit de rang constitutionnel, de sor-
te que la règle de la subsidiarité du recours de droit
public
est respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). En revanche,
si
le recourant soulève une question relevant de l'application
du droit fédéral, le grief n'est pas recevable, parce qu'il

pouvait faire l'objet d'un recours en réforme (art. 43 al. 1
et 84 al. 2 OJ).

Le recourant est personnellement touché par la dé-
cision attaquée, qui rejette sa demande en paiement, de
sorte
qu'il a un intérêt personnel, actuel et juridiquement
protégé
à ce que cette décision n'ait pas été prise en violation de
ses droits constitutionnels; en conséquence, il a qualité
pour recourir (art. 88 OJ).

c) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours
(art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b et les
références; cf. également ATF 110 Ia 1 consid. 2a).

2.- a) Le recourant invoque tout d'abord une viola-
tion du droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2
Cst.

C'est manifestement à tort qu'il se réfère à ce su-
jet à l'art. 4 aCst., puisque cette disposition n'était plus
en vigueur au moment où la cour cantonale a statué.

Il est douteux que ce grief réponde aux exigences
de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, dès l'instant où
l'on discerne mal, en lisant l'acte de recours, de quelle ma-
nière ce droit constitutionnel aurait été violé.

Il semble que le recourant invoque le droit d'obte-
nir l'administration des preuves pertinentes valablement of-
fertes (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa; 124 I 49 consid. 3a, 241
consid. 2; 124 II 132 consid. 2b; 124 V 180 consid. 1a, 372
consid. 3b). On ne voit cependant pas en quoi il aurait été
empêché d'apporter ses preuves, de sorte que ce grief est
d'emblée infondé.

Il est possible que le recourant se réfère plutôt
au devoir minimum incombant à l'autorité d'examiner et trai-
ter les questions pertinentes (ATF 126 I 97 consid. 2b; 124
II 146 consid. 2a; 122 IV 8 consid. 2c). Cependant, contrai-
rement à ce que paraît soutenir le recourant, la cour canto-
nale n'a pas méconnu la lettre du 15 octobre 1984 qu'il
cite,
puisqu'elle l'a mentionnée à la page 9 de l'arrêt attaqué,
en
expliquant quelles étaient les déductions que le premier
juge
en avait tirées. La cour cantonale a donc pris en considéra-
tion cette pièce, satisfaisant ainsi à son devoir d'examiner
les questions pertinentes; elle lui a cependant clairement
préféré les éléments énumérés aux pages 10 et 11 de l'arrêt
attaqué. Savoir si c'est à juste titre ou non que cette écri-
ture a été écartée au profit d'autres éléments jugés plus
convaincants est une pure question d'appréciation des preu-
ves, qui n'a rien à voir avec le droit d'être entendu.

Si le recourant entendait se référer à l'obligation
de motiver une décision, afin que son destinataire puisse la
comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'auto-
rité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 126 I 97
consid. 2b; 125 II 369 consid. 2c; 124 II 146 consid. 2a;
124
V 180 consid. 1a), le grief est également infondé. En effet,
la cour cantonale a clairement indiqué, aux pages 10 et 11
de
son arrêt, quels étaient les indices qui emportaient sa con-
viction, de sorte que le recourant pouvait connaître les rai-
sons de la décision et l'attaquer utilement s'il s'y croyait
fondé.

Il n'y a ainsi aucune trace d'une violation du
droit d'être entendu.

b) Le recourant se réfère également à l'interdic-
tion de l'arbitraire, découlant de l'art. 9 Cst.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-
ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci
est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou enco-
re lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la
justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée
pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation
formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 125 I 166 con-
sid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129 consid. 5b; 124 I 247 con-
sid. 5; 124 V 137 consid. 2b).

S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves, le juge tombe dans l'arbitraire si, sans raison sé-
rieuse, il omet de prendre en considération un élément impor-
tant propre à modifier la décision, s'il se fonde sur un
moyen manifestement inapte à apporter la preuve, s'il a, de
manière évidente, mal compris le sens et la portée d'un
moyen
de preuve ou encore, si, sur la base des éléments réunis, il
a fait des déductions insoutenables.

Le recourant fait valoir que Diouri, dans la lettre
du 15 octobre 1984, s'exprime au pluriel, ce qui
confirmerait
que le prêt devait être accordé à la société TGR. Il faut ob-
server que cette lettre précède de quelques jours la conclu-
sion du contrat, qui est daté du 18 octobre 1984. Elle procè-
de manifestement du même esprit: elle fait apparaître la so-
ciété TGR comme l'emprunteur. La question est cependant de
savoir si cette apparence, voulue par Diouri, était ou non
conforme à la réalité. Sous cet angle, la lettre émanant de
Diouri n'apporte rien de plus que le contrat lui-même. On ob-
serve que Diouri, dans ce courrier, affirme - toujours au
pluriel - que ce prêt leur permettra de développer leurs ac-

tivités internationales. Or, on sait par l'examen des
comptes
que la société TGR, destinataire formel des fonds, n'a
exercé
aucune activité avec ceux-ci. Il s'agit là d'un indice fort
qui permet de penser que la lettre de Diouri ne reflète pas
ses intentions réelles. En choisissant d'écarter cette
lettre
au profit d'éléments plus probants, la cour cantonale n'est
pas tombée dans l'arbitraire.

Dans son bilan, la société TGR n'a pas mentionné
une dette à l'égard de Saudifin et une créance à l'encontre
de Diouri. L'opération n'a été mentionnée que hors bilan, ce
qui tend à montrer que TGR ne se sentait pas obligée par ce
prêt.

Il a été constaté que des intérêts avaient été
payés - l'arbitraire n'est pas invoqué sur ce point -, mais
que le service des intérêts n'était pas apparu comme charge
dans le compte de pertes et profits de TGR. On doit en dé-
duire que ces intérêts n'ont pas été mis à la charge de TGR
et qu'ils ont été payés directement par Diouri à Saudifin.
Ce
paiement direct est un indice solide que le prêt s'était con-
clu en réalité entre Diouri et Saudifin.

Il résulte d'un procès-verbal d'assemblée générale
que la société TGR avait pour seule activité de "détenir"
une
créance pour un tiers; l'emploi du verbe "détenir" corrobore
l'idée que la société ne s'estimait pas titulaire de droits
ou d'obligations en relation avec ce prêt, mais qu'elle
s'était bornée à rendre service à autrui.

Il ressort d'un témoignage que le recourant a voulu
accorder un prêt à son ami Diouri. On ne voit pas ce que
l'intervention de la société TGR - société sans actif au ca-
pital social minimum - aurait pu apporter dans cette opéra-
tion, si ce n'est de permettre la dissimulation de
l'identité
réelle de l'emprunteur.

A la suite du non-remboursement du prêt, Diouri a
accepté de remettre au recourant des actifs lui appartenant,
ce qui tend à confirmer qu'il se considérait comme personnel-
lement débiteur à son égard.

La cour cantonale est parvenue à la conviction que
le contrat conclu entre Saudifin et TGR était simulé et que,
selon la volonté réelle des parties, TGR n'était pas elle-
même débitrice du prêt. Au vu des éléments rappelés ci-
dessus cette conviction est en tout cas soutenable, de sorte
que l'autorité cantonale n'est pas tombée dans l'arbitraire.

Dès lors que l'arrêt de renvoi invitait la cour
cantonale à examiner une question qui lui avait échappé, il
n'y a rien d'étonnant à ce que la question nouvelle l'ait
amenée à jeter un regard différent sur le sens et la portée
des documents versés à la procédure.

Si la cour cantonale a souligné que la société TGR
n'avait qu'un capital social de 50 000 fr. et qu'elle
n'avait
pas d'actif, c'est probablement pour montrer que ce n'était
pas elle qui devait développer une activité internationale à
l'aide des fonds prêtés,
comme le mentionne la lettre du 15
octobre 1984.

Que Saudifin, actionnaire minoritaire de TGR, se
soit abstenue d'en approuver les comptes n'a rien d'étonnant
et ne suffit pas à faire apparaître la décision attaquée com-
me arbitraire dans son résultat.

Les autres points soulevés par le recourant, notam-
ment la question de savoir si Diouri avait procuration pour
représenter seul TGR à l'égard de Saudifin, ne sont
également
pas de nature à rendre insoutenable la décision attaquée au
point de vue de son résultat.

L'intimé soutient que la lettre du 15 octobre 1984
ne devait pas être prise en considération pour des raisons
de
procédure cantonale; cette question n'a pas à être examinée,
puisqu'une partie intimée n'est pas habilitée à présenter
elle-même des griefs à l'encontre de la décision cantonale.

3.- Il suit de là que le recours doit être rejeté
dans la mesure de sa recevabilité. Vu l'issue du recours,
les
frais et dépens doivent être mis à la charge du recourant
qui
succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 20 000 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimé une in-
demnité de 25 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.

_____________

Lausanne, le 4 octobre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.146/2000
Date de la décision : 04/10/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-04;4p.146.2000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award