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03/10/2000 | SUISSE | N°4P.60/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 octobre 2000, 4P.60/2000


«AZA 3»

4P.60/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

3 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Nejapa Power Company LLC (NPC), à Houston (Etats-Unis d'Amé-
rique), représentée par Me Pierre Schifferli, avocat à Genè-
ve,
contre

la sentence arbitrale préliminaire intitulée "Ordonnance Pré-
liminaire No. 2; D

écision sur les Questions juridictionnel-
les" rendue le 9 février 2000 par un Tribunal arbitral sié-
geant à Genève et composé ...

«AZA 3»

4P.60/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

3 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Nejapa Power Company LLC (NPC), à Houston (Etats-Unis d'Amé-
rique), représentée par Me Pierre Schifferli, avocat à Genè-
ve,
contre

la sentence arbitrale préliminaire intitulée "Ordonnance Pré-
liminaire No. 2; Décision sur les Questions juridictionnel-
les" rendue le 9 février 2000 par un Tribunal arbitral sié-
geant à Genève et composé de M. le Professeur Dr. Stefan N.
Frommel et de M. R. Doak Bishop, arbitres, dans la cause qui
oppose la recourante à Comisión Ejecutiva Hidroeléctrica del
Rio Lempa (CEL), à San Salvador (Salvador), représentée par
Me Bernard Dorsaz, avocat à Genève;

(arbitrage international; compétence du tribunal arbitral)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 13 mai 1999, Comisión Ejecutiva Hidroelec-
trica del Rio Lempa (ci-après: CEL), société appartenant en-
tièrement au gouvernement du Salvador, a déposé une demande
d'arbitrage dirigée contre Nejapa Power Company LLC (ci-
après: NPC), société privée établie selon les lois du Salva-
dor. Le professeur Stefan N. Frommel et R. Doak Bishop ont
été désignés comme arbitres, le premier par CEL, le second
par NPC. Les parties n'ont pas prévu de mettre en oeuvre un
troisième arbitre, à moins que les deux arbitres précités ne
soient en désaccord. Le siège de l'arbitrage a été fixé à Ge-
nève.

La procédure a pour objet un contrat d'achat
d'électricité ("Power Purchase Agreement"; ci-après: PPA)
conclu le 18 mai 1994 par CEL avec Trigen Energy Corporation
(ci-après: Trigen), laquelle a transféré ses droits à un
tiers qui les a cédés ultérieurement à NPC. Cette dernière
allègue avoir construit, puis agrandi, la station électrique
de Nejapa, au Salvador, pour un prix total supérieur à 150
millions de dollars américains; elle ajoute qu'elle a fourni
du courant électrique à CEL de façon continue, conformément
aux stipulations contractuelles valables pour 20 ans.

Dans le mémoire-demande qu'elle a adressé aux arbi-
tres le 10 septembre 1999, CEL fait valoir que l'exécution
du
PPA est devenue excessivement onéreuse en raison
d'événements
imprévisibles, en particulier la privatisation de la branche
de l'électricité au Salvador. Se fondant sur l'art. 994 du
Code de Commerce de ce pays (CC salv.), elle entend obtenir
du Tribunal arbitral la constatation de son droit de
résilier
le PPA sans compensation, étant donné le changement des cir-
constances.

Dans son mémoire-réponse du 11 octobre 1999 et dans
la procédure incidente subséquente, NPC a soulevé une excep-
tion d'incompétence du Tribunal arbitral, au motif que la
clause compromissoire ne s'appliquerait pas aux litiges rela-
tifs à la nullité ou à la résolution du contrat.

B.- Le 9 février 2000, le Tribunal arbitral a rendu
une "Ordonnance préliminaire n° 2: Décision sur les
questions
juridictionnelles", au terme de laquelle il a rejeté l'excep-
tion d'incompétence soulevée par NPC. Il a considéré, en
substance, que le différend opposant les parties est couvert
par la clause compromissoire figurant dans le PPA, puisqu'il
a trait à des questions d'"exécution" et d'"interprétation"
au sens de cette clause.

C.- NPC, agissant par la voie du recours de droit
public, demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision in-
cidente du Tribunal arbitral et de constater la compétence
exclusive des tribunaux salvadoriens pour connaître de l'ac-
tion introduite par CEL.

L'intimée conclut au rejet du recours dans la mesu-
re où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- A titre préliminaire, l'intimée relève que, sur
la page de garde du recours, apparaît une nouvelle partie,
totalement étrangère à la procédure arbitrale, sous la déno-
mination: "The Corporation Trust Company". Selon les explica-
tions de la recourante, l'entité ainsi désignée n'est men-
tionnée que dans la partie se référant à l'adresse de NPC
dont la direction effective se trouve à Houston (Texas) et

l'adresse d'incorporation auprès de "The Corporation Trust
Company", à Wilmington (Delaware).

Il y a lieu de prendre acte de ces explications et
d'admettre que NPC est la seule partie recourante.

2.- La décision attaquée est une décision incidente
au sujet de la compétence, rendue dans un arbitrage interna-
tional (art. 186 LDIP). Une telle décision peut être
attaquée
directement devant le Tribunal fédéral, qui examine
librement
si le Tribunal arbitral a admis à bon droit sa compétence
(ATF 121 III 495 consid. 6d, 120 II 155, 118 II 353 consid.
2). La voie du recours de droit public, au sens de l'art. 85
let. c OJ, est donc ouverte en l'espèce.

3.- a) Les moyens que la recourante développe pour
conclure à l'incompétence du Tribunal arbitral tendent à dé-
montrer que le champ d'application de la clause arbitrale li-
tigieuse - l'art. 20.1(b) PPA - n'inclut pas le différend op-
posant les parties.

Le recours pour le motif prévu à l'art. 190 al. 2
let. b LDIP est ouvert lorsque le tribunal arbitral a statué
sur des prétentions qu'il n'avait pas la compétence d'exami-
ner, soit qu'il n'existât point de convention d'arbitrage,
soit que celle-ci fût limitée à certaines questions ne com-
prenant pas les prétentions en cause (extra potestatem) (ATF
116 II 639 consid. 3 in fine p. 642). Un tribunal arbitral
n'est en effet compétent, entre autres conditions, que si le
litige entre dans les prévisions de la convention
d'arbitrage
(arrêt non publié du 6 septembre 1996, reproduit in Bulletin
ASA 1997 p. 299; cf. Lalive/Poudret/Reymond, Le droit de
l'arbitrage interne et international en Suisse, n. 5 ad art.
186 LDIP).

b) L'art. 20.1(b) PPA soumet à l'arbitrage "tous
les litiges et différends qui résultent de l'interprétation
ou de l'exécution" du contrat ("all disputes or
discrepancies
that arise from the interpretation or performance of this
Agreement"). Or, le litige divisant les parties porte sur
une
demande de CEL tendant à l'annulation du contrat, soit à
l'obtention d'une déclaration lui donnant le droit de rési-
lier le PPA sans compensation, en raison d'un changement de
circonstances, en application de l'art. 994 CC salv. Dès
lors
que les parties ne sont pas d'accord entre elles au sujet de
ces conclusions, on est en présence d'un litige et/ou diffé-
rend (dispute and/or discrepancy). Ce différend porte à
l'évidence sur l'exécution du contrat et/ou sur l'interpréta-
tion qui doit en être donnée au regard de l'art. 994 CC
salv.
invoqué. Le litige entre bien dans les prévisions de la con-
vention d'arbitrage, de sorte que la décision du Tribunal ar-
bitral est parfaitement fondée.

c) Les moyens de la recourante, dont l'énoncé man-
que singulièrement de clarté, confinent au juridisme et révè-
lent une attitude difficilement compatible avec les règles
de
la bonne foi de la part de la signataire d'une clause compro-
missoire. La volonté des parties de soumettre leur conten-
tieux à l'arbitrage ressort nettement du contrat en cause.
Aussi les arguments avancés par la recourante pour tenter de
lui donner une autre signification sont-ils d'emblée voués à
l'échec.

aa) La recourante fait valoir que la clause de pro-
rogation de for figurant à l'art. 21.6 PPA constituerait la
règle et l'arbitrage des litiges touchant l'interprétation
ou
l'exécution du contrat, l'exception. Il n'en est rien.
Ladite
clause soumet les effets légaux du contrat à la juridiction
des tribunaux de la ville de San Salvador, "sauf les cas
d'arbitrage portant sur des litiges prévus à l'article 20".

Or, comme on l'a déjà indiqué, le présent litige entre bien
dans le champ d'application de l'art. 20 PPA.

bb) La comparaison faite par la recourante entre la
clause compromissoire et celle recommandée par la Commission
des Nations-Unies pour le Droit Commercial International
(CNUDCI) est dénuée de pertinence. Ce n'est pas parce que le
contrat litigieux n'a pas repris cette clause type, avec ses
références à la nullité et à la résolution, qu'un différend
relatif à la nullité ou à la résolution du contrat ne serait
pas couvert par la clause compromissoire, dès lors qu'il
s'agit aussi d'un différend concernant l'exécution et/ou
l'interprétation du contrat.

cc) Contrairement à l'avis exprimé par la recouran-
te, le problème de l'application de l'art. 994 CC salv. à la
présente espèce entre dans les prévisions de la clause arbi-
trale, étant donné qu'il concerne la façon dont le contrat
doit être exécuté et/ou interprété à la lumière de cette dis-
position.

dd) Les références faites par la recourante à cer-
taines règles procédurales ou commerciales du Salvador ne
lui sont d'aucun secours. Les dispositions invoquées pré-
voient, en substance, que les arbitres ne peuvent statuer
que
sur les matières qui leur sont soumises par accord entre les
parties. Dès lors que l'accord des parties est reconnu et
évident, ces dispositions sont impropres à établir l'incompé-
tence des arbitres dans la présente espèce.

ee) Le fait que, selon la recourante, l'action ou-
verte par l'intimée soit une action en constatation de droit
en vue de l'obtention d'un jugement déclaratoire ne permet
aucunement de nier l'existence d'un litige au sujet de l'in-
terprétation ou de l'exécution du contrat.

ff) Est, enfin, sans valeur la référence faite par
la recourante à un jugement "Nichimen" émanant d'un tribunal
salvadorien de première instance et rendu à propos d'une
clause d'arbitrage très différente de la clause litigieuse.
Sur ce point, on peut se référer, par adhésion de motifs,
aux
considérations pertinentes du Tribunal arbitral.

4.- Manifestement mal fondé et à la limite de la
témérité, le recours ne peut, dès lors, qu'être rejeté avec
suite de frais et dépens (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 100 000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 100 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et au Tribunal arbitral, p.a. M. le Pro-
fesseur Dr. Stefan N. Frommel, Flat 19, 169 Queen's Gate, à
Londres (Grande-Bretagne).

____________

Lausanne, le 3 octobre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.60/2000
Date de la décision : 03/10/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-03;4p.60.2000 ?
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