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02/10/2000 | SUISSE | N°5P.143/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 octobre 2000, 5P.143/2000


«/2»
5P.143/2000

IIe C O U R C I V I L E
*****************************

2 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Reeb, président,
Raselli et Merkli. Greffier: M. Braconi.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

1. N.________,
2. F.________,
représentés par Me André Gossin, avocat à Moutier,

contre

l'arrêt rendu le 13 mars 2000 par la Cour civile du Tribunal
cantonal de la République et Canton du Jura dans la cause
qui

oppose les recourants à:
1. République et Canton du Jura,
2. Commune de C.________,
3. Paroisse catholique de C.________,
r...

«/2»
5P.143/2000

IIe C O U R C I V I L E
*****************************

2 octobre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Reeb, président,
Raselli et Merkli. Greffier: M. Braconi.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

1. N.________,
2. F.________,
représentés par Me André Gossin, avocat à Moutier,

contre

l'arrêt rendu le 13 mars 2000 par la Cour civile du Tribunal
cantonal de la République et Canton du Jura dans la cause
qui
oppose les recourants à:
1. République et Canton du Jura,
2. Commune de C.________,
3. Paroisse catholique de C.________,
représentées par Me Jean-Marc Christe, avocat à Delémont;

(art. 9 et 29 Cst.; action révocatoire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par actes de donation immobilière des 12 novembre
1991 et 2 mars 1993, dame W.________ a transféré en copro-
priété à ses enfants N.________ et F.________ quatre immeu-
bles (feuillets n° 72, 971, 1713 et 1792 du ban de
C.________); ces donations ont été consenties moyennant la
constitution d'un usufruit viager et gratuit; les impôts fon-
ciers, redevances, taxes et charges de toute nature grevant
les immeubles, ainsi que les dettes hypothécaires, restent à
la charge de la donatrice. En complément à la première dona-
tion, dame W.________ et son mari W.________ ont donné à
leurs enfants, par moitié, la totalité du mobilier
garnissant
la maison d'habitation (n° 1713).

B.- Par arrêt du 9 mai 1994, relatif aux impôts 1981 à
1986, le Tribunal cantonal jurassien a confirmé l'imposition
de diverses prestations appréciables en argent que
W.________
avait perçues de ses sociétés et renvoyé les dossiers à l'au-
torité de taxation pour nouvelles décisions. A la suite de
cet arrêt, le Service des contributions a notamment rendu
une
nouvelle décision de taxation pour la période 1985/1986,
fixant le montant de l'impôt, sous déduction d'acomptes déjà
payés, à 2'901'460 fr.20. Une copie de cette décision
(passée
en force) a été notifiée le 12 janvier 1995 à dame
W.________; le Service des contributions l'a alors informée
que, depuis l'entrée en vigueur de la loi d'impôt le 1er jan-
vier 1985, elle était solidairement débitrice de la dette
fiscale avec son mari. Les poursuites introduites contre
l'intéressée ont débouché le 20 février 1996 sur la délivran-
ce de deux actes de défaut de biens pour un total de
3'064'617 fr.25.

C.- Le 30 octobre 1996, la République et Canton du
Jura,
la Commune et la Paroisse catholique de C.________ ont saisi

le Tribunal cantonal du canton du Jura d'une action tendant
à
la révocation, en application de l'art. 288 LP, des
donations
dont dame W.________ a gratifié ses enfants N.________ et
F.________.

Statuant le 13 mars 2000, la Cour civile a révoqué les
donations immobilières des 12 novembre 1991 et 2 mars 1993
en
tant qu'elles portent sur les immeubles feuillets n° 971 et
1792 du ban de C.________, ainsi que la donation mobilière
relative au mobilier garnissant l'immeuble feuillet n° 1713,
à raison de la moitié du mobilier, et rejeté la demande pour
le surplus.

D.- Agissant par la voie du recours de droit public au
Tribunal fédéral, les défendeurs concluent à l'annulation de
cet arrêt.

L'autorité cantonale et les demanderesses proposent le
rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Les recourants reprochent à l'autorité inférieure
d'avoir violé leur droit à une décision motivée en ne tenant
pas compte, sans en expliquer les raisons, des deux cédules
hypothécaires de 120'000 et 200'000 fr. grevant l'immeuble
feuillet n° 1792, détenues par Me N.________.

Vu la nature formelle de la garantie invoquée,
découlant
du droit d'être entendu (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17,
97
consid. 2b p. 102 et la jurisprudence citée), ce moyen doit
être examiné en premier (ATF 124 V 389 consid. 1) et avec
une
pleine cognition (ATF 121 I 54 c. 2a p. 57).

a) Pour rechercher si la condition objective de
l'action
révocatoire était réalisée concernant l'immeuble en cause,
la
cour cantonale a retenu que celui-ci était grevé de dettes
hypothécaires «prouvées» de 187'900 fr.; elle l'a réaffirmé
dans ses déterminations sur le présent recours, précisant
que
les recourants n'avaient «documenté» leur passif immobilier
qu'à concurrence de ce montant.

b) L'autorité précédente s'est, à vrai dire, exprimée
en
termes fort succints sur cette question, ne mentionnant même
pas les cédules hypothécaires en troisième et quatrième
rangs
constituées sur le bien-fonds litigieux: la première ressort
tant de l'acte notarié du 12 novembre 1991, que de l'extrait
du registre foncier versé au dossier; quant à la seconde,
son
existence est attestée par la requête de mesures provisoires
que les intimées ont déposée le 8 juillet 1999. Néanmoins,
on
peut comprendre l'arrêt déféré en ce sens que l'existence
des
dettes n'est pas corroborée par les pièces dont se prévalent
les recourants, en l'occurrence les titres de gage. En
effet,
comme le rappellent avec raison les intimées, l'existence de
la créance garantie n'est que «formelle» aussi longtemps que
le propriétaire de l'immeuble détient simultanément la
double
qualité de créancier et de débiteur (ATF 115 II 149 consid.
2
p. 151 et la jurisprudence citée); autrement dit, tant que
le
titre n'a pas été constitué en gage (ATF 93 II 82 consid. 3
p. 86 et les références citées), le créancier ne devient pas
titulaire de la créance qui y est incorporée (ATF 115 II 149
consid. 5b p. 155). Les recourants ont donc tort de vouloir
lier l'existence des dettes à celle des titres; ils semblent
du reste l'avoir compris - et par là même saisi la portée de
la décision attaquée -, en formulant «également» leur moyen
sous l'angle de l'«appréciation arbitraire des faits». C'est
dans ce contexte qu'il convient, par conséquent, d'examiner
ce grief (cf. infra, consid. 2).

2.- Les recourants se plaignent d'arbitraire à un
double
chef: d'une part, la cour cantonale aurait dû se convaincre,
à la lecture de l'extrait du registre foncier et des pièces
produites, que «non seulement les cédules hypothécaires au
porteur existent, mais encore sont engagées»; d'autre part,
l'expert commis par la Cour civile a reconnu que l'immeuble
en question avait fait l'objet de réparations pour un
montant
global de 51'347 fr.05, ce qui démontre que ces travaux ont
bien été «financés par l'engagement de la cédule
hypothécaire
de 200'000 fr.».

a) Dans la mesure où elle tire argument de l'extrait du
registre foncier, la critique est, comme on l'a vu,
dépourvue
de fondement (cf. supra, consid. 1b). Au surplus, le dossier
est loin de conforter la thèse des recourants:

En instance cantonale, les intéressés ont produit une
lettre de leur père, du 1er mars 1999, à teneur de laquelle
l'immeuble litigieux serait grevé - en plus des gages de la
Patria Assurances et de la Banque Cantonale du Jura - de
deux
engagements hypothécaires de 120'000 («montant dû au
1.1.1998
Fr. 143'451.-») et 200'000 fr. («montant dû Fr. 70'000.- au
31.12.1998»). Indépendamment de leur faible valeur probante,
de pareilles allégations ne trouvent aucun appui dans l'acte
notarié du 12 novembre 1991; s'il fait bien état d'une
cédule
hypothécaire en troisième rang de 120'000 fr., inscrite le 6
décembre 1980 au profit du porteur, cet acte indique que la
dette hypothécaire s'élève à «fr. 175'000», seules la Patria
et la Banque Cantonale du Jura étant expressément
mentionnées
comme créancières gagistes. Un engagement postérieur du
titre
ne résulte pas de l'état des dettes de la déclaration
d'impôt
afférente à la période de taxation 1999/2000: seules
figurent
au chapitre des dettes grevant le bien-fonds concerné celles
de la Patria et de la Banque Cantonale du Jura; le montant
de
143'451 fr. se rapporte, quant à lui, à une dette contractée

à l'égard de «créanciers optionnaires» - le nom de l'avocat
N.________ n'étant cité nulle part -, dont répond un «im-
meuble commercial» à L.________.

b) L'existence de la cédule hypothécaire au porteur en
quatrième rang de 200'000 fr. n'est révélée ni par l'extrait
du registre foncier (daté de 1997), ni par l'acte notarié du
12 novembre 1991; les intimées ont néanmoins admis, dans
leur
requête de mesures provisoires, que ce titre a été constitué
le 3 septembre 1998, c'est-à-dire après l'introduction de la
demande. Cela ne signifie pas encore que ladite cédule
serait
engagée à hauteur de 70'000 fr., d'autant qu'on en ignore le
porteur actuel. A l'appui de leurs assertions, les
recourants
se bornent à se référer à la lettre de leur père du 1er mars
1999; or, il n'y a nul arbitraire à nier toute force
probante
à un document rédigé par une personne ayant manifestement un
intérêt direct au sort du litige. Quant à l'affirmation
selon
laquelle les travaux de rénovation «ont bien dû être
financés
par l'engagement» de cette cédule, elle ne trouve aucun écho
dans le dossier; il ressort, par ailleurs, de l'annexe n° 4
de l'expertise que le montant des travaux n'a été documenté
qu'à concurrence de 22'216 fr.55.

3.- Les recourants soutiennent, enfin, que l'autorité
inférieure ne pouvait, sans se contredire, admettre que leur
père «savait qu'il était insolvable, ou à tout le moins
qu'il
le deviendrait à très court terme», alors que le Service des
contributions avait précisément constaté qu'il ne
remplissait
pas les conditions de l'«insolvabilité notoire» pour pouvoir
solidairement réclamer la dette fiscale à son épouse; or,
dès
l'instant où on admet que W.________ «était ou se savait in-
solvable», «la créance contre dame W.________ devenait elle
aussi inexistante, ce qui excluait toute connivence au sens
de l'art. 288 LP et toute intention de porter préjudice aux
intimées».

Ce reproche apparaît mal fondé. Comme le soulignent les
recourants eux-mêmes, W.________ n'est pas intervenu à
l'acte
de donation en qualité de cocontractant, mais en tant que
représentant (légal). Dans l'optique de l'application de
l'art. 288 LP - qui constitue l'unique objet de la présente
procédure -, peu importe donc de savoir s'il connaissait ou
non son insolvabilité, seule sa bonne ou mauvaise foi étant
décisive (cf. Schüpbach, Droit et action révocatoires, N.
73,
83 et 85 ad art. 288 LP et les références); partant, le fait
que le Service des contributions ne l'ait pas considéré
comme
notoirement insolvable au sens de la législation fiscale est
sans pertinence. D'ailleurs, la cour cantonale ne s'y est
pas
trompée; si elle a évoqué la situation financière précaire
du
prénommé, c'est pour en déduire sa «mauvaise foi».
S'agissant
de l'intention de la débitrice, en l'espèce dame W.________,
de porter préjudice à ses créanciers, elle ne suppose pas
non
plus son insolvabilité au moment de la conclusion de l'acte
révocable (Schüpbach, ibidem, N. 89 ss); et les recourants
ne
remettent pas en discussion les indices sur lesquels se sont
fondés les juges cantonaux pour conclure à la réalisation de
la condition subjective de l'art. 288 LP (Schüpbach, ibidem,
N. 86 ss, spéc. 92 et les citations).

4.- Vu ce qui précède, il y a lieu de rejeter le
recours
et de mettre les frais et dépens à la charge des recourants,
solidairement entre eux (art. 156 al. 7 et 159 al. 5 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge des recourants, solidairement entre
eux:
a) un émolument judiciaire de 10'000 fr.,
b) une indemnité de 15'000 fr. à payer
aux intimées à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal de la
République et Canton du Jura.

__________

Lausanne, le 2 octobre 2000
BRA/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.143/2000
Date de la décision : 02/10/2000
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-10-02;5p.143.2000 ?
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