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29/09/2000 | SUISSE | N°1P.166/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 29 septembre 2000, 1P.166/2000


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1P.166/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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29 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. les juges Aemisegger, président,
Aeschlimann, Féraud, Favre et Mme Pont Veuthey, juge sup-
pléante. Greffier: M. Thélin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Y.________ , actuellement détenu aux Etablissements d'exécu-
tion des peines de Bellevue, à Gorgier, représenté par Me
Eric Hess, avocat à Genève,

contre
r> l'arrêt rendu le 18 février 2000 par la Cour de cassation
du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recourant à...

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1P.166/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

29 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. les juges Aemisegger, président,
Aeschlimann, Féraud, Favre et Mme Pont Veuthey, juge sup-
pléante. Greffier: M. Thélin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Y.________ , actuellement détenu aux Etablissements d'exécu-
tion des peines de Bellevue, à Gorgier, représenté par Me
Eric Hess, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 18 février 2000 par la Cour de cassation
du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recourant à
N.________ , représentée par Me Claudio Mascotto, avocat à
Genève;

(procédure pénale; appréciation des preuves)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 22 mars 1998, N.________ a adressé une plainte
pénale aux autorités judiciaires genevoises, dans laquelle
elle décrivait un viol qu'elle avait subi du fait de deux
inconnus, menacée au moyen d'un couteau, dans la nuit du 30
au 31 mars 1995.

Interrogée par la police le 23 avril 1998, la victime
n'a pu fournir aucune description précise de ses agresseurs.
Elle ne parvint à les décrire que deux mois plus tard, à la
suite d'une thérapie comportant des séances d'hypnose, ce
qui permit la confection de deux portraits-robots.

Un inspecteur ayant vu une ressemblance entre l'un de
ces visages et celui de X.________, alors détenu pour une
autre cause, des photos de ce dernier, mêlées à d'autres
portraits, furent présentées à la victime. Celle-ci le re-
connut comme l'un des auteurs du viol. On lui fit ensuite
entendre les voix de six personnes différentes, parmi les-
quelles elle reconnut celle de X.________. Enfin, elle le
reconnut encore visuellement, depuis l'arrière d'une glace
sans tain, alors qu'il lui était présenté parmi plusieurs
individus de corpulence et d'allure comparables.

La suite des recherches a révélé que le père de
X.________ possédait, à l'époque des faits, un véhicule du
même modèle que celui des agresseurs, que le fils aurait pu
utiliser. Il détenait également un couteau dont la victime
a reconnu la lame, alors qu'il lui était montré avec six au-
tres de ces armes.

Enfin, une ressemblance fut encore perçue entre l'autre
portrait-robot et un visage qui apparaissait parmi les fré-

quentations de X.________, sur une photographie lui apparte-
nant. Après que la police eut identifié cette personne, soit
Y.________, celui-ci fut présenté à la victime en même temps
que d'autres individus, d'abord sur photos, puis de l'arriè-
re d'une glace sans tain, selon la méthode déjà employée
avec X.________. La victime a alors reconnu le deuxième
agresseur.

La victime souffre d'un grave stress post-traumatique.
Les médecins et autres praticiens qui l'ont soignée tiennent
ses déclarations, concernant le viol qu'elle dit avoir subi,
pour dignes de foi. Les deux prévenus ont persisté à contes-
ter toute implication dans cette affaire.

B.- Par arrêt du 9 juin 1999, en dépit de leurs dénéga-
tions, la Cour d'assises du canton de Genève a reconnu
X.________ et Y.________ coupables de viol et contrainte
sexuelle commis avec cruauté et en commun, et les a tous
deux condamnés à quatre ans de réclusion.

Y.________ a recouru à la Cour de cassation cantonale
pour contester sa culpabilité. Statuant le 18 février 2000,
cette juridiction a rejeté le pourvoi.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
Y.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler ce pronon-
cé. Il persiste à tenir le verdict de culpabilité pour arbi-
traire et contraire à la présomption d'innocence.

Invitées à répondre, les autorités intimées ont renoncé
à déposer des observations; la victime et partie civile
N.________ a conclu au rejet du recours. Une demande d'as-
sistance judiciaire est jointe à son mémoire.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Saisi d'un recours de droit public dirigé contre
une condamnation pénale, le Tribunal fédéral ne revoit la
constatation des faits et l'appréciation des preuves qu'avec
un pouvoir d'examen limité à l'arbitraire, car il ne lui ap-
partient pas de substituer sa propre appréciation à celle du
juge de la cause. A cet égard, la présomption d'innocence
garantie par l'art. 6 par. 2 CEDH, auquel le recourant se
réfère également, n'offre pas de protection plus étendue que
celle conférée par les art. 9 Cst. ou 4 aCst. Elle n'est in-
voquée avec succès que si le recourant démontre qu'à l'issue
d'une appréciation exempte d'arbitraire de l'ensemble des
preuves, le juge aurait dû éprouver des doutes sérieux et
irréductibles sur la culpabilité du prévenu (ATF 124 IV 86
consid. 2a p. 87/88, 120 Ia 31 consid. 2e p. 38, consid. 4b
p. 40).

Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement
une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou
contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice
et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solu-
tion retenue par l'autorité cantonale de dernière instance
que si sa décision apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs
objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il
ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoute-
nables; encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son
résultat. A cet égard, il ne suffit pas non plus qu'une so-
lution différente de celle retenue par l'autorité cantonale
puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse
même préférable (ATF 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 10
consid. 3a p. 15, 129 consid. 5b p. 134; 124 V 137 consid.
2b p. 139; 124 IV 86 consid. 2a p. 88).

2.- Pour contester le verdict de culpabilité, le recou-
rant fait valoir que la victime a dû recourir à des séances
d'hypnose pour parvenir à décrire les visages de ses agres-
seurs; il critique aussi la procédure par laquelle les en-
quêteurs l'ont amenée à le reconnaître personnellement comme
l'un d'eux.

a) La Cour d'assises a interrogé le Dr Philippe Bour-
geois, médecin-psychiatre expérimenté dans le domaine de
l'hypnose, au sujet de la crédibilité des souvenirs qu'une
personne n'a d'abord pas conservés, puis dont elle fait état
à la suite de séances d'hypnose. Ses déclarations devant la
Cour ont été enregistrées et transcrites, à l'instar de
l'ensemble des débats. Le Dr Bourgeois a expliqué que dans
la pratique de l'hypnose, le risque de suggestion est impor-
tant, en particulier lorsque le sujet est incité à retrouver
des souvenirs pour satisfaire une attente exprimée, verbale-
ment ou non, par le praticien. L'enregistrement vidéo des
séances d'hypnose est une précaution indispensable pour per-
mettre d'évaluer après coup l'influence exercée par ce der-
nier. Les souvenirs retrouvés peuvent correspondre aussi
bien à des faits réels qu'à une représentation imaginaire,
analogue à un rêve; leur véracité ne peut donc être admise
que s'ils sont confirmés par d'autres indices. Néanmoins,
le sujet est toujours certain de leur véracité et réalité.
L'hypnose a été employée comme méthode d'investigation judi-
ciaire aux Etats-Unis d'Amérique, mais à la suite d'erreurs,
le droit de plusieurs Etats dénie de façon absolue toute
force probante aux dépositions recueillies avec cette tech-
nique.

A l'appui du recours de droit public, le recourant in-
siste sur le fait que l'hypnose a été mise en oeuvre, au
cours de la thérapie suivie par la victime, dans le but ex-
plicite de l'aider à se rappeler les visages de ses agres-
seurs, et que la thérapeute lui assurait qu'elle y parvien-

drait. Il en déduit que la pertinence des images visuelles
ainsi retrouvées est particulièrement douteuse. Il se plaint
également d'un risque très élevé de suggestion dans l'exécu-
tion des opérations de l'enquête à l'issue desquelles la
victime l'a reconnu personnellement comme l'un des agres-
seurs.

b) La victime a d'abord été invitée à examiner six pai-
res de photographies d'identification qui lui étaient sou-
mises simultanément, dont une correspondait à Y.________.
Toutes ces photos remontaient aux années 1989 ou 1990, et
présentaient des visages juvéniles, de type maghrébin assez
prononcé. La victime a spontanément désigné deux paires
d'images sans rapport avec le recourant. L'un des inspec-
teurs présents l'a alors invitée à examiner les photos "plus
attentivement". C'est alors seulement qu'elle a désigné une
troisième paire, et a ainsi mis en cause Y.________. Cette
réponse était celle attendue par les inspecteurs, en ce sens
qu'elle validait les recherches effectuées sur la base du
portrait-robot et de la photo trouvée en possession de
X.________. Conformément à l'opinion du recourant, on peut
donc légitimement redouter une influence des enquêteurs -
certes involontaire - sur le résultat de cette opération.

Par la suite, au travers d'une glace sans tain, la vic-
time a dû examiner six personnes alignées contre le mur op-
posé; elle a immédiatement désigné, parmi eux, Y.________.
Celui-ci était cependant, dans le groupe, le seul individu
d'aspect maghrébin; en outre, il occupait la troisième posi-
tion depuis la gauche, soit la même que celle de X.________
lorsque la victime avait reconnu ce dernier au même endroit
et dans une procédure identique. Or, on ne saurait exclure
que, de façon occulte, la déclaration de la victime ait été
orientée par ces circonstances-ci plutôt que par un souvenir
effectif remontant à l'agression. Ce résultat est donc lui
aussi douteux.

Hormis ces deux reconnaissances visuelles et le simple
fait que le recourant soit une relation de X.________, le
dossier ne contient aucun autre élément à charge. Seul le
Juge d'instruction a organisé un test de reconnaissance de
la voix, qui s'est révélé négatif. La victime a alors préci-
sé que Y.________ parlait avec un accent nord-africain,
alors que l'agresseur recherché n'avait aucun accent. Elle
avait par ailleurs décrit de façon très détaillée les bijoux
portés par cet agresseur, mais aucun de ces objets n'a été
retrouvé en possession de Y.________, ni vu sur lui par les
témoins.

c) Dans ces conditions, le jury ne pouvait pas, sans
tomber dans l'arbitraire, acquérir la conviction que la cul-
pabilité du recourant était établie avec une certitude suf-
fisante. En raison des équivoques inhérentes au rôle de
l'hypnose dans l'élaboration du portrait-robot, puis de
celles qui affectaient les reconnaissances visuelles orga-
nisées par la police, le jury devait au contraire tenir la
culpabilité du recourant pour sérieusement douteuse et, con-
formément à la présomption d'innocence, le libérer de l'ac-
cusation élevée contre lui. L'arrêt de la Cour d'assises se
révèle ainsi contraire aux art. 4 aCst. et 6 par. 2 CEDH. Le
prononcé de la Cour de cassation cantonale est lui aussi
contraire à ces dispositions, en tant qu'il rejette le re-
cours dirigé contre ledit arrêt; il doit dès lors être annu-
lé.

3.- Le recourant qui obtient gain de cause a droit à
des dépens, à la charge du canton de Genève.

4.- Selon l'art. 152 OJ, le Tribunal fédéral peut ac-
corder l'assistance judiciaire à une partie à condition que
celle-ci soit dans le besoin et que ses conclusions ne pa-
raissent pas d'emblée vouées à l'échec.

Il ressort des pièces produites par l'intimée que cel-
le-ci n'est pas en mesure de supporter des frais d'avocat.
Par ailleurs, ayant obtenu gain de cause devant la Cour de
cassation cantonale, elle pouvait raisonnablement espérer le
même résultat dans la présente procédure. Les exigences pré-
citées étant ainsi satisfaites, sa demande d'assistance ju-
diciaire peut être admise.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Dit que le canton de Genève versera une indemnité
de 1'500 fr. au recourant à titre de dépens.

4. Admet la demande d'assistance judiciaire présentée
par l'intimée et désigne Me Claudio Mascotto en qualité
d'avocat d'office.

5. Dit que la caisse du Tribunal fédéral versera une
indemnité de 800 fr. à Me Mascotto à titre d'honoraires.

6. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties, au Procureur général et à la Cour de cassation
du canton de Genève.

Lausanne, le 29 septembre 2000
THE/mnv

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.166/2000
Date de la décision : 29/09/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-29;1p.166.2000 ?
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