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28/09/2000 | SUISSE | N°4C.198/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 septembre 2000, 4C.198/2000


«AZA 3»

4C.198/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

28 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

I n t e r m a n d a t S.A., à Lausanne, défenderesse et re-
courante, représentée par Me José Coret, avocat à Lausanne,

et

T u b i n v e s t Holding S.A., à Fribourg, demanderesse et
intimée, représentée par Me Pierre J

omini, avocat à Lausanne;

(société anonyme; responsabilité de l'organe de contrôle)

Vu les pièces du dossier d'où ressorten...

«AZA 3»

4C.198/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

28 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

I n t e r m a n d a t S.A., à Lausanne, défenderesse et re-
courante, représentée par Me José Coret, avocat à Lausanne,

et

T u b i n v e s t Holding S.A., à Fribourg, demanderesse et
intimée, représentée par Me Pierre Jomini, avocat à Lausanne;

(société anonyme; responsabilité de l'organe de contrôle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La société Calmex S.A. a été créée en 1977.
Depuis 1984, son conseil d'administration se composait de
Maurice Schneider, président, décrit comme "l'âme dirigeante
de la société", de Claude Lozano, secrétaire, et de Suzanne
Maylan, l'amie de Maurice Schneider, qui n'a jamais eu de
pouvoir propre.

A partir de 1985 en tout cas et jusqu'en 1989, In-
termandat S.A. Société fiduciaire (ci-après: Intermandat) a
été l'organe de contrôle de Calmex S.A. L'un des directeurs
de la fiduciaire, Jean-Claude Gaudin, était une connaissance
de longue date de Maurice Schneider.

En automne 1988, Jean-Paul Calmes, qui s'intéres-
sait à un investissement dans le cadre d'une industrie, est
entré en relation avec Maurice Schneider. Celui-ci lui a re-
mis divers documents concernant Calmex S.A. Pour examiner la
situation de cette société, Jean-Paul Calmes s'est entouré
des conseils de Robert Miller. Tous deux étaient convaincus
que les comptes de l'exercice 1987, établis par les adminis-
trateurs de Calmex S.A. et contrôlés par une grande fiduciai-
re, à la compétence de laquelle ils pouvaient légitimement
se
fier, correspondaient à la situation réelle. Intermandat
avait de plus attesté que l'état de la fortune et des résul-
tats répondait aux règles établies par la loi pour les éva-
luations en matière de bilan. Calmex S.A. leur est apparue
comme une entité économiquement saine, bien que connaissant
des difficultés de trésorerie dues au développement trop ra-
pide de ses activités.

Dans ces circonstances, Jean-Paul Calmes s'est dé-
cidé à investir 300'000 fr. dans Calmex S.A. par le biais de
sa société Tubinvest Holding S.A. (ci-après: Tubinvest).

Le 28 novembre 1988, Maurice Schneider, Jean-Paul
Calmes et Robert Miller ont passé une convention portant sur
l'achat de nouvelles actions émises par augmentation du capi-
tal pour une valeur nominale de 125'000 fr. au total et sur
le versement d'un agio de 175'000 fr. Intermandat n'a pas
pris part à l'élaboration de cet acte.

Lors d'une assemblée générale extraordinaire de
Calmex S.A. du 23 décembre 1988, il a notamment été décidé
d'émettre 1'250 actions au porteur de 100 fr. chacune, qui
ont été souscrites par Robert Miller et libérées par un ver-
sement en espèces de 300'000 fr. Les trois administrateurs
en
fonction, à savoir Maurice Schneider, Claude Lozano et Suzan-
ne Maylan, ont démissionné et ont été remplacés par Robert
Miller, président du conseil d'administration, Jacques Mar-
chandise, secrétaire, et Maurice Schneider, administrateur
délégué.

Robert Miller a souscrit les 1'250 actions à titre
fiduciaire pour Tubinvest. Il lui en a restitué 1'200 le 23
décembre 1988 et les 50 restantes le 8 novembre 1989.

Au début de l'année 1989, Maurice Schneider a con-
tinué à gérer Calmex S.A. comme par le passé. Les représen-
tants de Tubinvest n'ont pas pu obtenir les informations
qu'ils souhaitaient de Maurice Schneider, qui se dérobait.

Le 12 avril 1989, Jean-Paul Calmes a écrit au con-
seil d'administration de Calmex S.A. pour lui rappeler que
plusieurs documents comptables consolidés manquaient, en lui
indiquant notamment qu'il était préoccupé par la situation

financière et gestionnelle confuse et non transparente de la
société.

Intermandat a été priée de dresser son rapport
d'organe de contrôle et les comptes pour l'exercice 1988.

Le 22 mai 1989, lors d'une assemblée générale ex-
traordinaire de Calmex S.A., Maurice Schneider a été invité
à
démissionner de ses fonctions d'administrateur avec effet im-
médiat.

Dans son rapport d'organe de contrôle pour l'exer-
cice 1988, Intermandat a proposé à l'assemblée générale d'ap-
prouver les comptes.

Dès la fin du mois de mai 1989, les administrateurs
ont eu un accès plus libre aux documents et informations con-
cernant Calmex S.A. La société Adinter a été chargée de con-
trôler le stock marchandises figurant au bilan. Ces vérifica-
tions ont abouti à la découverte, dans la deuxième quinzaine
de juin 1989, de différences importantes entre la valeur
d'inventaire et la valeur comptable du stock de marchandises
pour 1986, 1987 et 1988. Il est notamment apparu que Maurice
Schneider avait surévalué le stock de plus de 325'000 fr. au
bilan 1987.

Lors de l'assemblée générale de Calmex S.A. du 30
juin 1989, le retrait proposé par Intermandat de sa fonction
d'organe de contrôle a été accepté. Le conseil d'administra-
tion a alors convenu de déposer le bilan.

Ayant obtenu du juge qu'il décide de surseoir à la
faillite, le conseil d'administration a demandé un nouveau
contrôle des comptes à KPMG Fides Peat (ci-après: KPMG). Il
résulte en substance du rapport de cette société du 7 septem-
bre 1989 que diverses écritures n'étaient pas justifiées, en

particulier le solde du compte marchandises en stock, la va-
leur du stock étant surévaluée. KPMG a conclu que la société
était surendettée.

Le 13 décembre 1989, Calmex S.A. a été déclarée en
faillite. Celle-ci s'est clôturée le 31 janvier 1992, avec
un
découvert final de 1'676'186,50 fr. Tubinvest n'a pas
produit
dans cette faillite et ne s'est pas fait céder les éventuels
droits de la masse contre les anciens administrateurs de Cal-
mex S.A.

Maurice Schneider a été condamné pénalement pour
faux dans les titres et escroquerie. La procédure pénale a
permis d'établir que Jean-Claude Gaudin avait fait confiance
à Maurice Schneider, qui avait admis avoir surévalué les ac-
tifs des comptes 1986, 1987 et 1988, et n'avait pas songé à
contrôler notamment l'état des stocks de marchandises en ré-
visant les comptes. Ainsi, pour le bilan au 31 décembre 1986
dressé sur le papier à en-tête d'Intermandat, Jean-Claude
Gaudin s'était contenté de reprendre telle quelle la valeur
d'inventaire indiquée par Maurice Schneider. Quant à l'exer-
cice 1987, Jean-Claude Gaudin a lui-même déclaré qu'il ne
détenait que l'inventaire remis par Maurice Schneider, In-
termandat n'ayant pas participé à l'inventaire physique des
valeurs portées ensuite au bilan. Pour leur part, les inves-
tisseurs avaient fait confiance aux comptes approuvés par le
réviseur et avaient été trompés.

B.- Par demande du 19 décembre 1989 déposée auprès
de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, Tubinvest a
conclu à ce que Maurice Schneider, Claude Lozano et Suzanne
Maylan, ainsi qu'Intermandat, soient reconnus ses débiteurs
solidaires de la somme de 300'000 fr. avec intérêt.

Il résulte notamment de l'expertise effectuée en
cours d'instance que, compte tenu de sa valeur comptable con-
sidérable par rapport au total du bilan, le stock de marchan-
dises de Calmex S.A. et la fiabilité de l'inventaire
auraient
dû au moins être vérifiés par sondage. L'organe de contrôle
n'avait pas procédé à ces vérifications, alors que celles-ci
étaient possibles et nécessaires selon les usages de la pro-
fession. Or, Calmex S.A. était à tout le moins lourdement
obérée à fin 1987 et manifestement insolvable au 31 décembre
1988.

Par jugement incident du 15 août 1990, Tubinvest a
été éconduite de son action contre Claude Lozano.

Maurice Schneider est décédé le 31 octobre 1997 et
sa succession répudiée a été liquidée faute d'actif.

Par jugement du 12 mai 1999, la Cour civile du Tri-
bunal cantonal vaudois a condamné Intermandat à payer à Tu-
binvest la somme de 300'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès
le 23 décembre 1988. Elle a rejeté les conclusions de Tubin-
vest à l'encontre de Suzanne Maylan.

C.- Contre ce jugement, Intermandat (la défende-
resse) interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral.
Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à ce que le re-
cours soit déclaré bien-fondé et à ce que le jugement
attaqué
soit réformé, dans le sens de l'admission de ses conclusions
libératoires à l'égard de Tubinvest.

Tubinvest (la demanderesse) propose, pour sa part,
le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Dès lors que les conditions d'application de
l'art. 451a al. 1 LPC vaud. ne sont pas réalisées en l'es-
pèce, le jugement rendu par la Cour civile du Tribunal canto-
nal revêt le caractère d'une décision finale qui ne peut fai-
re l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal, soit
d'un recours ayant effet suspensif et dévolutif (ATF 120 II
93 consid. 1b p. 94 s.), de sorte que la voie du recours en
réforme au Tribunal fédéral est ouverte (art. 48 al. 1 OJ).

2.- La cour cantonale a rejeté l'action dirigée à
l'encontre de Suzanne Maylan, en tant qu'administratrice de
Calmex S.A., par la société demanderesse. Cette dernière
n'ayant pas recouru, le jugement attaqué est devenu
définitif
sur ce point (cf. art. 55 al. 1 let. b et c OJ). Par consé-
quent, Suzanne Maylan n'est pas partie à la présente procédu-
re (cf. Poudret, COJ II, Berne 1990, art. 59 et 61 p. 475 no
2.2.1).

3.- La défenderesse soutient en premier lieu que
la demanderesse n'a pas qualité pour intenter une action en
responsabilité envers l'organe de contrôle, dès lors que
celle-ci n'était pas actionnaire de Calmex S.A. au moment de
la souscription. Seul Robert Miller, qui avait acquis les ac-
tions à titre fiduciaire, aurait pu agir.

Il est vrai que le fiduciaire est seul lié par le
contrat conclu pour le compte du fiduciant (cf. ATF 115 II
468 consid. 2a p. 471; 100 II 200 consid. 8a p. 211 s.). Tou-
tefois, il importe peu que la demanderesse n'ait juridique-
ment pas été titulaire des actions au moment de leur émis-
sion. En effet, selon la jurisprudence, un investisseur qui

achète, en se fiant à un rapport de révision, un paquet
d'actions dont il s'avère par la suite que la valeur réelle
ne correspond pas à son prix de vente ne peut pas être consi-
déré comme un tiers en relation avec la qualité pour agir.
En
effet, son dommage ne survient pas avant, mais lors de l'ac-
quisition des actions. Le préjudice coïncide ainsi avec le
moment où l'investisseur est devenu actionnaire (arrêt du
Tribunal fédéral du 19 décembre 1997 dans la cause X. AG
contre Y. AG, publié notamment in PRA 1998 no 121 p. 680,
consid. 3).

Il ressort du jugement attaqué que Robert Miller a
certes souscrit les 1'250 actions à titre fiduciaire pour la
demanderesse, mais qu'il lui en a restitué 1'200 le 23 décem-
bre 1988, soit le jour même de leur émission, et les 50 ac-
tions restantes le 8 novembre 1989. Il en découle que la de-
manderesse est bien devenue l'actionnaire qui a subi le pré-
judice résultant de l'acquisition des actions.

4.- La défenderesse fait ensuite grief à la cour
cantonale d'avoir méconnu la jurisprudence récente sur le
dommage direct et indirect, en admettant que la société ac-
tionnaire était légitimée à fonder son action sur l'art. 754
aCO et à se prévaloir des art. 725, 728 et 729 aCO.

a) Les manquements reprochés à la défenderesse sont
antérieurs à l'entrée en vigueur du nouveau droit de la so-
ciété anonyme, le 1er juillet 1992. C'est donc bien l'ancien
droit qui est applicable à la présente cause (Böckli, Schwei-
zer Aktienrecht, 2e éd. Zurich 1996, p. 1119 no 2049 et
p. 1122 no 2054).

b) Calmex S.A. n'a pas subi de dommage du fait des
manquements reprochés à l'organe de contrôle. Au contraire,
elle a bénéficié d'un apport de liquidités. Seul l'investis-

seur ayant souscrit les actions et versé l'agio pour un mon-
tant total de 300'000 fr. est donc lésé (cf. Chambre fidu-
ciaire, Manuel suisse de révision 1992, tome I, p. 383).
Dans
ces circonstances, les distinctions posées par la jurispru-
dence dans le but de déterminer qui de la société ou des
créanciers ainsi que des actionnaires peut obtenir
réparation
du dommage subi (cf. ATF 125 III 86 et 122 III 176 consid.
7)
n'est pas pertinente, puisque la société n'a en l'occurrence
subi aucun préjudice (cf. Alain Hirsch, La responsabilité
des
organes en cas d'insolvabilité de la SA: dommage direct et
dommage indirect des créanciers, RSDA 2/2000 p. 94 ss, 100).
La demanderesse, qui a acquis la qualité d'actionnaire (cf.
supra consid. 3), est donc fondée à s'en prendre individuel-
lement à l'organe de contrôle sur la base de l'art. 754 aCO
(Bürgi/Nordmann-Zimmermann, Commentaire zurichois, art. 753/
754 CO nos 15 et 105; cf. en ce sens arrêt du Tribunal fédé-
ral du 19 décembre 1997, op. cit., PRA 1998 no 121 p. 680,
consid. 3 in fine)

c) Selon l'art. 754 al. 1 aCO, toutes les personnes
chargées de l'administration, de la gestion ou du contrôle
répondent, à l'égard de la société, de même qu'envers chaque
actionnaire ou créancier social, du dommage qu'elles leur
causent en manquant intentionnellement ou par négligence à
leurs devoirs.

La responsabilité de la défenderesse en tant qu'or-
gane de contrôle suppose la réunion des quatre conditions gé-
nérales suivantes: l'existence d'un dommage, d'un manquement
aux devoirs de l'organe, d'une faute (intentionnelle ou par
négligence) et d'un lien de causalité adéquate entre le man-
quement et le dommage (Peter
Forstmoser, La responsabilité
du
réviseur en droit des sociétés anonymes, Chambre fiduciaire,
Zurich 1997, nos 13 ss; Manuel suisse de révision 1992, op.
cit., p. 386).

La diligence requise des différents membres des
organes de la société anonyme s'apprécie selon des critères
objectifs et correspond à ce qu'un homme consciencieux et
raisonnable, appartenant au même cercle que le responsable,
tiendrait pour exigible dans des circonstances identiques
(Peter Forstmoser, Die aktienrechtliche Verantwortlichkeit,
2e éd. Zurich 1987, p. 106 no 292). S'agissant de l'organe
de
contrôle, la prudence et la diligence attendues sont propor-
tionnelles au haut degré de qualification exigé de celui-ci
(ATF 93 II 22 consid. 6; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel;
Schweizerisches Aktienrecht, Berne 1996, § 36 no 86). Ses
devoirs ressortent des art. 728 et 729 aCO (Forstmoser, Die
aktienrechtliche Verantwortlichkeit, op. cit., p. 254 s. nos
867 ss). L'organe de contrôle viole en particulier ses obli-
gations s'il ne s'assure pas que les actifs du bilan
existent
réellement (ATF 116 II 533 consid. 5b), qu'il ne vérifie pas
si le stock de marchandises porté au bilan respecte le prin-
cipe de la valeur minimale exprimée à l'art. 666 aCO (ATF
112
II 461 consid. 3c; 93 II 22 consid. 3a et c) ou qu'il ne si-
gnale pas la réalisation de l'une des hypothèses visées à
l'art. 725 aCO (ATF 116 II 533 consid. 5b; 112 II 461
consid.
3c; cf. Manuel suisse de révision 1992, op. cit., p. 388 ss).

Il ressort du jugement attaqué que, pour investir
300'000 fr. dans le capital-actions de Calmex S.A., la deman-
deresse s'est fiée au bilan de l'exercice 1987 fourni par
Maurice Schneider et contrôlé par une fiduciaire réputée
pour
son sérieux, qui avait de plus attesté que l'état de la for-
tune et des résultats répondait aux règles établies par la
loi pour les évaluations en matière de bilan. Or, le stock
de
marchandises porté au bilan 1987 était surévalué de plus de
325'000 fr. Le représentant de l'organe de contrôle n'avait
toutefois procédé à aucune vérification, se contentant de re-
transcrire la valeur d'inventaire fournie par le président
du
conseil d'administration. Selon l'expert judiciaire, de tel-
les vérifications étaient possibles et nécessaires, au moins

par sondage, d'après les usages de la profession; elles au-
raient permis à la fiduciaire de rectifier le bilan. Dans ce
contexte, on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir
considéré que les conditions de l'art. 754 aCO étaient réali-
sées en l'espèce, ce que la défenderesse ne remet du reste
pas directement en cause. En reconnaissant la responsabilité
de l'organe de contrôle, la cour cantonale n'a par
conséquent
pas violé le droit fédéral.

d) Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'exa-
miner, à titre subsidiaire, si la responsabilité de la défen-
deresse aurait également pu être retenue sur la base de
l'art. 41 CO ou d'une culpa in contrahendo (cf. Bürgi/
Nordmann-Zimmermann, op. cit., art. 753-754 CO no 41; en ce
sens également Alain Hirsch, La responsabilité des réviseurs
envers les investisseurs, RSDA 1/99 p. 48 ss, 50).

5.- La défenderesse soutient qu'en tout état de
cause, elle aurait dû être mise au bénéfice des facteurs de
réduction légaux prévus aux art. 43 et 44 CO.

a) Entre autres conditions, la réduction des domma-
ges-intérêts en vertu de l'art. 43 al. 1 CO suppose que la
faute du responsable ne soit que légère (ATF 96 II 172 con-
sid. 3a; 92 II 234 consid. 3b; Böckli, op. cit., p. 1103 no
2023; Forstmoser, La responsabilité du réviseur, op. cit.,
nos 60 et 220 ss). L'appréciation de la faute est une ques-
tion de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF
115 II 283 consid. 1 in fine).

La description du comportement de la défenderesse,
telle qu'elle ressort du jugement attaqué, permet de confir-
mer l'appréciation de la cour cantonale selon laquelle cette
société a commis une grossière négligence. En effet, en tant
qu'organe de contrôle, elle avait pour obligation de
vérifier

la réalité des actifs portés au bilan. Or, elle s'est conten-
tée de reprendre, sans procéder aux contrôles ordinaires cor-
respondant aux usages de la profession, les indications don-
nées par Maurice Schneider. Si elle avait vérifié, ne serait-
ce que par sondage, la fiabilité de l'inventaire, elle se se-
rait aperçue que le stock de marchandises était nettement
surévalué. Elle a en outre attesté que l'état de la fortune
et des résultats répondait aux règles établies par la loi
pour les évaluations en matière de bilan, alors qu'elle
s'était bornée à retranscrire les chiffres fournis par le
président du conseil d'administration. Dans un tel contexte,
on ne voit pas que la défenderesse puisse prétendre à bénéfi-
cier de l'art. 43 CO.

b) Quant à l'art. 44 al. 1 CO, il permet de réduire
les dommages-intérêts ou même de n'en point allouer si la
partie lésée est responsable de son dommage ou de l'aggrava-
tion de celui-ci. Cette disposition laisse au juge un large
pouvoir d'appréciation (ATF 117 II 156 consid. 3a p. 159).

La cour cantonale a analysé de manière détaillée le
comportement de la demanderesse. Elle a relevé à juste titre
que l'on ne pouvait lui reprocher d'avoir approuvé les comp-
tes de l'année 1988, puisque cet exercice n'avait joué aucun
rôle dans sa décision d'investir et qu'il ne pouvait lui
être
fait grief d'avoir adressé l'avis au juge conformément à
l'art. 725 CO après avoir constaté le surendettement de
Calmex S.A.

Les juges ont également examiné si la demanderesse
n'aurait pas dû procéder elle-même à des vérifications plus
poussées au moment de son investissement. Ils ont évoqué
l'avis de Hirsch, selon lequel une faute justifiant l'appli-
cation de l'art. 44 al. 1 CO peut être retenue à la charge
de
l'acquéreur qui envisage un achat important d'actions, en se
contentant de recevoir un bilan révisé, sans demander des ga-

ranties supplémentaires du vendeur ou un rapport de révision
spécial (Hirsch, La responsabilité des réviseurs, op. cit.,
p. 52); ils ont toutefois considéré qu'une telle faute ne
pouvait être reprochée à la demanderesse, dès lors que celle-
ci avait analysé la situation de Calmex S.A. avec son con-
seiller financier, sur la base de documents contrôlés par
une
grande fiduciaire à la compétence de laquelle elle pouvait
légitimement se fier. Compte tenu de l'investissement relati-
vement modeste consenti, il aurait été disproportionné
qu'elle exige un rapport de révision spécial, alors qu'elle
n'avait pas de raison de douter de la véracité des données
fournies.

Dans son argumentation, la défenderesse remet en
cause les faits retenus pour tenter de démontrer un comporte-
ment fautif de la part de la demanderesse, ce qui n'est pas
admissible dans le cadre d'un recours en réforme (art. 63
al.
2 OJ; ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 368 consid. 3 in
fine). Confondant l'appréciation des preuves avec l'inadver-
tance manifeste (cf. sur cette question ATF 121 IV 104 con-
sid. 2b; 118 IV 88 consid. 2b), elle va jusqu'à reprocher à
la cour cantonale de l'avoir décrite comme une grande fidu-
ciaire à la compétence de laquelle on pouvait légitimement
se
fier.

Quoi qu'il en soit, la défenderesse semble perdre
de vue qu'il lui appartenait en premier lieu de procéder aux
vérifications nécessaires s'agissant de la valeur du stock
de
marchandises portée au bilan, de sorte qu'à moins de circons-
tances tout à fait exceptionnelles non réalisées en
l'espèce,
on ne peut reprocher à l'investisseur de n'avoir pas
suppléer
aux carences de l'organe de contrôle. Sur la base des faits
constatés, on ne voit pas que la cour cantonale ait abusé de
son large pouvoir d'appréciation en considérant que la deman-
deresse n'avait pas commis de faute qui soit de nature à ré-
duire les dommages-intérêts auxquels elle a droit.

Le recours doit par conséquent être rejeté et le
jugement attaqué confirmé.

6.- La défenderesse, qui succombe, sera condamnée
aux frais (art. 156 al. 1 OJ) et versera à la demanderesse
une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme le jugement atta-
qué.

2. Met un émolument judiciaire de 6'500 fr. à la
charge de la défenderesse.

3. Dit que la défenderesse versera à la demanderes-
se une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

__________

Lausanne, le 28 septembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.198/2000
Date de la décision : 28/09/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-28;4c.198.2000 ?
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