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25/09/2000 | SUISSE | N°4C.49/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 septembre 2000, 4C.49/2000


«AZA 1/2»

4C.49/2000

Ie C O U R C I V I L E
**************************

25 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Zappelli, juge suppléant. Greffière: Mme de Montmollin
Hermann.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Elvia Assurances, à Genève, défenderesse et recourante, re-
présentée par Me Mike Hornung, avocat à Genève,

et

Allan Kert-Bücheler, au Grand-Saconnex, demandeur et intimé,
représenté par Me Marlène

Pally, avocate au Grand-Lancy;

(responsabilité civile du détenteur de véhicule; dommages-
intérêts; tort moral; constatations de ...

«AZA 1/2»

4C.49/2000

Ie C O U R C I V I L E
**************************

25 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Zappelli, juge suppléant. Greffière: Mme de Montmollin
Hermann.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Elvia Assurances, à Genève, défenderesse et recourante, re-
présentée par Me Mike Hornung, avocat à Genève,

et

Allan Kert-Bücheler, au Grand-Saconnex, demandeur et intimé,
représenté par Me Marlène Pally, avocate au Grand-Lancy;

(responsabilité civile du détenteur de véhicule; dommages-
intérêts; tort moral; constatations de fait incomplètes,
inadvertance manifeste)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants :

A.- a) Le 3 juin 1995, Allan Kert-Bücheler, qui
circulait à Genève au guidon d'une moto, a été heurté par
une
voiture que conduisait Marcel Castro. Les parties se sont en-
tendues pour partager les responsabilités à raison de 30 % à
la charge du motocycliste, et de 70 % à celle de l'automobi-
liste.

A la suite du choc, Allan Kert-Bücheler a souffert
de douleurs à l'épaule, au genou et dans la région para-
lombaire gauche. Conduit au service des urgences, il a pu
quitter l'hôpital le jour même avec un traitement au Voltarè-
ne, trois fois par jour. Un arrêt de travail lui a été pres-
crit jusqu'au 25 juin 1995.

Allan Kert-Bücheler exerce la profession de plon-
geur. Le 29 mai 1995, il avait été engagé par le bureau
d'ingénieurs Pierre Martin pour des travaux de construction
d'un gazoduc sur la base d'un forfait journalier de 1031 fr.
à raison de 10 heures par jour, cinq jours par semaine. Il
devait commencer dès que possible cet emploi, qui devait
normalement se terminer fin octobre 1995. L'accident l'a em-
pêché d'effectuer ce travail. Il a été remplacé par un tiers.

Allan Kert-Bücheler a trouvé un emploi temporaire
de machiniste dès le 18 juillet 1995, avec un salaire
horaire
de 25 fr. Ses gains se sont montés à 5507 fr.

B.- Le 23 décembre 1996, Allan Kert-Bücheler a as-
signé Elvia Assurances, assureur responsabilité civile de
Manuel Castro, en paiement de 51 306 fr.40 à titre de manque
à gagner (43 302 fr.), dommages-intérêts (3004 fr.40) et
tort
moral (5000 fr.). En cours de procédure, il a amplifié ses

conclusions pour réclamer un manque à gagner de 52 229 fr.
et
455 fr.70 à titre d'émolument de mise en fourrière de son vé-
hicule.

Par jugement du 25 février 1999, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a condamné la
compagnie
d'assurances à verser au motocycliste 3004 fr.40 à titre de
dommage matériel. Les autres conclusions de la demande ont
été rejetées ou déclarées irrecevables.

Saisie par le demandeur, la Cour de justice du can-
ton de Genève a annulé ce jugement par arrêt du 10 décembre
1999. Déclarant irrecevables les conclusions tendant au paie-
ment de 455 fr.70, la cour a condamné la défenderesse à
payer
au demandeur les sommes suivantes: 3004 fr.40 à titre de dom-
mage matériel, 35 990 fr.75 à titre de dommages-intérêts, et
1500 fr. à titre de tort moral.

C.- Elvia Assurances recourt en réforme au Tribunal
fédéral contre l'arrêt du 10 décembre 1999. Sollicitant l'an-
nulation de celui-ci, elle conclut principalement au renvoi
de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision au
sens des considérants, subsidiairement à l'irrecevabilité
des
prétentions du demandeur tendant au versement de 455 fr.70,
au rejet de celles portant sur le versement de 52 229 fr. et
de 5000 fr., et à ce qu'il lui soit donné acte de son engage-
ment à réparer le dommage matériel à hauteur de 3304 fr.

Allan Kert-Bücheler invite le Tribunal fédéral à
confirmer l'arrêt du 10 décembre 1999.

D.- Le 19 avril 2000, la Ie Cour civile du Tribunal
fédéral a mis le demandeur au bénéfice de l'assistance judi-
ciaire pour la procédure devant lui et désigné Me Marlène
Pally comme son avocate d'office.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal
fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus dans la décision attaquée, à moins que des disposi-
tions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il
ne
faille compléter les constatations de l'autorité cantonale
parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents
et
régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid.
2a
et les arrêts cités). La défenderesse se prévaut en l'occur-
rence de deux des exceptions permettant au Tribunal fédéral,
sous de strictes conditions, de revenir sur les faits
retenus
dans l'instance cantonale.

2.- a) Invoquant l'art. 64 OJ, la défenderesse re-
proche tout d'abord à la cour cantonale d'avoir ignoré cer-
tains faits pertinents, pourtant dûment allégués. La prise
en
compte de toutes les circonstances relevantes n'aurait que
pu
l'amener à constater que le lien de causalité adéquate entre
l'accident et la perte de gain subie par le demandeur avait
été rompu ou, à tout le moins, que le motocycliste n'avait
pas diminué le dommage comme il l'aurait pu.

b) L'application de l'art. 64 al. 1 OJ suppose
qu'en raison de lacunes dans les constatations de fait, la
cause ne soit pas en état d'être jugée par le Tribunal fédé-
ral. Il en résulte, a contrario, qu'il n'y a pas lieu à ren-
voi lorsque les lacunes invoquées ne portent pas sur un fait
décisif, c'est-à-dire dont dépend le sort du recours aux
yeux
du Tribunal fédéral (Poudret, COJ II, n. 2.1 ad art. 64;
Peter Münch, Prozessieren vor Bundesgericht, § 4.67). La par-
tie qui entend obtenir le renvoi sur la base de l'art. 64 OJ
doit démontrer que le fait omis est pertinent, qu'il a été

régulièrement allégué devant les juridictions cantonales, et
que l'allégation était assortie d'une offre de preuve en bon-
ne et due forme (ATF 119 II 353 consid. 5c/aa p. 357, et les
arrêts cités).

Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur
la portée de l'art. 64 OJ. Cette disposition n'a pas pour ob-
jectif de permettre l'établissement d'un état de fait plus
favorable pour le recourant. Son application est exclue lors-
que, même incomplet, l'état de fait admis par les instances
cantonales est suffisant pour l'application du droit fédéral.

c) aa) La cour cantonale a constaté que le deman-
deur avait souffert à la suite de l'accident de douleurs à
l'épaule, au genou et dans la région paralombaire gauche,
lesquelles avaient entraîné son hospitalisation durant quel-
ques heures, puis une incapacité de travail jusqu'au 25 juin
1995. Les juges cantonaux ont également relevé qu'en consé-
quence le demandeur n'avait pu respecter l'engagement qu'il
avait auprès d'un bureau d'ingénieurs-conseils pour la cons-
truction d'un gazoduc dans le Léman, l'entrée en fonction
étant prévue aussitôt que possible dès le 29 mai 1995. Le
Tribunal de première instance avait estimé que, n'ayant pas
offert ses services au bureau d'ingénieurs à la fin juin
1995, le demandeur n'avait droit à aucun montant à titre de
perte de gain. La cour cantonale a quant à elle retenu que
le
demandeur avait été déjà remplacé au terme de son incapacité
de travail. On ne pouvait par conséquent lui tenir grief de
n'avoir pas offert ses services à ce moment-là. En trouvant
un autre emploi que celui de plongeur le 18 juillet 1995, il
avait agi dans un délai raisonnable et diminué en partie son
dommage.

bb) La défenderesse énumère plusieurs faits, dûment
allégués par elle et non relevés par la cour cantonale, qui
permettraient de douter de la réalité de l'inaptitude au tra-

vail du demandeur entre les 3 et 25 juin 1995. Elle estime
que ces éléments sont pertinents et qu'à défaut de les pren-
dre en considération, la cour cantonale n'était pas en
mesure
d'appliquer valablement le droit fédéral. Il en irait ainsi
du fait que le demandeur n'aurait souffert d'aucune
fracture,
ni de perte de connaissance, nausées ou vomissements à la
suite du choc, de même que de sa sortie rapide de l'hôpital
avec pour seul traitement la prise d'un anti-inflammatoire.

La défenderesse est victime d'une confusion avec
les moyens susceptibles d'être invoqués à l'appui d'un re-
cours de droit public ainsi que d'une erreur dans la portée
de l'art. 64 OJ. Son argumentation vise en réalité à
modifier
l'état de fait retenu en instance cantonale. Selon les attes-
tations médicales figurant au dossier, le demandeur était en
arrêt de travail du 3 au 25 juin inclus. Venir soutenir que
d'autres faits établis permettraient de mettre cette incapa-
cité de travail en doute n'est pas admissible en instance de
réforme. Dans cette mesure, le recours est irrecevable.

cc) La défenderesse entend aussi démontrer que les
relations entre le demandeur et le bureau d'ingénieurs qui
l'avait engagé à compter du 29 mai ainsi que l'attitude du
demandeur vis-à-vis de ce bureau après l'accident ont été à
tort ignorées par la cour cantonale. Celle-ci, par consé-
quent, ne pouvait pas valablement trancher les questions de
l'existence et du maintien du lien de causalité entre l'ac-
cident et le dommage.

Il a été établi en fait que, en raison de l'acci-
dent, le bureau d'ingénieurs avait dû engager un autre plon-
geur à la place du demandeur; ce dernier avait donc perdu le
travail prévu. Qu'il ait été en relations d'affaires avec ce
bureau depuis plus de dix ans et engagé en qualité d'indépen-
dant ne jouent pas de rôle dans la question à juger. Il en
va
de même de la circonstance que le demandeur n'a pas immédia-

tement avisé le bureau de son incapacité de travail, ou du
fait, que la cour cantonale a au demeurant relevé, qu'il ne
lui a pas offert ses services dès le 26 juin 1995. Ces élé-
ments sont sans importance puisqu'il est établi par ailleurs
que le demandeur n'aurait, en tout état de cause, pas été
engagé comme plongeur mais pour d'autres activités dont on
ignore la rémunération.

La cour cantonale a dès lors constaté les faits
pertinents permettant de trancher la question du lien de
causalité entre l'accident et la perte de gain.

Pour le reste, les allégués de la défenderesse ne
constituent que de pures hypothèses. Il ne ressort pas de la
procédure que, compte tenu des bonnes relations entre le de-
mandeur et le bureau d'ingénieurs, ce dernier aurait permis
au demandeur de commencer son activité de plongeur plus tard
que prévu, ni que le chantier n'aurait accusé aucun retard
si
le demandeur avait pris son emploi début juillet, ni que la
communication immédiate de la survenance de l'accident au bu-
reau d'ingénieurs aurait évité que celui-ci ne confie le tra-
vail à quelqu'un d'autre.

Le recours est irrecevable à cet égard.

dd) La cour cantonale a retenu, en ce qui concerne
le devoir du lésé de réduire le préjudice autant qu'il le
pouvait, qu'en retrouvant du travail dès le 18 juillet 1995,
le demandeur avait diminué en partie son dommage, cela en
agissant dans un délai raisonnable.

La défenderesse estime que la cour cantonale s'est,
ici aussi, fondée sur un état de fait incomplet. Le bureau
d'ingénieurs aurait, à la simple requête diligente du deman-
deur, fourni à ce dernier, au moins dès la fin de son incapa-
cité de travail, un emploi qui lui aurait procuré davantage

que les gains qu'il a réalisés auprès d'une société tierce
dès le 18 juillet 1995.

A nouveau, l'argumentation s'appuie sur des hypo-
thèses non étayées. Le dossier ne révèle pas à partir de
quand le bureau d'ingénieurs aurait pu fournir du travail au
demandeur, ni quel aurait été son salaire.

Les faits établis et retenus par la cour cantonale
sont suffisants pour trancher la question du lien de causali-
té entre l'accident et la perte de gain du demandeur, et
pour
estimer celle-ci.

Le moyen est mal fondé dans la mesure où il est re-
cevable.

3.- a) La défenderesse soutient en dernier lieu que
l'octroi d'une indemnité pour tort moral au demandeur repose
sur une inadvertance manifeste, l'intéressé n'ayant subi au-
cune hospitalisation contrairement à ce que la cour
cantonale
a retenu au moment de se prononcer sur ce point.

b) Il y a inadvertance manifeste lorsque l'autori-
té, par inattention, n'a pas lu ou a omis de prendre en con-
sidération tout ou partie d'une pièce déterminée, versée au
dossier (ATF 109 II 159 consid. 2b). Si l'inadvertance porte
sur un fait déterminant pour l'issue du litige et que la rec-
tification est possible sur la base des seules pièces du dos-
sier, le Tribunal fédéral peut intervenir sur requête (art.
55 al. 1 let d OJ), ou d'office (art. 63 al. 2 OJ).

c) Parmi les critères pris en considération par la
cour cantonale pour allouer une somme de 1500 fr. à titre de
tort moral au demandeur, figure effectivement une hospitali-
sation du 3 au 25 juin 1995. Les autres éléments entrant en
jeu sont les lésions subies par le demandeur, qualifiées de

peu importantes, ainsi qu'un taux de responsabilité de 30 %
du demandeur dans l'accident.

Les conditions d'une rectification sont bien réali-
sées en l'espèce. C'est par pure mégarde que la cour cantona-
le a fait état d'une hospitalisation au moment de se pronon-
cer sur le tort moral. Cette constatation est en contradic-
tion manifeste avec les pièces du dossier et avec l'état de
fait retenu au début de l'arrêt lui-même.

La réalité ou non d'un séjour à l'hôpital joue un
rôle déterminant dans la décision d'allouer une indemnité de
tort moral. En effet, le principe d'une telle indemnisation

et l'ampleur de la réparation dépendent de manière décisive
de la gravité de l'atteinte ainsi que de la possibilité
d'adoucir de façon sensible, par le versement d'une somme
d'argent, la douleur physique ou morale (ATF 125 III 412 con-
sid. 2a). Des lésions corporelles ne justifient une compen-
sation de ce genre que si elles sont importantes. Une attein-
te durable à l'intégrité permet en général d'allouer une ré-
paration. S'il s'agit, comme en l'espèce, d'une atteinte pas-
sagère, elle doit être grave, s'être accompagnée d'un risque
de mort, d'une longue hospitalisation ou de douleurs particu-
lièrement intenses ou durables (Keller, Haftplicht im Privat-
recht, 2e éd., tome II, p. 132). Un bras ou une jambe cassés
qui se guérissent rapidement et sans complication ne justi-
fient par exemple aucune réparation morale (Keller, op.
cit.,
p. 132-133). En l'occurrence, les lésions provoquées par
l'accident du 3 juin 1995 sont encore moins graves que
celles
des exemples précités. Elles étaient passagères et de peu
d'importance. Elles n'ont entraîné qu'une brève hospitalisa-
tion le jour de l'accident.

Ces circonstances ne justifient nullement l'octroi
d'une indemnité pour tort moral.

Le recours s'avère donc bien fondé sur ce point.

4.- La recourante n'obtient gain de cause que sur
une part très restreinte de ses conclusions. Elle supportera
par conséquent les frais de justice et versera une indemnité
de dépens au demandeur (art. 156 et 159 OJ). Les honoraires
de l'avocat d'office de celui-ci, dus en cas de non-paiement
des dépens, sont fixés à 2000 fr. (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours;

Réforme l'arrêt attaqué en ce sens que les con-
clusions du demandeur en paiement d'une indemnité pour tort
moral sont rejetées;

Rejette pour le surplus le recours dans la mesu-
re de sa recevabilité et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la défenderesse;

3. Dit que la défenderesse versera au demandeur une
indemnité de 2000 fr. à titre de dépens; en cas de non-
paiement, la Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Marlène
Pally une indemnité de 2000 fr. à titre d'honoraires;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

_____________

Lausanne, le 25 septembre 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.49/2000
Date de la décision : 25/09/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-25;4c.49.2000 ?
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