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22/09/2000 | SUISSE | N°1P.472/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 septembre 2000, 1P.472/2000


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1P.472/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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22 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

R.________, représenté par Mes Pierre Christe et Sylvaine
Perret-Gentil Hofstetter, avocats à Delémont et Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 28 juin 2000 par le Tribunal cantonal

extra-
ordinaire de la République et canton du Jura, dans la cause
qui oppose le recourant à la Cour pénale du Tribu...

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1P.472/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

22 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

R.________, représenté par Mes Pierre Christe et Sylvaine
Perret-Gentil Hofstetter, avocats à Delémont et Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 28 juin 2000 par le Tribunal cantonal extra-
ordinaire de la République et canton du Jura, dans la cause
qui oppose le recourant à la Cour pénale du Tribunal
cantonal
du canton du Jura;

(procédure pénale; prise à partie)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 27 octobre 1998, le Tribunal de
district de Delémont a condamné R.________ à quinze mois
d'emprisonnement avec sursis et à 10'000 fr. d'amende, pour
escroquerie et infraction à la loi fédérale sur l'assurance
chômage.

R.________ a fait appel de ce jugement auprès de la
Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien (ci-après: la
Cour
pénale). Dans le cadre de cette procédure, il a requis, les
7 et 8 octobre 1999, l'administration de preuves complémen-
taires, notamment des auditions de témoins, des productions
de pièces et une expertise.

B.- Par arrêt du 1er mars 2000, la Cour pénale a or-
donné une nouvelle expertise requise par le Ministère public
et la plaignante, et a rejeté la demande de compléments de
preuves de l'appelant, considérant en substance que les preu-
ves proposées n'étaient pas pertinentes.

Par acte du 21 mars 2000, R.________ a déposé une
prise à partie auprès du Tribunal cantonal jurassien à l'en-
contre des juges de la Cour pénale, auxquels il reprochait
de
violer leur devoir d'établir la vérité, et de ne pas ins-
truire à charge et à décharge. L'attitude des juges
laissait,
selon lui, entendre que la thèse de certaines parties serait
indûment favorisée. Il demandait que les preuves requises
par
lui soient administrées, et qu'une nouvelle procédure de no-
mination d'expert soit mise sur pied, avec la participation
des parties.

R.________ a également formé un recours de droit
public contre l'arrêt du 1er mars 2000; la procédure est, en
l'état, suspendue.

C.- Le 17 mai 2000, le Parlement jurassien a désigné
un Tribunal cantonal extraordinaire composé de cinq juges
(ci-après: le Tribunal extraordinaire). Celui-ci a admis une
demande de déport de trois juges cantonaux et, constatant
que
la majorité du plénum du Tribunal cantonal n'était plus réu-
nie, il s'est chargé de statuer sur la demande de prise à
partie.

D.- Par arrêt du 28 juin 2000, le Tribunal extraor-
dinaire a déclaré irrecevable la demande de prise à partie.
Considérée soit comme un moyen disciplinaire destiné à sanc-
tionner dans certains cas les membres de l'administration
judiciaire, soit comme un moyen de droit spécial permettant
d'annuler certains actes viciés, en l'absence d'une voie de
recours ordinaire, la prise à partie devait reposer sur une
base légale. Or, selon l'art. 70 al. 1 du code de procédure
pénale jurassien (CPP/JU), ce moyen n'était recevable qu'à
l'encontre des membres des juridictions pénales de première
instance. L'art. 33 de la loi cantonale sur le statut des
magistrats, fonctionnaires et employés (LStMF), qui permet
au
Tribunal cantonal de sanctionner les fonctionnaires et magis-
trats relevant de son autorité, ne constituait pas non plus
une base légale suffisante. En tant que moyen de nature dis-
ciplinaire, il était douteux que la prise à partie puisse
s'étendre à une autorité collégiale; en tant qu'elle concer-
nait le refus d'administrer des preuves, le moyen devait
être
soulevé par les voies ordinaires.

E.- R.________ forme un recours de droit public con-
tre ce dernier arrêt. Il conclut à son annulation et à toute
mesure nécessaire au rétablissement d'une situation conforme
au droit.

Le Tribunal extraordinaire conclut au rejet du re-
cours en tant qu'il est recevable. La Cour pénale conclut à
la confirmation de l'arrêt du 28 juin 2000.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office la receva-
bilité des recours qui lui sont soumis (ATF 126 I 81 consid.
1, 125 I 253 consid. 1a, 412 consid. 1a p. 414 et les arrêts
cités).

a) En dehors d'exceptions non réalisées en l'espèce,
le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art.
90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 104 consid. 1b p. 107; 125 II
86 consid. 5a p. 96; 124 I 327 consid. 4a p. 332; 123 I 87
consid. 5 p. 96 et les arrêts cités). Outre qu'elle n'est
nullement motivée, la conclusion tendant à ce que soit ordon-
née "toute mesure nécessaire à rétablir une situation confor-
me au droit" est ainsi irrecevable.

b) La cour cantonale ne s'est pas prononcée défini-
tivement sur la nature de la prise à partie. Elle a
considéré
d'une part qu'il pouvait s'agir d'un moyen d'ordre discipli-
naire à l'encontre des magistrats en cause, et, d'autre part
d'un moyen permettant de mettre en cause un acte déterminé
et
d'en requérir l'annulation, en l'absence d'une voie de re-
cours ordinaire.

Dans son mémoire du 21 mars 2000, le recourant con-
cluait à l'annulation de l'arrêt du 1er mars 2000, à ce
qu'une nouvelle mise en oeuvre de l'expert soit ordonnée, et
à ce que les preuves requises soient administrées. Sa démar-
che ne tendait donc pas à écarter un ou plusieurs juges ap-
pelés à statuer en seconde instance, mais avait pour cadre
l'administration des preuves en appel. Dès lors, si, en l'ab-
sence d'une procédure disciplinaire proprement dite, le re-
cours de droit public n'est pas irrecevable en vertu de
l'art. 88 OJ, il y a lieu en revanche de s'interroger sur sa
recevabilité au regard de l'art. 87 OJ.

c) Selon cette disposition, dans sa version entrée
en vigueur le 1er mars 2000, le recours de droit public
n'est
recevable, quel que soit le grief invoqué, qu'à l'encontre
des décisions finales ou des décisions incidentes causant à
l'intéressé un préjudice irréparable. Comme cela est relevé
ci-dessus, la prise à partie du recourant tendait pour l'es-
sentiel à obtenir l'administration de preuves en appel. Or,
les décisions rendues à ce propos ne mettent pas fin à l'ins-
tance pénale, mais n'en constituent qu'une étape (ATF 123 I
325 consid. 3b p. 327; 122 I 39 consid. 1a/aa p. 41; 120 Ia
369 consid. 1b p. 372, 120 III 143 consid. 1a p. 144 et les
arrêts cités). Elles ne causent par ailleurs aucun préjudice
irréparable, puisque l'administration des preuves peut
encore
faire l'objet d'un recours, le cas échéant, dirigé contre le
jugement final (cf. art. 87 al. 3 OJ; ATF 122 I 37 consid.
1a/aa p. 42; 117 Ia 247 consid. 3 p. 249, 396 consid. 1 p.
398, 115 Ia 311 consid. 2c p. 314, 108 Ia 104).

Le recourant soutient que la cause présente des ana-
logies avec une demande de récusation, ce qui justifierait
qu'il soit fait exception à la restriction de l'art. 87 OJ
(ATF 124 I 255 consid. 1b/bb p. 259-260; III 134 consid. 2a
p. 136 et les arrêts cités). Il perd toutefois de vue que,
comme cela est relevé ci-dessus, la composition de la Cour
pénale n'est pas contestée en tant que telle, mais
uniquement
les mesures d'instruction qu'elle a refusé d'ordonner. Le re-
courant soutient que le refus d'entrer en matière sur sa de-
mande de prise à partie violerait les dispositions garantis-
sant l'accès à un juge, impartial, mais cela n'enlève rien
au
caractère incident de la décision attaquée. Le recourant cri-
tique aussi la composition même du Tribunal extraordinaire,
mais on peut se demander si cela est suffisant pour
justifier
qu'il soit entré en matière. En définitive, la question de
la
recevabilité du recours peut demeurer indécise, car celui-ci
apparaît manifestement mal fondé.

2.- a) Dans un grief qu'il convient d'examiner en
premier lieu, le recourant soutient que la composition du
Tribunal extraordinaire chargé de statuer sur sa demande de
prise à partie ne satisferait pas aux exigences d'indépendan-
ce et d'impartialité. Ses membres, choisis par le Parlement
jurassien, occuperaient des postes de la magistrature de dis-
trict, et seraient organiquement et hiérarchiquement subor-
donnés aux juges cantonaux qui font l'objet de la prise à
partie, de sorte que l'indépendance et l'impartialité ne se-
raient pas assurées. Le mode de désignation du Tribunal ex-
traordinaire ne serait pas régulier. La demande de
récusation
et la prise à partie devaient être soumises à deux Tribunaux
extraordinaires différents, au sens des art. 39 ch. 13 et 40
al. 3 CPP/JU; le Tribunal désigné par le Parlement n'était
en
l'espèce compétent que pour statuer sur les demandes de récu-
sation et de déport. En statuant également sur la demande de
prise à partie, il aurait cédé aux injonctions du Parlement,
ce qui mettrait également en doute son indépendance.

b) Les contestations relatives à la composition de
l'autorité doivent être définitivement tranchées aussitôt
que
possible, pour permettre la poursuite de la procédure sur
des
bases sûres (cf. ATF 124 I 255 consid. 1b/bb p. 259 et les
arrêts cités). Il découle en particulier du principe de la
bonne foi que la partie qui entend mettre en doute l'impar-
tialité et l'indépendance de l'autorité doit, en règle géné-
rale, utiliser sans délai les voies de droit disponibles
(cf.
Jean-François Egli, La protection de la bonne foi dans le
procès, in: Juridiction constitutionnelle et juridiction ad-
ministrative, Zurich 1992 p. 240); à défaut, elle est for-
close (cf. notamment ATF 121 I 225 consid. 3 p. 229 et les
arrêts cités).

c) En l'espèce, le recourant connaissait la composi-
tion de l'autorité appelée à statuer sur sa demande de mise
à
partie. Ses avocats ont en effet été informés en recevant co-

pie de la lettre adressée aux juges désignés le 17 mai 2000
par le Parlement. Dès cette date, la composition de l'autori-
té lui était connue, et on ne voit pas ce qui empêchait le
recourant de soulever, par la voie de la récusation, les ob-
jections qu'il fait valoir dans son recours de droit public.
En laissant procéder sans réserve devant le Tribunal extra-
ordinaire, il a laissé son droit se périmer.

d) Sur le fond, on ne voit pas en quoi les juges de
première instance seraient hiérarchiquement subordonnés aux
magistrats du Tribunal cantonal au point de rendre douteuse
leur impartialité. Quant à la compétence du Tribunal extraor-
dinaire pour juger de la prise à partie, elle ne découle pas
d'une injonction donnée par le Parlement, mais de la
décision
du 19 juin 2000 sur les demandes de déport et de récusation.
Le Tribunal extraordinaire s'est chargé de statuer, sur la
base de l'art. 40 al. 3 CPP/JU, après avoir constaté que le
Tribunal cantonal était privé de la majorité de ses membres,
et que le quorum n'était pas atteint. Rien ne permet de soup-
çonner une quelconque allégeance au Parlement.

3.- Le recourant se plaint d'une violation des art.
6 par. 1 CEDH, 30, 35 et 36 Cst. Selon lui, la prise à
partie
serait une contestation de nature civile, au sens de l'art.
6
par. 1 CEDH, nécessitant l'accès à un tribunal. Rien ne jus-
tifierait le refus d'admettre une telle prise à partie à l'é-
gard des juges de seconde instance cantonale. La possibilité
du recours de droit public serait insuffisante sur ce point,
et la voie de la récusation ne permettrait pas d'annuler les
actes de procédure contestés. Dans un grief distinct, le re-
courant se plaint d'une violation du droit à l'égalité de
traitement, la prise à partie étant admise pour les juges
civils et non pénaux, ainsi que d'arbitraire, car aucune
voie
de droit ne permettrait de sanctionner l'attitude des juges
dont le recourant se plaint.

a) Ces différents griefs apparaissent, eux aussi,
manifestement mal fondés. Le recourant ne démontre pas en
vertu de quelle disposition du droit constitutionnel une
voie
de droit devrait être aménagée, en dehors des moyens ordi-
naires, contre un refus du juge d'appel d'administrer cer-
taines preuves, quelles que soient les raisons de ce refus.
Il ne démontre pas non plus sur quelle base il existerait un
droit à sanctionner l'"attitude" d'un magistrat, lorsqu'il
n'est pas prétendu que cette attitude peut avoir des consé-
quences sur l'apparence d'impartialité et d'indépendance du
magistrat, c'est-à-dire en dehors d'un cas de récusation.

b) Le recourant se plaint d'une violation des art. 6
CEDH et 30 al. 1 Cst., en soutenant que la contestation sur
la prise à partie serait de caractère civil, ce qui nécessi-
terait un contrôle judiciaire. On peut douter de cette der-
nière affirmation: à l'instar de la récusation, la prise à
partie de magistrats apparaît comme une démarche d'ordre pro-
cédural, sans incidence directe sur la détermination des
droits de caractère civil du recourant (cf. JAAC 1995 122 p.
994). De toute façon, le droit à un procès équitable est
assuré, dès lors qu'en cas de doute sur l'impartialité des
juges, le recourant aurait la faculté d'en demander la récu-
sation, et que l'appréciation des preuves peut encore être
revue à l'occasion d'un recours contre le jugement final.

c) Pour le surplus, le refus d'entrer en matière
prononcé par le Tribunal extraordinaire repose sur une inter-
prétation des art. 70 CPP/JU et 30 LStMF qui ne prête pas le
flanc à la critique; compte tenu des remarques qui
précèdent,
l'arrêt attaqué n'est pas non plus arbitraire dans son résul-
tat. Quant au droit à l'égalité de traitement, il ne saurait
avoir pour effet la création
d'une voie de recours inconnue
du droit cantonal.

4.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
Un émolument judiciaire est mis à la charge du recourant qui
succombe, conformément à l'art. 156 al. 1 OJ.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

vu l'art. 36a OJ:

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 4000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires du recourant, à la Cour pénale du Tribunal cantonal
et
au Tribunal cantonal extraordinaire du canton du Jura.

Lausanne, le 22 septembre 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.472/2000
Date de la décision : 22/09/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-22;1p.472.2000 ?
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