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22/09/2000 | SUISSE | N°1P.326/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 septembre 2000, 1P.326/2000


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1P.326/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

22 septembre 2000

Composition de la Cour: Mme et MM. les Juges Aemisegger,
président, Favre et Pont Veuthey, suppléante.
Greffier: M. Kurz.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

M.________,

contre

la décision rendue le 6 avril 2000 par la Commission de re-
cours de l'Université de Genève, dans la cause qui oppose la
recourante à l

a Faculté des lettres de l'Université de
Genève;

(soutenance de thèse de doctorat)

Vu les pièces du dossier d'où res...

«»

1P.326/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

22 septembre 2000

Composition de la Cour: Mme et MM. les Juges Aemisegger,
président, Favre et Pont Veuthey, suppléante.
Greffier: M. Kurz.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

M.________,

contre

la décision rendue le 6 avril 2000 par la Commission de re-
cours de l'Université de Genève, dans la cause qui oppose la
recourante à la Faculté des lettres de l'Université de
Genève;

(soutenance de thèse de doctorat)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- M.________, née en 1971, a obtenu à l'Université
de Genève une licence es lettres (latin, langues et littéra-
tures française et latine médiévales, histoire de l'antiqui-
té) en juillet 1994, puis un complément de licence en phi-
lologie romane, en octobre 1994. Elle s'est inscrite en au-
tomne 1994 comme doctorante afin de présenter une thèse
ayant
pour sujet: "Apollon et l'alouette. Des Métamorphoses à la
conjointure d'amour. Ovide modèle romanesque de Chrétien de
Troyes". Les Professeurs X.________ et Y.________ ont été
désignés respectivement comme directeur de thèse et
président
du jury.

B.- Le 9 août 1995, après plusieurs entretiens avec
l'intéressée, le Professeur X.________ a formulé certaines
critiques à l'égard du travail effectué jusque-là: une clari-
fication théorique était nécessaire. Un complément d'une
trentaine de pages devait être fourni, dans ce sens, avant
toute soutenance de pré-doctorat.

Le 15 février 1996, le Professeur Y.________ a fait
savoir que la candidate avait satisfait aux exigences du pré-
doctorat, avec le commentaire suivant:

"La démarche est ardue et quelque peu hasardeuse.
Aussi la soutenance est-elle l'occasion d'une dis-
cussion, nourrie et parfois vive, de plus de deux
heures. Au terme de cet entretien, considérant
l'engagement de Mlle M.________, reconnaissant
qu'elle a fait de sensibles progrès pour clarifier
son propos et définir ses objectifs depuis une pre-
mière version du mémoire, et à la condition expres-
se, acceptée par la candidate, qu'elle soumette ré-
gulièrement à l'examen de son directeur les parties
rédigées de son work in progress, les jurés esti-
ment unanimement qu'elle a satisfait aux exigences
du pré-doctorat."

C.- La thèse a été déposée le 8 septembre 1997. Le
23 mars 1999, le Collège des professeurs de la Faculté a dé-
signé les Professeurs A.________ et B.________ comme membres
du jury.

D.- Par lettre du 9 juin 1999, le Vice-doyen de la
faculté a informé M.________ que le Conseil décanal, dans sa
séance du 11 mai 1999, avait refusé la soutenance. Cette dé-
cision se fondait sur le rapport du jury, selon lequel la
thèse ne pouvait être publiée sous sa forme actuelle; "si
des
modifications importantes doivent être apportées, il est sou-
haitable qu'elles le soient avant la soutenance."

M.________ a formé une opposition, qu'elle a retirée
le 25 juin 1999, indiquant qu'elle rédigerait, conformément
au voeu exprimé par le Vice-doyen dans une lettre du 16 juin
1999, un chapitre théorique supplémentaire, tenant compte en
outre des remarques émises par le Professeur B.________ dans
son mémento en sept points et dans sa lettre du 17 juin
1999.
Le chapitre complémentaire a été déposé au début du mois de
septembre 1999.

Le 12 octobre 1999, le Conseil décanal refusa dere-
chef d'autoriser la soutenance, en reprenant les motifs de
son premier refus, et en ajoutant que le complément, d'une
quarantaine de pages, avait fait l'objet d'un nouveau
rapport
concluant à l'impossibilité de soutenir la thèse dans son
état actuel. Cette décision fut communiquée le 19 octobre
1999. Il fut encore précisé, le 28 octobre 1999, que les
trois experts consultés s'étaient montrés unanimes.

Cette décision a été confirmée le 9 décembre 1999,
sur opposition. Le Professeur A.________ n'avait pas été
consulté au sujet du complément de thèse, car son rapport
concluait clairement à la recommandation de la soutenance,
de
sorte qu'un nouvel avis paraissait superflu.

E.- Reprenant ses motifs d'opposition, M.________ a
saisi la Commission de recours de l'Université (CRUNI) par
acte du 13 décembre 1999. Elle rappelait les différents avis
qui lui étaient favorables, dénonçait le changement d'attitu-
de de son directeur de thèse, et se plaignait de n'avoir pas
eu connaissance des documents sur lesquels le Conseil
décanal
avait fondé sa décision du 12 octobre 1999.

Par décision du 6 avril 2000, la CRUNI a rejeté le
recours. S'agissant d'apprécier une thèse, son pouvoir d'exa-
men était limité à l'arbitraire. Or, l'examen préalable
opéré
par le Conseil décanal était fondé sur l'évaluation négative
de trois des quatre membres du jury, à l'exception du Profes-
seur A.________. La CRUNI s'est étonnée de ce que ce
dernier,
favorable à la soutenance, n'ait pas été consulté de manière
à trouver un compromis acceptable. La décision attaquée n'en
était pas pour autant arbitraire.

F.- M.________ forme un recours de droit public
contre cette dernière décision, dont elle demande l'annula-
tion, avec suite de frais et dépens.

La Faculté conclut au rejet du recours. La CRUNI ne
s'est pas déterminée.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours de droit public est interjeté dans le
délai et les formes utiles, contre une décision finale
rendue
en dernière instance cantonale. La qualité pour agir de la
recourante (art. 88 OJ) ne fait pas de doute.

2.- Pour l'essentiel, les griefs soulevés sont d'or-
dre formel. La recourante se plaint en effet d'une
violation,
sous plusieurs aspects, de son droit d'être entendue, tant
dans la procédure d'opposition que devant l'autorité de re-

cours. Elle reproche au Conseil décanal de ne pas l'avoir en-
tendue lors de ses séances des 12 et 26 octobre 1999, irrégu-
larité que la procédure de recours n'aurait pas permis de ré-
parer. Par ailleurs, la recourante s'était plainte, dans son
recours, de l'absence d'audition du Professeur A.________,
dont l'avis lui était très favorable. Régie par la maxime
d'office, la CRUNI aurait dû procéder à cette audition, en
tant que moyen de preuve pertinent. Elle aurait aussi dû
entendre les Professeurs X.________ et Y.________, afin de
comprendre la portée de leurs déclarations contradictoires,
en particulier à propos du revirement du Professeur
X.________. Le Vice-recteur et le professeur B.________
devaient aussi être entendus, s'agissant du mémoire complé-
mentaire exigé par le premier, et jugé insuffisant par le
second. Compte tenu des revirements intervenus depuis le
mois
de juin 1999, la CRUNI ne pouvait se contenter de l'avis de
trois des quatre membres du jury. La recourante invoque en-
suite son droit de consulter le dossier. Seuls des extraits
du rapport de synthèse du Professeur Y.________ lui auraient
été communiqués, à l'exclusion des rapports complets des ju-
rés, alors que, dans leurs versions initiales, ces documents
lui étaient en majorité favorables.

a) La portée du droit d'être entendu et les modali-
tés de sa mise en oeuvre sont tout d'abord déterminées par
la
législation cantonale, dont le Tribunal fédéral ne revoit
l'application que sous l'angle de l'arbitraire. Dès lors que
la recourante n'invoque aucune disposition du droit cantonal
de procédure, ses griefs doivent être examinés à la lumière
de la garantie constitutionnelle de l'art. 29 al. 2 Cst.,
dont la portée est identique à celle de l'art. 4 al. 1 aCst.
(ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les arrêts cités).

b) Le droit d'être entendu comprend, de manière gé-
nérale, le droit de prendre connaissance du dossier, d'obte-
nir l'administration des preuves pertinentes et valablement

offertes, de participer à l'administration des preuves essen-
tielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela
est
de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 124 I 49
consid. 3a, 241 consid. 2; 122 I 109 consid. 2a; 114 Ia 97
consid. 2a et les références citées). L'accès au dossier ne
comprend en règle générale que le droit de consulter les piè-
ces au siège de l'autorité, d'en prendre note et, pour
autant
que cela n'entraîne aucun inconvénient pour l'autorité, d'en
lever copie (ATF 122 I 109 consid. 2b p. 112 et les arrêts
cités).

Une violation de ces différentes prérogatives peut
être réparée devant l'autorité de recours dotée d'un libre
pouvoir d'examen, si l'intéressé obtient la possibilité de
s'exprimer, d'administrer les preuves requise, ou de con-
sulter les pièces désirées (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72).

c) Le règlement interne relatif aux procédures d'op-
position et de recours (RIOR) prévoit que l'auteur d'une op-
position est admis à consulter les pièces du dossier sur les-
quelles l'organe a fondé sa décision; une pièce dont la con-
sultation a été refusée ne peut être utilisée au détriment
de
l'intéressé (art. 8). Le droit d'être entendu est aussi ga-
ranti dans la procédure de recours devant la CRUNI (art. 31
RIOR), cette autorité devant en outre apprécier tous les al-
légués qu'une partie lui a soumis en temps utile (art. 32
RIOR). Pour le surplus, la loi genevoise sur la procédure ad-
ministrative (LPA) est applicable à la procédure de recours.
Les art. 67 et 69 LPA prévoient un effet dévolutif complet,
ainsi qu'un libre pouvoir d'examen.

d/aa) La recourante se plaint de ne pas avoir été
entendue personnellement lors des séances du Conseil
décanal.
L'art. 29 al. 2 Cst. n'implique toutefois pas le droit de
s'exprimer oralement devant l'autorité (ATF 125 I 209
consid.
9b p. 219 et la jurisprudence citée). L'art. 10 al. 2 RIOR

permet certes à l'opposant d'"être entendu" par l'organe
chargé de l'instruction sur opposition, mais la recourante
n'a formulé aucune demande dans ce sens: sa lettre du 17 no-
vembre 1999 ne contient aucune requête, même implicite, ten-
dant à une audition personnelle. Dans son recours à la
CRUNI,
la recourante ne demandait pas non plus à être personnelle-
ment entendue. Elle ne soutient d'ailleurs pas, dans son re-
cours de droit public, que l'art. 31 RIOR donnerait droit à
une audition dans la procédure de recours. Elle n'indique
pas
non plus quels arguments elle aurait pu mieux faire valoir
de
cette manière. Sous cet angle, le droit d'être entendu n'a
pas été violé.

bb) Il en va différemment s'agissant de la consulta-
tion du dossier et de l'administration des preuves requises.
Dans son opposition, la recourante faisait état des assuran-
ces qu'elle aurait reçues de la part de son directeur de thè-
se et de son attitude, qualifiée de contradictoire; elle s'y
plaignait également de l'absence du Professeur A.________
lors du second vote. Dans son recours à la CRUNI, la recou-
rante se plaint clairement de n'avoir pas eu connaissance
d'une lettre du 11 juin 1999, des documents sur lesquels le
Conseil décanal s'était fondé pour son vote du 12 octobre
1999, et du procès-verbal complet de cette séance. Dans son
recours de droit public, elle expose - sans être contredite
par les autorités intimées - n'avoir eu connaissance que
d'extraits du rapport de synthèse du Professeur Y.________;
les rapports complets des autres jurés ne lui auraient pas
été communiqués.

La décision attaquée est muette sur ces différents
points. Or, compte tenu des revirements qui auraient eu
lieu,
selon la recourante, depuis le mois de juin 1999, il parais-
sait nécessaire d'obtenir des explications complètes sur les
motifs détaillés qui avaient conduit à la décision de refus
de soutenance. Le droit d'être entendu a en effet notamment

pour but de comprendre les raisons qui ont amené au prononcé
litigieux, afin de permettre à l'intéressée de recourir effi-
cacement. Force est de constater en l'espèce que la recou-
rante n'a pas eu accès à des éléments essentiels du dossier,
de sorte que le recours doit être admis déjà sur ce point.

cc) La recourante soutient que l'audition des mem-
bres du jury était indispensable, afin notamment de
connaître
les raisons du revirement qui serait, selon elle, intervenu
après le pré-doctorat. Elle n'a toutefois jamais requis une
telle mesure d'instruction. En outre, pour autant que les
diverses opinions manifestées lors du vote litigieux soient
connues - par la production complète des rapports des jurés
-
l'audition de leurs auteurs ne paraît pas s'imposer.

e) L'autorité intimée s'est étonnée de ce que le
chapitre complémentaire rédigé par la recourante n'ait pas
été envoyé au Professeur A.________, et que celui-ci n'ait
pas été invité à se déterminer à ce sujet, ce d'autant qu'il
était satisfait du travail de la recourante. La CRUNI a tou-
tefois considéré que cela ne rendait pas pour autant la déci-
sion arbitraire, dès lors qu'une majorité du jury était oppo-
sée à la soutenance.

Selon l'art. 23 al. 3 du règlement d'études de la
Faculté des lettres, le jury de thèse, composé de trois mem-
bres au moins, est désigné par le Collège des professeurs.
Avec l'accord écrit du directeur, la thèse est soumise à
l'examen des membres du jury, qui font rapport au président
(art. 25 al. 2). Le président du jury communique un rapport
de synthèse au Conseil décanal, qui statue sur
l'autorisation
de soutenir la thèse (art. 25 al. 3). En l'espèce, le complé-
ment fourni par la recourante faisait partie intégrante de
la
thèse et devait, comme tel, être soumis à l'examen de tous
les membres du jury. Le règlement ne prévoit pas
expressément
une discussion
entre les membres, mais la rédaction d'un rap-

port de synthèse sur la base des rapports de chaque juré. Or
il ne peut y avoir synthèse que sur la base de l'ensemble
des
avis dûment exprimés. Comme le relève la CRUNI, la délibéra-
tion du jury est l'occasion de trouver un "compromis accepta-
ble", et de donner au candidat des "injonctions claires";
l'intérêt d'une autorité collégiale réside dans la diversité
des opinions qui peuvent être émises, et dont il faut,
autant
que possible, tenir compte. Force est de constater qu'en
l'espèce, un tel échange n'a manifestement pas eu lieu:
comme
le relève la CRUNI elle-même, on ignore les raisons pour les-
quelles le Professeur A.________ était en principe favorable
à la soutenance, alors que les autres membres du jury y
étaient opposés.

Le jury ne délivre certes qu'un préavis; il ne peut
donc être considéré comme une autorité de décision puisque
c'est au Conseil décanal qu'il appartient de statuer sur
l'autorisation de soutenance. Il ne saurait toutefois se dis-
tancer du préavis que pour des motifs spécifiques, moyennant
une motivation respectant le droit d'être entendu (ATF 126 I
19 consid. 2c/aa et 2d/bb p. 22 et 24). En l'espèce, le
refus
du 12 octobre 1999 est exclusivement fondé sur l'opinion des
trois experts consultés. Le Conseil décanal ne pouvait dès
lors se contenter d'un avis partiel. Le jury devait se pro-
noncer dans sa composition réglementaire, sous peine de voir
son avis vicié.

L'autorité cantonale ne pouvait se borner à consta-
ter que la décision n'était pas arbitraire sur le fond. Cons-
tatant l'existence d'une irrégularité de ce type, elle
devait
soit la sanctionner, soit tenter de la réparer en procédant
à
une instruction adéquate. La décision attaquée doit donc
être
annulée, pour ce motif également.

3.- Une violation d'une garantie d'ordre formel, tel
le droit d'être entendu, entraîne l'annulation de la
décision

attaquée, sans que le Tribunal fédéral n'ait à examiner l'af-
faire sur le fond. Le recours de droit public doit par consé-
quent être admis, et la décision attaquée annulée. La cause
est ainsi replacée dans la situation où elle se trouvait
avant le prononcé de la décision litigieuse, de sorte qu'il
appartiendra à la CRUNI de compléter l'instruction et de sta-
tuer une nouvelle fois, dans le respect du droit d'être en-
tendue de la recourante. Par application analogique de
l'art.
156 al. 2 OJ (cf. ATF 107 Ib 283), il n'est pas perçu d'émo-
lument judiciaire. La recourante ayant procédé en personne,
il ne se justifie pas de lui allouer des dépens.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule la décision attaquée.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire,
ni alloué de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie à la recou-
rante, à la Faculté de lettres et à la Commission de recours
de l'Université de Genève.

Lausanne, le 22 septembre 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.326/2000
Date de la décision : 22/09/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-22;1p.326.2000 ?
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