La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/09/2000 | SUISSE | N°4C.105/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 septembre 2000, 4C.105/2000


«AZA 1/2»

4C.105/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

FCF S.A., à Genève, défenderesse et recourante, représentée
par Me Michel Amaudruz, avocat à Genève,

et

Adriafil Commerciale S.r.l., à Rimini (Italie), demanderesse
et intimée, représentée par Me Patrice Le Ho

uelleur, avocat
à
Genève;

(vente internationale de marchandises)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a ...

«AZA 1/2»

4C.105/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

15 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

FCF S.A., à Genève, défenderesse et recourante, représentée
par Me Michel Amaudruz, avocat à Genève,

et

Adriafil Commerciale S.r.l., à Rimini (Italie), demanderesse
et intimée, représentée par Me Patrice Le Houelleur, avocat
à
Genève;

(vente internationale de marchandises)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Intervenant pour le compte d'Adriafil Com-
merciale S.r.l. (ci-après: Adriafil), société italienne
ayant
son siège à Rimini, la société de droit italien Vieffe
S.r.l.
(ci-après: Vieffe), domiciliée à Milan, a adressé, le 15 fé-
vrier 1994, à FCF S.A. (ci-après: FCF), société suisse pour
laquelle Vieffe avait en Italie la qualité d'agent, une pro-
position de commande No 28 relative à l'acquisition par la
première société de quatre fois cinq tonnes de coton, mar-
chandise dont la qualité et le lieu de livraison étaient
précisés. La marchandise devait être livrée entre le 25 mai
et le 5 juin 1994, le paiement étant prévu par lettre de cré-
dit à soixante jours de la date du dédouanement.

Le 2 mars 1994, FCF et Adriafil ont signé le con-
trat No 94-36/CY-EG portant sur la vente à celle-ci de:

- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 8/1 à 5460 lires italiennes
(LIT)/kg,
- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 12/1 à 5460 LIT/kg,
- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 16/1 à 5460 LIT/kg,
- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 30/1 à 5510 LIT/kg.

La convention stipulait que l'embarquement de la
marchandise devait intervenir dans un port d'Égypte au cours
du mois de mai 1994.

Le 14 avril 1994, Vieffe a adressé à FCF une nou-
velle proposition de commande No 69 portant sur
l'acquisition
par Adriafil de vingt tonnes de fil de coton avec livraison
à
fin août 1994 et paiement à soixante jours dès la date du dé-
douanement.

Le même jour, FCF et Adriafil ont signé le contrat
No 94-52/CY-EG ayant trait à la vente de:

- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 8/1 à 5450 LIT/kg,
- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 12/1 à 5450 LIT/kg,
- 2500 kg +/- 10% de coton Ne 16/1 à 5450 LIT/kg,
- 2500 kg +/- 10% de coton Ne 20/1 à 5450 LIT/kg,
- 5000 kg +/- 10% de coton Ne 30/1 à 6850 LIT/kg.

L'embarquement était prévu pour le mois d'août 1994
le paiement étant à soixante jours.

La totalité de la marchandise ainsi commandée en
vertu des susdits contrats était du "coton GIZA 75 sur cônes
avec Q.D.R. 5,57 non paraffiné, écru".

b) Le 27 avril 1994, FCF a fait savoir par fax à
Adriafil que les autorités égyptiennes avaient imposé aux fi-
latures du pays une augmentation du prix du coton allant de
8,5 à 9% et qu'elle était ainsi contrainte de majorer le
prix
de vente de 8%. Le 2 mai 1994, FCF a transmis à Adriafil un
second message la priant d'accepter et de confirmer l'augmen-
tation des prix fixés dans le contrat du 2 mars 1994 à con-
currence de 6%, ce qui représentait 5790 LIT/kg pour les co-
tons Ne 8/1, 12/1 et 16/1 et 5840 LIT/kg quant au coton
Ne 30/1. Adriafil a accepté cette hausse de 6%.

c) Le 3 juin 1994, Adriafil s'est étonnée du retard
pris par FCF pour l'informer du fait que les accords des 2
mars et 14 avril 1994 ne seraient pas respectés. Après avoir
souligné que cette situation avait pour conséquence de l'em-
pêcher de faire face à ses propres engagements contractuels,
Adriafil invitait FCF à faire diligence pour que les
contrats
soient honorés. En tout état, elle déclarait vouloir savoir
avec exactitude quelle était la marchandise qui allait être

livrée et réservait, en cas d'inexécution, le recours aux
voies légales.

Son courrier étant resté sans réponse, Adriafil a
notamment informé FCF le 27 juin 1994 que, par rapport à la
marchandise faisant l'objet du contrat du 2 mars 1994, elle
avait été contrainte de s'adresser à d'autres fournisseurs
qui pratiquaient des prix notablement plus élevés; mettant
l'accent sur l'atteinte portée à la réputation de l'entrepri-
se, elle évaluait son dommage à 100 000 000 LIT dont elle de-
mandait le remboursement à FCF. L'écriture du 27 juin 1994
ne
constituait pas pour Adriafil une lettre de résiliation,
mais
une incitation à ce que FCF exécute ses obligations.

Le 30 juin 1994, Vieffe a averti Adriafil du fait
que le "fil" se rapportant au contrat du 2 mars 1994
pourrait
être expédié en sa totalité dans le courant du mois de juil-
let 1994 contre paiement par lettre de crédit à soixante
jours.

Le 8 juillet 1994, Adriafil a écrit à FCF qu'elle
prenait note que celle-ci était prête à consigner, dans le
courant du mois de juillet 1994, la totalité de la marchandi-
se faisant l'objet des deux contrats, ce dont elle se ré-
jouissait à propos du contrat du 14 avril 1994. Elle affir-
mait toutefois ne pas pouvoir accepter la livraison du coton
indiqué dans le contrat du 2 mars 1994, cela pour les motifs
exprimés dans sa lettre du 27 juin 1994. Elle relevait que
si
elle avait attendu une réponse de FCF avant de se procurer
des marchandises semblables auprès d'autres fournisseurs,
les
dommages dont elle requérait réparation auraient été bien
plus importants.

Le 23 juillet 1994, 6357 kg et 5697 kg de coton
Ne 16/1 plus 6745 kg et 6085 kg de coton Ne 8/1 ont été em-
barqués à Alexandrie pour le compte de FCF, puis débarqués à

Gênes le 7 août 1994. Cette marchandise ne correspondait que
très partiellement à celle faisant l'objet du contrat du 14
avril 1994.

Postérieurement au 7 août 1994, il n'y a plus eu
aucun contact entre les parties contractantes relativement à
la livraison des lots de coton.

d) Dans l'intervalle, Adriafil a procédé, du 31 mai
1994 au 30 août 1994, à des achats de couverture
représentant
47 243 kg de coton de diverses catégories, dont 35 197 kg,
commandés les 7 juillet et 30 août 1994, étaient d'une quali-
té correspondant à celle faisant l'objet des contrats passés
avec FCF.

Les achats effectués le 7 juillet 1994 pour
10 197 kg, au prix moyen de 6500 LIT/kg, se rapportaient au
contrat du 2 mars 1994, d'où une différence de 700 LIT par
kg
avec le prix qui était convenu, fixé, après la majoration de
6%, à 5800 LIT/kg. La hausse de coût en résultant était de
7 137 900 LIT (10 197 x 700 LIT).

Les achats intervenus le 30 août 1994 pour
25 000 kg concernaient le contrat du 14 avril 1994; leur
prix
moyen étant de 7640 LIT/kg, il existait une différence de
1492 LIT/kg par rapport au prix majoré de ce contrat, lequel
était de 6148 LIT/kg. Ainsi, Adriafil avait payé un supplé-
ment de prix de 29 840 000 LIT par rapport à l'achat des 20
tonnes de coton stipulé dans le contrat précité (20 000 x
1492 LIT).

Adriafil a donc pu acquérir 35 197 kg de coton de
remplacement de même qualité, soit 4803 kg de moins que ce
qui était prévu conventionnellement. Revendu 31 000 LIT/kg,
ce coton a dégagé une marge nette de bénéfice de

17 000 LIT/kg. Le dommage subi pour les 4803 kg manquants se
montait ainsi à 81 651 000 LIT (4803 x 17 000 LIT).

B.- Se fondant sur le fait qu'aucune quantité de
coton ne lui avait été livrée, Adriafil a réclamé à FCF, le
21 octobre 1994, le paiement de la somme de 334 527 898 LIT.
Le 5 décembre 1994, Adriafil a fait notifier une poursuite à
FCF, puis, le 5 avril 1995, elle a ouvert action à son encon-
tre, réclamant désormais le paiement de 238 000 fr.60,
contre-valeur de 294 925 126 LIT. Elle a reproché à la défen-
deresse d'avoir transgressé ses obligations contractuelles
faute d'avoir livré le coton faisant l'objet des contrats
des
2 mars et 14 avril 1994, comportement qui, d'une part, a con-
traint la demanderesse à procéder à des achats de
couverture,
avec un surcoût de 127 983 126 LIT, et à indemniser sa clien-
tèle, par 52 800 000 LIT, d'autre part, a provoqué chez
Adriafil un manque à gagner de 104 142 000 LIT et un préjudi-
ce commercial de 10 000 000 LIT.

La défenderesse a fait valoir que la demanderesse
avait résilié les contrats de manière unilatérale et, subsi-
diairement, que le dommage allégué n'était ni justifié ni
prouvé.

Par jugement du 20 mai 1999, le Tribunal de premiè-
re instance de Genève a déclaré FCF débitrice d'Adriafil de
la somme de 232 125 126 LIT plus intérêts à 5% dès le 16
juillet 1994. Admettant la responsabilité de FCF dans
l'inexécution des contrats, cette autorité a condamné la dé-
fenderesse à réparer le préjudice causé à Adriafil.

Par arrêt du 18 février 2000, la Cour de justice du
canton de Genève, statuant sur appel de FCF, a annulé par-
tiellement le jugement du 20 mai 1999, condamné cette
société
à payer à Adriafil 95 720 fr.15 avec intérêts à 5% dès le 5
décembre 1994, et prononcé la mainlevée à due concurrence.
En

substance, l'autorité cantonale a déclaré applicable la Con-
vention des Nations Unies, conclue à Vienne le 11 avril
1980,
sur les contrats de vente internationale des marchandises
(CVIM, RS 0.221.211.1). Elle a admis que la demanderesse,
qui
n'a pas reçu la marchandise commandée par contrat du 2 mars
1994 dans la période de temps fixée selon l'art. 33 let. b
CVIM, a résilié valablement la convention par courrier du 8
juillet 1994. Au sujet du contrat du 14 avril 1994, la cour
cantonale a retenu que, le 8 juillet 1994, Adriafil avait
pris note sans protester que la marchandise prévue serait li-
vrable durant le mois d'août 1994. Plusieurs tonnes de coton
Ne 16/1 et 8/1 avaient certes été débarquées à Gênes le 7
août 1994 pour le compte de FCF; toutefois, cette
marchandise
ne correspondait que très partiellement à l'objet du contrat
qui prévoyait la livraison de coton Ne 8/1, 12/1, 16/1, 20/1
et 30/1. FCF n'ayant pas établi avoir offert à Adriafil le
coton arrivé à Gênes ni mis cette dernière en demeure d'en
prendre livraison, les magistrats genevois ont jugé que la
défenderesse avait renoncé à remplir ses obligations et
qu'elle ne pouvait se plaindre du fait qu'Adriafil avait con-
sidéré le contrat comme étant inexécuté. La Cour de justice,
se référant aux art. 45 al. 1, 74 et 75 CVIM, a constaté
qu'Adriafil était en droit de prétendre à des dommages-
intérêts pour les achats de couverture auxquels elle avait
procédé à partir du mois de juillet 1994; le dommage subi à
ce titre par Adriafil représentait 7 137 900 LIT et
29 840 000 LIT, à savoir un total de 36 977 900 LIT. Quant
au
gain manqué subi par la demanderesse, il était de
81 650 000 LIT. En revanche, la Cour de justice a dit que la
demanderesse n'avait pas prouvé avoir dû indemniser des sous-
traitants, ni avoir éprouvé une perte de clientèle. Le domma-
ge dûment justifié était donc de 118 627 900 LIT., soit
95 720 fr.15 au taux de change au jour du dépôt de la deman-
de.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité par arrêt de
ce jour, FCF recourt en réforme au Tribunal fédéral. Elle
conclut à ce que la juridiction fédérale annule l'arrêt can-
tonal puis, cela fait, déboute la demanderesse de toutes ses
conclusions. A titre subsidiaire, la recourante demande le
renvoi de la cause à la Cour de justice pour qu'il soit sta-
tué dans le sens des considérants de l'arrêt à rendre par le
Tribunal fédéral.

L'intimée conclut au rejet du recours et à la con-
firmation intégrale de la décision attaquée.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fé-
déral doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus dans la décision attaquée, à moins que des disposi-
tions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il
faille compléter les constatations de l'autorité cantonale
parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents
et
régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid.
2a
et les arrêts cités). Dans la mesure où la recourante présen-
te, comme en l'espèce sur plus de 10 pages, un état de fait
qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée sans
être à même de se prévaloir, comme on le verra, de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il est exclu d'en
tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

2.- La recourante fait grief à la Cour de justice
d'avoir enfreint les art. 47 et 49 CVIM pour avoir considéré
que la demanderesse a résilié valablement le 8 juillet 1994
le contrat du 2 mars 1994.

a) L'Italie, où se trouve le siège de la demande-
resse, a adopté le 1er janvier 1988 la CVIM. Quant à la Suis-
se, où est domiciliée la défenderesse, elle est partie à la-
dite Convention depuis le 1er mars 1991. En présence de deux
contrats de vente intervenus à des fins commerciales entre
deux sociétés ayant leurs sièges respectifs dans des Etats
contractants, c'est donc à juste titre que la Cour de
justice
a retenu, conformément à l'art. 1 al. 1 let. a CVIM, que cet-
te Convention était applicable au présent litige (cf.
Neumayer/Ming, Convention de Vienne sur les contrats de
vente
internationale de marchandises: commentaire, n. 3 ad art. 2
CVIM).

La CVIM est d'application exhaustive; elle régit
l'ensemble du contrat, c'est-à-dire la formation de celui-ci
ainsi que les droits et obligations des parties, de même que
les conséquences d'une
inexécution. En principe, l'applica-
tion supplétive du droit national est exclue (Stoffel, Le
droit applicable aux contrats de vente internationale de mar-
chandises in: Publication Cedidac No 20, Les contrats de ven-
te internationale de marchandises, p. 36). Dans la mesure où
la CVIM contient ainsi des règles d'application directe, la
violation de ses normes peut donner lieu à un recours en ré-
forme (art. 43 al. 1 OJ; ATF 124 III 382 consid. 7b p. 398).

b) Il résulte de l'état de fait déterminant que
l'offre faite le 15 février 1994 par Vieffe pour le compte
de
la demanderesse a été concrétisée le 2 mars 1994 par la pas-
sation d'un contrat de vente en bonne et due forme. Comme
cet
accord n'a pas modifié l'offre du point de vue du moment de
la livraison de la marchandise, il faut considérer que la

proposition faite le 15 février 1994 a été acceptée. L'art.
11 CVIM consacrant la liberté de la forme des contrats de
vente internationale, il apparaît que les parties sont conve-
nues, conformément à l'art. 33 let. b CVIM, de fixer, pour
le
contrat du 2 mars 1994, le moment de la livraison par un in-
tervalle de temps délimité par deux dates fixes, soit les 25
mai 1994 et 5 juin 1994, laps de temps dans lequel elle de-
vait impérativement avoir lieu. Autrement dit, le 5 juin
1994
représentait le dernier jour utile lors duquel la
marchandise
devait être livrée (Neumayer/Ming, op. cit., n. 4 ad art. 33
CVIM).

Quant au contrat signé le 14 avril 1994, par réfé-
rence à l'offre du même jour sur la base de laquelle il a
été
conclu, on doit admettre qu'il prévoyait que la livraison de-
vait intervenir au plus tard à la fin août 1994 (cf. art. 33
let. a CVIM).

c) En vertu de l'art. 49 al. 1 CVIM, l'acheteur
peut déclarer le contrat résolu en cas de violation par le
vendeur de l'une de ses obligations lorsque cette carence
constitue une contravention essentielle au contrat (let. a),
ou lorsque, en cas de défaut de livraison, le vendeur ne
s'exécute pas dans le délai supplémentaire qui lui a été im-
parti par l'acheteur ou qu'il déclare qu'il ne livrera pas
dans ce délai (let. b). Il ne s'agit pas d'une résolution au
sens juridique du terme avec effets ex tunc, mais d'une rési-
liation qui libère les deux parties des obligations contrac-
tuelles non encore exécutées et qui s'opère ex nunc
(Neumayer/Ming, op. cit., n. 1 ad art. 81 CVIM).

Il convient ainsi de déterminer si, le 8 juillet
1994, la demanderesse était en droit, sans avoir fixé à la
défenderesse le délai supplémentaire pour livrer la marchan-
dise instauré par l'art. 49 al. 1 let. b CVIM, de résoudre
le

contrat du 2 mars 1994 en raison de l'absence de toute li-
vraison de marchandise par FCF.

De fait, comme, le 8 juillet 1994, l'intervalle de
temps pendant lequel le coton devait être livré selon ce con-
trat était déjà dépassé de plus d'un mois, le délai supplé-
mentaire de durée raisonnable que l'acheteur doit impartir
au
vendeur selon l'art. 47 CVIM n'entrait plus en ligne de comp-
te. C'est donc en pure perte que la recourante a invoqué la
violation de la disposition précitée.

aa) La notion de contravention essentielle telle
qu'elle est définie par l'art. 25 CVIM doit être interprétée
de manière restrictive et, en cas de doute, il y a lieu de
considérer que les conditions d'une telle contravention ne
sont pas réalisées (Neumayer/Ming, op. cit., n. 2 ad art. 25
CVIM). La violation doit concerner le contenu essentiel du
contrat, soit la marchandise ou le paiement du prix, et en-
traîner une atteinte grave au but économique poursuivi par
les parties. L'importance de la violation n'est pas détermi-
nante, seules l'étant les conséquences de celle-ci pour la
partie lésée. Ce qui précède signifie qu'une obligation prin-
cipale doit avoir été violée de façon telle que le but écono-
mique du contrat ne puisse être atteint, la partie lésée
n'ayant plus d'intérêt à l'exécution. La disparition absolue
de tout intérêt objectif pour le créancier n'est pas
requise.
En outre, il importe peu que le défaut soit objectivement ré-
parable ou non (Neumayer/Ming, op. cit., n. 3 ad art. 25
CVIM).

Dans cette perspective, la violation d'une obliga-
tion accessoire ne peut constituer une contravention essen-
tielle que si elle a des répercussions sur l'exécution des
obligations principales de manière telle que l'intérêt du
créancier à l'exécution du contrat disparaisse, sans qu'il
soit toutefois nécessaire que ce dernier subisse un
préjudice

pécuniaire (Neumayer/Ming, op. cit., n. 4 et 7 ad art. 25
CVIM). La motivation du créancier doit être reconnaissable
par le débiteur, lequel a su ou pu savoir que le premier con-
sidérait si essentielle l'exécution de la clause contractuel-
le non respectée qu'il aurait renoncé à la vente s'il avait
prévu cette contravention (Neumayer/Ming, op. cit., n. 5 ad
art. 25 CVIM). Pour en juger, il faut se placer au moment de
la conclusion du contrat, l'intérêt déterminant de l'une des
parties devant être reconnaissable pour l'autre (Neumayer/
Ming, op. cit., n. 6 ad art. 25 CVIM). Enfin, le préjudice
doit être prévisible pour la partie contrevenante ou pour
toute personne raisonnable placée dans la même situation; il
faut se placer au moment de la commission de la
contravention
au contrat, lequel détermine s'il existait alors un risque
d'une atteinte substantielle aux mobiles et intérêts qui ont
amené la partie lésée à conclure (Neumayer/Ming, op. cit.,
n. 8 ad art. 25 CVIM).

Un retard dans la livraison de la marchandise cons-
titue une contravention essentielle au contrat si les
parties
ont prévu que la livraison devait être effectuée à une date
fixe, que ce jour était déterminant du point de vue de l'in-
térêt de l'acheteur à l'exécution du contrat et que le ven-
deur le savait, notamment lorsqu'il s'agit d'articles de sai-
son. Les circonstances déterminent s'il doit en être sans au-
tre de même pour la livraison à date fixe de biens dont le
cours varie quotidiennement sur le marché. Tel est le cas
quand on a affaire à un revendeur et que les prix chutent
soudainement et considérablement. En présence de variations
mineures des prix, la résolution du contrat dépend de la
fixation d'un délai supplémentaire de courte durée selon
l'art. 49 al. 1 let. b CVIM. Face à un retard considérable
dans l'exécution qui constitue une violation essentielle du
contrat au sens de l'art. 25 CVIM, l'acheteur est fondé à
mettre immédiatement fin à la vente sans avoir préalablement

fixé un délai supplémentaire (Neumayer/Ming, op. cit., n. 3
ad art. 49 CVIM).

bb) En l'espèce, on doit considérer que le terme
final prévu pour la livraison du coton, soit le 5 juin 1994,
constituait une date fixe qui était déterminante pour l'ache-
teur lequel, le jour en question, devait disposer de cette
matière première pour pouvoir ensuite la traiter en la trans-
formant et la livrer à ses propres clients. Sous cet angle,
les délais prévus pour la livraison avaient trait au contenu
essentiel du contrat, dès l'instant où l'absence de
livraison
en temps utile a empêché la réalisation du but économique du
contrat pour la demanderesse, celle-ci ayant dû s'adresser à
d'autres fournisseurs qui lui ont offert des conditions
moins
favorables. Force est de constater que cette situation a en-
traîné pour le créancier la disparition de l'intérêt qu'il
avait à l'exécution du contrat du 2 mars 1994. S'agissant
d'une vente commerciale portant sur de la matière à l'état
brut, la défenderesse ne pouvait ignorer que, pour l'ache-
teur, le respect des délais de livraison était primordial,
comme l'indiquait le laps de temps précis qui était convenu
pour la livraison. D'autant plus que, par courrier du 3 juin
1994, la demanderesse lui a fait savoir que le retard
apporté
à la livraison était de nature à l'empêcher d'exécuter ses
propres engagements contractuels.

Enfin, dès l'inobservation du délai échéant le 5
juin 1994, la société contrevenante pouvait prévoir les con-
séquences de son comportement, surtout que la demanderesse
lui avait précisé le 27 juin 1994 qu'elle avait dû
s'adresser
à d'autres fournisseurs pour être en mesure de satisfaire
aux
obligations qu'elle avait contractées à l'égard de tiers.

Dans ces conditions, du moment que la carence de la
défenderesse constituait in casu une contravention essentiel-
le au contrat, il n'était nullement nécessaire qu'Adriafil,

avant de résilier le 8 juillet 1994 le contrat du 2 mars
1994, impartisse, en application de l'art. 49 al. 1 let. b
CVIM, un délai supplémentaire à FCF pour livrer la marchandi-
se commandée.

Le moyen de la recourante pris de l'absence de ré-
siliation valable du contrat précité est dénué de fondement.

3.- La recourante revient à la charge à propos du
contrat du 14 avril 1994. Elle allègue également le fait
qu'elle n'a pas été mise en demeure de façon qualifiée par
la
fixation d'un délai supplémentaire pour s'exécuter, en viola-
tion des art. 47 et 49 CVIM. A la suivre, il ne pouvait donc
y avoir de résiliation valable de ce contrat.

De manière à lier le Tribunal fédéral (art. 63 al.
2 OJ), la Cour de justice a constaté que les parties
n'avaient plus eu de contacts au sujet des marchandises com-
mandées le 14 avril 1994 postérieurement au 7 août 1994,
date
où les marchandises embarquées à Alexandrie à la fin juillet
1994 ont été débarquées à Gênes. En d'autres termes, après
le
7 août 1994, aucun des cocontractants ne s'est soucié de cet-
te marchandise. Peut-être faut-il en voir les raisons dans
le
fait que ces tonnes de coton, au point de vue de leurs quali-
tés, ne correspondaient que très partiellement à celles qui
étaient spécifiées dans le contrat du 14 avril 1994. Mais
peu
importe, comme on va le voir.

En effet, la CVIM n'impose aucune exigence de forme
pour la résiliation des contrats de vente (Neumayer/Ming,
op.
cit., n. 1 ad art. 11 CVIM). Il est ainsi admis qu'un compor-
tement concluant constitué par une restitution de la marchan-
dise non conforme au contrat et un refus de payer peut selon
les circonstances valoir déclaration implicite de résolution
du contrat (Neumayer/Ming, op. cit. n. 1 in fine ad art. 26
CVIM).

Partant, à considérer la liberté de forme consacrée
par la CVIM, il convient d'attribuer un effet juridique à
l'inaction prolongée des plaideurs après le 7 août 1994. Cet-
te inactivité commune des parties doit s'analyser comme la
manifestation réciproque d'une volonté tacite de renoncer à
l'exécution de la convention. L'adoption conjointement par
les parties d'un tel comportement postérieurement à
l'arrivée
de la marchandise à Gênes autorise sans conteste la
déduction
d'une volonté déterminée d'éteindre la convention du 14
avril
1994.

Au vu de ce qui précède, la défenderesse ne saurait
se plaindre de n'avoir pas été formellement mise en demeure
de s'exécuter.

Aucune violation des art. 47 et 49 CVIM n'entre
donc en considération.

4.- La recourante soutient ensuite avoir été en
proie à une impossibilité d'exécution au sens de l'art. 79
al. 1 et 2 CVIM.

Le moyen repose sur une présentation des faits qui
s'écarte de celle adoptée souverainement par l'autorité can-
tonale.

L'état de fait déterminant ne révélant nullement
l'existence d'une circonstance susceptible de constituer un
empêchement imprévisible ou inévitable sur lequel la recou-
rante n'a pas eu prise ou encore un obstacle insurmontable
(cf. Neumayer/Ming, op. cit., n. 2 et 4 ad art. 79 CVIM), la
critique est privée de tout fondement.

5.- La recourante se prévaut de la violation de
diverses dispositions pour contester le principe et la quo-
tité du dommage admis par l'autorité cantonale.

a) La défenderesse soutient en particulier que la
Cour de justice a enfreint l'art. 8 CC régissant le fardeau
de la preuve en retenant que la demanderesse avait prouvé
son
dommage en tant qu'il était question des achats de remplace-
ment.

Cette disposition légale n'est pas sans autre ap-
plicable même si la CVIM ne contient aucune règle directe
quant au fardeau de la preuve et que toutes les questions de
procédure se situent en dehors de son champ d'application.
Lorsqu'il examine la question, le juge saisi ne doit pas per-
dre de vue le contenu de la loi matérielle applicable, soit
la lex causae, laquelle, en l'occurrence, est la Convention
de Vienne susrappelée. A cet égard, le tribunal compétent ne
devrait donc pas se fonder sur sa loi interne. En effet, de
manière indirecte, la Convention contribue à la répartition
du fardeau de la preuve, et cela en raison de la teneur des
termes qu'elle emploie ou de l'établissement d'une relation
entre une règle et son exception. C'est pourquoi, d'une ma-
nière générale, on peut s'en tenir à l'adage "actori
incumbit
probatio". Il en découle que celui qui invoque un droit à la
charge de la preuve de sa réalisation et qu'inversement,
l'autre partie doit prouver les faits qui excluent la préten-
tion invoquée ou s'y opposent (Neumayer/Ming, op. cit., n.
13
ad art. 4 CVIM).

Comme la CVIM ne contient pas de disposition pres-
crivant au juge la manière dont il doit forger sa
conviction,
il n'y a pas d'obstacle juridique qui empêche une référence
à
la jurisprudence relative à l'art. 8 CC.

Selon celle-ci, l'art. 8 CC interdit notamment au
juge de considérer comme établi un fait pertinent allégué
par
une partie pour en déduire son droit, alors que ce fait, con-
testé par la partie adverse, n'a pas reçu un commencement de
preuve (ATF 114 II 289 consid. 2a). En revanche, lorsque

l'appréciation des preuves convainc le juge
de la réalité ou
de l'inexistence d'un fait, la question de l'application de
l'art. 8 CC ne se pose plus; seul le moyen tiré d'une appré-
ciation arbitraire des preuves, à invoquer impérativement
dans un recours de droit public, est alors recevable (ATF
122
III 219 consid. 3c; 119 II 114 consid. 4c p. 117; 117 II 387
consid. 2e). En effet, l'art. 8 CC ne prescrit pas, à l'exem-
ple de la CVIM, comment le juge doit apprécier les preuves
et
sur quels éléments il peut parvenir à une conviction.

In casu, la recourante conteste que les factures
produites par l'intimée en relation avec les achats de rem-
placement se rapportent aux mêmes qualités de coton que
celles qui furent commandées. Ce faisant, elle s'en prend à
la manière dont l'autorité cantonale a apprécié les preuves
rassemblées. Le moyen est ainsi irrecevable.

b) Invoquant l'art. 75 CVIM, la recourante est
d'avis que les achats de remplacement effectués par la deman-
deresse ne pouvaient être qualifiés de la sorte au motif
qu'un délai raisonnable devait s'écouler après la résolution
du contrat pour qu'il y soit procédé.

L'art. 75 CVIM a trait au calcul du préjudice, qui
doit être effectué de manière concrète en cas de résolution
du contrat. Dans cette optique, si cette disposition
prescrit
à l'acheteur d'acheter la marchandise de remplacement dans
un
délai raisonnable, c'est uniquement en vue qu'il obtienne un
prix aussi avantageux que possible et contribue de la sorte
à
réduire le dommage. Si l'affaire de couverture ne répond pas
à ces conditions, le dommage est calculé conformément à
l'art. 74 CVIM ou en fonction du prix du marché (art. 76
CVIM) (cf. Neumayer/Ming, op. cit., n. 2 ad art. 75 CVIM).

On ne voit donc pas que la recourante puisse repro-
cher à l'intimée d'avoir procédé sans délai à des achats de

couverture, dès lors qu'elle n'établit pas que la demanderes-
se aurait pu obtenir la marchandise de remplacement à un
prix
plus avantageux.

Et, lorsque la recourante fait valoir que la deman-
deresse a refusé la marchandise parvenue à Gênes le 7 août
1994, elle s'écarte des faits retenus par la cour cantonale,
laquelle a posé que les parties se sont désintéressées du
sort du coton arrivé dans ce port.

c) La recourante prétend que si, par impossible, le
Tribunal fédéral devait arriver à la conclusion que les
achats effectués le 7 juillet 1994 constituaient des achats
de remplacement au sens de l'art. 75 CVIM, il conviendrait,
conformément à l'art. 77 CVIM, de déterminer la différence
entre les prix convenus par les parties, augmentés de 6% et
de 10%, et ceux pratiqués par les fournisseurs de remplace-
ment pour la même marchandise, seule cette différence
pouvant
être réclamée à la recourante.

Dire qu'il y a eu dommage et quelle en est la quo-
tité est une question de fait, soustraite à l'examen du Tri-
bunal fédéral en instance de réforme (ATF 123 III 241
consid.
3a; 122 III 61 consid. 2c/bb; 122 III 219 consid. 3b). C'est
en revanche une question de droit que de déterminer si le
juge a perdu de vue l'exigence d'un dommage au sens
juridique
ou a méconnu le sens de cette notion pour s'être fondé sur
des critères erronés ou dénués de pertinence pour calculer
le
préjudice (cf. ATF 120 II 296 consid. 3b et les références).

Si tant est que le moyen ait trait aux principes
qui ont été appliqués pour arrêter le dommage, il est tota-
lement infondé. L'autorité cantonale a en effet tenu compte
de la différence de prix existant entre le coton commandé à
la recourante et celui effectivement livré, conformément à
l'art. 75 CVIM. Comme la recourante n'indique même pas les

mesures raisonnables que l'intimée aurait dû prendre pour
limiter le préjudice, les magistrats genevois ne sauraient
avoir consacré une fausse application de l'art. 77 CVIM.

d) La recourante reproche enfin à la Cour de jus-
tice d'avoir retenu "de manière manifestement arbitraire"
que
le gain manqué allégué par la demanderesse a été établi.
Elle
soutient que l'autorité cantonale s'est fondée sur des
pièces
contestées dont les faits qui y étaient contenus n'avaient
pas été prouvés par d'autres moyens de preuve.

Le grief est irrecevable, étant donné qu'il porte
sur l'appréciation des preuves à laquelle a procédé l'auto-
rité cantonale.

6.- En définitive, le recours doit être rejeté
dans la mesure où il est recevable, l'arrêt attaqué étant
confirmé. Vu l'issue du litige, les frais et dépens seront
mis à la charge de la recourante (art. 156 al. 1 et 159 al.
1
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 15 septembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.105/2000
Date de la décision : 15/09/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-15;4c.105.2000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award