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14/09/2000 | SUISSE | N°5C.85/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 septembre 2000, 5C.85/2000


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5C.85/2000

IIe C O U R C I V I L E
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14 septembre 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Weyermann, M.
Bianchi, M. Raselli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M.
Abrecht.
_________

Dans la cause civile pendante
entre

A.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Pascale
Erbeia, avocate à Genève,

et

Dame A.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Claudia Izbicki, avocate à Genève;

(nouveau

droit du divorce)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- A.________, né le 25 janvier 1950 à...

«»
5C.85/2000

IIe C O U R C I V I L E
**************************

14 septembre 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Weyermann, M.
Bianchi, M. Raselli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M.
Abrecht.
_________

Dans la cause civile pendante
entre

A.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Pascale
Erbeia, avocate à Genève,

et

Dame A.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Claudia Izbicki, avocate à Genève;

(nouveau droit du divorce)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- A.________, né le 25 janvier 1950 à Fonsagrada
(Lugo/Espagne), et dame A.________, née le 10 décembre 1960
à
Hong Kong, se sont mariés le 24 décembre 1986 à Chêne-
Bougeries (Genève), sous le régime matrimonial de la sépa-
ration de biens. Ils ont eu une fille, S.________, née le 26
novembre 1989.

Statuant le 20 janvier 1998 dans le cadre d'une
procédure de mesures protectrices de l'union conjugale ou-
verte le 13 octobre 1997 sur requête du mari, le Tribunal de
première instance de Genève a autorisé l'épouse à se consti-
tuer un domicile séparé, lui a attribué la garde sur
S.________ et a réservé un droit de visite au père. Il a en
outre institué une curatelle de soins éducatifs et de sur-
veillance des relations personnelles, et condamné A.________
à contribuer à raison de 500 fr. à l'entretien de sa fille
et
à remettre le passeport de l'enfant au curateur. Dans son
jugement, le Tribunal a constaté que la vie commune avait
cessé au début du mois de novembre 1997 en raison de grosses
difficultés de communication entre les époux.

B.- Entretemps, dame A.________ a ouvert action en
divorce devant le Tribunal de première instance de Genève.
Elle a conclu principalement au prononcé du divorce, à l'at-
tribution de l'autorité parentale et de la garde sur
S.________ et au paiement par A.________, à titre de contri-
bution à l'entretien de S.________, d'un montant mensuel de
800 fr. jusqu'à l'âge de 14 ans et de 900 fr. de 15 ans à la
majorité de l'enfant.

A.________ s'est opposé au divorce. A titre subsi-
diaire, il a conclu à l'attribution de l'autorité parentale
et de la garde sur S.________; toujours à titre subsidiaire,

il a en outre conclu au paiement par dame A.________ d'une
contribution mensuelle à l'entretien de S.________ et d'une
pension alimentaire au sens de l'art. 152 aCC, ainsi qu'au
versement d'une part de l'avoir de prévoyance de la demande-
resse.

Statuant sur mesures provisoires le 23 février 1998,
le Tribunal a attribué à la mère exclusivement la garde sur
S.________ et réservé au père un droit de visite fixé de ma-
nière précise. Il a en outre institué une curatelle de sou-
tien éducatif et de surveillance des relations personnelles,
et condamné le mari à contribuer à raison de 500 fr. par
mois
à l'entretien de S.________ ainsi qu'à remettre le passeport
de l'enfant au curateur.

C.- Par jugement du 31 mai 1999, le Tribunal de pre-
mière instance a prononcé le divorce, attribué l'autorité pa-
rentale et la garde sur S.________ à la demanderesse,
réservé
un large droit de visite au défendeur et condamné celui-ci à
payer pour l'entretien de S.________ un montant mensuel in-
dexable de 800 fr. jusqu'à l'âge de 14 ans révolus et de 900
fr. de 15 ans à la majorité de l'enfant.

Statuant par arrêt du 18 février 2000 sur appel du
défendeur, qui persistait à s'opposer au divorce, subsidiai-
rement à réclamer l'attribution de l'autorité parentale et
de
la garde sur S.________, la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève a confirmé le jugement de première
instance.

D.- Contre cet arrêt, le défendeur exerce un recours
en réforme au Tribunal fédéral. Il prend des conclusions en
réforme tendant principalement au rejet de toutes les conclu-
sions de la demanderesse, et subsidiairement au prononcé de
la séparation de corps, à l'attribution de l'autorité paren-
tale et de la garde sur S.________ et au paiement par la de-

manderesse d'une contribution à l'entretien de l'enfant d'un
montant mensuel indexable de 550 fr. jusqu'à l'âge de 14 ans
révolus et de 650 fr. de 15 ans à la majorité. Plus subsi-
diairement encore, le défendeur conclut à l'annulation de
l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité canto-
nale pour nouvelle décision.

La demanderesse propose l'irrecevabilité, subsidiai-
rement le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours est recevable du chef de l'art. 44
OJ, en tant qu'il porte sur le prononcé du divorce et sur
l'attribution de la garde et de l'autorité parentale sur
l'enfant. Il est également recevable au sujet de la contribu-
tion d'entretien en faveur de l'enfant, la valeur litigieuse
de 8'000 fr. exigée par l'art. 46 OJ, calculée conformément
à
l'art. 36 al. 4 OJ, étant manifestement atteinte en
l'espèce;
de toute manière, le recours serait sur ce point recevable
par attraction (Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'or-
ganisation judiciaire, vol. II, 1990, n. 1.4 ad art. 44 OJ).
Enfin, déposé en temps utile contre une décision finale ren-
due en dernière instance par le tribunal suprême du canton
de
Genève, le recours est recevable sous l'angle des art. 54
al.
1 et 48 al. 1 OJ.

2.- a) Sur le principe du divorce, la motivation de
l'arrêt attaqué peut être résumée comme suit.

Les art. 111 ss nouveaux CC, entrés en vigueur le
1er janvier 2000, sont applicables en l'espèce en vertu de
l'art. 7b al. 1 tit. fin. CC (arrêt attaqué, consid. 2). Les
époux n'ayant pas vécu séparés pendant quatre ans, le
divorce
ne peut être prononcé en application de l'art. 114 CC. Il

peut en revanche l'être sur la base de l'art. 115 CC, dont
la
formulation rejoint pratiquement celle de l'art. 142 aCC et
qui peut donc être interprété selon les principes développés
à propos de cette ancienne disposition (arrêt attaqué, con-
sid. 3a).

En l'espèce, les enquêtes effectuées devant le pre-
mier juge ont permis de faire ressortir la profonde mésen-
tente des époux. Si les épisodes de violence physique dont
la
demanderesse a allégué avoir été victime n'ont pas fait l'ob-
jet de témoignages directs, ni n'ont été confirmés par des
éléments objectifs tels que des certificats médicaux, ils
n'en dénotent pas moins une profonde dissension entre les
époux et ont eu un effet traumatisant pour l'enfant. Au sur-
plus, les époux vivent séparés depuis plus de deux ans et
aucune des parties n'a sérieusement envisagé de reprendre la
vie commune. D'ailleurs, sur le plan matériel, l'attitude du
défendeur n'est pas allée dans le sens d'une réconciliation,
dans la mesure où il ne s'est pas acquitté du loyer de l'an-
cien appartement conjugal, mettant ainsi la demanderesse
dans
une situation précaire; cette dernière a en effet fait l'ob-
jet de poursuites et d'un avis de saisie et a donc dû s'ac-
quitter des arriérés de loyer restés impayés par le défen-
deur. A la lumière de l'ensemble de ces éléments, la reprise
de la vie commune n'apparaît pas envisageable et ne peut
être
imposée (arrêt attaqué, consid. 3b). Dès lors que les motifs
de la désunion ne sont pas imputables à la demanderesse, le
principe du divorce doit être admis sur la base de l'art.
115
CC (arrêt attaqué, consid. 3c).

b) Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir
méconnu le sens de l'art. 115 CC en interprétant cette dispo-
sition selon les mêmes principes que ceux développés à
propos
de l'art. 142 aCC. Quoique s'inspirant de l'art. 142 al. 1
aCC, l'art. 115 CC devrait être interprété plus restrictive-
ment. Dans la conception qui sous-tend le nouveau droit du

divorce, il constituerait en effet une sorte de lex specia-
lis, applicable uniquement lorsque la continuation du
mariage
apparaît si insupportable que l'on ne puisse exiger du deman-
deur qu'il attende l'expiration du délai de quatre ans prévu
à l'art. 114 CC. Or tel ne serait pas le cas en l'espèce,
sur
le vu des éléments exposés par la cour cantonale.

3.- a) En vertu de l'art. 7b al. 1 tit. fin. CC, les
procès en divorce pendants qui doivent être jugés par une
instance cantonale sont soumis au nouveau droit dès l'entrée
en vigueur de la loi fédérale du 26 juin 1998. Il s'ensuit
que dès le 1er janvier 2000, les juridictions cantonales su-
périeures qui sont saisies d'un recours portant sur le prin-
cipe du divorce, même prononcé en première instance sous
l'ancien droit, doivent statuer sur ce point en application
des art. 111 à 116 nouveaux CC (Thomas Sutter/Dieter Frei-
burghaus, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, 1999, n. 7 ad
art. 7b tit. fin. CC).

Dès lors que la cause de divorce de l'art. 115 CC
doit être interprétée de manière plus restrictive que la
cause de divorce indéterminée de l'art. 142 aCC (cf. consid.
4 infra), cela peut avoir pour conséquence que l'action en
divorce admise en première instance sur la base de l'art.
142
aCC doive être rejetée en seconde instance au regard de
l'art. 115 CC (Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 8 s. ad
art.
7b tit. fin. CC). Cette conséquence, même si elle peut paraî-
tre insatisfaisante, est inhérente au système du droit révi-
sé, lequel peut faciliter le divorce - notamment en instau-
rant un droit absolu au divorce après quatre ans de sépara-
tion (cf. consid. 4b et c infra) - tout comme le rendre plus
difficile dans certains cas où le divorce pouvait auparavant
être prononcé en application de l'art. 142 aCC malgré l'oppo-
sition du conjoint défendeur (cf. consid. 4d infra).

b) Pour éviter ce résultat ressenti comme choquant,
une partie de la doctrine préconise d'appliquer l'art. 115
CC
de manière plus souple dans les cas où le divorce a été pro-
noncé, ou aurait pu l'être, en application d'un droit ancien
plus favorable, mais que le jugement a été retardé par des
manoeuvres dilatoires du défendeur ou par des causes objecti-
ves telles que la surcharge des tribunaux (Daniel Steck,
Scheidungsklagen, in Das neue Scheidungsrecht, 1999, p.
37/38; Ruth Reusser, Die Scheidungsgründe und die Ehetren-
nung, in Heinz Hausheer (éd.), Vom alten zum neuen Schei-
dungsrecht, 1999, n. 1.111; Philippe Meier, Nouveau droit du
divorce: Questions de droit transitoire, in JdT 2000 I 66
ss,
p. 91/92; réservé Bruno Suter, Übergangsrecht, in Das neue
Scheidungsrecht, 1999, p. 174).

c) Une telle voie ne saurait toutefois être suivie.
En effet, l'art. 7b al. 1 tit. fin. CC dispose de manière
univoque que tous les procès en divorce pendants qui doivent
être jugés par une instance cantonale, sans distinction,
sont
soumis au nouveau droit dès l'entrée en vigueur de celui-ci.
Le Tribunal fédéral est tenu d'appliquer (art. 191 Cst.)
cette disposition transitoire, dont le texte clair ne
souffre
pas d'interprétation (cf. ATF 124 II 265 consid. 3a; 121 III
460 consid. 4a/bb p. 465 et les arrêts cités). L'art. 7b al.
1 tit. fin. CC ne saurait être corrigé par le biais inédit
d'une interprétation élastique du droit matériel réservée
aux
seules situations intertemporelles. Une telle interprétation
reviendrait à appliquer de facto l'ancien droit
contrairement
à l'art. 7b al. 1 tit. fin. CC, respectivement à ne pas
appli-
quer le nouveau droit; en effet, le "durcissement" intertem-
porel résultant du passage de l'art. 142 aCC à l'art. 115 CC
n'entre manifestement pas dans la notion de motifs sérieux
au
sens de cette dernière disposition, lesquels doivent tenir à
la personne du conjoint (cf. consid. 4h infra). Au surplus,
une interprétation souple de l'art. 115 CC comporterait clai-
rement le danger de voir s'instaurer une jurisprudence incom-
patible avec la volonté du législateur, de sorte qu'elle
doit
être rejetée pour cette raison également (Renate Pfister-Lie-
chti, Le nouveau droit du divorce: Quelle procédure?, in SJ
2000 II 243 ss, p. 260; Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 9
ad art. 7b tit. fin. CC; Roland Fankhauser, in Ingeborg Sch-
wenzer (éd.), Praxiskommentar Scheidungsrecht, 2000, n. 23
ad
art. 115 CC; Marcel Leuenberger, ibid., n. 4 ad art. 7a/b
tit. fin. CC; cf. consid. 4d infra).

4.- a) Le nouveau droit connaît trois causes de
divorce, qui reposent toutes sur le constat de l'échec du
mariage (Message du Conseil fédéral du 15 novembre 1995 con-
cernant la révision du Code civil suisse, FF 1996 I 1 ss, n.
231.1; cf. Heinz Hausheer, Die Scheidungsgründe in der lau-
fenden Ehescheidungsreform, in RDS 1996 I 343 ss, 354): le
divorce sur requête commune des époux (art. 111 et 112 CC),
le divorce sur demande unilatérale après suspension de la
vie
commune pendant quatre ans au moins (art. 114 CC) et le di-
vorce sur demande unilatérale pour rupture du lien conjugal
(art. 115 CC). Les deux premières causes, qui sont nouvelles
par rapport à l'ancien droit, répondent à la volonté du lé-
gislateur de "formaliser" les causes de divorce et de les
"dépénaliser" en éliminant la notion de faute (Message, n.
144.3 et 231.1). Elles constituent - selon la terminologie
utilisée sous l'ancien droit (cf. notamment ATF 108 II 25
consid. 2a) - des causes absolues de divorce, en ce sens que
la rupture du lien conjugal est présumée de manière irréfra-
gable (Steck, op. cit., p. 33; Jean-François Perrin, Les cau-
ses du divorce selon le nouveau droit, in Renate Pfister-Lie-
chti (éd.), De l'ancien au nouveau droit du divorce, 1999,
p.
25).

b) Le divorce sur demande unilatérale est régi par
les art. 114 et 115 CC. Un époux peut demander unilatérale-
ment le divorce lorsque, au début de la litispendance de la
demande ou au jour du remplacement de la requête
par une

demande unilatérale, les conjoints ont vécu séparés pendant
quatre ans au moins (art. 114 CC); chaque époux peux
toutefois demander le divorce avant l'expiration du délai de
quatre ans lorsque des motifs sérieux qui ne lui sont pas
imputables rendent la continuation du mariage insupportable
(art. 115 CC).

Il résulte de la ratio legis (cf. consid. 4a supra)
et du texte même de l'art. 115 CC que celui-ci instaure une
cause de divorce subsidiaire par rapport à celle de l'art.
114 CC (Message, n. 231.1; Steck, op. cit., p. 33-35; Reus-
ser, op. cit., n. 1.78 s.; Sutter/Freiburghaus, op. cit., n.
6 ad art. 115 CC; Fankhauser, op. cit., n. 2 ad art. 115 CC;
Alexandra Rumo-Jungo, Die Scheidung auf Klage, in AJP 1999
p.
1530 ss, 1535; Heinz Hausheer/Thomas Geiser/Esther Kobel,
Das
Eherecht des Schweizerischen Zivilgesetzbuches, 2000, n.
10.25; Perrin, op. cit., p. 26; Jacques Micheli et al., Le
nouveau droit du divorce, 1999, n. 191).

c) Selon l'opinion dominante, l'art. 115 CC doit
permettre de déroger à l'exigence d'une séparation d'au
moins
quatre ans dans des cas particuliers où il serait excessive-
ment rigoureux d'imposer au demandeur de patienter durant
les
quatre années du délai de séparation prévu à l'art. 114 CC
(Reusser, op. cit., n. 1.78 s.; Rumo-Jungo, op. cit., p.
1535; Steck, op. cit., p. 35; Sutter/Freiburghaus, op. cit.,
n. 6 ad art. 115 CC; Hausheer/Geiser/Kobel, op. cit., n.
10.25; Message, n. 231.32). Quoique s'inspirant de l'art.
142
al. 1 aCC, l'art. 115 CC doit ainsi être interprété dans un
contexte différent; il ne s'agit en effet plus de se deman-
der, comme c'était le cas sous l'empire de l'art. 142 aCC,
si
l'on peut imposer à un époux le maintien de l'union
conjugale
pendant une durée indéterminée - étant rappelé que l'époux
défendeur ne pouvait en principe plus s'opposer au divorce
après une séparation de quinze ans (ATF 108 II 503; 111 II
109 consid. 1d) -, mais si l'on peut raisonnablement exiger
de lui qu'il attende la fin du délai de séparation de quatre

ans pour obtenir le divorce (Reusser, op. cit., n. 1.81;
Rumo-Jungo, op. cit., p. 1535; Hausheer, op. cit., p. 364;
Steck, op. cit., p. 35; Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 9
ad art. 115 CC). Par ailleurs, l'art. 115 CC ne se fonde
plus, comme l'art. 142 aCC, sur le caractère insupportable
de
la vie commune, mais sur le caractère insupportable du maria-
ge en tant que tel, à savoir du lien conjugal (Sutter/Frei-
burghaus, op. cit., n. 9 ad art. 115 CC; Fankhauser, op.
cit., n. 6 ad art. 115 CC).

d) Dès lors, toujours selon la doctrine majoritaire,
l'art. 115 CC doit être interprété de manière plus restricti-
ve et selon des critères plus sévères que l'art. 142 aCC; à
défaut, la cause de divorce subsidiaire (cf. consid. 4b su-
pra) de l'art. 115 CC risque de devenir dans la pratique -
comme cela a été le cas avec l'art. 142 aCC - la principale
cause de divorce, au détriment des causes "formalisées" (cf.
consid. 4a supra), ce qui compromettrait largement le princi-
pal objectif de la révision du droit du divorce (Sutter/
Freiburghaus, op. cit., n. 9 ad art. 115 CC; Reusser, op.
cit., n. 1.86; Fankhauser, op. cit., n. 2 ad art. 115 CC;
Rumo-Jungo, op. cit., p. 1536; Hausheer/Geiser/Kobel, op.
cit., n. 10.27; Message, n. 231.32). Plusieurs auteurs expri-
ment ainsi la crainte que certains tribunaux ne perpétuent
sous l'empire de l'art. 115 CC, en contradiction avec l'es-
prit du nouveau droit, la pratique judiciaire issue de l'ap-
plication de l'art. 142 aCC (Fankhauser, op. cit., n. 2 ad
art. 115 CC; Perrin, op. cit., p. 26, 27 et 29).

e) Selon une opinion minoritaire, l'interprétation
restrictive préconisée par la doctrine dominante ne pourrait
trouver appui ni sur le texte de l'art. 115 CC, ni sur la
conception des causes de divorce dans le nouveau droit, ni
même sur les travaux préparatoires; rien n'empêcherait le
juge, dans son application de l'art. 115 CC, de s'inspirer
de
la jurisprudence éprouvée rendue au sujet de l'art. 142 aCC

(Roger Weber, Kritische Punkte der Scheidungsrechtsrevision,
in AJP 1999 p. 1633 ss, p. 1635/1636; cf. dans le même sens
Micheli et al., op. cit., n. 192 et 195). Il n'y aurait
aucun
motif de contraindre, par une interprétation restrictive de
l'art. 115 CC destinée uniquement à décharger les tribunaux,
un époux à maintenir pendant quatre ans une union conjugale
absolument vidée de son contenu; adopter l'opinion contraire
reviendrait à faire peu de cas des droits de la personnalité
de la partie demanderesse et l'exposerait à ce que l'autre
conjoint négocie son accord sur le principe du divorce pour
obtenir des avantages indus dans le règlement des effets
accessoires du divorce (Weber, op. cit., p. 1636).

f) Cette opinion minoritaire ne saurait être parta-
gée. Il résulte en effet clairement du texte de l'art. 115
CC, de la conception qui est à la base du nouveau droit
ainsi
que du Message du Conseil fédéral que cette disposition ne
peut trouver application que dans des cas particuliers, où
il
serait excessivement rigoureux d'imposer au demandeur de
patienter durant les quatre années du délai de séparation
prévu à l'art. 114 CC (cf. consid. 4b et c supra). L'art.
115
CC doit ainsi nécessairement recevoir une interprétation
plus
restrictive que l'art. 142 al. 1 aCC, sous l'empire duquel
l'enjeu, pour l'époux demandeur, était de savoir si l'on
pouvait lui imposer le maintien de l'union conjugale pendant
une durée indéterminée (cf. consid. 4c supra). Seule une
telle interprétation permettra d'atteindre l'objectif majeur
de la réforme qu'est le souci de "dépénaliser" le divorce en
le prononçant autant que possible sur la base de critères
formels (cf. consid. 4a supra), qui évitent le "déballage"
de
la vie conjugale devant le juge avec toutes les
répercussions
négatives qu'il implique (cf. Message, n. 144.3). Cet objec-
tif serait à l'évidence gravement compromis si l'art. 115 CC
devait recevoir la même portée et la même importance
pratique
que l'art. 142 aCC (cf. consid. 4d supra). Enfin, s'il est
vrai que, comme sous l'ancien droit (cf. art. 158 ch. 5 et

ATF 119 II 297 consid. 3b), le contrôle de la convention par
le juge (art. 140 al. 2 CC) n'exclut pas tout risque quant
au
caractère équilibré de celle-ci, l'existence d'un droit
absolu au divorce après
quatre ans de séparation (cf. Fankhauser, op. cit., n. 1 ad
art. 114 CC et les références citées) devrait également con-
tribuer à limiter ce risque, qui ne saurait justifier une
interprétation extensive de l'art. 115 CC.

g) En définitive, il convient d'admettre avec la
doctrine dominante qu'un époux peut demander unilatéralement
le divorce sur la base de l'art. 115 CC lorsque, pour des
motifs sérieux qui ne lui sont pas imputables, on ne saurait
raisonnablement lui imposer la continuation du mariage - à
savoir le maintien du lien conjugal - durant les quatre an-
nées de séparation qui lui permettraient d'obtenir le
divorce
sur la base de l'art. 114 CC (Steck, op. cit., p. 35; Sutter/
Freiburghaus, op. cit., n. 9 ad art. 115 CC; Rumo-Jungo, op.
cit., p. 1535 s.; Reusser, op. cit., n. 1.81; Hausheer, op.
cit., p. 364; Suzette Sandoz, Nouveau droit du divorce - Les
conditions du divorce, in RDS 1999 I 103 ss, 109; Hausheer/
Geiser/Kobel, op. cit., n. 10.25; Message, n. 231.32).
Savoir
si tel est le cas dépend des circonstances particulières de
chaque espèce (art. 4 CC; Message, n. 231.32; Steck, op.
cit., p. 34; Rumo-Jungo, op. cit., p. 1536; Sutter/Freiburg-
haus, op. cit., n. 9 ad art. 115 CC; Sandoz, op. cit., p.
109).

h) Il n'est dès lors pas possible, ni souhaitable,
d'établir des catégories fermes de motifs sérieux au sens de
l'art. 115 CC (Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 14 ad art.
115 CC). Tout au plus peut-on, sans qu'il y ait lieu ici de
prendre position à ce sujet, rapporter les principaux exem-
ples cités par la doctrine, laquelle propose d'admettre
l'existence de motifs sérieux au sens de l'art. 115 CC en
cas de: violences physiques (Message, n. 231.32; Reusser, n.
1.85; Sandoz, op. cit., p. 109) ou psychiques (Sutter/Frei-

burghaus, op. cit., n. 10 ad art. 115 CC) propres à mettre
en
danger la santé physique ou psychique de l'époux demandeur
ou
de ses enfants (Rumo-Jungo, op. cit., p. 1536; Fankhauser,
op. cit., n. 7 ad art. 115 CC; Steck, op. cit., p. 37); - in-
fraction pénale grave contre le conjoint demandeur ou l'un
de
ses proches (Steck, op. cit., p. 37; Sutter/Freiburghaus,
op.
cit., n. 10 ad art. 115 CC; cf. art. 125 al. 3 ch. 3 CC et
art. 138 al. 1 aCC); - abus sexuels démontrés contre les
enfants communs ou issus d'un premier lit (Sutter/Freiburg-
haus, op. cit., n. 10 ad art. 115 CC; Rumo-Jungo, op. cit.,
p. 1536); - délit infamant (Rumo-Jungo, op. cit., p. 1536;
Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 10 ad art. 115 CC; Steck,
op. cit., p. 37; cf. art. 139 aCC); - maladie mentale grave
(Rumo-Jungo, op. cit., p. 1536; Steck, op. cit., p. 36;
Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 11 ad art. 115 CC; Haus-
heer/Geiser/Kobel, op. cit., n. 10.27; cf. art. 141 aCC).

5.- a) En l'occurrence, il résulte de l'arrêt atta-
qué que les épisodes de violence physique dont la demanderes-
se a allégué avoir été victime n'ont pas fait l'objet de
témoignages directs, ni n'ont été confirmés par des éléments
objectifs tels que des certificats médicaux. La demanderesse
ne peut ainsi que supporter l'échec de la preuve sur ce
point
(Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 19 ad art. 115 CC). La
cour cantonale ne pouvait dès lors fonder sa décision que
sur
la "profonde dissension" entre les époux, sur le fait que
ceux-ci vivent séparés depuis plus de deux ans, et enfin sur
la constatation que l'attitude du défendeur n'est pas allée
dans le sens d'une réconciliation, dans la mesure où il ne
s'est pas acquitté du loyer de l'ancien appartement
conjugal,
contraignant ainsi la demanderesse à s'acquitter des
arriérés
de loyer pour éviter une saisie. A la lumière de l'ensemble
de ces éléments, les juges cantonaux ont estimé que la re-
prise de la vie commune n'apparaissait pas envisageable et
ne
pouvait être imposée. Ils ont dès lors confirmé le prononcé
du divorce en application de l'art. 115 CC, en partant du

principe que cette disposition pouvait être interprétée
selon
les principes développés à propos de l'art. 142 al. 1 aCC,
dont elle rejoignait pratiquement la formulation.

b) Ce faisant, les juges cantonaux sont partis d'une
fausse conception du nouveau droit. En effet, comme il a été
exposé plus haut (consid. 4), l'art. 115 CC doit être inter-
prété de manière plus restrictive que l'art. 142 al. 1 aCC.
Il faut que, pour des motifs sérieux qui ne sont pas imputa-
bles à l'époux demandeur, on ne puisse raisonnablement impo-
ser à celui-ci la continuation du mariage durant les quatre
années de séparation qui lui permettraient d'obtenir le di-
vorce sur la base de l'art. 114 CC (cf. consid. 4g supra).
Ainsi, lorsque le conjoint défendeur s'oppose au divorce, la
question n'est pas de savoir si l'on peut exiger de l'époux
demandeur la reprise de la vie commune, mais si l'on peut
lui
imposer la continuation du mariage - en tant que lien légal
-
pendant les quatre ans de séparation prévus par l'art. 114
CC
(cf. consid. 4c supra), auquel l'art. 115 CC doit rester
subsidiaire (cf. consid. 4b et d supra). Or les éléments
résultant de l'arrêt attaqué, tels que rappelés ci-dessus
(consid. 5a), ne permettent pas d'admettre l'existence de
motifs sérieux pour lesquels on ne saurait imposer à la de-
manderesse la continuation du mariage jusqu'à l'écoulement
du
délai de séparation de quatre ans qui fondera un droit
absolu
au divorce sur la base de l'art. 114 CC.

6.- Il résulte de ce qui précède que le recours,
fondé, doit être admis et l'arrêt attaqué réformé en ce sens
que la demanderesse est déboutée de l'ensemble des conclu-
sions de sa demande. Le défendeur, qui obtient gain de
cause,
a droit à des dépens de la part de la demanderesse (art. 159
al. 1 OJ), laquelle supportera également les frais judiciai-
res (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et réforme l'arrêt attaqué en ce
sens que la demanderesse est déboutée de l'ensemble des
conclusions de sa demande.

2. Met à la charge de la demanderesse:
a) un émolument judiciaire de 2'000 fr.;
b) une indemnité de 2'500 fr. à verser au défendeur
à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 14 septembre 2000
ABR/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.85/2000
Date de la décision : 14/09/2000
2e cour civile

Analyses

Portée de l'art. 115 CC par rapport à l'art. 142 aCC; effets de l'art. 7b al. 1 tit. fin. CC sur le principe du divorce. L'art. 7b al. 1 tit. fin. CC peut avoir pour conséquence que l'action en divorce admise en première instance sur la base de l'art. 142 aCC doive être rejetée en seconde instance au regard de l'art. 115 CC, cette disposition devant être interprétée plus restrictivement (consid. 3). Un époux peut demander unilatéralement le divorce en application de l'art. 115 CC lorsque, pour des motifs sérieux qui ne lui sont pas imputables, on ne saurait raisonnablement lui imposer la continuation du mariage - à savoir le maintien du lien conjugal - durant les quatre années de séparation qui lui permettraient d'obtenir le divorce sur la base de l'art. 114 CC (consid. 4). Application de ces principes au cas d'espèce (consid. 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-14;5c.85.2000 ?
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