La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/09/2000 | SUISSE | N°1P.229/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 septembre 2000, 1P.229/2000


«AZA 3»
1P.229/2000/VIZ

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

12 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Favre. Greffier: M. Jomini.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

la Banque Cantonale Vaudoise, société anonyme, à Lausanne,
représentée par Me Denis Sulliger, avocat à Vevey,

contre

l'arrêt rendu le 13 mars 2000 par le Tribunal administratif

du canton de Vaud, dans la cause qui oppose la recourante au
Département des travaux publics, de l'aménagement et des
tra...

«AZA 3»
1P.229/2000/VIZ

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

12 septembre 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Favre. Greffier: M. Jomini.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

la Banque Cantonale Vaudoise, société anonyme, à Lausanne,
représentée par Me Denis Sulliger, avocat à Vevey,

contre

l'arrêt rendu le 13 mars 2000 par le Tribunal administratif
du canton de Vaud, dans la cause qui oppose la recourante au
Département des travaux publics, de l'aménagement et des
transports du canton de Vaud (actuellement: Département des
infrastructures);

(plan d'affectation, zones à protéger)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La Banque Cantonale Vaudoise (la BCV) est proprié-
taire depuis le 7 octobre 1992 de la parcelle n° 238 du re-
gistre foncier sur le territoire de la commune de Vufflens-
la-Ville, au lieu-dit "Moulin-de-la-Palaz". Ce terrain de
8'635 m2 est en nature de pré-champ. Il est adjacent, au
sud-ouest, à la rivière la Venoge, bordée à cet endroit par
un chemin de berge et un étroit cordon boisé. Au nord-ouest,
ce terrain est longé par une route cantonale. Du côté est,
il est entouré par une forêt qui s'étend de part et d'autre
d'un canal de dérivation, le canal de la Pale.

Le plan général d'affectation de la commune de
Vufflens-la-Ville (plan des zones), entré en vigueur le 5
mars 1986 (et partiellement modifié le 28 mars 1990), classe
la parcelle n° 238 dans la zone artisanale du "Moulin-de-la-
Palaz".

B.- La Constitution du canton de Vaud (Cst./VD; RS
131.231) a été modifiée le 10 juin 1990 par l'adoption en
votation populaire d'un art. 6ter dont la teneur est la sui-
vante:

1 Les cours, les rives et les abords de la Venoge
sont
protégés.

2 Un plan d'affectation cantonal précise l'étendue de
cette protection. Ce plan et les dispositions
accessoires
comprennent toutes mesures utiles notamment pour:
a. Assurer l'assainissement des eaux;
b. Maintenir et restaurer les milieux naturels favora-
bles à la flore et à la faune, notamment la végétation
riveraine;
c. Classer les milieux naturels les plus intéressants;
d. Interdire toute construction, équipement, installa-
tion ou intervention dont la réalisation irait à
l'encon-
tre des objectifs ci-dessus.

Le Département cantonal des travaux publics, de l'amé-
nagement et des transports (DTPAT; actuellement: Département
des infrastructures) a élaboré le plan d'affectation canto-
nal prévu par cette disposition constitutionnelle. Ce plan
définit quatre périmètres (art. 5 du règlement du plan d'af-
fectation cantonal, RPAC): le périmètre 1, qui comprend "les
cours d'eau formés par la Venoge, ses affluents et leurs dé-
rivations"; le périmètre 2, à savoir "les couloirs de la Ve-
noge et du Veyron, comprenant les berges, les zones alluvia-
les, les zones de libre évolution des cours d'eau, la végé-
tation riveraine, les surfaces nécessaires à leur restaura-
tion, ainsi que le delta de la Venoge"; le périmètre 3, soit
"les vallées de la Venoge et du Veyron"; le périmètre 4,
soit "le bassin versant de la Venoge défini par sa topogra-
phie".

A Vufflens-la-Ville, le périmètre 2 du plan d'affecta-
tion cantonal comprend notamment la parcelle n° 238. Selon
les art. 11 ss et 22 ss RPAC, il s'agit d'une zone protégée
inconstructible.

Ce plan a été mis à l'enquête publique en automne 1995;
la BCV s'est opposée au régime prévu pour sa parcelle. Le 28
août 1997, le DTPAT a rejeté cette opposition; il a par ail-
leurs approuvé le plan d'affectation cantonal.

La BCV a recouru contre cette décision auprès du Dépar-
tement cantonal des institutions et des relations extérieu-
res (DIRE). Ce recours a été rejeté par un prononcé rendu le
11 août 1999.

La BCV a alors recouru au Tribunal administratif du
canton de Vaud, en demandant que le plan d'affectation can-
tonal soit réformé de telle sorte que le périmètre 2 ne
s'étende plus, sur sa parcelle, que sur une bande large de

30 m depuis la limite de la rivière; le solde du terrain de-
meurerait donc dans la zone artisanale du plan d'affectation
communal. Le Tribunal administratif a rejeté ce recours par
un arrêt du 13 mars 2000. Il a considéré, en substance, que
la valeur naturelle du secteur dans lequel se trouve la par-
celle litigieuse justifiait les mesures de protection adop-
tées et que la restriction du droit de propriété n'était pas
disproportionnée.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
la BCV demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu
par le Tribunal administratif, pour violation des art. 26 et
36 Cst. Elle soutient que la base légale fait défaut pour
l'affectation de sa parcelle à une zone inconstructible, son
classement en zone artisanale ayant été, quelques années au-
paravant, considéré comme conforme à la législation sur
l'aménagement du territoire. Elle se plaint également d'une
restriction disproportionnée du droit de propriété, car une
portion de sa parcelle pourrait être maintenue dans la zone
constructible communale sans risque d'atteinte à la Venoge.

Le Département des infrastructures, le Département des
institutions et des relations extérieures ainsi que le Tri-
bunal administratif concluent au rejet du recours.

La commune de Vufflens-la-Ville, partie intéressée,
conclut également au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Critiquant le classement de sa parcelle dans une
zone inconstructible, la recourante se plaint d'une viola-
tion de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.) en fai-
sant valoir que les exigences d'une base légale et du res-

pect du principe de la proportionnalité, qui s'appliquent en
vertu de l'art. 36 Cst. à toute restriction des droits fon-
damentaux, ne sont pas remplies.

a) Une mesure d'aménagement du territoire, telle
qu'une interdiction de construire sur un terrain en raison
du classement dans une zone à protéger, représente une res-
triction du droit de propriété; elle n'est compatible avec
la garantie constitutionnelle de la propriété que pour au-
tant qu'elle repose sur une base légale, qu'elle soit justi-
fiée par un intérêt public suffisant et que, conformément au
principe de la proportionnalité, elle soit propre à attein-
dre le but visé et n'aille pas au-delà de ce qu'exige cet
intérêt public (art. 36 al. 1 à 3 Cst. - ces exigences de-
vaient déjà être respectées en vertu de la Constitution fé-
dérale du 29 mai 1874 [aCst.]; cf. ATF 125 II 129 consid. 8
p. 141; 121 I 117 consid. 3b p. 120; 120 Ia 227 consid. 2c
p. 232 et les arrêts cités).

b) Le grief concernant l'absence d'une base légale est
manifestement mal fondé. En effet, tant l'art. 17 al. 1 de
la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT; RS
700) que les art. 47 al. 2 ch. 2 et 54 al. 1 de la loi can-
tonale sur l'aménagement du territoire et les constructions
(LATC) permettent aux autorités compétentes de créer des zo-
nes à protéger comprenant les rives d'un cours d'eau ou des
éléments d'un paysage d'une beauté particulière. Pour les
abords de la Venoge, une disposition spécifique du droit
cantonal - l'art. 6ter Cst./VD - constitue en outre le fon-
dement clair des mesures de protection, qui doivent être
adoptées notamment sous la forme de zones d'un plan d'affec-
tation cantonal avec une réglementation spéciale. Contraire-
ment à ce qu'affirme la recourante, ces mesures ne concer-
nent pas uniquement les "milieux naturels les plus intéres-
sants" (art. 6ter al. 2 let. c Cst./VD), mais plus générale-
ment, sur les rives et aux abords de la Venoge (art. 6ter

al. 1 Cst./VD), les "milieux naturels favorables à la flore
et à la faune" (art. 6ter al. 2 let. b Cst./VD); ces mesures
peuvent consister en une interdiction de construire (art.
6ter al. 2 let. d Cst./VD). L'inclusion d'un terrain rive-
rain de la Venoge dans une zone inconstructible est en effet
possible, sur la base du texte de l'art. 6ter al. 2 Cst./VD,
chaque fois que la "réalisation des objectifs" de cette dis-
position l'exige; cette mesure de protection n'est donc pas
réservée aux sites les plus intéressants ou les plus menacés
(hypothèse dans laquelle un véritable classement au sens de
la loi cantonale sur la protection de la nature, des monu-
ments et des sites [LPNMS] pourrait alors entrer en considé-
ration).

La recourante conteste toutefois que le régime de la
zone à protéger puisse être appliqué à sa parcelle, dès lors
que les autorités compétentes l'avaient auparavant classée
en zone constructible, au moment où elles ont adopté un plan
d'affectation communal censé mettre en oeuvre les règles et
principes des lois fédérale et cantonale sur l'aménagement
du territoire. Or, cette objection n'est pas pertinente pour
l'examen de la base légale de la nouvelle zone à protéger:
une affectation en zone à bâtir, conforme aux principes lé-
gaux à un moment donné (cf. art. 15 LAT), peut être modifiée
si les circonstances évoluent sensiblement, et être rempla-
cée par une autre affectation prévue par la loi. La loi fé-
dérale sur l'aménagement du territoire contient précisément
une disposition - l'art. 21 al. 2 LAT, que le Tribunal admi-
nistratif a appliquée en l'occurrence - permettant en pareil
cas de revoir périodiquement les plans d'affectation.

Les normes précitées du droit de l'aménagement du ter-
ritoire - ainsi qu'éventuellement d'autres normes, du droit
fédéral ou cantonal, sur l'aménagement des cours d'eau, que
le Tribunal administratif a mentionnées "dans le souci

d'être complet", mais qu'il n'y a pas lieu d'examiner plus
avant ici - constituent donc une base légale suffisante, au
sens de l'art. 36 al. 1 Cst., pour déclasser une parcelle,
sise aux abords de la Venoge, d'une zone artisanale
constructible en zone à protéger inconstructible.

c) La recourante conteste cependant la proportionnali-
té de ce changement d'affectation: les intérêts publics in-
voqués - police des eaux, protection de la faune, protection
du paysage - pourraient être sauvegardés par des mesures
moins incisives, en conservant des possibilités de construi-
re sur une partie de sa parcelle; sans cela, le sacrifice
financier serait pour elle excessif, dès lors qu'elle avait
acquis ce terrain pour une somme de 700'000 fr. en 1992,
dans le cadre d'une vente forcée.

aa) Selon l'arrêt attaqué, l'argument décisif, pour le
classement de la parcelle litigieuse en zone à protéger, est
celui de la protection de la nature et du paysage. Le Tribu-
nal administratif évoque cependant aussi la protection con-
tre les crues - une interdiction de construire à cet endroit
permet de renoncer à envisager des mesures de correction du
cours d'eau qui auraient pour but de garantir la sécurité
des constructions - mais cet élément n'est pas déterminant.

Les mesures de protection accrue de la Venoge et de ses
abords, qui interdisent en principe les constructions, doi-
vent s'appliquer à l'intérieur du couloir que constitue le
périmètre 2 (cf. art. 5 RPAC). Les autorités cantonales en
ont fixé la largeur minimale à 30 m, de part et d'autre du
bord du cours d'eau, mais sans exclure une extension du cou-
loir dans des circonstances particulières. En l'occurrence,
la largeur de cette bande de terrain est d'environ 100 m de-

puis la limite des hautes eaux. La question litigieuse est
celle de savoir si des motifs de protection de la nature et
du paysage peuvent justifier un tel élargissement de la zone
bénéficiant d'une protection accrue.

Le Tribunal fédéral doit faire preuve de retenue dans
l'examen de cette question, qui relève de l'appréciation de
circonstances locales que les autorités cantonales sont cen-
sées mieux connaître que lui (ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98
et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral n'est pas l'auto-
rité supérieure de planification et il n'a pas à substituer
son appréciation à celle du Tribunal administratif cantonal.
Il doit néanmoins examiner - dans le cadre des griefs sou-
levés (art. 90 al. 1 let. b OJ) - si la décision attaquée se
prononce de façon complète sur les motifs d'intérêt public
invoqués pour justifier l'atteinte au droit de propriété et
si, dans la pesée des intérêts, les intérêts privés ont été
pris en considération de manière adéquate (cf. ATF 120 Ia
270 consid. 3b p. 275; 118 Ia 384 consid. 4b et 5a p. 388,
394 consid. 2b p. 397 et les arrêts cités).

bb) La recourante demande qu'une petite zone à bâtir
soit délimitée sur sa parcelle car, selon elle, la nécessité
de protéger le paysage à cet endroit doit être relativisée;
il suffirait de poser des exigences strictes pour l'intégra-
tion des constructions. En outre, la présence de bâtiments
ne nuirait pas aux échanges de faune.

La parcelle n° 238 forme, selon l'arrêt attaqué, un en-
semble naturel cohérent ou, en quelque sorte, un espace
clos. Elle est en effet délimitée par des cordons boisés, le
long de cours d'eau - la Venoge et une dérivation de cette
rivière -, et par une route cantonale. On ne peut pas voir
de différence significative entre la valeur naturelle des
trente premiers mètres, depuis le bord de la Venoge, et cel-
le du solde de la parcelle; en outre, il ne serait pas aisé

de la découper en divers compartiments, soumis à des régimes
différents. Ces arguments du Tribunal administratif, qui
consistent à accorder une importance prépondérante à la co-
hérence de la zone à protéger, du point de vue spatial et
naturel, sont convaincants. La recourante relève à juste ti-
tre que le canal de dérivation voisin est artificiel,
et que
la Venoge est ici endiguée, avec des berges aménagées, mais
cela n'enlève rien aux caractéristiques du milieu naturel
que constitue sa parcelle dans son ensemble; elle ne tente
du reste pas de contester les constatations de fait à ce su-
jet. Le choix des limites du couloir de la Venoge (périmètre
2) à cet endroit ne viole donc pas les principes régissant
l'aménagement du territoire.

Quant aux intérêts privés dont la recourante se pré-
vaut, ils sont de nature exclusivement financière et commer-
ciale. La perte à laquelle elle est exposée est une consé-
quence d'un investissement fait dans des circonstances par-
ticulières - comme le Tribunal administratif le relève, le
prix d'acquisition fixé lors d'une vente forcée ne corres-
pondait peut-être pas à la valeur du marché, après l'adop-
tion de l'art. 6ter Cst./VD, mais il pouvait dépendre du
montant d'une dette du précédent propriétaire vis-à-vis de
la recourante -, et cela ne saurait justifier un affaiblis-
sement de la protection requise par l'art. 6ter Cst./VD.

Le grief de violation du principe de la proportionna-
lité (art. 36 al. 3 Cst.) est donc mal fondé.

2.- Le recours de droit public est en conséquence re-
jeté. La recourante, qui succombe, doit payer l'émolument
judiciaire (art. 153 al. 1, 153a al. 1 et 156 al. 1 OJ).
Conformément à la pratique du Tribunal fédéral dans le cadre
du recours de droit public, la commune de Vufflens-la-Ville,
assistée d'un avocat et ne disposant pas d'une administra-
tion suffisamment développée pour procéder sans le concours

d'un mandataire, a droit à des dépens, à la charge de la re-
courante; les autorités cantonales n'y ont en revanche pas
droit (art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met à la charge de la recourante:
a) un émolument judiciaire de 2'500 fr.;
b) une indemnité de 1'500 fr. à payer à la commune
de Vufflens-la-Ville, partie intéressée, à titre de dépens;

3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
de la recourante et de la commune de Vufflens-la-Ville (Me
Philippe Richard, avocat à Lausanne), ainsi qu'au Départe-
ment des infrastructures, au Département des institutions et
des relations extérieures et au Tribunal administratif du
canton de Vaud.

________

Lausanne, le 12 septembre 2000
JIA

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.229/2000
Date de la décision : 12/09/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-12;1p.229.2000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award