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01/09/2000 | SUISSE | N°4P.107/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 septembre 2000, 4P.107/2000


«AZA 3»

4P.107/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Henri de Cambiaire, à Vésenaz, représenté par Me Bertrand
Reich, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 12 janvier 2000 par la Chambre d'appel de
la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans l

a
cause
qui oppose le recourant à AAA Capital Trust S.A., à Genève,
représentée par Me Gérald Page, avocat à Genève;

(art. ...

«AZA 3»

4P.107/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Henri de Cambiaire, à Vésenaz, représenté par Me Bertrand
Reich, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 12 janvier 2000 par la Chambre d'appel de
la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause
qui oppose le recourant à AAA Capital Trust S.A., à Genève,
représentée par Me Gérald Page, avocat à Genève;

(art. 9 Cst.; appréciation des preuves, procédure civile ge-
nevoise)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) AAA Capital Trust S.A. (ci-après: AAA CT)
est une société anonyme de droit suisse ayant son siège à Ge-
nève. Elle a pour but la gestion de fortune et les
opérations
qui s'y rapportent, notamment le commerce de titres. John Mi-
les est son administrateur, avec signature individuelle.

Le 10 décembre 1996, AAA CT a conclu avec Henri de
Cambiaire un "contrat d'agent", d'une durée minimum de trois
ans, par lequel elle lui a confié le soin de promouvoir tous
ses services auprès des clients potentiels, moyennant rémuné-
ration sous la forme exclusive de commissions.

b) En date du 16 septembre 1997, John Miles et les
deux autres actionnaires d'AAA CT ont signé, avec cinq
autres
personnes, dont Henri de Cambiaire, un "pacte d'associés" en
vue de créer un lien indissoluble entre eux, en leur qualité
de membres fondateurs de la société AAA Capital Securities
BVI (ci-après: AAA CS BVI). Cette société, soumise au droit
des Iles Vierges Britanniques, devait recueillir des
capitaux
et les gérer, en recourant pour ce faire aux services d'une
autre société - AAA CS Bahamas - qui mandaterait à son tour
différents "traders" spécialisés dans un segment de marché
et
les contrôlerait.

Pratiquement à la même date, soit le 15 septembre
1997, AAA CS Bahamas et AAA CT ont signé un contrat,
intitulé
"mandat général exclusif de représentation", par lequel la
première confiait à la seconde la mission de rechercher des
clients et de nouveaux actionnaires pour AAA CS BVI. AAA CT
devait assumer tous les frais liés à l'exécution du mandant,
y compris le paiement des salaires, et les facturer ensuite
à
AAA CS Bahamas avec une marge bénéficiaire.

AAA CT et ses trois actionnaires, disposant chacun
d'un certificat d'actions de 100 000 fr., ont signé, le 19
septembre 1997, une "convention de stock option" avec Henri
de Cambiaire et le dénommé Riadh Abed. Il y était stipulé
que
ces deux personnes pourraient acquérir chacune le 20% du ca-
pital-actions d'AAA CT, pour la somme de 100 000 fr., dans
un
délai de douze mois. Selon l'art. 2 de ce contrat, les nou-
veaux actionnaires percevraient un salaire au sein d'AAA CT,
lequel serait le même que celui des actionnaires actuels,
soit 16 000 fr. brut par mois, sauf pour les trois premiers
mois (octobre à décembre 1997) où il se monterait à 9000 fr.
L'art. 6 de ladite convention liait celle-ci au pacte d'asso-
ciés susmentionné.

Le 4 décembre 1997, les trois actionnaires d'AAA CT
ainsi que Riadh Abed et Henri de Cambiaire ont signé un con-
trat intitulé "convention d'associés", qui concrétisait la
convention de stock option. Selon ce contrat, les nouveaux
actionnaires disposeraient d'une signature collective à deux
et auraient droit à une part des profits de la société calcu-
lée au prorata de leurs actions. Toute décision importante
pouvant engager la société serait prise à l'unanimité des
cinq actionnaires et, dans l'intervalle, les anciens action-
naires s'engageaient à solliciter l'avis des deux futurs ac-
tionnaires avant de prendre une telle décision. Plus généra-
lement, les cinq associés déclaraient unir leurs efforts de
marketing dans le but essentiel d'amener à la société de la
clientèle pour des affaires financières.

Les cinq associés ont signé le procès-verbal d'une
réunion de direction d'AAA CT, du 10 février 1998, aux
termes
duquel John Miles faisait à la société une avance de trésore-
rie de 200 000 fr. en attendant qu'il soit procédé à l'aug-
mentation du capital-actions convenue, celle-ci n'étant dé-
sormais prévue qu'à hauteur de 150 000 fr. en dérogation aux
accords passés précédemment. Il était en outre prévu que le

ou les souscripteurs recevraient un bonus sous forme d'aug-
mentation de leur rémunération de 6000 fr. par mois en cas
de
souscription totale.

Les 26 mars et 30 juin 1998, des procès-verbaux de
réunions de direction, faisant état de la présence des cinq
associés, ont été dressés; Henri de Cambiaire indique cepen-
dant qu'il n'a pas assisté en tout cas à la réunion du 30
juin 1998 au cours de laquelle décision avait été prise de
supprimer la rémunération des associés en raison des diffi-
cultés de trésorerie qui avaient déjà conduit ceux-ci, lors
de la réunion précédente, à abandonner le système de rémuné-
ration fixe au profit d'un salaire calculé en fonction des
revenus d'AAA CS Bahamas.

c) Henri de Cambiaire, qui était devenu le direc-
teur d'AAA CS Bahamas, a ainsi été actif au sein de ce
groupe
depuis le 1er octobre 1997, étant apparemment chargé d'y dé-
velopper le secteur des placements conservateurs. Selon un
décompte établi par AAA CT, il a perçu, entre janvier et
juin
1998, un total de 100 000 fr.

Le 17 septembre 1998, Henri de Cambiaire a indiqué
à la direction d'AAA CT qu'il démissionnait d'AAA CS Bahamas
en raison du manque de transparence existant dans le domaine
des "commodities". AAA CT a accepté cette démission et signi-
fié à l'intéressé qu'il devait quitter ladite société.

Le 6 octobre 1998, Henri de Cambiaire, par l'inter-
médiaire de son conseil, a réclamé le versement d'un salaire
de juin à septembre 1998.

Le 7 octobre 1998, John Miles a déclaré mettre fin,
de manière unilatérale, aux rapports entre Henri de
Cambiaire
et la société.

Par lettre du 8 octobre 1998, Henri de Cambiaire a
formellement fait opposition au congé, tout en réitérant ses
prétentions salariales et en y ajoutant celles afférentes
aux
mois d'octobre à décembre 1998.

Le 20 octobre 1998, Henri de Cambiaire a signé un
écrit, daté de la veille, aux termes duquel il admettait que
les rapports de travail avaient cessé au 30 septembre 1998
et
que toutes les obligations financières à son égard avaient
été dûment remplies. Il a ajouté à la main la précision
selon
laquelle les rapports de travail en question étaient ceux
qui
le liaient à la société AAA CS Bahamas. Selon lui, cette let-
tre avait été rédigée par John Miles en personne, qui
l'avait
contraint à la signer contre la promesse de lui verser de
l'argent. Effectivement, Henri de Cambiaire a touché, les 19
et 20 octobre 1998, respectivement, 5000 fr. et 15 000 fr.

B.- Par demande du 20 octobre 1998, Henri de Cam-
biaire a assigné AAA CT devant la juridiction des
prud'hommes
genevoise en paiement de 90 000 fr., plus intérêts, à titre
d'arriérés de salaire (juin à septembre 1998), de salaire
durant le délai de préavis (octobre à décembre 1998) et d'in-
demnité pour congé abusif. Il a également réclamé la déli-
vrance d'un certificat de travail, puis a retiré ce chef de
conclusion après avoir reçu cette attestation.

La défenderesse a conclu au rejet de la demande et,
reconventionnellement, au remboursement de 23 835 fr.60, in-
térêts en sus, montant correspondant, selon ses dires, à des
sommes prises à titre d'avances par le demandeur. Elle a ré-
clamé, par ailleurs, la restitution de documents relatifs à
sa clientèle.

Par jugement du 29 juin 1999, le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève a condamné la défenderesse à
verser au demandeur la somme brute de 63 000 fr., à titre de

salaire pour la période allant de juin à décembre 1998, et
la
somme nette de 9000 fr., à titre d'indemnité pour licencie-
ment immédiat injustifié, le tout avec intérêts. Il a
débouté
les parties de toute autre conclusion. Les premiers juges
ont
considéré, en substance, que le demandeur avait bien été
l'employé de la défenderesse, que son salaire brut s'élevait
à 9000 fr. par mois et qu'il n'en avait pas accepté la sus-
pension à partir du mois de juin 1998, sa présence à la réu-
nion du 30 juin 1998 n'étant pas établie. Partant, l'intéres-
sé avait droit à son salaire pour les mois de juin à septem-
bre 1998 (36 000 fr.). Toujours selon eux, la défenderesse
n'avait pas démontré l'existence de justes motifs de licen-
ciement immédiat, de sorte qu'elle devait verser au
demandeur
la somme de 27 000 fr., correspondant à ce qu'il aurait
gagné
si les rapports de travail avaient pris fin à l'échéance du
délai de congé (31 décembre 1998), ainsi que le montant de
9000 fr. à titre d'indemnité au sens de l'art. 337c al. 3
CO.
Quant à la demande reconventionnelle, les juges prud'homaux
l'ont rejetée, faute pour la défenderesse d'avoir établi que
le demandeur aurait perçu des avances sur salaires et qu'il
aurait emporté les fichiers-clients et d'autres documents en
quittant la société.

Statuant le 12 janvier 2000, sur appel de la défen-
deresse, la Chambre d'appel des prud'hommes a annulé le juge-
ment de première instance, rejeté la demande et débouté les
parties de toutes autres conclusions. Son arrêt repose, en
résumé, sur les motifs suivants: il incombait au demandeur
de
démontrer l'existence d'un contrat de travail entre la défen-
deresse et lui-même. Les premiers juges n'ont pas examiné la
nature des liens juridiques noués par le demandeur avec
l'une
ou l'autre des sociétés du groupe AAA. La question est parti-
culièrement délicate en raison de la complexité de la struc-
ture mise en place par les animateurs de ces sociétés, de
l'absence de contrat écrit, de l'insuffisance des
témoignages
recueillis et du caractère confus des explications fournies

par les parties. L'existence d'un lien de subordination
entre
le travailleur et l'employeur est le principal élément dis-
tinctif du contrat de travail. En l'occurrence, les seules
affirmations du demandeur ne suffisent pas à démontrer la
réalité d'un tel lien. Fondateur d'AAA CS BVI, aux côtés
d'autres personnes, président-directeur d'AAA CS Bahamas et
actionnaire virtuel de la défenderesse, le demandeur était
plus vraisemblablement un partenaire qu'un subalterne au
sein
de cette structure complexe dont il était l'un des initia-
teurs. Preuve en est, d'ailleurs, le fait qu'il percevait,
au
même titre que les actionnaires de la défenderesse, une rému-
nération identique à la leur, qui était liée aux résultats
financiers enregistrés par le groupe. Le demandeur n'a du
reste pas été licencié, contrairement à ce qu'il soutient,
mais il a décidé de quitter le groupe, précisément en raison
d'une divergence d'optique avec ses partenaires quant à la
politique d'investissements conduite par l'entreprise. Les
courriers subséquents, émanant de John Miles, et faisant
état
d'un licenciement, ne sont pas déterminants à cet égard, car
ils sont essentiellement le reflet des prétentions
salariales
élevées par le demandeur. Au demeurant, l'instruction de la
cause n'a pas permis d'établir l'existence d'un cahier des
charges, ni même quelle activité l'intéressé avait effective-
ment exercée. Il n'est pas non plus établi que le demandeur
se serait vu imposer des horaires déterminés ou accorder un
droit à des vacances. Ses activités pourraient fort bien
avoir été accomplies au titre d'un apport en industrie effec-
tué en sa qualité de partenaire et de futur associé ou, plus
généralement, dans le cadre d'une relation de mandat. Dans
ces conditions, la déclaration faite par la défenderesse au-
près de l'AVS, faisant apparaître le demandeur comme un em-
ployé, subsiste comme un indice unique et insuffisant pour
démontrer l'existence d'un contrat de travail.

C.- Parallèlement à un recours en réforme, le de-
mandeur a déposé un recours de droit public pour violation
de

l'art. 9 Cst. En plus de l'annulation de l'arrêt rendu par
la
Chambre d'appel, il requiert, à titre principal, la confirma-
tion du jugement de première instance et, subsidiairement,
la
constatation que les parties étaient liées par un contrat de
travail ainsi que le renvoi de la cause à l'autorité intimée
pour nouvelle décision.

L'intimée conclut à l'irrecevabilité du recours,
voire au rejet de celui-ci et à la confirmation de l'arrêt
attaqué.

Dans ses observations, la Chambre d'appel concède
au recourant que le dispositif de son arrêt aurait dû indi-
quer qu'elle se déclarait incompétente. Elle y voit une inad-
vertance et déclare persister, pour le surplus, dans la moti-
vation de sa décision.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Sous réserve d'exceptions dont les conditions
ne sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit
public
ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée
(ATF
124 I 327 consid. 4a et les références). Les conclusions du
recourant sont donc irrecevables dans la mesure où elles vi-
sent à la confirmation du jugement rendu par le Tribunal des
prud'hommes ou à la constatation de la nature juridique du
rapport de droit ayant lié les parties et au renvoi subsé-
quent de la cause à la Chambre d'appel. Pour la même raison,
la conclusion de l'intimée tendant à la confirmation de l'ar-
rêt entrepris est, elle aussi, irrecevable.

2.- a) Lorsqu'il statue sur un recours de droit pu-
blic, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs d'ordre

constitutionnel invoqués et suffisamment motivés (ATF 122 I
70 consid. 1c, 121 IV 317 consid. 3b).

Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours
doit contenir un exposé des faits essentiels et un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridi-
ques violés, précisant en quoi consiste la violation
alléguée
(ATF 117 Ia 393 consid. 3). Le Tribunal fédéral, saisi d'un
recours de droit public, ne doit ainsi examiner que les
griefs exposés de manière claire et détaillée (ATF 115 Ia
183
consid. 3 et les arrêts cités). S'il invoque une violation
de
l'art. 9 Cst., le recourant ne peut se contenter de
prétendre
que la décision entreprise est arbitraire. Il lui faut démon-
trer que la décision attaquée est manifestement
insoutenable,
qu'elle est en contradiction flagrante avec la situation de
fait ou viole gravement un principe de droit incontesté ou
encore contredit de manière choquante le sentiment de la jus-
tice (ATF 116 II 21 consid. 5, 114 Ia 25 consid. 3b, 216 con-
sid. 2a, 111 Ia 17 consid. 2 et les arrêts cités). Une criti-
que de nature purement appellatoire est irrecevable (ATF 107
Ia 186). S'il s'en prend à l'appréciation des preuves, le re-
courant doit démontrer que le juge cantonal a abusé du large
pouvoir qui lui est reconnu dans ce domaine (ATF 112 Ia 371
consid. 3), en parvenant à des conclusions manifestement in-
soutenables (ATF 101 Ia 306 consid. 5, 100 Ia 468, 98 Ia 142
consid. 3a et les arrêts cités).

b) En l'espèce, le recours ne satisfait nullement à
ces exigences en tant qu'il s'en prend à l'état de fait de
l'arrêt cantonal. Son auteur se contente, en effet, "par sou-
ci de clarté", de soumettre au Tribunal fédéral sa propre
version des faits, sous la forme de 26 allégués, comme s'il
plaidait devant une juridiction d'appel, sans tenter de dé-
montrer ce qu'il pourrait y avoir d'arbitraire dans celle
qui
a été retenue par l'autorité intimée. Est également trop va-
gue, au regard des exigences rappelées plus haut, l'affirma-
tion du recourant selon laquelle l'autorité intimée aurait
écarté sans aucune motivation les témoignages recueillis
sous
la foi du serment, qui confirmaient son statut de salarié.
Dans cette mesure, le présent recours est irrecevable.

3.- Le recourant fait principalement grief à la
cour cantonale d'avoir refusé arbitrairement d'appliquer
l'art. 319 CO alors que tous les éléments de fait dont elle
disposait auraient dû, selon lui, la conduire à admettre
l'existence d'un contrat de travail.

En argumentant ainsi, le recourant invoque la vio-
lation du droit fédéral dans une contestation civile portant
sur une valeur qui dépasse le seuil de 8000 fr. fixé à
l'art.
46 OJ. Il dispose donc de la voie du recours en réforme pour
faire sanctionner par le Tribunal fédéral la violation allé-
guée (art. 43 al. 1 OJ). Son recours de droit public est,
dès
lors, irrecevable sur ce point en raison du caractère subsi-
diaire de ce moyen de droit (art. 84 al. 2 OJ). Il en va de
même, par identité de motif, du grief tiré de la violation
de
l'art. 320 al. 2 CO.

4.- La Chambre d'appel se voit, en outre, reprocher
d'avoir méconnu l'art. 189 de la loi de procédure civile ge-
nevoise en ne retenant pas l'aveu judiciaire fait par l'inti-
mée quant au statut de salarié du recourant.

Le moyen ne résiste pas à l'examen. Il est unanime-
ment admis que l'aveu ne peut porter que sur un fait (Bertos-
sa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de
procédure
civile du canton de Genève du 10 avril 1987, vol, II, n. 1
ad
art. 187). Or, qualifier un rapport juridique sur la base
des
éléments de preuve recueillis en procédure et des constata-
tions de fait qui en ont été tirées est une question de
droit
qu'il appartient au juge de trancher librement, en vertu du
principe "jura novit curia", quel que soit le point de vue

exprimé par les parties à ce sujet. Que l'intimée ait fondé
ses conclusions libératoires et reconventionnelles sur les
dispositions relatives au contrat de travail en première ins-
tance ne s'opposait, dès lors, pas à ce que la juridiction
d'appel qualifiât elle-même le rapport de droit en cause sur
la base des faits retenus par elle, d'autant moins que
l'art.
18 al. 1 CO lui commandait de ne pas s'arrêter aux expres-
sions ou dénominations inexactes dont les parties avaient pu
se servir.

5.- A suivre le recourant, la Chambre d'appel au-
rait encore méconnu l'art. 38 al. 1 (depuis le 1er mars
2000:
art. 29) de la loi genevoise sur la juridiction des prud'hom-
mes du 21 juin 1990 (aLJP), applicable en vertu du renvoi de
l'art. 65 aLJP (depuis le 1er mars 2000: art. 66), qui lui
prescrivait d'établir d'office les faits, en considérant
qu'il incombait au recourant "de démontrer l'existence d'un
contrat de travail entre lui-même et AAA CT". Il n'en est
rien.

L'opinion émise par la cour cantonale est conforme
à la jurisprudence fédérale concernant la répartition du far-
deau de la preuve en la matière (ATF 125 III 78 consid. 3b
et
les références). Pour le surplus, le recourant n'indique pas
quelle est l'étendue de la maxime d'office instituée par
l'art. 38 al. 1 aLJP et il ne prétend pas que celle-ci irait
au-delà de la maxime d'office à laquelle le droit fédéral
soumet les contestations relevant du contrat de travail dont
la valeur litigieuse ne dépasse pas 20 000 fr. (art. 343 al.
4 CO). Or, selon la jurisprudence relative à cette dernière
disposition, l'obligation pour le juge d'établir d'office
les
faits ne dispense pas les parties d'une collaboration active
à la procédure (ATF 107 II 233 consid. 2c p. 236). Aussi le
grief, fait à la Chambre d'appel, de n'avoir pas
suffisamment
instruit la cause ne pourrait qu'être rejeté, si sa recevabi-
lité n'était pas déjà sujette à caution.

6.- Pour le recourant, si certains aspects du dos-
sier n'ont pas été éclaircis, en particulier les relations
entre les différentes sociétés du groupe AAA, c'est qu'ils
n'étaient pas pertinents aux yeux des parties, lesquelles
n'avaient aucune raison de s'attendre à ce que la Chambre
d'appel les prît en considération. Ainsi, le droit du recou-
rant d'être traité conformément aux règles de la bonne foi
(art. 9 Cst.) aurait été violé en l'espèce. En effet, à l'en
croire, l'intéressé n'aurait pas manqué d'interroger ses té-
moins sur ce point, voire d'en citer d'autres, s'il avait pu
se douter un seul instant qu'il lui incombait d'expliquer
les
différents liens noués par l'intimée avec ses sociétés appa-
rentées.

Le moyen n'est pas pertinent. Il appartenait au re-
courant d'établir les éléments de fait permettant aux juri-
dictions saisies de conclure, en droit, à l'existence d'un
contrat de travail. Cela supposait, en l'espèce, que la lu-
mière fût faite sur la structure complexe du groupe de socié-
tés au sein duquel il avait oeuvré dans la mesure où sa posi-
tion juridique à l'égard de l'une de ces sociétés - la défen-
deresse - ne pouvait pas être appréciée correctement en fai-
sant abstraction d'un tel contexte. Au reste, l'intimée
avait
contesté, en première instance déjà, sa légitimation passive
en tirant argument de l'organisation mise en place au sein
du
groupe AAA et des tâches dévolues aux différentes sociétés
qui en faisaient partie. Par conséquent, le recourant ne sau-
rait venir prétendre aujourd'hui qu'il ne pouvait se rendre
compte à l'époque de l'importance qu'était susceptible de re-
vêtir cette question pour le sort du litige.

7.- a) Dans un dernier moyen, le recourant fait
grief à la Chambre d'appel de l'avoir débouté sur le fond,
alors que, selon l'art. 49 al. 3 aLJP applicable par renvoi
de l'art. 65 aLJP, elle aurait dû se déclarer d'office incom-

pétente. Il y voit une violation arbitraire de la première
de
ces deux dispositions.

L'intimée souligne, à cet égard, que l'arrêt atta-
qué n'empêche pas le recourant de faire valoir ses droits de-
vant la juridiction civile ordinaire, étant donné que la
Chambre d'appel n'a statué que sur l'existence d'un contrat
de travail, et non pas sur "le bien-fondé de manière généra-
les" des prétentions du recourant. Pour cette raison, elle
met aussi en doute le caractère final de l'arrêt cantonal et
nie de surcroît que cette décision puisse causer au
recourant
un dommage irréparable.

Pour sa part, la Chambre d'appel admet, dans ses
observations, qu'elle aurait dû se déclarer incompétente
dans
le dispositif de son arrêt, sur le vu des motifs retenus par
elle, et qu'elle a donc commis une inadvertance en déboutant
le demandeur de toutes ses conclusions.

b) Constitue une décision finale, au sens de l'art.
87 OJ, celle qui met un point final à la procédure, qu'il
s'agisse d'une décision sur le fond ou d'une décision qui
clôt l'affaire pour un motif tiré des règles de la procédure
(ATF 123 I 325 consid. 3b p. 327 consid. 3b et les arrêts
cités). L'arrêt attaqué met un point final à la procédure in-
troduite par le recourant devant la juridiction des prud'hom-
mes; il ne permet pas à l'intéressé de soumettre derechef la
même prétention à cette juridiction et revêt donc le caractè-
re d'une décision finale, au sens de l'art. 87 OJ. Contraire-
ment à ce que soutient l'intimée, une telle décision peut
ainsi faire l'objet d'un recours de droit public. Il n'en
irait d'ailleurs pas autrement s'il fallait y voir une déci-
sion incidente sur la compétence (cf. art. 87 al. 1 OJ).

Aux termes de l'art. 49 al. 3 aLJP, applicable en
instance d'appel en vertu de l'art. 65 de la même loi, en
cas

d'incompétence à raison de la litispendance ou de la
matière,
le tribunal doit se déclarer d'office incompétent. La compé-
tence du tribunal saisi étant une condition de recevabilité
de la demande, la Chambre d'appel, après avoir exclu l'exis-
tence d'un contrat de travail, aurait dû déclarer
irrecevable
la demande formée devant elle par le recourant au lieu de dé-
bouter ce dernier de toutes ses conclusions, autrement dit
de
rejeter l'action introduite par lui. Elle est d'ailleurs la
première à reconnaître son erreur sur ce point. Cela étant,
le recourant - il ne prétend pas que la Chambre d'appel au-
rait dû transmettre d'office le dossier à la juridiction or-
dinaire, sans interruption de la litispendance - ne subit au-
cun préjudice du fait que sa demande a été rejetée plutôt
que
déclarée irrecevable. En effet, ce rejet formel ne l'empêche
pas de porter ses prétentions devant la juridiction civile
ordinaire - en l'occurrence, le Tribunal de première
instance
du canton de Genève - en les fondant sur un autre titre juri-
dique que le contrat de travail. Aussi bien, il ressort clai-
rement des motifs de l'arrêt cantonal que la Chambre d'appel
n'a examiné la cause que sous l'angle du contrat de travail,
conformément aux limites assignées à son pouvoir de cogni-
tion par la législation genevoise, et qu'elle a expressément
réservé une autre qualification du rapport de droit
litigieux
(société simple ou mandat). En pareille hypothèse, le recou-
rant ne saurait se voir opposer l'exception de chose jugée
s'il ouvrait une nouvelle action devant la juridiction
civile
ordinaire en invoquant des dispositions autres que celles re-
latives au contrat de travail (Guldener, Schweizerisches Zi-
vilprozessrecht, 3e éd., p. 202, ad note 48 et note 48), no-
nobstant la jurisprudence voulant que la seule modification
du fondement juridique de l'action ne suffise en principe
pas
à changer l'objet du litige (arrêt non publié du 1er mai
1997, dans la cause 4C.384/1995, consid. 2e). L'intimée en
convient du reste elle-même, qui suggère au recourant de sai-
sir les tribunaux ordinaires; et si, d'aventure, elle venait

à soulever l'exception de chose jugée devant ceux-ci, elle
agirait contrairement aux règles de la bonne foi.

Sur ce point, le recours de droit public est, dès
lors, irrecevable puisque son auteur n'a pas un intérêt juri-
diquement protégé à la seule modification de la formulation
du dispositif de l'arrêt cantonal et qu'il n'est donc pas
lésé au sens de l'art. 88 OJ.

8.- La valeur litigieuse dépasse 20 000 fr. Dès
lors, la présente procédure ne serait pas gratuite (art. 343
al. 3 CO a contrario), à supposer que l'on puisse la traiter
comme une contestation résultant du contrat de travail (dans
ce sens, cf. l'arrêt non publié du 22 mars 1999, dans la cau-
se 4P.18/1999, consid. 2c). En conséquence, le recourant,
qui
succombe, devra payer l'émolument judiciaire (art. 156 al. 1
OJ). Quant à l'intimée, elle a droit à des dépens (art. 159
al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est
recevable;

2. Met un émolument judiciaire de 3000 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une
indemnité de 4000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties et à la Chambre d'appel de la juri-
diction des prud'hommes du canton de Genève (Cause n°
C/27278/98-9).

__________

Lausanne, le 1er septembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.107/2000
Date de la décision : 01/09/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-01;4p.107.2000 ?
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