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01/09/2000 | SUISSE | N°4C.135/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 septembre 2000, 4C.135/2000


«AZA 3»

4C.135/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Henri de Cambiaire, à Vésenaz, demandeur et recourant, repré-
senté par Me Bertrand Reich, avocat à Genève,

et

AAA Capital Trust S.A., à Genève, défenderesse et intimée,
représentée par Me Gérald Page, avocat à Genève;



(qualification d'un rapport contractuel)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) AAA ...

«AZA 3»

4C.135/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er septembre 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Henri de Cambiaire, à Vésenaz, demandeur et recourant, repré-
senté par Me Bertrand Reich, avocat à Genève,

et

AAA Capital Trust S.A., à Genève, défenderesse et intimée,
représentée par Me Gérald Page, avocat à Genève;

(qualification d'un rapport contractuel)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) AAA Capital Trust S.A. (ci-après: AAA CT)
est une société anonyme de droit suisse ayant son siège à Ge-
nève. Elle a pour but la gestion de fortune et les
opérations
qui s'y rapportent, notamment le commerce de titres. John Mi-
les est son administrateur, avec signature individuelle.

Le 10 décembre 1996, AAA CT a conclu avec Henri de
Cambiaire un "contrat d'agent", d'une durée minimum de trois
ans, par lequel elle lui a confié le soin de promouvoir tous
ses services auprès des clients potentiels, moyennant rémuné-
ration sous la forme exclusive de commissions.

b) En date du 16 septembre 1997, John Miles et les
deux autres actionnaires d'AAA CT ont signé, avec cinq
autres
personnes, dont Henri de Cambiaire, un "pacte d'associés" en
vue de créer un lien indissoluble entre eux, en leur qualité
de membres fondateurs de la société AAA Capital Securities
BVI (ci-après: AAA CS BVI). Cette société, soumise au droit
des Iles Vierges Britanniques, devait recueillir des
capitaux
et les gérer, en recourant pour ce faire aux services d'une
autre société - AAA CS Bahamas - qui mandaterait à son tour
différents "traders" spécialisés dans un segment de marché
et
les contrôlerait.

Pratiquement à la même date, soit le 15 septembre
1997, AAA CS Bahamas et AAA CT ont signé un contrat,
intitulé
"mandat général exclusif de représentation", par lequel la
première confiait à la seconde la mission de rechercher des
clients et de nouveaux actionnaires pour AAA CS BVI. AAA CT
devait assumer tous les frais liés à l'exécution du mandant,
y compris le paiement des salaires, et les facturer ensuite
à
AAA CS Bahamas avec une marge bénéficiaire.

AAA CT et ses trois actionnaires, disposant chacun
d'un certificat d'actions de 100 000 fr., ont signé, le 19
septembre 1997, une "convention de stock option" avec Henri
de Cambiaire et le dénommé Riadh Abed. Il y était stipulé
que
ces deux personnes pourraient acquérir chacune le 20% du ca-
pital-actions d'AAA CT, pour la somme de 100 000 fr., dans
un
délai de douze mois. Selon l'art. 2 de ce contrat, les nou-
veaux actionnaires percevraient un salaire au sein d'AAA CT,
lequel serait le même que celui des actionnaires actuels,
soit 16 000 fr. brut par mois, sauf pour les trois premiers
mois (octobre à décembre 1997) où il se monterait à 9000 fr.
L'art. 6 de ladite convention liait celle-ci au pacte d'asso-
ciés susmentionné.

Le 4 décembre 1997, les trois actionnaires d'AAA CT
ainsi que Riadh Abed et Henri de Cambiaire ont signé un con-
trat intitulé "convention d'associés", qui concrétisait la
convention de stock option. Selon ce contrat, les nouveaux
actionnaires disposeraient d'une signature collective à deux
et auraient droit à une part des profits de la société calcu-
lée au prorata de leurs actions. Toute décision importante
pouvant engager la société serait prise à l'unanimité des
cinq actionnaires et, dans l'intervalle, les anciens action-
naires s'engageaient à solliciter l'avis des deux futurs ac-
tionnaires avant de prendre une telle décision. Plus généra-
lement, les cinq associés déclaraient unir leurs efforts de
marketing dans le but essentiel d'amener à la société de la
clientèle pour des affaires financières.

Les cinq associés ont signé le procès-verbal d'une
réunion de direction d'AAA CT, du 10 février 1998, aux
termes
duquel John Miles faisait à la société une avance de trésore-
rie de 200 000 fr. en attendant qu'il soit procédé à l'aug-
mentation du capital-actions convenue, celle-ci n'étant dé-
sormais prévue qu'à hauteur de 150 000 fr. en dérogation aux
accords passés précédemment. Il était en outre prévu que le

ou les souscripteurs recevraient un bonus sous forme d'aug-
mentation de leur rémunération de 6000 fr. par mois en cas
de
souscription totale.

Les 26 mars et 30 juin 1998, des procès-verbaux de
réunions de direction, faisant état de la présence des cinq
associés, ont été dressés; Henri de Cambiaire indique cepen-
dant qu'il n'a pas assisté en tout cas à la réunion du 30
juin 1998 au cours de laquelle décision avait été prise de
supprimer la rémunération des associés en raison des diffi-
cultés de trésorerie qui avaient déjà conduit ceux-ci, lors
de la réunion précédente, à abandonner le système de rémuné-
ration fixe au profit d'un salaire calculé en fonction des
revenus d'AAA CS Bahamas.

c) Henri de Cambiaire, qui était devenu le direc-
teur d'AAA CS Bahamas, a ainsi été actif au sein de ce
groupe
depuis le 1er octobre 1997, étant apparemment chargé d'y dé-
velopper le secteur des placements conservateurs. Selon un
décompte établi par AAA CT, il a perçu, entre janvier et
juin
1998, un total de 100 000 fr.

Le 17 septembre 1998, Henri de Cambiaire a indiqué
à la direction d'AAA CT qu'il démissionnait d'AAA CS Bahamas
en raison du manque de transparence existant dans le domaine
des "commodities". AAA CT a accepté cette démission et signi-
fié à l'intéressé qu'il devait quitter ladite société.

Le 6 octobre 1998, Henri de Cambiaire, par l'inter-
médiaire de son conseil, a réclamé le versement d'un salaire
de juin à septembre 1998.

Le 7 octobre 1998, John Miles a déclaré mettre fin,
de manière unilatérale, aux rapports entre Henri de
Cambiaire
et la société.

Par lettre du 8 octobre 1998, Henri de Cambiaire a
formellement fait opposition au congé, tout en réitérant ses
prétentions salariales et en y ajoutant celles afférentes
aux
mois d'octobre à décembre 1998.

Le 20 octobre 1998, Henri de Cambiaire a signé un
écrit, daté de la veille, aux termes duquel il admettait que
les rapports de travail avaient cessé au 30 septembre 1998
et
que toutes les obligations financières à son égard avaient
été dûment remplies. Il a ajouté à la main la précision
selon
laquelle les rapports de travail en question étaient ceux
qui
le liaient à la société AAA CS Bahamas. Selon lui, cette let-
tre avait été rédigée par John Miles en personne, qui
l'avait
contraint à la signer contre la promesse de lui verser de
l'argent. Effectivement, Henri de Cambiaire a touché, les 19
et 20 octobre 1998, respectivement, 5000 fr. et 15 000 fr.

B.- Par demande du 20 octobre 1998, Henri de Cam-
biaire a assigné AAA CT devant la juridiction des
prud'hommes
genevoise en paiement de 90 000 fr., plus intérêts, à titre
d'arriérés de salaire (juin à septembre 1998), de salaire
durant le délai de préavis (octobre à décembre 1998) et d'in-
demnité pour congé abusif. Il a également réclamé la déli-
vrance d'un certificat de travail, puis a retiré ce chef de
conclusion après avoir reçu cette attestation.

La défenderesse a conclu au rejet de la demande et,
reconventionnellement, au remboursement de 23 835 fr.60, in-
térêts en sus, montant correspondant, selon ses dires, à des
sommes prises à titre d'avances par le demandeur. Elle a ré-
clamé, par ailleurs, la restitution de documents relatifs à
sa clientèle.

Par jugement du 29 juin 1999, le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève a condamné la défenderesse à
verser au demandeur la somme brute de 63 000 fr., à titre de

salaire pour la période allant de juin à décembre 1998, et
la
somme nette de 9000 fr., à titre d'indemnité pour licencie-
ment immédiat injustifié, le tout avec intérêts. Il a
débouté
les parties de toute autre conclusion. Les premiers juges
ont
considéré, en substance, que le demandeur avait bien été
l'employé de la défenderesse, que son salaire brut s'élevait
à 9000 fr. par mois et qu'il n'en avait pas accepté la sus-
pension à partir du mois de juin 1998, sa présence à la réu-
nion du 30 juin 1998 n'étant pas établie. Partant, l'intéres-
sé avait droit à son salaire pour les mois de juin à septem-
bre 1998 (36 000 fr.). Toujours selon eux, la défenderesse
n'avait pas démontré l'existence de justes motifs de licen-
ciement immédiat, de sorte qu'elle devait verser au
demandeur
la somme de 27 000 fr., correspondant à ce qu'il aurait
gagné
si les rapports de travail avaient pris fin à l'échéance du
délai de congé (31 décembre 1998), ainsi que le montant de
9000 fr. à titre d'indemnité au sens de l'art. 337c al. 3
CO.
Quant à la demande reconventionnelle, les juges prud'homaux
l'ont rejetée, faute pour la défenderesse d'avoir établi que
le demandeur aurait perçu des avances sur salaires et qu'il
aurait emporté les fichiers-clients et d'autres documents en
quittant la société.

Statuant le 12 janvier 2000, sur appel de la défen-
deresse, la Chambre d'appel des prud'hommes a annulé le juge-
ment de première instance, rejeté la demande et débouté les
parties de toutes autres conclusions. Son arrêt repose, en
résumé, sur les motifs suivants: il incombait au demandeur
de
démontrer l'existence d'un contrat de travail entre la défen-
deresse et lui-même. Les premiers juges n'ont pas examiné la
nature des liens juridiques noués par le demandeur avec
l'une
ou l'autre des sociétés du groupe AAA. La question est parti-
culièrement délicate en raison de la complexité de la struc-
ture mise en place par les animateurs de ces sociétés, de
l'absence de contrat écrit, de l'insuffisance des
témoignages
recueillis et du caractère confus des explications fournies

par les parties. L'existence d'un lien de subordination
entre
le travailleur et l'employeur est le principal élément dis-
tinctif du contrat de travail. En l'occurrence, les seules
affirmations du demandeur ne suffisent pas à démontrer la
réalité d'un tel lien. Fondateur d'AAA CS BVI, aux côtés
d'autres personnes, président-directeur d'AAA CS Bahamas et
actionnaire virtuel de la défenderesse, le demandeur était
plus vraisemblablement un partenaire qu'un subalterne au
sein
de cette structure complexe dont il était l'un des initia-
teurs. Preuve en est, d'ailleurs, le fait qu'il percevait,
au
même titre que les actionnaires de la défenderesse, une rému-
nération identique à la leur, qui était liée aux résultats
financiers enregistrés par le groupe. Le demandeur n'a du
reste pas été licencié, contrairement à ce qu'il soutient,
mais il a décidé de quitter le groupe, précisément en raison
d'une divergence d'optique avec ses partenaires quant à la
politique d'investissements conduite par l'entreprise. Les
courriers subséquents, émanant de John Miles, et faisant
état
d'un licenciement, ne sont pas déterminants à cet égard, car
ils sont essentiellement le reflet des prétentions
salariales
élevées par le demandeur. Au demeurant, l'instruction de la
cause n'a pas permis d'établir l'existence d'un cahier des
charges, ni même quelle activité l'intéressé avait effective-
ment exercée. Il n'est pas non plus établi que le demandeur
se serait vu imposer des horaires déterminés ou accorder un
droit à des vacances. Ses activités pourraient fort bien
avoir été accomplies au titre d'un apport en industrie effec-
tué en sa qualité de partenaire et de futur associé ou, plus
généralement, dans le cadre d'une relation de mandat. Dans
ces conditions, la déclaration faite par la défenderesse au-
près de l'AVS, faisant apparaître le demandeur comme un em-
ployé, subsiste comme un indice unique et insuffisant pour
démontrer l'existence d'un contrat de travail.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté, dans la mesure où il était recevable, par
arrêt

séparé de ce jour, le demandeur interjette un recours en ré-
forme. Il conclut à ce que le Tribunal fédéral, principale-
ment, condamne la défenderesse à lui payer 63 000 fr. brut
ainsi que 9000 fr. net, intérêts en sus, et,
subsidiairement,
constate que les parties étaient liées par un contrat de tra-
vail, puis renvoie la cause à la Chambre d'appel pour nouvel-
le décision.

La défenderesse conclut à l'irrecevabilité du re-
cours, voire au rejet de celui-ci et à la confirmation de
l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- La défenderesse met en doute la recevabilité du
recours au motif que la décision entreprise ne serait pas fi-
nale.

a) Selon l'art. 48 al. 1 OJ, le recours en réforme
n'est recevable en règle générale que contre les décisions
finales prises par les tribunaux ou autres autorités
suprêmes
des cantons et qui ne peuvent pas être l'objet d'un recours
ordinaire de droit cantonal. Cette voie de droit n'est donc
ouverte qu'à l'encontre d'un prononcé qui statue sur le fond
du droit, ou qui refuse d'en connaître pour un motif
excluant
définitivement que la prétention litigieuse fasse l'objet
d'un nouveau procès entre les mêmes parties (ATF 123 III 414
consid. 1 et les arrêts cités).

b) En l'espèce, si la Chambre d'appel avait effec-
tivement rendu une décision d'incompétence ratione materiae,
après avoir nié l'existence d'un contrat de travail, le re-
cours en réforme serait irrecevable puisque cette décision
aurait été rendue en application du droit de procédure canto-

nal (cf. l'arrêt non publié du 3 août 1999 dans la cause
4C.216/1999). Toutefois, à la suite d'une inadvertance, elle

a statué sur le fond, en déboutant le demandeur de toutes
ses
conclusions. Ce dernier pouvait donc raisonnablement
admettre
qu'il avait affaire à une décision finale fondée directement
sur le droit fédéral, d'autant plus que la Chambre d'appel
n'a reconnu son erreur qu'après l'expiration du délai de re-
cours. Il a donc eu raison d'interjeter un recours en
réforme
pour se plaindre de la violation de l'art. 319 CO. Peu impor-
te, au demeurant, que le demandeur puisse assigner derechef
la défenderesse devant une autre juridiction en se basant
sur
le même état de fait. Une telle faculté ne modifie pas le ca-
ractère final de la décision attaquée. Il ne faut, en effet,
pas perdre de vue que le pouvoir de cognition limité de la
Chambre d'appel des prud'hommes ne permettait pas à cette ju-
ridiction d'admettre l'action du demandeur à un autre titre
que celui du contrat de travail. Il n'en reste pas moins
que,
dans sa sphère de compétence, la juridiction prud'homale a
rendu une décision qui est revêtue de l'autorité de la chose
jugée et qui empêche définitivement que la même action -
i.e.
un action fondée sur le contrat de travail - soit exercée à
nouveau entre les mêmes parties.

Sous cet angle, le recours en réforme interjeté par
le demandeur est, dès lors, recevable.

2.- a) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal
fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus dans la décision attaquée, à moins que des disposi-
tions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il
faille compléter les constatations de l'autorité cantonale
parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents
et
régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid.
2a, 119 II 353 consid. 5c/aa, 117 II 256 consid. 2a). Si

l'auteur du recours présente, sans invoquer l'une des excep-
tions qui viennent d'être rappelées, un état de fait diffé-
rent de celui contenu dans la décision attaquée, il n'est
pas
possible d'en tenir compte. Il ne peut être formulé de
griefs
contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

b) Le recours du demandeur ne satisfait nullement à
ces exigences en tant qu'il s'en prend à l'état de fait de
l'arrêt cantonal. Son auteur se contente, en effet, "par sou-
ci de clarté", de soumettre au Tribunal fédéral sa propre
version des faits, sous la forme de 26 allégués, identiques
à
ceux qui figurent dans son recours de droit public, comme
s'il plaidait devant une juridiction d'appel, sans tenter de
démontrer concrètement en quoi l'une des exceptions susmen-
tionnées serait réalisée. Dans cette mesure, le recours en
réforme qu'il a interjeté est irrecevable.

3.- Le recourant reproche essentiellement à la cour
cantonale d'avoir refusé d'appliquer les art. 319 ss CO,
alors que tous les éléments de fait dont elle disposait au-
raient dû, selon lui, la conduire à admettre l'existence
d'un
contrat de travail.

a) Le contrat de travail, au sens de l'art. 319 CO,
est celui par lequel une personne, appelée "travailleur",
s'oblige envers une autre, appelée "employeur", à fournir,
dans un état de subordination, des services contre le paie-
ment d'un salaire, pendant une période déterminée ou indéter-
minée (Engel, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 290 s.).
De cette définition ressortent quatre éléments constitutifs
essentiels: une prestation personnelle de travail; la mise à
disposition, par le travailleur, de son temps pour une durée
déterminée ou indéterminée; un rapport de subordination
entre
l'employeur et le travailleur; un salaire (Engel, op. cit.,
p. 292, ch. 5; G. Aubert, La compétence des tribunaux gene-

vois de prud'hommes à la lumière de la jurisprudence
récente,
in SJ 1982 p. 193 ss, 202). L'élément caractéristique du con-
trat de travail, qui permet de le différencier notamment du
contrat de mandat, est le rapport de subordination juridique
qui place le travailleur dans la dépendance de l'employeur
sous l'angle personnel, organisationnel et temporel (ATF 125
III 78 consid. 4, 121 I 259 consid. 3a et les auteurs
cités).
A cet égard, seul l'examen de l'ensemble des circonstances
du
cas particulier permettra de déterminer si le travail était
effectué de manière dépendante ou indépendante (cf. ATF 112
II 41 ss consid. 1a/aa p. 46 et les références).

S'il n'est pas possible de conclure à l'existence
d'un contrat de travail sur la base des faits constatés de
manière complète par l'autorité cantonale, la partie qui en-
tendait déduire des droits d'un tel contrat devra supporter
l'échec de la preuve sur ce point; ce sera le cas de celle
qui élevait des prétentions de salaire en alléguant avoir
été
liée à l'autre partie par un contrat de travail (ATF 125 III
78 consid. 3b p. 80 et les références).

b) Selon la Chambre d'appel, les seules affirma-
tions, lacunaires, peu précises et contestées du demandeur,
quant à son statut de subordonné, ne suffisent nullement à
démontrer l'existence d'un lien de subordination entre les
parties en litige. On ne voit pas en quoi pareille
conclusion
serait contraire au droit fédéral.

Force est de souligner, en premier lieu, s'agissant
de replacer le litige dans son contexte, que la relation ju-
ridique en cause est venue se greffer sur un rapport de
droit
préexistant, qui ne plaçait pas le demandeur dans la dépen-
dance de la défenderesse mais mettait les deux parties sur
un
pied d'égalité, à savoir le contrat d'agence conclu le 10 dé-
cembre 1996 par celles-ci pour une période initiale de trois
ans.

Ensuite, comme le relève, à juste titre, la Chambre
d'appel, les différents pactes et conventions versés au dos-
sier cantonal - en particulier le pacte d'associés du 16 sep-
tembre 1997, la convention de stock option du 19 septembre
1997 et la convention d'associés du 4 décembre 1997 - ne
font
nullement apparaître le demandeur comme un subordonné par
rapport aux autres signataires de ces écrits, mais bien plu-
tôt comme un associé, respectivement un futur partenaire des
sociétés du groupe AAA. C'est le lieu de rappeler, à
l'instar
des juges précédents, que le demandeur a été le cofondateur
d'AAA CS BVI, ainsi que le président-directeur d'AAA CS Baha-
mas, et qu'il était prévu qu'il devienne actionnaire de la
défenderesse à part égale avec quatre autres personnes, dont
John Miles, l'administrateur de celle-ci. On ne voit donc
pas
ce qui permet à l'intéressé de venir soutenir qu'il était
"soumis" à cette personne. Quoi qu'il en soit, la Chambre
d'appel ne retient aucun fait déterminant dont on pourrait
inférer à coup sûr l'existence du lien de dépendance allégué
par le demandeur.

Le rôle de partenaire ou de quasi-partenaire joué
par le demandeur vis-à-vis des autres protagonistes
apparaît,
en outre, dans les modalités de sa rémunération. Selon les
constatations souveraines de la cour cantonale, cette rémuné-
ration était identique à celle des autres actionnaires de la
défenderesse - il n'est du reste pas établi que ceux-ci
aient
été liés à ladite société par des contrats de travail - et
elle avait apparemment un caractère aléatoire à en juger par
le fait qu'elle a été réduite, puis supprimée, lorsque les
résultats financiers enregistrés par le groupe AAA se sont
révélés inférieurs aux prévisions. Au demeurant, si le deman-
deur n'avait été qu'un simple employé au service de la défen-
deresse, il est peu probable qu'il se fût accommodé de la
suppression totale de sa rémunération depuis la fin mai 1998
et qu'il eût travaillé plusieurs mois pour son employeur
sans

percevoir le moindre salaire et sans en réclamer le verse-
ment.

Enfin, selon les constatations définitives de la
Chambre d'appel, l'instruction de la cause n'a pas permis
d'établir que le demandeur se serait vu imposer des horaires
ou accorder un droit à des vacances, ni même quelle activité
il a effectivement accomplie. Il est d'ailleurs frappant de
constater, dans ce cadre-là, l'absence de tout document
écrit
énonçant les droits et obligations respectifs des parties au
prétendu contrat de travail, alors que tous les autres ac-
cords passés par le demandeur avec la défenderesse ou avec
les actionnaires de celle-ci ont été couchés sur le papier.

En l'absence d'un lien de subordination avéré et
dans des circonstances aussi floues sur nombre de points
importants, en particulier quant à la nature de l'activité
déployée par l'intéressé, la Chambre d'appel pouvait
admettre
sans violer le droit fédéral que le demandeur ne lui avait
pas fourni des éléments de fait suffisants pour conclure à
l'existence d'un contrat de travail entre les parties en li-
tige et lui faire supporter les conséquences de l'échec de
cette preuve. Les arguments qu'il avance, au demeurant de ma-
nière essentiellement appellatoire, ne sont pas de nature à
remettre en question le résultat auquel ont abouti les juges
précédents. Le fait que le demandeur a été déclaré aux assu-
rances sociales n'est pas un élément décisif pour démontrer
l'existence d'un contrat de travail. Aussi bien, les autori-
tés compétentes en matière d'AVS qualifient en règle
générale
de revenus provenant d'une activité dépendante les
honoraires
touchés par les membres de l'administration ou d'organes di-
rigeants de sociétés (cf. ATF 121 I 259 consid. 3b et les ré-
férences), alors que la doctrine récente considère que l'ac-
tivité d'administrateur relève plutôt du mandat que du con-
trat de travail (voir les auteurs cités au consid. 3a du
même
arrêt). Que le demandeur ait été rémunéré n'est pas non plus

un indice plaidant nécessairement en faveur du contrat de
travail; le mandataire professionnel l'est aussi (art. 394
al. 2 CO) et il peut être convenu que l'associé le soit éga-
lement, en dérogation à l'art. 537 al. 3 CO (Engel, op.
cit.,
p. 710, ch. 3). Le fait que le demandeur a déployé son acti-
vité dans les locaux de la défenderesse et qu'il a eu des em-
ployés sous ses ordres n'est pas un indice révélateur d'un
contrat de travail (cf., mutatis mutandis, la remarque faite
ci-dessus au sujet des organes dirigeants de sociétés, les-
quels peuvent être amenés à exercer leur mandat dans des cir-
constances identiques). Ne constitue pas davantage un indice
concluant le fait que la défenderesse elle-même n'a pas sou-
levé une exception d'incompétence lorsqu'elle a été assignée
par le demandeur devant la juridiction des prud'hommes et
qu'elle a fondé, elle aussi, son argumentation sur les dispo-
sitions régissant le contrat de travail. Il appartient, en
effet, au juge de qualifier en droit les faits que lui sou-
mettent les parties ("jura novit curia"), sans s'arrêter aux
dénominations inexactes dont celles-ci ont pu se servir,
pour
un motif ou pour un autre (cf. art. 18 al. 1 CO).

Dans ces conditions, le principal grief formulé par
le demandeur tombe à faux.

4.- Sous le titre "Contrat de fiducie", le deman-
deur s'emploie ensuite à réfuter un argument que la défende-
resse avait avancé en première instance au sujet de sa légi-
timation passive. Le grief qu'il formule n'a toutefois
aucune
incidence sur le sort du litige - en tout cas dans le cadre
limité d'un procès fondé uniquement sur de prétendus
rapports
de travail, à l'exclusion de tout autre fondement
contractuel
et notamment du mandat - dès lors que l'on admet, à l'instar
de la cour cantonale, que les parties n'étaient pas liées
par
un contrat de travail. Il n'y a donc pas lieu de s'y arrêter.

5.- Dans un dernier moyen, le demandeur reproche
tout d'abord à la Chambre d'appel d'avoir violé le fardeau
de
la preuve en lui imposant la preuve de l'existence d'un con-
trat de travail, alors que, selon le droit genevois, il in-
combait à cette autorité d'établir d'office les faits. Dans
la mesure où il invoque la violation d'une disposition de
droit cantonal, le demandeur formule un grief qui n'est pas
recevable en instance de réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Pour le surplus, les juges précédents n'ont pas méconnu
l'art. 8 CC en faisant supporter au demandeur, qui fondait
ses prétentions sur le contrat de travail, l'échec de la
preuve de l'existence d'un tel contrat (cf., plus haut, con-
sid. 3a in fine).

Toujours dans le cadre du même grief, le demandeur
soutient que la cour cantonale a violé l'art. 8 CC en ne te-
nant pas compte des déclarations, favorables à sa thèse, fai-
tes sous la foi du serment par des collaborateurs de la dé-
fenderesse. Il oublie, ce faisant, que cette disposition ne
dicte pas au juge comment il doit former sa conviction et
qu'elle ne saurait être invoquée pour faire corriger l'appré-
ciation des preuves, qui ressortit au juge du fait (ATF 122
III 219 consid. 3c p. 223 et les arrêts cités). Sur ce
point,
son recours en réforme est ainsi irrecevable.

6.- La valeur litigieuse dépasse 20 000 fr. Dès
lors, la présente procédure ne serait pas gratuite (art. 343
al. 3 CO a contrario), à supposer que l'on puisse la traiter
comme une contestation résultant du contrat de travail (dans
ce sens, cf. l'arrêt non publié du 22 mars 1999, dans la cau-
se 4P.18/1999, consid. 2c). En conséquence, le demandeur,
qui
succombe, devra payer l'émolument judiciaire (art. 156 al. 1
OJ). Quant à la défenderesse, elle a droit à des dépens
(art.
159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 3000 fr. à la
charge du recourant;


3. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 4000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève (Cause n° C/27278/98-9).

__________

Lausanne, le 1er septembre 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.135/2000
Date de la décision : 01/09/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-01;4c.135.2000 ?
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