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01/09/2000 | SUISSE | N°1A.182/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 septembre 2000, 1A.182/2000


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1A.182/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

1er septembre 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Aemisegger,
Président, Féraud et Pont Veuthey, suppléante.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

A.________, représentée par Me Carlo Lombardini, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 5 avril 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire à l'Argentine)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 6 sep...

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1A.182/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

1er septembre 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Aemisegger,
Président, Féraud et Pont Veuthey, suppléante.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

A.________, représentée par Me Carlo Lombardini, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 5 avril 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire à l'Argentine)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 6 septembre 1995, un juge d'instruction de Bue-
nos Aires a demandé l'entraide judiciaire de la Suisse pour
les besoins d'une enquête pénale menée en Argentine. Les
faits exposés étaient en substance les suivants. Le 3 jan-
vier 1994, la société B.________ s'est vu adjuger un contrat
portant sur 350 millions de dollars pour l'informatisation
des services de la banque C.________. L'offre d'une seconde
société n'avait pas été retenue au motif qu'elle ne remplis-
sait pas les exigences techniques fixées par la soumission.
B.________ aurait sous-traité une partie du contrat, notam-
ment à la société D.________, laquelle aurait facturé à
B.________, pour 37 millions de dollars, un "système alter-
natif de software" qui ne figurait pas dans l'offre origina-
le de B.________, et dont les droits lui auraient été précé-
demment cédés par une autre société pour un million de dol-
lars. La plus grande partie du premier versement de
B.________ à D.________ (10 millions de dollars) aurait été
transférée par l'entremise de banques argentines et étrangè-
res. Environ 6 millions d'US$ auraient été transférés sur un
compte aaa auprès de la Banque Bruxelles Lambert à Genève
(BBL). Le premier versement reçu par D.________ de la part
de B.________ n'aurait pas été affecté au paiement de frais
opérationnels, car D.________ n'aurait ni personnel, ni in-
frastructure en rapport avec le projet, et n'aurait engagé
aucun coût. Il pourrait donc s'agir de pots-de-vin en rela-
tion avec l'attribution du marché. L'autorité suisse était
invitée à bloquer le compte aaa, à indiquer l'identité de
son titulaire, à en communiquer les relevés pour une période
de deux ans, et à interroger le gérant du compte auprès de
la BBL. Il fut précisé par la suite que le transfert liti-
gieux consistait en sept versements, effectués entre les 10
et 12 mai 1994, pour un total de 8 millions de US$.

B.- Par ordonnance du 21 septembre 1995, le Juge d'ins-
truction genevois, chargé d'exécuter cette demande, est en-
tré en matière. La présence d'enquêteurs étrangers a été ad-
mise et les recherches ont été étendues à une autre banque
genevoise, détentrice du compte aaa qui s'est révélé n'être
qu'un compte correspondant (cf. les arrêts du Tribunal fédé-
ral du 4 juin 1996).

Il est apparu que, sur les 8 millions d'US$ versés sur
le compte de la BBL, 3,6 millions avaient été transférés sur
des comptes à Genève, le solde ayant été versé à destination
d'une banque au Luxembourg.

La clôture de cette procédure a été prononcée le 17
juin 1997. Les documents ont été transmis sous scellés au
magistrat requérant, car certains renseignements avaient été
publiés dans un journal argentin. Cette décision a été con-
firmée par la Chambre d'accusation genevoise, puis par le
Tribunal fédéral (arrêts du 11 février 1998).

C.- Le magistrat requérant a formé des demandes complé-
mentaires, notamment les 17 mars et 15 avril 1998. Deux des
comptes saisis appartenaient à des dirigeants de C.________.
L'autorité requérante désirait connaître tous les comptes,
en particulier auprès de F.________ et de la Citybank de Zu-
rich, bénéficiaires de versements de D.________. Elle pro-
duisait une liste d'une cinquantaine de personnes et de so-
ciétés soupçonnées. Les mêmes renseignements étaient requis
à propos de comptes destinataires de fonds provenant de la
banque luxembourgeoise, afin de connaître leurs destinatai-
res. Le blocage de tous ces comptes était requis.

Le canton de Genève ayant été désigné comme canton di-
recteur pour l'exécution de ces requêtes complémentaires, le
Juge d'instruction genevois est entré en matière le 14 mai,
puis le 24 juin 1998. Il est apparu qu'un montant de

1,6 million d'US$ versé par la banque du Luxembourg avait
abouti en partie - après avoir transité par d'autres comptes
- sur les comptes bbb auprès du Crédit Suisse de Zurich, et
ccc auprès de F.________ de Zurich, détenus par la société
uruguayenne A.________. Un représentant de A.________ a été
entendu le 8 février 1999; il a expliqué que sa société ef-
fectuait, pour des clients - non identifiés - de F.________,
des opérations de compensation entre Zurich et Buenos Aires.
Entendus le 16 février 1999, les représentants de F.________
ont confirmé ces déclarations, précisant l'identité du des-
tinataire des fonds en Argentine.

D.- Le 3 novembre 1999, le Juge d'instruction genevois
a ordonné la clôture de la procédure d'entraide. Les fonds
versés sur les comptes de A.________ avaient été transférés
en Argentine. Il y avait lieu de transmettre les documents
d'ouverture, des extraits des relevés concernant quatre opé-
rations effectuées en octobre 1995, mai 1996 et septembre
1997, ainsi que les procès-verbaux d'auditions des 8 et 16
février 1999. Les documents étaient toutefois remis sous
scellés au juge d'instruction argentin, car il était apparu
que des documents, précédemment transmis en vertu d'une or-
donnance de clôture partielle du 16 octobre 1996, avaient
été publiés dans un journal argentin.

E.- Par ordonnance du 5 avril 2000, la Chambre d'accu-
sation genevoise a rejeté un recours formé par A.________.
Elle a laissé indécise la question de savoir si la société
avait qualité pour recourir contre la transmission des dépo-
sitions de témoins. La réciprocité entre l'Argentine et la
Suisse résultait de l'art. XV de la Convention du 21 novem-
bre 1906, et rien ne permettait de penser que l'Etat requé-
rant se déroberait à ses obligations. La recourante n'avait
pas qualité pour se prévaloir des graves défauts qui, selon
elle, entacheraient la procédure à l'étranger. Le principe
de la proportionnalité était respecté, car l'autorité requé-

rante devait connaître les détails des opérations de compen-
sation auxquelles s'était prêtée la recourante. La complexi-
té de la cause justifiait la transmission de renseignements
aussi complets que possible. La recourante n'était pas non
plus habilitée à se plaindre d'une violation du principe de
la spécialité par les autorités en Argentine. En dépit d'un
avis de droit produit par la recourante, rien ne permettait
de redouter que les renseignements obtenus par voie d'en-
traide ne soient utilisés dans une procédure fiscale. Le ju-
ge d'instruction étranger s'était formellement engagé au
respect du principe de la spécialité les 21 et 22 décembre
1999.

F.- A.________ forme un recours de droit administratif
contre cette dernière ordonnance, dont elle demande l'annu-
lation. Préalablement, elle demande que les autorités argen-
tines soient interpellées sur la validité et sur le respect
de l'engagement des 21 et 22 décembre 1999. Subsidiairement,
elle demande de supprimer, sur les documents à transmettre,
la mention de l'identité du titulaire des deux comptes con-
cernés, ainsi que des signataires et ayants droit.

La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de
son ordonnance. L'Office fédéral de la justice conclut au
rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours est formé dans les délai et formes
utiles contre une décision de dernière instance cantonale
relative à la clôture de la procédure d'entraide (art. 80e
let. a de la loi fédérale sur l'entraide internationale en
matière pénale - EIMP, RS 351.1).

b) En tant que titulaire des comptes au sujet desquels
le juge d'instruction a décidé la transmission de renseigne-
ments, la recourante a qualité pour agir (art. 80h let. b
EIMP, art. 9a let. a OEIMP). La Chambre d'accusation a, en
revanche, mis en doute la qualité de la recourante pour agir
contre la transmission des procès-verbaux d'auditions de té-
moins. S'agissant du procès-verbal d'audition des représen-
tants de F.________, du 16 février 1999, la qualité pour re-
courir doit être déniée à la recourante, car s'il est fait
état des opérations de compensation auxquelles A.________ a
participé, ces renseignements ne sont pas utilisables tels
quels au même titre que des documents bancaires (ATF 124 II
180 consid. 2 p. 182). En revanche, la société a qualité
pour s'opposer à la transmission de la déposition faite le
8 février 1999 par son représentant.

2.- La recourante soutient que la réciprocité ne serait
pas assurée par l'Etat requérant. Celui-ci refuserait toute
collaboration avec les pays dont les ressortissants auraient
été victimes d'agissements graves durant la dictature, et
ferait montre, de manière générale, d'une absence totale de
coopération. L'Argentine ne collaborerait pas non plus avec
la Suisse, puisqu'une demande d'extradition formée par les
autorités genevoises n'aurait connu aucune suite.

a) Selon l'art. 8 EIMP, en règle générale, il n'est
donné suite à une demande que si l'Etat requérant assure la
réciprocité. Même si tel n'est pas le cas, l'entraide peut
aussi être accordée lorsque l'exécution de la demande paraît
s'imposer en raison de la nature de l'acte commis ou de la
nécessité de lutter contre certaines formes d'infractions.

b) Pour la Chambre d'accusation, la réciprocité entre
l'Argentine et la Suisse en matière d'entraide judiciaire
résulterait de l'art. XV du traité conclu le 21 novembre
1906 entre les deux Etats. Ce traité concerne en premier

lieu l'extradition, mais son article XV prévoit expressément
que lorsqu'un Etat jugera nécessaire une audition de témoin
ou tout autre acte d'instruction dans l'autre Etat, une com-
mission rogatoire sera envoyée à cet effet, par voie diplo-
matique et il y sera donné suite, d'urgence, conformément
aux lois du pays. Bien que de caractère général, cette dis-
position constitue le fondement de la coopération en matière
d'entraide judiciaire entre les deux Etats; cet engagement
réciproque est suffisant sous l'angle de l'art. 8 EIMP. Par
ailleurs, comme le relève la Chambre d'accusation, sans être
contredite sur ce point par la recourante, les faits décrits
dans la demande, soit des délits d'initiés commis dans le
cadre d'une banque d'Etat, et mettant en jeu des montants de
plusieurs millions de dollars, sont suffisamment graves pour
justifier la coopération de la Suisse, même en l'absence de
réciprocité (cf. ATF 115 Ib 517 consid. 4b p. 525, s'agis-
sant de délits économiques graves).

Dès lors, l'argumentation de la recourante, selon la-
quelle l'Argentine refuserait sa coopération - dans des cas
certes graves, mais d'une nature différente puisque mettant
en cause l'Etat requis lui-même -, n'a pas à être examinée.

3.- La recourante invoque ensuite l'art. 2 let. a et d
EIMP. Elle fait état des violences policières commises sur
des suspects, du non-respect des droits de l'homme, du dé-
faut d'indépendance de la justice et des conditions de dé-
tention insatisfaisantes, ainsi que du droit à un procès
équitable qui serait compromis en raison de la violente cam-
pagne de presse menée au mépris du secret de l'instruction.
La Chambre d'accusation a écarté ces objections en relevant
que la recourante ne fait pas l'objet de la procédure pénale
étrangère. Cette appréciation est conforme à la jurispruden-
ce, récemment confirmée, selon laquelle seul l'accusé dans
la procédure étrangère a qualité pour invoquer l'art. 2 let.
a EIMP (ATF 125 II 356 consid. 3b/bb p. 362). La recourante

soutient qu'elle-même, ainsi que ses animateurs, seront iné-
vitablement visés par la procédure argentine dès que les do-
cuments seront transmis. Cela ne suffit pas pour lui recon-
naître la qualité pour agir. D'une part, elle ne saurait in-
tervenir pour la protection de ses ayants droit (ATF 123 II
153 consid. 2b p. 156 et les arrêts cités); d'autre part, on
ne voit pas en quoi une société ayant son siège en Uruguay
pourrait se trouver concernée par la situation des droits de
l'homme dans l'Etat requérant (cf. ATF 125 II 356 consid.
3b/bb p. 362-363). Le grief doit par conséquent être écarté.

4.- Il en va de même du grief relatif au principe de la
spécialité. La recourante expose à ce propos, en se fondant
sur un avis de droit, que tout fonctionnaire argentin, y
compris les autorités de poursuite, serait tenu de faire
part des infractions fiscales dont il pourrait avoir con-
naissance. L'autorité requérante ne pourrait donc donner au-
cune garantie crédible quant au respect du principe de la
spécialité.

Consacré en matière d'entraide judiciaire à l'art. 76
EIMP, le principe de la spécialité empêche l'Etat requérant
d'utiliser les renseignements et documents remis à d'autres
fins que la répression des infractions pour lesquelles la
Suisse a accordé sa collaboration, en particulier pour les
besoins de procédures fiscales. Toutefois, de même que seule
la personne poursuivie peut se prévaloir des vices de procé-
dure mentionnés à l'art. 2 EIMP - pour autant qu'elle en su-
bisse concrètement les conséquences, ATF 125 II 356 précité
-, seule la personne susceptible de subir les conséquences
d'une violation de ce principe a qualité pour s'en préva-
loir. Elle n'est donc pas habilitée à soulever cet argument
au bénéfice de tiers, faute de disposer d'un intérêt suffi-
sant (arrêt non publié du 2 avril 1992 dans la cause J.). Le
principe de la spécialité tend
également à protéger la sou-

veraineté de l'Etat requis, mais le particulier n'a pas non
plus qualité pour agir dans ce sens.

En l'espèce, la société recourante ne prétend pas
qu'une procédure fiscale serait en cours, ou risquerait
d'être ouverte à son encontre dans l'Etat requérant. Par
ailleurs, elle n'a pas, comme cela est relevé ci-dessus,
qualité pour agir au nom de ses ayants droit qui, par hypo-
thèse, courraient un tel risque.

5.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
administratif doit être rejeté dans la mesure où il est re-
cevable. Un émolument judiciaire est mis à la charge de la
recourante qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est receva-
ble.

2. Met à la charge de la recourante un émolument judi-
ciaire de 5000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre
d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédé-
ral de la justice (B 997 80).

Lausanne, le 1er septembre 2000
KUR/mnv
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.182/2000
Date de la décision : 01/09/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-09-01;1a.182.2000 ?
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