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25/08/2000 | SUISSE | N°4C.335/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 août 2000, 4C.335/1999


«AZA 3»

4C.335/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

25 août 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch, juges, et M. Gillioz,
juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Panicol Investment Inc., à Tortola (Iles Vierges britanni-
ques), demanderesse et recourante, représentée par Me Daniel
Guggenheim, avocat à Genève,

et

Crédit Agricole Ind

osuez (Suisse) S.A., à Genève, défenderes-
se et intimée, représentée par Me Douglas Hornung, avocat à
Genève;

(reprise e...

«AZA 3»

4C.335/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

25 août 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch, juges, et M. Gillioz,
juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Panicol Investment Inc., à Tortola (Iles Vierges britanni-
ques), demanderesse et recourante, représentée par Me Daniel
Guggenheim, avocat à Genève,

et

Crédit Agricole Indosuez (Suisse) S.A., à Genève, défenderes-
se et intimée, représentée par Me Douglas Hornung, avocat à
Genève;

(reprise extinctive de dette; remise de la dette invalidée
pour vice du consentement; théorie de la
"Wissensvertretung";
abus de droit)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Panicol Investment Inc. (ci-après: Panicol)
est une société dont le siège se trouve aux Iles Vierges bri-
tanniques; elle est entièrement contrôlée par Patrick
Abraham, lequel est propriétaire du groupe UFC.

Le 8 juillet 1992, Panicol a ouvert auprès de la
Banque Indosuez (ci-après: Indosuez), devenue ultérieurement
Crédit Agricole Indosuez (Suisse) S.A., à Genève, un compte
portant le numéro 48741 R. L'ayant droit économique des
avoirs du compte était désigné comme étant Priscilla
Phillips, qui est la soeur de Patrick Abraham. Dans les do-
cuments d'ouverture du compte, la banque précisait qu'elle
serait dégagée de toute responsabilité pour avoir exécuté
des
instructions données par téléphone, télégramme, télex et té-
léfax. A teneur des conditions générales de la banque, les
réclamations relatives aux extraits de comptes périodiques
devaient être présentées dans un délai de trente jours, cel-
les afférentes aux décomptes devant l'être dans les cinq
jours; à défaut de réclamation en temps utile, les avis et
relevés de comptes étaient considérés comme approuvés.

b) Le 21 juillet 1993, Alain Driancourt, directeur
d'Indosuez, et Patrick Abraham ont signé un document
intitulé
"Mandat" par lequel ce dernier chargeait la banque de lui
présenter un ou plusieurs acheteurs potentiels intéressés à
acquérir le 20 % des actions du groupe UFC. Il était prévu
que le courtier avait droit à 40 000 US$ indépendamment de
tout résultat; en cas de vente, Abraham verserait à Indosuez
1% de l'investissement total consenti par l'acheteur dans le
groupe UFC. Une clause du document soumettait l'accord inter-
venu au droit suisse et déclarait les tribunaux genevois com-
pétents en cas de litige.

Conformément à l'accord, Driancourt a entrepris des
démarches, organisant notamment une entrevue entre Abraham
et
un tiers. La vente n'a toutefois pas été conclue avec la per-
sonne présentée.

Le 7 février 1994, Abraham a donné pour instruc-
tions à Indosuez de prélever 40 000 US$ sur le compte no
48741 R de Panicol; l'avis de débit adressé à cette société
portait la mention "mandat juillet 1993". Le 1er avril 1994,
un relevé du compte pour la période du 30 décembre 1993 au
31
mars 1994 a été envoyé à Panicol, qui indiquait un débit de
40 000 US$ en date du 7 février 1994 sous la rubrique
"mandat
juillet 1993".

c) En janvier 1996, alors que Driancourt avait
quitté Indosuez, Panicol, agissant par l'intermédiaire d'un
avocat genevois, a interpellé la banque à propos des
40 000 US$ débités le 7 février 1994; Panicol, contestant
que
le service relatif au contrat du 21 juillet 1993 ait été
rendu, estimait abusif le débit de la somme en cause. Par
lettre du 5 février 1996, le conseil de Panicol a déclaré à
Indosuez, d'une part, que celle-ci avait débité le compte de
Panicol de manière illégale dès lors que le contrat de
mandat
du 21 juillet 1993 ne concernait que Patrick Abraham et,
d'autre part, que le bénéficiaire économique du compte récla-
mait le remboursement avec intérêts du montant litigieux;
dans ce courrier, le représentant de Panicol mentionnait que
lors d'un entretien qu'il avait eu en son étude avec
Abraham,
celui-ci lui avait affirmé qu'Indosuez "n'avait de toute ma-
nière pas le pouvoir de procéder à cette opération" (art. 64
al. 2 OJ).

Par lettre du 12 février 1996, Indosuez a répondu
qu'Abraham était l'actionnaire majoritaire de Panicol, que
le
débit litigieux faisait référence au contrat du 21 juillet
1993, et que Panicol n'avait pas formé de réclamation dans

les trente jours contre le relevé de compte du 1er avril
1994; néanmoins, s'agissant moins, pour Indosuez, d'un point
de droit que d'une question de mauvaise foi, la banque décla-
rait dans ce pli ne pas vouloir argumenter davantage et de-
mandait à l'avocat de Panicol de préciser la manière dont
les
fonds devaient lui être crédités. Alors que, le 26 février
1996, cet avocat avait invité Indosuez à lui faire parvenir
un chèque, la banque a pris contact le 8 mars 1996 avec son
ancien directeur, Alain Driancourt. Par courrier du 26 mars
1996, Driancourt a averti Indosuez qu'Abraham, selon ses pro-
pres dires, était seul propriétaire du groupe UFC, que le
compte de Panicol avait été débité le 7 février 1994 sur les
instructions données par Abraham et que Panicol n'était pour
ce dernier qu'un écran juridique servant à détenir ses pro-
pres actifs financiers. Fondée sur cette lettre, Indosuez a
déclaré le 28 mars 1996 revoir sa position et refuser tout
versement à Panicol, aux motifs que Patrick Abraham avait
donné l'ordre de débiter le compte de Panicol et qu'il y
avait identité économique entre cette société et l'intéressé.

d) Panicol a fait notifier une poursuite à
Indosuez, puis a ouvert action à son encontre le 18 mars
1998, lui réclamant le paiement de 40 000 US$ (52 800 fr.)
avec intérêts à 5% dès le 12 décembre 1996.

La défenderesse a conclu à libération.

Par jugement du 28 janvier 1999, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a débouté la demande-
resse.

B.- Saisie d'un appel de Panicol, la Chambre ci-
vile de la Cour de justice genevoise, par arrêt du 25 juin
1999, a confirmé le jugement attaqué. Elle a considéré en
substance que les organes d'Indosuez avaient ignoré les cir-
constances exactes dans lesquelles le compte litigieux avait

été débité de 40 000 US$, en particulier le rôle précis joué
par Abraham dans cette opération, lequel a donné des instruc-
tions verbales pour que ce débit soit effectué. Les organes
de la défenderesse s'étaient donc trouvés dans une erreur es-
sentielle au sens de l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO au moment
d'établir la lettre du 12 février 1996, si bien qu'Indosuez
était en droit d'invalider cet acte juridique, comme elle
l'a
fait par courrier du 28 mars 1996. A l'instar du Tribunal de
première instance, la cour cantonale a jugé que Patrick
Abraham, qui avait partie liée avec la demanderesse dans ses
relations avec Indosuez, était bien le partenaire de la ban-
que dans différentes affaires. Etant établi que Panicol
n'était qu'un instrument dans les mains d'Abraham, exciper
de
la dualité juridique entre celui-ci et celle-là heurtait le
principe de la bonne foi en permettant à la demanderesse de
se soustraire à ses obligations. Au surplus, le contrat con-
clu le 21 juillet 1993 entre Abraham et Indosuez, qui consti-
tuait un courtage d'indication, tel que l'entend l'art. 412
al. 1 CO applicable en vertu de l'élection de droit convenue
par les cocontractants, justifiait, au regard des activités
déployées par Driancourt comme organe de la banque, la pré-
tention d'Indosuez à percevoir les 40 000 US$ convenus, car
la somme était due indépendamment de la conclusion de l'af-
faire projetée. Les magistrats genevois ont ainsi conclu que
la demanderesse n'avait pas été à même de rapporter la
preuve
que le débit du 7 février 1994 aurait reposé sur une cause
juridique inexistante ou ne s'étant pas réalisée.

C.- Panicol exerce un recours en réforme auprès du
Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme de l'arrêt atta-
qué, ainsi qu'à la condamnation de la défenderesse à lui ver-
ser 52 800 fr. (40 000 US$), avec intérêts à 5 % dès le 12
décembre 1996.

La défenderesse propose le rejet du recours et la
confirmation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours en réforme est ouvert pour viola-
tion du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de
rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la vio-
lation du droit cantonal (ATF 123 III 337 consid. 3b, 395
consid. 1b, 414 consid. 3c).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et
les
arrêts cités). Dans la mesure où un recourant présente un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée sans se prévaloir de l'une des exceptions qui vien-
nent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir comp-
te. Il ne peut être présenté de griefs contre les constata-
tions de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55 al. 1 let. c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ),
il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63
al. 1 OJ), pas plus que par ceux de la décision cantonale
(art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246
consid. 2).

2.- a) Le présent litige revêt un élément d'extra-
néité, puisqu'il met aux prises une société dont le siège se
trouve aux Iles Vierges britanniques et une banque ayant son
siège en Suisse. Le Tribunal fédéral examine d'office le
droit applicable (ATF 118 II 83 consid. 2b et les référen-
ces).

b) La querelle porte sur le point de savoir si
Abraham, qui contrôle économiquement la demanderesse, a pu
valablement engager celle-ci pour qu'elle reprenne la dette
en paiement du salaire du courtier que le premier avait con-
tractée à l'égard de la défenderesse en raison des services
qu'Indosuez lui avait rendus. Il appert ainsi que le diffé-
rend gravite autour de deux pôles interdépendants: l'existen-
ce d'une reprise de dette et un problème de représentation.

L'arrêt attaqué a constaté qu'en ce qui concerne le
contrat de courtage conclu par Abraham et la défenderesse le
21 juillet 1993, les parties contractantes sont convenues
d'appliquer le droit suisse (art. 116 al. 1 LDIP). Le cour-
tier, soit Indosuez, ayant rendu le service promis, la
banque
avait droit à la rémunération convenue, par 40 000 US$.
Abraham a donné pour instruction à la défenderesse de préle-
ver les 40 000 US$ en débitant le compte ouvert par la deman-
deresse dans cette banque. Cette mise en compte, qualifiée
selon la lex fori (ATF 119 II 66 consid. 2b), doit être vue
comme la reprise par Panicol de la dette d'Abraham, avec
l'assentiment de la défenderesse, créancière (art. 175 al. 1
et 176 al. 1 CO). A défaut d'une élection de droit, la repri-
se de dette est soumise au fond, dans les rapports externes
entre la reprenante et la créancière, par le droit du siège
de la reprenante Panicol, à savoir le droit des Iles Vierges
britanniques (Max Keller/Daniel Girsberger, IPRG-Kommentar,
n. 11 ad art. 146 LDIP, p. 1264; Rudolf Tschäni, Commentaire
bâlois, 2e éd., n. 12 ad art. 176 CO). Pourtant, ce rattache-
ment n'influe pas sur la solution de la querelle, dès l'ins-

tant où la validité de cette reprise de dette externe priva-
tive n'est pas mise en doute.

En revanche, la question de savoir si Abraham a été
à même de prendre des engagements pour la demanderesse -
laquelle est cruciale - doit être résolue au regard du droit
suisse. En effet, il est admis que l'intéressé n'avait pas
la
qualité d'organe de Panicol, et qu'il a agi comme représen-
tant de fait de la demanderesse. La Cour de justice n'ayant
pas constaté l'établissement de ce représentant de fait,
c'est le droit de l'Etat dans lequel le représentant déploie
son activité prépondérante en l'espèce qui régit les condi-
tions auxquelles les actes du représentant lient le représen-
té (art. 126 al. 2 LDIP). Comme Abraham a donné pour instruc-
tions à la défenderesse de débiter le compte que Panicol
avait ouvert auprès de cet établissement bancaire à Genève,
c'est le droit suisse qui est applicable aux effets de
l'acte
conclu sans pouvoirs.

3.- La recourante conteste que Patrick Abraham se
soit jamais trouvé débiteur de la défenderesse du chef du
contrat passé le 21 juillet 1993, en vertu duquel la banque
s'était chargée, moyennant une rémunération de 40 000 US$,
d'indiquer au premier des acquéreurs potentiels pour le 20 %
des actions du groupe UFC.

Les premiers juges ont qualifié à juste titre ce
contrat de courtage d'indication au sens des art. 412 ss CO.
L'argument de la recourante invoquant le fait qu'aucune
vente
des actions UFC n'a été conclue sur la base d'une indication
d'Indosuez, le seul acquéreur présenté ayant aussitôt dispa-
ru, n'a aucune pertinence. Il est en effet de jurisprudence
que les parties à un tel contrat peuvent convenir, notamment
par stipulation d'une garantie partielle ou totale de provi-
sion, d'une renonciation à l'exigence du lien de causalité
prévue à l'art. 413 al. 1
CO, disposition qui ne revêt pas
un

caractère impératif (ATF 100 II 361 consid. 3c et 3d). En
l'espèce, il était prévu que le courtier avait droit à
40 000 US$ indépendamment de tout résultat. Or, il résulte
de
l'état de fait déterminant que la défenderesse a rendu le
service promis en présentant un acheteur à Abraham, de sorte
qu'elle a droit sans conteste à la commission stipulée,
alors
même que la vente des actions n'a pas été conclue avec la
personne présentée.

4.- La recourante reproche à la cour cantonale de
n'avoir pas appliqué l'art. 55 CC dans la mesure où elle n'a
pas opposé à la défenderesse les renseignements que détenait
Driancourt à propos de l'ordre de débiter le compte de
Panicol le 7 février 1994. Comme Indosuez n'était ainsi pas
dans l'erreur lorsqu'elle a remis la dette de la
demanderesse
le 12 février 1996, l'autorité cantonale a au surplus violé
l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO. Si Abraham était bien le
partenaire
juridique de la défenderesse dans le cadre du courtage, pour-
suit la recourante, cela ne ferait pas de la demanderesse le
partenaire de la banque, ni d'Abraham l'auteur d'un abus de
droit. Pour ne pas l'avoir vu, la Cour de justice aurait
transgressé les art. 2 CC et 8 CC. En outre, l'intimée ne
pouvait pas invoquer une confusion de patrimoine entre la
demanderesse et Abraham pour procéder à une compensation au
sens de l'art. 120 CO, puisque c'était Priscilla Phillips,
soit la soeur d'Abraham, qui était l'ayant droit économique
du compte bancaire de Panicol. Enfin, de l'avis de la recou-
rante, on ne saurait considérer qu'elle a ratifié par actes
concluants le débit litigieux faute d'avoir présenté une ré-
clamation à la banque dans les trente jours, du moment
qu'elle n'avait aucun moyen de vérifier l'exactitude de
l'avis de débit qui avait trait à une transaction à laquelle
elle était totalement étrangère.

a) Comme on l'a dit (cf. ci-dessus), Abraham
n'avait pas la qualité d'organe de la demanderesse. C'est

ainsi en tant que représentant de fait de Panicol qu'il a
fait reprendre par cette société la dette en paiement de la
commission de courtage, par 40 000 US$, dont il était redeva-
ble envers Indosuez.

Autrement dit, c'est le débiteur originaire Abraham
qui a représenté sans pouvoirs la demanderesse dans le con-
trat de reprise de dette externe qu'elle a passé avec la dé-
fenderesse, créancière du débiteur repris. La situation
n'est
pas banale, en ce sens que la reprise de la dette d'Abraham
par la demanderesse (reprise de dette interne) est
intervenue
sous la forme d'un contrat passé par le représentant sans
pouvoir de Panicol avec lui-même, débiteur originaire.

aa) Selon la jurisprudence constante et l'opinion
dominante, la conclusion d'un contrat par le représentant
avec lui-même est en principe illicite, en raison des con-
flits d'intérêts qu'elle génère. L'acte juridique passé de
cette manière est donc nul, à moins que le risque de porter
préjudice au représenté soit exclu par la nature de l'affai-
re, que celui-ci n'ait spécialement autorisé le représentant
à conclure le contrat ou qu'il ne l'ait ratifié par la suite
(ATF 126 III 361 consid. 3a; ATF 95 II 442 consid. 5 p. 452
s.; 89 II 321 consid. 5 p. 324 ss; 82 II 388 consid. 4 p.
392
ss; Roger Zäch, Commentaire bernois, n. 80 ss ad art. 33 CO;
Rolf Watter, Commentaire bâlois, 2e éd., n. 19 ad art. 33
CO).

bb) En espèce, il résulte des faits constatés sou-
verainement en instance cantonale (art. 63 al. 2 OJ) que le
7
février 1994, soit le jour même où le compte de la demande-
resse a été débité de 40 000 US$, il a été adressé à cette
dernière l'avis de débit de ce montant avec la mention "man-
dat juillet 1993" et que le décompte périodique du 1er avril
1994 qu'elle a reçu pour les opérations réalisées au premier
trimestre 1994 contenait la même mention. La recourante n'a

jamais contesté qu'elle n'a pas élevé de réclamation à récep-
tion de ces documents, dans les délais prévus à cet effet
par
les conditions générales de la banque. Or, les conditions gé-
nérales dûment portées à la connaissance du titulaire de
compte peuvent valablement prévoir l'admissibilité et l'effi-
cacité d'une reconnaissance tacite d'extrait périodique de
compte (cf. ATF 104 II 190 consid. 2a p. 194; Laurent Etter,
Le contrat de compte courant, thèse Lausanne 1992, p. 198 in
fine et la note 366). Ce précédent spécifie bien, au considé-
rant 3a, que la reconnaissance d'un relevé de compte, empor-
tant novation en vertu de l'art. 117 al. 2 CO, reste soumise
à l'art. 17 CO et n'empêche donc pas chaque partie de contes-
ter la conformité au droit du solde reconnu; toutefois, la
reconnaissance, même tacite, du solde d'un compte ne permet
pas à la partie d'invoquer ultérieurement les vices de son
consentement dont elle avait alors connaissance ainsi que
les
objections qu'elle n'avait pas expressément réservées.

cc) L'art. 38 al. 1 CO dispose que lorsqu'une per-
sonne contracte sans pouvoirs au nom d'un tiers, celui-ci ne
devient créancier ou débiteur que s'il ratifie le contrat. A
la lumière de cette disposition, il convient donc de savoir
si la demanderesse a ratifié la reprise de dette interne que
son représentant de fait Abraham a passé au nom de Panicol
avec lui-même. De fait, la ratification de ladite convention
remédierait à l'absence de pouvoirs d'Abraham (cf. ATF 120
II
197 consid. 2 in limine) et rendrait admissible le contrat
conclu par Abraham avec lui-même (ATF 126 III 361 consid. 3a
et les références). Une ratification peut intervenir tacite-
ment lorsque la bonne foi exige que la partie en cause mani-
feste son désaccord si elle n'entend pas être liée; la ques-
tion nécessite toujours une appréciation de l'ensemble des
circonstances (ATF 93 II 302 consid. 4; Pierre Engel, Traité
des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 404/405).

A cet égard, il apparaît que les organes de Panicol
ont laissé Abraham en faire son instrument pour la conduite
de ses propres affaires. Ayant été informée périodiquement
des mouvements du compte 48741 R, la demanderesse ne peut
prétendre de bonne foi s'être trouvée dans l'impossibilité
de
réagir en temps utile, dès l'instant où lui étaient
présentés
un avis de débit et un décompte portant sur une somme de
40 000 US$, avec mention expresse de leur cause, à savoir un
mandat de juillet 1993 conclu par son propriétaire économique
avec la défenderesse. En conséquence, il y a lieu d'admettre
qu'en ne réagissant pas trente jours après l'envoi du relevé
de compte trimestriel, la recourante a ratifié le contrat de
reprise de dette interne qu'Abraham a conclu pour cette so-
ciété avec lui-même, l'absence de pouvoirs d'Abraham s'en
trouvant ipso facto guérie.

Les griefs de la recourante pris de l'inexistence
de la réciprocité des créances compensées ainsi que de l'im-
possibilité dans laquelle elle se serait trouvée de vérifier
l'exactitude du relevé bancaire susmentionné tombent entière-
ment à faux.

b) Pour la Cour de justice, l'engagement pris par
la défenderesse le 12 février 1996, selon lequel elle se dé-
clarait prête à créditer l'avocat de la demanderesse du mon-
tant de 40 000 US$, constituait une reconnaissance de dette
abstraite au sens de l'art. 17 CO.

On ne saurait la suivre dans cette voie. Les magis-
trats genevois ont perdu de vue que l'acte émanait de la ban-
que, qui disposait contre la demanderesse, reprenante de la
dette d'Abraham, d'une créance en paiement de son salaire de
courtier. Partant, la déclaration de l'intimée doit s'analy-
ser comme une offre de remise de dette au sens de l'art. 115
CO, disposition qui exige, pour l'annulation de la créance,
une convention entre le créancier et le débiteur. En effet,

la remise de dette est un contrat, qui exige l'accord des
deux parties (Rainer Gonzenbach, Commentaire bâlois, 2e éd.,
n. 1 ad art. 115 CO).

En l'espèce, le représentant de la demanderesse,
après avoir pris connaissance de la déclaration de remise du
créancier, l'a acceptée le 26 février 1996, en invitant la
banque à lui faire parvenir un chèque.

Mais cette méprise des magistrats genevois est sans
conséquence, car la remise conventionnelle de dette, à l'ins-
tar de la reconnaissance de dette, peut être invalidée pour
vice du consentement (Engel, op. cit., p. 761 et p. 157).

c) Les premiers juges ont rejeté l'action de la de-
manderesse au motif que la défenderesse avait été victime
d'une erreur essentielle lorsqu'elle a fait sa déclaration
du
12 février 1996.

aa) Selon l'art. 23 CO, le contrat n'oblige pas
celles des parties qui, au moment de conclure, était dans
une
erreur essentielle. Est une erreur essentielle notamment
l'erreur dite de base telle que l'entend l'art. 24 al. 1 ch.
4 CO. Un contractant peut invoquer cette erreur s'il s'est
trompé sur un point déterminé qu'il considérait comme un élé-
ment nécessaire du contrat et dont l'autre partie a reconnu
ou pouvait reconnaître qu'il avait un tel caractère; il faut
encore que l'erreur concerne un fait qu'il est objectivement
justifié de considérer comme un élément essentiel (ATF 118
II
297 consid. 2c; 114 II 131 consid. 2).

bb) Pour retenir l'existence d'une erreur essen-
tielle viciant la volonté des organes d'Indosuez lorsqu'ils
ont signé l'écriture du 12 février 1996, la cour cantonale a
retenu qu'après que Driancourt a quitté la banque en été
1995, celle-ci ignorait les circonstances exactes dans les-

quelles le compte ouvert par la demanderesse avait été
débité
des 40 000 US$ et, singulièrement, le fait que le débit liti-
gieux avait été opéré sur les instructions verbales données
par Abraham en personne, qui se servait de Panicol comme
d'un
écran dans ses relations avec la défenderesse.

Il ne saurait être sérieusement contesté que
l'ignorance par la défenderesse le 12 février 1996 des faits
énumérés ci-dessus a provoqué une erreur sur la base néces-
saire du contrat au sens de l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO. Cette
représentation erronée de la situation, dans laquelle l'opé-
ration de débit litigieuse avait les aspects pour la banque
d'une initiative prise par un de ses organes pour obtenir
l'exécution de la dette de courtage contractée à son endroit
par Abraham, a exercé subjectivement une influence décisive
sur sa volonté de conclure une remise de dette. Objective-
ment, il n'est pas douteux que l'importance de l'erreur dans
laquelle se trouvait la banque à la date précitée était re-
connaissable par la demanderesse, qui était dominée par
Abraham, et que l'erreur portait sur des circonstances qui,
selon les règles de la loyauté commerciale, pouvaient être
considérées comme des éléments nécessaires du contrat.

Enfin, la défenderesse, par sa lettre du 28 mars
1996 où elle a indiqué à la demanderesse qu'elle devait re-
voir sa position et qu'elle refusait désormais tout
versement
à Panicol, a adressé sa déclaration de ne pas maintenir la
remise de dette en respectant le délai de l'art. 31 al. 1 CO.

5.- La recourante fait grief à l'autorité cantona-
le d'avoir violé le principe déduit de l'art. 55 CC, qui
veut
que soit imputée à une personne morale la connaissance d'une
situation par l'un de ses organes, même si l'organe n'est de-
puis lors plus en fonction. Comme l'ancien directeur de la
défenderesse, Driancourt, savait notamment que c'était
Abraham qui avait donné les instructions de débit litigieu-

ses, une erreur fondée sur l'ignorance de ces faits par les
organes d'Indosuez le 12 février 1996 ne suffirait pas,
selon
la recourante, pour admettre que le consentement de
l'intimée
était vicié lors de son offre de remise de dette.

a) La recourante fait allusion à la problématique
relevant de ce que la doctrine alémanique appelle "Wissens-
vertretung", laquelle concerne le point de savoir si la con-
naissance de certains faits par l'organe d'une personne mora-
le est opposable à cette personne juridique.

La doctrine a évolué à ce sujet. Selon l'opinion
ancienne, adepte de la théorie de la "Wissensvertretung"
absolue, ce qui est connu d'un organe est réputé en toutes
circonstances connu de la personne morale et des autres
organes, peu importe qu'à l'époque déterminante pour l'oppo-
sabilité l'organe en cause soit habilité à exprimer la volon-
té de la personne morale ou ait perdu cette qualité parce
qu'il ne fait plus partie de la personne juridique (cf. la
vue d'ensemble donnée par Hans Michael Riemer, Commentaire
bernois, n. 47 ad art. 54/55 CC; Rolf Watter, Über das
Wissen
und den Willen einer Bank, in: Banken und Bankrecht im Wan-
del, Festschrift für Beat Kleiner, p. 135; Kurt Sieger, Das
rechtlich relevante Wissen der juristischen Person des Pri-
vatrechts und seine Auswirkungen auf die aktienrechtliche Or-
ganhaftung, thèse Zurich 1978, p. 40 s.; Christina Kiss-
Peter, Guter Glaube und Verschulden bei Mehrgliedrigen Orga-
nen, BJM 1990, p. 289 s.; Heinz Reichwein, Wie weit ist der
Aktiengesellschaft und andern juristischen Personen das Wis-
sen ihrer Organe zuzurechnen (sog. Wissensvertretung)? SJZ
66/1970, p. 2 s.). L'opinion récente relève qu'une
conception
absolue de la "Wissensvertretung" peut conduire à des résul-
tats inéquitables et choquants. Elle est d'avis que si la so-
ciété ne doit pas tirer avantage de sa structure juridique
et
de son organisation effective, elle ne doit pas non plus,
comparée à une entreprise individuelle, être entravée injus-

tement dans ses rapports de droit civil fédéral. Elle consi-
dère ainsi que l'imputation à la personne morale doit inter-
venir seulement pour ce qui est connu de l'organe qui est au
moins saisi de l'affaire, ou alors lorsque les informations
acquises
par un organe n'ont pas été transmises à un autre
organe, en raison du défaut d'organisation de la société.
Doivent également être pris en compte les contacts
préalables
qui avaient été noués par la société avec des tiers (cf.
Watter, op. cit., p. 132 s. et p. 141; Riemer, op. cit., n.
48 ad art. 54/55 CC). En ce qui concerne la jurisprudence,
elle a, dans un premier temps, suivi la théorie absolue de
la
"Wissensvertretung" (ATF 104 II 190 consid. 3b p. 197; 89 II
239 consid. 8 p. 251), avant de s'en éloigner et de relativi-
ser sa portée (cf. ATF 124 II 418 consid. 1b; arrêt non pu-
blié du 28 septembre 1999 dans la cause 4C.44/1998, consid.
2d/aa).

b) Appliquées à l'espèce, ces considérations ne
tendent pas à ce que soient imputées à la défenderesse les
connaissances acquises par le directeur Driancourt avant son
départ. D'après l'état de fait déterminant, l'exploitation
du
compte bancaire ouvert par Panicol s'est déroulée sans le
moindre incident pendant que Driancourt travaillait chez la
défenderesse. Quant au débit de 40 000 US$, il est intervenu
sur la base d'instructions orales que les conditions généra-
les de la banque n'excluaient nullement. Et aucune réclama-
tion n'avait été présentée à la banque au sujet de cette opé-
ration avant que le directeur en cause quitte Indosuez en
juillet 1995. On ne voit ainsi pas que ce directeur ait dû à
cette époque, dans un tel contexte, mettre la banque en pos-
session de renseignements particuliers à propos d'un compte
qui était exploité depuis juillet 1992 par son titulaire
sans
incident aucun. Pour ce qui est d'un éventuel défaut d'orga-
nisation de la banque, il n'y en a pas trace.

c) De toute manière, même si la théorie de la "Wis-
sensvertretung" avait pu déployer ses effets, cela ne signi-
fierait nullement que la demanderesse soit fondée à
contester
efficacement l'invalidation pour erreur essentielle admise
par la cour cantonale.

De fait, précisément dans un cas où était en cause
la "Wissensvertretung" de sociétés dominées par un seul ac-
tionnaire, l'ATF 112 II 503 consid. 3b en a écarté les
effets
défavorables en recourant au principe de la transparence
(Durchgriff). Selon ce principe déduit de l'art. 2 CC, si,
en
règle générale, les sociétés ont une personnalité juridique
distincte de l'actionnaire qui la contrôle, il y a lieu de
s'écarter de cette dualité lorsqu'elle conduit à des résul-
tats incompatibles avec la bonne foi. Il faut alors tenir
compte de l'identité économique qui existe entre la société
et l'actionnaire pour éviter de consacrer un abus de droit
(cf. également ATF 113 II 31 consid. 2c p. 36).

Dans le cas présent, il apparaît que la défenderes-
se, après le départ de son directeur Driancourt, ne savait
pas qu'Abraham avait donné l'instruction à la banque de débi-
ter le compte de la demanderesse de 40 000 US$. Dans l'igno-
rance des instructions orales de ce dernier, la défenderesse
a accepté, le 12 février 1996, de renoncer à sa créance de
courtage. Dès l'instant où il est constant qu'Abraham domi-
nait entièrement la recourante et qu'il se servait de cette
société comme d'un paravent, Panicol, en interpellant la ban-
que à propos de ce débit, a manifestement essayé d'exploiter
le départ du directeur de cette banque et l'ignorance des
circonstances entourant le débit qui en est résultée pour
l'intimée. Dans cette situation, exiger le respect de la re-
mise de dette serait clairement contraire aux règles de la
bonne foi, comme l'a bien vu la Cour de justice.

Il s'ensuit que les griefs de la recourante tenant
à une violation de l'art. 55 CC et à une application injusti-
fiée de la règle de la transparence sont également infondés.

6.- En définitive, le recours doit être rejeté,
l'arrêt attaqué étant confirmé. Vu l'issue du litige, les
frais et dépens doivent être mis à la charge de la
recourante
qui succombe (art. 156 al. 1 et art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2500 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

____________

Lausanne, le 25 août 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.335/1999
Date de la décision : 25/08/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-08-25;4c.335.1999 ?
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