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23/08/2000 | SUISSE | N°5C.75/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 août 2000, 5C.75/2000


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5C.75/2000

IIe C O U R C I V I L E
******************************

23 août 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi,
M. Raselli, Mme Nordmann et M. Merkli, juges.
Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

C.________ et dame B.________ C.________, tous deux
représentés par Me Olivier Brunisholz, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 7 février 2000 par la Cour de justice
du
canton de Genève;
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br> (adoption conjointe)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- C.________ et dame B._______...

«»
5C.75/2000

IIe C O U R C I V I L E
******************************

23 août 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi,
M. Raselli, Mme Nordmann et M. Merkli, juges.
Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

C.________ et dame B.________ C.________, tous deux
représentés par Me Olivier Brunisholz, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 7 février 2000 par la Cour de justice
du
canton de Genève;

(adoption conjointe)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- C.________ et dame B.________ se sont mariés le
17 août 1993 à Genève.

Le 17 juillet 1997, ils ont accueilli en vue d'adop-
tion l'enfant de nationalité vietnamienne V.________, né le
12 mai 1997.

Les conjoints se sont séparés dès le mois de décem-
bre 1998, tout en restant mariés. L'épouse a dès lors vécu
seule avec l'enfant, le mari continuant toutefois à rencon-
trer celui-ci et à contribuer à son entretien matériel.

B.- Le 22 novembre 1999, C.________ et dame
B.________ C.________ ont déposé devant la Cour de justice
du
canton de Genève une requête en vue de l'adoption conjointe
de l'enfant, informant cette autorité de leur intention d'en-
tamer une procédure de divorce dès le prononcé de
l'adoption.

Par décision du 7 février 2000, la Cour de justice
du canton de Genève a rejeté la requête.

C.- Contre cette décision, C.________ et dame
B.________ C.________ exercent un recours en réforme au
Tribunal fédéral, concluant à ce que l'adoption conjointe
soit prononcée. Subsidiairement, ils requièrent le renvoi de
la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans
le sens des considérants.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours est recevable sous l'angle de
l'art. 44 let. c OJ (ATF 107 II 18 consid. 1 p. 20).

b) Sous réserve d'exceptions non réalisées dans le
cas particulier, le Tribunal fédéral saisi d'un recours en
réforme fonde son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été
constatés par la dernière autorité cantonale (art. 63 al. 2
OJ). Les griefs dirigés à l'encontre des constatations de
fait - ou de l'appréciation des preuves à laquelle s'est li-
vrée l'autorité cantonale (ATF 122 III 26 consid. 4a/aa p.
32
- et les faits nouveaux sont irrecevables (art. 55 al. 1
let.
c OJ). Dès lors, la cour de céans ne peut tenir compte des
allégations des recourants selon lesquelles l'époux continue-
rait, depuis qu'il a quitté le domicile conjugal, à
s'occuper
de l'enfant à raison d'un jour par semaine, d'un week-end
sur
deux et durant une partie des vacances; on ne saurait davan-
tage prendre en considération le rapport du Service de pro-
tection de la jeunesse du 30 novembre 1999 qui, en plus de
confirmer la fréquence de ces relations, constate que les
deux parents ont noué avec l'enfant des liens réciproques
très forts et, au vu du développement harmonieux de
celui-ci,
recommande que l'adoption soit prononcée.

2.- Les recourants soutiennent que l'autorité canto-
nale a violé l'art. 264 CC en interprétant de façon erronée
la notion, prévue par cette disposition, de lien nourrissier
d'une durée minimum de deux ans entre les futurs parents
adoptifs et l'enfant à adopter; ils se plaignent en outre
d'une fausse application de l'art. 264a al. 1 CC.

a) L'adoption ne peut être prononcée qu'après que
les futurs parents adoptifs ont fourni des soins à l'enfant

et qu'ils ont pourvu à son éducation pendant au moins deux
ans (art. 264 CC). Toute adoption doit, par conséquent, être
précédée d'un placement, d'un lien nourrissier d'une
certaine
durée. Condition impérative de l'adoption, cette mesure cons-
titue une justification de l'établissement ultérieur d'un
lien de filiation, un délai d'épreuve pour les intéressés,
ainsi qu'une occasion et un moyen de s'assurer que
l'adoption
servira le bien de l'enfant (ATF 125 III 161 consid. 3 p.
162
et les références citées). Le lien nourrissier doit précéder
l'adoption dans tous les cas, indépendamment de la durée du
mariage ou de l'âge des adoptants; il ne peut pas être
réduit
(Hegnauer/Meier, Droit suisse de la filiation et de la famil-
le, n. 11.04 p. 64). Dans le cas d'une adoption conjointe,
le
délai de deux ans s'applique à chacun des époux; l'adoption
n'est dès lors possible que lorsque le lien nourrissier a du-
ré deux ans à l'égard de chacun d'eux (Hegnauer, Berner Kom-
mentar, n. 34 ad art. 264 CC et n. 15 ad art. 264a al. 1
CC).

Le lien nourrissier ne remplit son rôle que si les
futurs parents adoptifs accueillent l'enfant dans leur foyer
et s'occupent de lui personnellement (ATF 111 II 230 et les
références citées; concernant l'adoption de majeurs: ATF 101
II 7 consid. 2 p. 9-10; Hegnauer, op. cit., n. 29 ss ad art.
264 CC; contra: BJM 1977 292). Il n'est pas nécessaire qu'il
se déroule en un seul tenant (Hegnauer/Meier, op. cit., loc.
cit. et les références), mais le simple fait de passer des
vacances en commun ne suffit pas (ATF 111 II 230 précité).

Il faut cependant réserver les cas dans lesquels
l'enfant et le futur parent adoptif sont séparés pour de
courtes périodes (vacances, séjour à l'hôpital, pour études
ou professionnel, etc.), le délai de deux ans pouvant néan-
moins être prolongé si celles-ci sont fréquentes, ou si ces
périodes, bien que rares, sont relativement longues (cf.

Peter Breitschmid, Basler Kommentar, n. 15 ad art. 264 CC et
les références; Christine Vogel-Etienne, Das
Pflegeverhältnis
vor der Adoption, thèse Zurich 1981, p. 161 ss). En cas de
séparation de longue durée, le défaut de communauté domesti-
que pourra être compensé par l'intensité, la fréquence et la
régularité des relations personnelles entretenues (Martin
Stettler, Le droit suisse de la filiation, in TDPS,
III/II,1,
p. 108/109). Dès lors, même si le lien nourrissier implique
une continuité et une stabilité, il y a lieu de considérer
qu'il n'est pas interrompu par toute absence des futurs pa-
rents adoptifs ou de l'enfant. Il continue ainsi d'exister,
notamment, lorsqu'un époux quitte le ménage conjugal, mais
continue, par ses visites, d'entretenir un contact régulier
avec l'enfant; dans ce cas, l'adoption conjointe paraît res-
ter possible, lorsqu'au demeurant elle correspond encore au
bien de l'enfant (Hegnauer, op. cit., n. 30b in fine, n. 39
ad art. 264 CC).

En effet, selon la doctrine, l'art. 264a al. 1 CC,
qui impose - et réserve - l'adoption conjointe aux époux,
est
également applicable en cas de cessation de la vie commune
comme mesure provisoire dans la procédure de divorce ou de
séparation de corps, ou dans le cadre des mesures protectri-
ces de l'union conjugale, ou encore lorsque la séparation de
corps a été judiciairement prononcée depuis moins de trois
ans (cf. art. 264b al. 2 CC) (Hegnauer, op. cit., n. 13 ad
art. 264a CC). L'adoption conjointe reste ainsi possible,
pour autant qu'elle serve l'intérêt de l'enfant, si la disso-
lution du mariage intervient pendant la procédure
d'adoption.
Dès lors, même un divorce - postérieur à l'engagement de la
procédure - ne constitue pas un empêchement dirimant à
l'adoption conjointe; dans ce cas, la question de l'intérêt
de l'enfant à l'adoption se pose toutefois avec une acuité
particulière (Hegnauer, op. cit., n. 14, 34 et 35 ad art.

264a CC, ainsi que 22, 24 et 32 ad art. 268 al. 2 CC; plus
réservé: Stettler, op. cit., p. 164). En cas de divorce, les
droits et obligations des parents doivent être réglés par le
juge du divorce, comme pour un enfant à naître, soit
d'avance
dans le jugement de divorce, soit dans une procédure ulté-
rieure (Hegnauer, op. cit., n. 14 ad art. 264a CC).

b) En l'espèce, l'autorité cantonale a retenu que
les futurs parents adoptifs, bien que toujours mariés,
s'étaient séparés en décembre 1998. L'épouse vivait
désormais
seule avec l'enfant, mais le mari continuait à rencontrer
celui-ci et à contribuer à son entretien matériel. La Cour
de
justice a dès lors estimé qu'une des conditions impératives
posées par l'art. 264 CC faisait défaut, l'un des parents
n'ayant pas vécu deux ans consécutifs en communauté domesti-
que avec l'enfant, accueilli dès le 17 juillet 1997. Ce rai-
sonnement apparaît toutefois trop sommaire au regard de la
jurisprudence et de la doctrine exposées ci-dessus. S'il est
vrai que l'existence d'un lien nourrissier d'une durée de
deux ans au moins précédant l'adoption est une condition im-
pérative, à laquelle il ne peut être dérogé, on ne saurait
affirmer que ce lien a été rompu du seul fait que le mari a
quitté le domicile conjugal. Selon l'arrêt paru aux ATF 111
II 230, auquel la Cour de justice se réfère, le lien nourris-
sier n'existe certes que dans la mesure où l'adoptant et
l'enfant forment une communauté domestique. Cette affaire
concerne toutefois une situation différente de celle du cas
particulier: il s'agissait en effet d'un enfant qui avait
passé en 17 ans 262 semaines de "vacances" au total chez son
beau-père, qui désirait l'adopter. Dans la présente espèce,
un temps de cohabitation - et non pas seulement de simples
vacances additionnées - a bien eu lieu, puisque le futur
adoptant et l'enfant ont vécu sous le même toit de façon con-
tinue du 17 juillet 1997 au mois de décembre 1998, soit pen-

dant près d'un an et demi. Au cours de cette période, des
liens affectifs et psychiques ont pu se former et les aptitu-
des éducatives du parent concerné être mises à l'épreuve.
Or,
ce lien n'a pas forcément cessé d'exister du seul fait du dé-
part du mari du domicile conjugal, contrairement à ce qu'a
estimé la cour cantonale. Compte tenu des circonstances, il
lui appartenait d'examiner cette question plus avant, ce
qu'elle n'a pas fait.

3.- Il y a ainsi eu une fausse application du droit
fédéral, si bien que le recours doit être admis. Mais il
n'est pas possible de prononcer l'adoption en l'état.
L'arrêt
entrepris se borne en effet à constater qu'après son départ,
l'époux concerné a continué à "rencontrer" l'enfant et à con-
tribuer à son entretien matériel, ce qui est insuffisant
pour
juger de la continuité du lien nourrissier. Par conséquent,
il y a lieu de renvoyer la cause à la Cour de justice pour
qu'elle complète ses constatations et statue sur ce point.
Si
elle parvient à la conclusion que la condition du lien nour-
rissier pendant deux ans est respectée à l'égard de chacun
des parents nonobstant leur séparation, elle décidera,
compte
tenu de toutes les circonstances et avec une attention parti-
culière, si le bien de l'enfant commande que l'adoption soit
prononcée lors même que les futurs parents adoptifs envisa-
gent d'ores et déjà de divorcer.

4.- En conclusion, le recours doit être admis dans
la mesure de sa recevabilité, l'arrêt entrepris annulé et la
cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle complète
l'état de fait et statue à nouveau (art. 64 al. 1 OJ). Il y
a
lieu de mettre les dépens à la charge du canton de Genève
(Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivil-
sachen, p. 37/38 et la jurisprudence citée; ATF 116 Ib 169
consid. 4 p. 175), à l'exclusion des frais de justice (art.
156 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours dans la mesure où il est receva-
ble, annule l'arrêt entrepris et renvoie l'affaire à l'auto-
rité cantonale pour qu'elle complète l'état de fait et
statue
à nouveau dans le sens des considérants.

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais de justice.

3. Met à la charge du canton de Genève une indemnité
de 2'000 fr. à payer aux recourants à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants et à la Cour de justice du canton de
Genève.

__________

Lausanne, le 23 août 2000
MDO/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.75/2000
Date de la décision : 23/08/2000
2e cour civile

Analyses

Art. 264 CC. Adoption d'un mineur par des conjoints séparés; condition du placement préalable. Le délai de deux ans pendant lequel les futurs parents adoptifs doivent avoir fourni des soins à l'enfant et pourvu à son éducation n'est pas forcément interrompu lorsqu'un des époux quitte le domicile conjugal. Dans ce cas, l'adoption conjointe reste possible, mais la question de l'intérêt de l'enfant sera examinée avec une attention particulière (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-08-23;5c.75.2000 ?
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