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23/08/2000 | SUISSE | N°4C.68/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 août 2000, 4C.68/2000


«AZA 3»

4C.68/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

23 août 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

1. René Guillemard, à Montreux, demandeur et recourant, re-
présenté par Me Christian Bettex, avocat à Lausanne,
2. Issam Kabbani, à Leysin, demandeur et recourant, repré-
senté par Me Jacques Michod, avocat à Lausanne,
3. Jacq

ues Grisoni, à La Croix-sur-Lutry, demandeur et recou-
rant, représenté par Me Cornelia Seeger Tappy, avocate à
Lausanne...

«AZA 3»

4C.68/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

23 août 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

1. René Guillemard, à Montreux, demandeur et recourant, re-
présenté par Me Christian Bettex, avocat à Lausanne,
2. Issam Kabbani, à Leysin, demandeur et recourant, repré-
senté par Me Jacques Michod, avocat à Lausanne,
3. Jacques Grisoni, à La Croix-sur-Lutry, demandeur et recou-
rant, représenté par Me Cornelia Seeger Tappy, avocate à
Lausanne,

et

la Banque Cantonale Vaudoise, à Lausanne, défenderesse et
intimée, représentée par Me Pierre Mathyer, avocat à
Lausanne;

(contrat de prêt)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Par lettre du 31 mars 1987, la Banque Canto-
nale Vaudoise (ci-après: BCV) a accordé un crédit en blanc
de
500 000 fr. à Maurice Besse, Jean-Pierre Buffoni, Jacques
Grisoni, René Guillemard, Issam Kabbani et Edouard Logoz. Se-
lon le texte de ladite lettre, signée par ces six personnes
sous la mention: "lu et approuvé par les codébiteurs solidai-
res", cette avance, exploitable sur le compte courant
n° C 232.110. 5., était consentie aux conditions suivantes:

"Taux

5 1/2% + 1/4% de commission trimestrielle calculée
sur le solde débiteur le plus élevé (variations ul-
térieures réservées).

Amortissement

D'ici au 31.12.1988, le capital de Fresse-Luxit
S.A., société dans laquelle les présents fonds se-
ront investis, sera augmenté à raison de
Fr. 500 000.-. Notre crédit sera remboursé par com-
pensation des créances des codébiteurs, étant en-
tendu qu'aucun d'eux ne sera libéré avant rembour-
sement complet de l'engagement.

Nous remercions tous les codébiteurs solidaires
soit:

MM. Maurice Besse, J.-Pierre Buffoni, Jacques Gri-
soni, René Guillemard, Issam Kabbani et Édouard
Logoz,

de bien vouloir signer la copie de lettre annexée,
pour accord avec ce qui précède.

..."

Conformément à ce qui avait été stipulé à l'occa-
sion de l'ouverture du compte courant, la BCV a adressé à
Maurice Besse tous les relevés concernant ce compte,
lesquels

mentionnaient qu'en l'absence d'une réclamation écrite dans
le délai d'un mois, le solde y figurant serait considéré com-
me tacitement approuvé. Aucun desdits relevés n'a fait l'ob-
jet d'une contestation.

Le 2 septembre 1988, Édouard Logoz a été libéré,
sur le plan interne, par les cinq autres codébiteurs qui ont
repris sa part de dette conjointement et solidairement entre
eux.

b) Fresse-Luxit S.A., dont le siège était à Châtel-
Saint-Denis, a été constituée le 10 janvier 1985. Maurice
Besse en était l'un des fondateurs et actionnaires; il diri-
geait la société en compagnie de Jacques Grisoni, également
actionnaire.

Dès la fondation de Fresse-Luxit S.A., Jacques Gri-
soni et Maurice Besse en ont été, respectivement, président
et membre du conseil d'administration avec signature collec-
tive à deux. Jacques Grisoni a été radié en qualité d'admi-
nistrateur le 15 février 1988. René Guillemard,
ressortissant
français alors domicilié en France, et Issam Kabbani sont de-
venus administrateurs le 9 juillet 1986, avec signature col-
lective à deux, et le sont demeurés jusqu'à la radiation de
la raison sociale de Fresse-Luxit S.A. à la suite de la clô-
ture de la faillite de celle-ci.

Depuis 1985, il était question que les actionnai-
res, en particulier Maurice Besse qui a fait des promesses
dans ce sens à réitérées reprises, injectent de nouveaux
fonds dans la société Fresse-Luxit S.A. Lors de séances
ayant
réuni, les 1er décembre 1986, 6 janvier 1987 et 17 mars
1987,
Maurice Besse, Jacques Grisoni ainsi que les représentants
des banques créancières de la société, il a été décidé d'un
nouvel apport de fonds par une augmentation de 500 000 fr.
du

capital social ou par l'obtention d'un prêt à concurrence de
cette somme.

La BCV n'était ni créancière ni actionnaire de
Fresse-Luxit S.A. et elle n'a pas pris part à ces discus-
sions.

c) Le 9 avril 1987, le compte courant n°
C 232.110. 5 a été débité d'un montant de 500 000 fr. pour
bonification à Fresse-Luxit S.A. Ce montant a été inscrit au
passif du bilan de la société, au chapitre des "fonds étran-
gers", sous la rubrique "avance M. Besse & consorts".

Le 13 novembre 1990, la BCV a souligné,dans une
lettre adressée à "Maurice Besse et consorts", que les enga-
gements pris par ces derniers n'avaient pas été respectés.

Au 31 décembre 1990, le compte courant présentait
un solde débiteur de 563 330 fr.20. Le relevé des opérations
effectuées jusqu'à cette date n'a pas été contesté.

Le 14 janvier 1991, Maurice Besse et Jean-Pierre
Buffoni ont fait à la BCV des propositions de règlement au
nom des cosignataires du prêt du 31 mars 1987; dans une let-
tre du 18 février 1991, signée au nom de "Maurice Besse et
consorts", ils ont notamment écrit que "la solidarité des
codébiteurs rest[ait] entière à l'égard de la banque jusqu'à
complet remboursement".

Au 30 septembre 1992, le solde débiteur du compte
courant était de 568 032 fr.85, intérêts compris.

Par lettre du 23 septembre 1992, la BCV a demandé
qu'une somme de 95 000 fr., correspondant aux mensualités
impayées au 30 septembre 1992, fût versée à cette date,
faute

de quoi elle se verrait obligée d'intenter des poursuites
contre tous les coobligés.

Ultérieurement, la BCV a fait notifier à Maurice
Besse, à Jacques Grisoni, à Issam Kabbani et à René Guille-
mard des commandements de payer, lesquels ont été frappés
d'opposition dont elle a obtenu la mainlevée.

B.- En avril et mai 1994, Maurice Besse, Jacques
Grisoni, Issam Kabbani et René Guillemard ont intenté sépa-
rément des actions en libération de dette portant pour
chacun
sur la somme de 560 000 fr., en chiffres ronds, et les inté-
rêts y afférents. La BCV a conclu au rejet des quatre deman-
des qui ont été jointes par la suite.

Par jugement du 14 juillet 1999, la Cour civile du
Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté les actions en
libération de dette des quatre demandeurs, sauf sur la ques-
tion du taux de l'intérêt moratoire. Elle a, en outre, débou-
té René Guillemard de sa conclusion visant à être relevé par
Maurice Besse et Jacques Grisoni de toute condamnation
envers
la défenderesse. Interprétant le sens de la lettre du 31
mars
1987, les premiers juges y ont vu l'octroi, par la défende-
resse, d'un crédit en blanc à une société simple formée des
six signataires de cet écrit. Les fonds étaient prêtés aux
membres du consortium pour qu'ils deviennent actionnaires de
Fresse-Luxit S.A. après augmentation du capital de cette so-
ciété. En droit, il s'agissait d'un prêt de consommation
(art. 312 ss CO), accordé aux membres du consortium, qui en
faisait des débiteurs solidaires de la banque en vertu de
l'art. 544 al. 3 CO, à l'exclusion de Fresse-Luxit S.A.,
pour
qui ce prêt n'était juridiquement qu'une "res inter alios ac-
ta". Selon la cour cantonale, il n'existait pas, en
l'espèce,
de circonstances particulières susceptibles d'infirmer la
conclusion tirée de l'interprétation textuelle de la lettre
d'ouverture de crédit.

C.- Les quatre demandeurs ont interjeté séparément
un recours en réforme au Tribunal fédéral aux fins d'obtenir
l'annulation du jugement cantonal et l'admission de leurs
conclusions libératoires.

La défenderesse propose le rejet des recours.

Maurice Besse a retiré son recours, ensuite de quoi
la cause a été rayée du rôle, par ordonnance présidentielle
du 16 mai 2000, en tant qu'elle avait trait à ce demandeur.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

I. Recours de René Guillemard et d'Issam Kabbani

1.- Les recours en réforme déposés par ces deux de-
mandeurs ont été rédigés de façon identique. Il y a lieu,
partant, de les traiter simultanément.

Les recourants contestent le bien-fondé du résultat
de l'interprétation auquel est parvenue la Cour civile. Ils
reprochent à l'autorité cantonale d'avoir passé complètement
sous silence la seconde partie de la lettre du 31 mars 1987,
soit la clause dite d'"amortissement", et d'avoir ainsi mé-
connu le véritable but poursuivi par les cocontractants. A
leur avis, la seule interprétation compatible avec le princi-
pe de la confiance et le texte de cette clause est de consi-
dérer le prêt litigieux comme un crédit-relais qui devait
permettre à Fresse-Luxit S.A., dont la situation financière
n'était pas bonne, de survivre et à ses actionnaires de dis-
poser du temps nécessaire pour réunir de nouveaux fonds en
vue de l'augmentation du capital de ladite société à opérer
avant le 31 décembre 1988. Quant à la garantie du crédit-re-

lais, elle consistait dans la cession par les demandeurs, à
la défenderesse, de leur créance en remboursement des fonds
mis à leur disposition par la banque et prêtés par eux à
Fresse-Luxit S.A. Ainsi, du point de vue économique, les par-
ties avaient bel et bien envisagé un prêt à cette société,
remboursable au premier chef par celle-ci et ayant les deman-
deurs pour garants. Les recourants en déduisent que, dans le
doute, la cour cantonale aurait dû qualifier leur engagement
de cautionnement, pour tenir compte du but protecteur de la
législation en la matière, et, par voie de conséquence, cons-
tater la nullité de cet engagement, lequel ne revêtait pas
la
forme authentique prescrite par l'art. 493 CO.

2.- a) Pour déterminer l'objet et le contenu d'un
contrat, le juge doit recourir en premier lieu à l'interpré-
tation dite subjective, c'est-à-dire rechercher la réelle et
commune intention des parties, le cas échéant sur la base
d'indices (cf. art. 18 al. 1 CO). Ce faisant, il procède à
une appréciation des preuves, qui ne peut être remise en cau-
se dans un recours en réforme. Lorsque la volonté intime et
concordante des parties ne peut pas être établie, le juge
doit rechercher leur volonté présumée en interprétant leurs
déclarations de volonté selon le principe de la confiance;
cette interprétation, dite objective, consiste à rechercher
le sens que chacune des parties pouvait et devait raisonna-
blement prêter aux déclarations de volonté de l'autre, en
tenant compte des termes utilisés ainsi que du contexte et
de
l'ensemble des circonstances dans lesquelles elles ont été
émises. Il s'agit là d'une question de droit qui peut être
revue librement dans un recours en réforme (ATF 125 III 305
consid. 2b p. 308 et les arrêts cités).

Le cautionnement a un caractère accessoire en ce
sens qu'il ne peut exister que sur une obligation valable
(art. 492 al. 2 CO); en d'autres termes, l'obligation de la
caution dépend de l'existence et du contenu de la dette prin-

cipale (ATF 125 III 305 consid. 2b p. 307, 122 III 125
consid. 2b p. 127 et les références).

b) En l'occurrence, la cour cantonale n'a pas cons-
taté la volonté intime et concordante des parties, sur la ba-
se des éléments de preuve figurant dans son dossier, mais el-
le a procédé à une interprétation objective (ou normative)
de
la convention incriminée, fondée essentiellement sur l'analy-
se textuelle de l'engagement souscrit le 31 mars 1987 par
les
demandeurs. Le résultat de cette interprétation n'est en
rien
contraire aux principes sus-indiqués.

Lorsqu'elle affirme que le texte de la lettre du 31
mars 1987 est clair, la Cour civile a raison. Une telle af-
firmation correspond à la réalité, à tout le moins en tant
qu'elle se rapporte à l'identité de la partie avec qui la dé-
fenderesse a entendu se lier contractuellement. Il s'agit à
l'évidence des six personnes désignées nommément dans cette
missive et qualifiées de "codébiteurs solidaires",
lesquelles
ont du reste signé une copie de ce courrier sous la mention:
"lu et approuvé par les codébiteurs solidaires". Ainsi, il
ressort déjà du texte même de cet écrit que le prêt de con-
sommation a été conclu par la défenderesse avec ces six per-
sonnes physiques et non pas avec Fresse-Luxit S.A. Qu'un tex-
te soit clair n'est certes pas toujours déterminant, car il
peut résulter d'autres conditions du contrat, du but poursui-
vi par les parties ou d'autres circonstances que ce texte ne
restitue pas exactement le sens de l'accord conclu (cf. ATF
125 III 305 consid. 2b, 101 II 323 consid. 1 in initio, 99
II
282 consid. I/1 p. 285). Cependant, comme le soulignent à
juste titre les juges précédents, on ne voit pas, en l'espè-
ce, quelles circonstances particulières seraient de nature à
infirmer le résultat de l'interprétation textuelle. Le com-
portement adopté par les demandeurs postérieurement à la si-
gnature de la lettre d'ouverture de crédit tendrait, au con-
traire, à confirmer que ceux-ci n'ont pas attribué à l'enga-

gement qu'ils ont souscrit une autre signification que celle
qui appert des termes utilisés pour le formuler. Dans le cas
contraire, on ne comprendrait pas pourquoi ils ont payé eux-
mêmes une partie des intérêts afférents au prêt litigieux,
ni
qu'ils aient donné leur accord à la libération d'Edouard Lo-
goz "de sa qualité de codébiteur solidaire", dans un
document
signé le 2 septembre 1988, et encore moins qu'ils aient indi-
qué à la défenderesse, dans une lettre du 18 février 1991,
que "la solidarité des codébiteurs rest[ait] entière à
l'égard de la banque jusqu'à complet remboursement".

Les recourants font grand cas de la clause d'"amor-
tissement" insérée dans la lettre du 31 mars 1987. Il faut

leur concéder que cette stipulation n'est pas claire et
qu'il
conviendrait, selon toute vraisemblance, d'y remplacer les
termes "amortissement" et "compensation" par "remboursement"
et "cession" pour lui attribuer un sens. On peut également
admettre, avec les recourants, que l'opinion des premiers ju-
ges, selon laquelle le montant prêté par la défenderesse de-
vait permettre aux emprunteurs de souscrire de nouvelles ac-
tions dans le cadre d'une augmentation du capital de Fresse-
Luxit S.A., se concilie mal avec le texte de ladite clause.
Dans cette hypothèse, en effet, les souscripteurs n'auraient
pas pu réclamer à la société la restitution de leurs verse-
ments (art. 680 al. 2 CO; cf. ATF 109 II 128 consid. 2); ils
n'auraient donc pas eu de créance à céder à la défenderesse
pour garantir le remboursement de leur emprunt. En revanche,
une telle créance eût existé s'ils n'avaient fait que prêter
les 500 000 fr. à la société dans la perspective d'une aug-
mentation ultérieure (avant le 31 décembre 1988) du capital
de celle-ci, qui serait financée par l'apport d'autres
fonds.
L'argumentation des recourants est du reste corroborée par
le
fait, avéré, que les 500 000 fr. ont été inscrits au passif
du bilan de la société, établi le 29 février 1988, au chapi-
tre "fonds étrangers", sous la mention "avance de M. Besse
et
consorts". Cette constatation exclut que le montant en ques-

tion ait pu servir à augmenter le capital de Fresse-Luxit
S.A. Toutefois, même si l'on retenait que les demandeurs, en
signant la lettre du 31 mars 1987, ont cédé valablement (cf.
art. 165 al. 1 CO) à la défenderesse, en garantie de leur em-
prunt, la créance (future) en remboursement du prêt qu'ils
se
proposaient d'octroyer à Fresse-Luxit S.A. dans les jours à
venir, l'issue du litige ne s'en trouverait pas modifiée. De
fait, ils n'en perdraient pas pour autant leur qualité de
codébiteurs solidaires du prêt consenti par la défenderesse,
parce que, si tel n'était pas le cas, autrement dit si l'on
considérait Fresse-Luxit S.A. comme débitrice de la banque
du
chef de l'emprunt, les demandeurs n'auraient alors plus eu
de
créance à céder à celle-ci, de sorte que toute leur construc-
tion juridique s'écroulerait. En réalité, la cession de
créance ne pourrait leur profiter que si elle avait tenu
lieu
de remboursement du prêt, c'est-à-dire au cas où elle serait
intervenue, non pas en vue de paiement (cf. l'art. 172 CO),
mais à titre de paiement, ce qu'il eût appartenu aux cédants
d'établir (ATF 118 II 142 consid. 1b p. 145 in medio). Or,
les demandeurs n'ont rien avancé de concret dans ce sens, ad-
mettant au contraire qu'ils ne devaient pas être libérés
avant que la cessionnaire de la créance, soit la défenderes-
se, eût été remboursée par la débitrice, i.e. Fresse-Luxit
S.A., ce qui ressort d'ailleurs expressément de la fin du
texte de la clause d'"amortissement".

Il suit de là que les recourants sont bel et bien
codébiteurs solidaires du prêt qui leur a été consenti le 31
mars 1987 par la défenderesse, conformément au texte clair
de
l'engagement qu'ils ont souscrit à cette date avec quatre au-
tres personnes. Par conséquent, l'application des disposi-
tions régissant le cautionnement n'entre pas en ligne de
compte en l'espèce.

Cela étant, les recours de René Guillemard et d'Is-
sam Kabbani ne peuvent qu'être rejetés.

II. Recours de Jacques Grisoni

3.- Dans un premier moyen, le recourant fait grief
à la cour cantonale d'avoir admis à tort l'existence d'une
société simple formée par les débiteurs du prêt litigieux.
Il
s'en prend toutefois, ce faisant, à un motif qui n'a pas
d'influence sur le dispositif de la décision attaquée, si
bien que son recours est irrecevable sur ce point. En effet,
à supposer que l'on conclue à l'inexistence d'une société
simple entre les signataires de la lettre d'ouverture de cré-
dit, il n'en demeurerait pas moins que ceux-ci ont admis ex-
pressément leur qualité de débiteurs solidaires de la défen-
deresse, les termes de la lettre du 31 mars 1987 ne laissant
aucun doute à ce sujet. En pareille hypothèse, la solidarité
entre les codébiteurs aurait donc sa source dans le contrat
de prêt passé avec le créancier (art. 143 al. 1 CO) au lieu
de découler directement de la loi (art. 544 al. 3 CO), mais
solidarité il y aurait en tout état de cause.

4.- a) Le recourant soutient, par ailleurs, que les
parties ont simulé l'octroi d'un prêt à six personnes physi-
ques, alors que leur intention réelle était de consentir un
prêt à Fresse-Luxit S.A., les signataires de la lettre du 31
mars 1987 ne devant être que les garants du remboursement de
ce prêt. Or, ceux-ci n'avaient pas un intérêt propre et mar-
qué à ce que ladite société obtienne un crédit. Par consé-
quent, les parties ne pouvaient pas valablement utiliser
l'institution de la reprise cumulative de dette pour fournir
des garanties à la défenderesse, mais auraient dû impérative-
ment se servir du cautionnement, ce qu'elles n'ont pas fait
pour "éviter les frais et lourdeurs, voire garanties, d'un
acte authentique de cautionnement". Aussi, selon le recou-
rant, la reprise cumulative de dette opérée le 31 mars 1987
était-elle entachée de nullité pour cause de fraude à la loi
(art. 20 CO).

b) aa) Selon la jurisprudence relative à l'art. 18
CO, un acte est simulé lorsque les deux parties conviennent
d'émettre des déclarations de volonté qui ne concordent pas
avec leur volonté véritable. Elles sont d'accord que les ef-
fets juridiques correspondant au sens objectif de leur décla-
ration ne doivent pas se produire, que ce soit pour créer
l'apparence d'un acte juridique ou pour dissimuler par
l'acte
apparent un contrat réellement voulu. Le juge doit se
montrer
exigeant en matière de preuve de la simulation dont le far-
deau incombe à celui qui l'invoque; de simples allégations
de
caractère général ou de simples présomptions ne suffisent
pas
(ATF 123 IV 61 consid. 5c/cc p. 68, 112 II 337 consid. 4a et
les références).

bb) Il n'y a pas la moindre trace de simulation
dans la présente espèce. Contrairement à ce que soutient le
recourant, dont la construction juridique repose du reste
sur
des allégations de fait qui s'écartent des constatations sou-
veraines de la cour cantonale, les parties n'ont pas eu d'au-
tre intention que celle qui ressort de l'interprétation ob-
jective de leur contrat. Elles n'ont nullement caché que, du
point de vue économique, Fresse-Luxit S.A. serait la bénéfi-
ciaire des fonds prêtés aux six personnes nommées dans la
lettre d'ouverture de crédit ("société dans laquelle les pré-
sents fonds seront investis"). De là à prétendre que la dé-
fenderesse entendait en réalité contracter directement avec
la société en question, laquelle ne pouvait, au demeurant,
plus compter sur le soutien de ses banques créancières, il y
a un pas que l'on ne saurait franchir.

Sans doute les parties auraient-elles pu choisir
une autre solution juridique - cautionnement ou reprise cumu-
lative de dette - pour parvenir à un résultat économique
identique à celui qui a été atteint dans le cas particulier.
Cependant, l'autonomie de la volonté étant, en principe, sou-
veraine quant au choix des institutions, rien ne leur inter-

disait, en l'occurrence, d'opter pour la solution consistant
à prêter les fonds à des personnes physiques afin qu'elles
les investissent dans la société en manque de liquidités.

Le moyen pris de la simulation apparaît ainsi dénué
de tout fondement.

III. Frais et dépens

5.- Les trois recourants, qui succombent, seront
condamnés solidairement à payer les frais de la procédure fé-
dérale (art. 156 al. 1 OJ) et à indemniser l'intimée (art.
159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette les recours interjetés par René
Guillemard, Issam Kabbani et Jacques Grisoni, dans la mesure
où ils sont recevables, et confirme le jugement attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 9000 fr. à la
charge des recourants, solidairement entre eux;

3. Condamne solidairement les recourants à verser à
l'intimée une indemnité de 9000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

______________

Lausanne, le 23 août 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.68/2000
Date de la décision : 23/08/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-08-23;4c.68.2000 ?
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