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23/08/2000 | SUISSE | N°1P.266/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 août 2000, 1P.266/2000


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1P.266/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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23 août 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

O.________ et R.________, tous deux représentés par Me
Pierre
Boillat, avocat à Delémont,

contre

l'arrêt rendu le 5 avril 2000 par la Chambre d'accusation du
Tribunal c

antonal du canton du Jura, dans la cause qui
oppose
les recourants au Juge d'instruction cantonal et au
Procureur
génér...

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1P.266/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

23 août 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

O.________ et R.________, tous deux représentés par Me
Pierre
Boillat, avocat à Delémont,

contre

l'arrêt rendu le 5 avril 2000 par la Chambre d'accusation du
Tribunal cantonal du canton du Jura, dans la cause qui
oppose
les recourants au Juge d'instruction cantonal et au
Procureur
général du canton du J u r a ;

(procédure pénale; demande de renseignements bancaires)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le Juge d'instruction cantonal jurassien (ci-
après, le Juge d'instruction) conduit une instruction contre
les organes de gestion de fait et de droit de la Coopérative
agricole "X.________", pour gestion déloyale, faux dans les
titres, complicité d'escroquerie fiscale et obtention
frauduleuse d'une constatation fausse.

Dans le cadre de cette procédure, il a inculpé
R.________ et O.________ du chef d'obtention frauduleuse
d'une constatation fausse. Il leur est reproché d'avoir, en
leur qualité de président, respectivement de vice-président
puis président de la Coopérative agricole "X.________",
induit en erreur le notaire en lui faisant constater fausse-
ment, dans un acte authentique, un prix de vente inférieur
au
prix réel lors de ventes immobilières conclues entre la so-
ciété coopérative et des privés, entre le 21 juin 1990 et le
25 février 1993, pour R.________, et le 14 mai et le 21 dé-
cembre 1997, pour O.________.

B.- A la demande du Service cantonal des contribu-
tions, qui s'est constitué partie plaignante le 14 octobre
1999, le Juge d'instruction a requis, le 5 novembre 1999, de
divers établissements bancaires de Chevenez et de Porrentruy
la production d'une attestation d'intégralité concernant
O.________ et R.________ ainsi que des extraits détaillés
complets relatifs à l'ensemble des comptes bancaires
figurant
sur ces attestations pour la période du 1er janvier 1989 au
31 octobre 1999.

Le 15 décembre 1999, ces derniers ont demandé sans
succès au Juge d'instruction de circonscrire ces
réquisitions

aux mouvements de fonds effectués entre eux et la
Coopérative
agricole "X.________" durant la période concernée.

Le 28 janvier 2000, ils ont saisi la Chambre d'accu-
sation du Tribunal cantonal du canton du Jura (ci-après: la
Chambre d'accusation) d'une prise à partie contre le Juge
d'instruction, en concluant à l'annulation des demandes de
renseignements adressées aux établissements bancaires, res-
pectivement à ce qu'elles soient limitées à la production
des
mouvements de fonds intervenus avec la Coopérative agricole
"X.________".

Statuant par arrêt du 5 avril 2000, cette autorité a
très partiellement admis la prise à partie, limitant la de-
mande de renseignements bancaires concernant R.________ à la
période allant du 1er janvier 1989 au 30 juin 1996. Elle a
considéré en substance qu'il existait des présomptions
graves
et précises de culpabilité à l'encontre des prévenus en rela-
tion avec les faits qui leur étaient reprochés et qu'il se
justifiait de vérifier s'ils avaient perçu des avantages il-
licites. Elle a également estimé la demande de
renseignements
conforme au principe de la proportionnalité, sous réserve de
la production des extraits de comptes bancaires de
R.________
postérieurs au 30 juin 1996, date à laquelle il a quitté ses
fonctions de président du conseil d'administration de la
Coopérative agricole "X.________".

C.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation de l'art. 9 Cst., O.________ et R.________
demandent au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Ils se
plaignent d'une application arbitraire des art. 189 et 190
du
Code de procédure pénale jurassien (CPP jur.), de l'art. 47
ch. 4 de la loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques
et les caisses d'épargne (LB; RS 952.0) ainsi que des princi-
pes jurisprudentiels régissant la levée du secret bancaire.

Selon eux, les préventions dont ils font l'objet ne nécessi-
teraient en aucune manière la levée du secret bancaire de
leurs comptes privés; la demande de renseignements
litigieuse
revêtirait un caractère exploratoire incompatible avec le
principe de la proportionnalité.

Invités à répondre, le Juge d'instruction et la
Chambre d'accusation concluent au rejet du recours. Le Pro-
cureur général du canton du Jura propose également de le re-
jeter dans la mesure où il est recevable.

D.- Par ordonnance du 31 mai 2000, le Président de
la Ie Cour de droit public a accordé l'effet suspensif au
recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Les recourants sont personnellement touchés
par l'arrêt attaqué qui confirme une demande de production
des extraits des comptes qu'ils ont ouverts auprès de divers
établissements bancaires jurassiens. Ils ont un intérêt ac-
tuel et juridiquement protégé à ce que cet arrêt soit annulé
et ont, partant, qualité pour recourir selon l'art. 88 OJ.
Formé en temps utile contre une décision prise en dernière
instance cantonale, le recours répond aux exigences des art.
86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

b) Selon l'art. 87 OJ, le recours de droit public
est recevable contre les décisions préjudicielles et inci-
dentes sur la compétence et sur les demandes de récusation,
prises séparément. Ces décisions ne peuvent être attaquées
ultérieurement (al. 1). Le recours de droit public est rece-

vable contre d'autres décisions préjudicielles et incidentes
prises séparément s'il peut en résulter un préjudice irrépa-
rable (al. 2).

La demande de renseignements bancaires litigieuse
doit être considérée comme une décision incidente, car elle
ne met pas fin à la procédure pénale au cours de laquelle
elle a été prise (ATF 123 I 325 consid. 3b p. 327 et les ar-
rêts cités). Cette décision est de nature à causer un
dommage
irréparable aux recourants dans la mesure où elle astreint
les banques concernées à produire des documents privés
qu'ils
estiment couverts par le secret bancaire (arrêt du 26
octobre
1998 dans la cause SFC contre Tribunal des prud'hommes du
canton de Genève, consid. 1b/bb reproduit à la SJ 1999 I p.
188). Ils sont par conséquent habilités à s'opposer à la pro-
duction des extraits complets et détaillés de leurs comptes
bancaires en faisant valoir une violation des règles de pro-
cédure destinées à sauvegarder le secret bancaire. Ils n'ont
en revanche pas qualité pour contester la pertinence de ces
pièces pour atteindre le but recherché, car ils auront l'oc-
casion de faire valoir ultérieurement ce grief devant le
juge
du fond, voire, plus tard, à l'occasion d'un recours de
droit
public dirigé contre la décision finale (cf. SJ 1999 I p.
186
consid. 1b/bb p. 188).

2.- Les recourants prétendent que les préventions
pour lesquelles ils sont inculpés ne nécessiteraient en au-
cune manière la levée même partielle du secret bancaire de
leurs comptes privés. Ils dénoncent à cet égard une appli-
cation arbitraire des art. 189 et 190 CPP jur., de l'art. 47
ch. 4 LB et des principes jurisprudentiels régissant la
levée
du secret bancaire.

a) Le secret bancaire n'est pas un droit constitu-
tionnel dont la violation peut être invoquée de manière auto-
nome à l'appui d'un recours de droit public (ATF 117 Ia 341

consid. 2c p. 344; arrêt du 31 janvier 1996 dans la cause R.
contre Ministère public du canton de Zurich reproduit in Pra
1996 n° 198 p. 751 consid. 1b). Par ailleurs, les recourants
ne peuvent se plaindre directement d'une violation de l'art.
47 ch. 4 LB; ce grief ne peut être examiné dans le cadre
d'un
recours de droit public qu'en relation avec celui tiré de la
violation du principe de la force dérogatoire du droit fédé-
ral. Les recourants n'ont pas invoqué un tel moyen de sorte
que le recours est irrecevable en tant qu'il dénonce une vio-
lation de l'art. 47 ch. 4 LB. Pour le surplus, celui-ci ne
répond pas aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1
let. b OJ s'agissant du grief tiré d'une application arbi-
traire des art. 189 et 190 CPP jur. dans la mesure où il
n'indique pas en quoi l'arrêt attaqué violerait ces disposi-
tions (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495). Est dès lors
seul recevable le grief tiré d'une application arbitraire
des
principes jurisprudentiels régissant la levée du secret ban-
caire.

b) A l'instar des autres mesures de contrainte com-
portant une atteinte à la sphère privée de l'individu, la le-
vée du secret bancaire doit reposer sur une base légale, ré-
pondre à un intérêt public prépondérant et ne pas aller au-
delà de ce qu'exige la sauvegarde de cet intérêt (ATF 126 I
50 consid. 5a p. 61; 118 Ia 427 consid. 5a p. 436; 117 Ia
341
consid. 4 in fine p. 346; SJ 1996 p. 453 consid. 3a). Les
recourants ne contestent ni la base légale de la demande de
renseignements litigieuse ni l'intérêt public à la
répression
des infractions pénales qui sous-tend cette mesure (cf.
Walter Haller, Commentaire de la Constitution fédérale de la
Confédération suisse du 29 mai 1874, Liberté personnelle, n.
139). Ils prétendent en revanche qu'elle porterait une at-
teinte disproportionnée au secret bancaire et qu'elle revêti-
rait un caractère investigatoire prohibé. Le principe de la
proportionnalité suppose que soit mise en balance l'atteinte
portée à la sphère privée des titulaires des biens soumis au

secret bancaire et l'intérêt public à la manifestation de la
vérité, en tenant compte de la gravité de l'infraction pour-
suivie et de l'importance des moyens de preuve requis par
l'enquête, étant précisé que les recherches indiscriminées
ou
exploratoires sont interdites (ATF 126 II 86 consid. 5a p.
90; 106 IV 413 consid. 7c p. 424; RDAT 1995 II n° 21 p. 60;
;
arrêt du 31 janvier 1996 précité reproduit in Pra 1996 n°
198
p. 751 consid. 3a/aa; Maurice Aubert et al., Le secret ban-
caire, Berne 1995, p. 55 et 146; Niklaus Schmid, Straf-
prozessrecht, Zurich 1993, n. 686, p. 197; Xavier Oberson,
Infractions fiscales et secret bancaire, RDAF 1999 2 p. 77;
voir aussi ATF 124 II 58 consid. 3e et 4b p. 68/69; Archives
65 p. 649 consid. 5c p. 652, s'agissant de la possibilité
pour l'administration fiscale de consulter le dossier pénal).

c) R.________ et O.________ sont inculpés d'obten-
tion frauduleuse d'une constatation fausse. Il leur est re-
proché d'avoir, en leur qualité de président, respectivement
de vice-président puis de président de la Coopérative agri-
cole "X.________", induit en erreur le notaire en lui
faisant
constater faussement, dans un acte authentique, un prix de
vente inférieur au prix réel à l'occasion de ventes immobi-
lières conclues entre la société et des privés. Il n'y a
toutefois aucun élément au dossier permettant de supposer
qu'ils auraient bénéficié, dans le cadre de ces
transactions,
d'avantages illicites dès lors que la somme correspondant à
la différence entre le prix réel et le prix de vente indiqué
dans les actes notariés a été versée par la Coopérative agri-
cole "X.________" aux vendeurs. Les documents requis ne sont
ainsi d'aucune utilité pour établir l'infraction pour la-
quelle les recourants sont poursuivis. Dans ces conditions,
il n'y a pas lieu d'examiner s'il existe des présomptions de
culpabilité suffisante à leur égard en relation avec la pré-
vention d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse.
Cela ne signifie pas encore que la demande de renseignements
bancaires soit injustifiée.

Les recourants sont en effet également soupçonnés
d'avoir perçu des indemnités pour leur activité au sein du
conseil d'administration de la Coopérative agricole
"X.________", qu'ils n'auraient pas déclarées au fisc ou, du
moins, pas dans leur intégralité. Ils ne contestent pas
avoir
touché à la fin de chaque exercice des notes de crédit inti-
tulées "achat céréales fourragères". R.________ a indiqué ne
pas se rappeler s'il les avait ou non déclarés fiscalement,
alors que O.________ précise avoir mentionné la dernière
note
de crédit du 31 décembre 1998 dans sa déclaration d'impôts
correspondante. Les recourants prétendent certes que les som-
mes concernées correspondraient à des vacations qu'ils
n'avaient aucune obligation de déclarer. Il appartiendra au
juge du fond d'examiner cette question. En l'état, cette ob-
jection ne saurait faire obstacle aux mesures de
vérification
propres à écarter les indices sérieux et concrets d'escroque-
rie fiscale ou de soustraction d'impôts au sens des art. 109
et 209 de la loi cantonale d'impôts du 26 mai 1988 résultant
des circonstances précitées. L'attestation d'intégralité est
de nature à établir avec clarté et sécurité l'ensemble des
prétentions et prestations réciproques d'un contribuable
avec
l'établissement bancaire dont il est le client (cf. à ce su-
jet, ATF 121 II 257 consid. 3b/b p. 261). De même, la produc-
tion des extraits complets des comptes bancaires des recou-
rants permettra de confirmer ou, au contraire, d'exclure
l'existence d'avantages illicites et de décider, le cas
échéant, d'une éventuelle extension des poursuites pénales
ouvertes contre O.________ et R.________ pour des délits fis-
caux.

L'intérêt public à la manifestation de la vérité
l'emporte en l'occurrence sur l'intérêt privé des recourants
au maintien du secret bancaire. Cet intérêt n'impose pas non
plus des restrictions aux documents à verser à la procédure,
en application du principe
de la proportionnalité, dans la

mesure où seule une production intégrale des comptes bancai-
res concernant la période durant laquelle les recourants ont
fonctionné au sein du conseil d'administration de la Coopéra-
tive agricole "X.________" permettra de constater
l'existence
éventuelle d'indemnités non déclarées. L'arrêt attaqué, qui
confirme la demande de renseignements bancaires dans cette
mesure, se révèle ainsi compatible avec les principes juris-
prudentiels régissant la levée du secret bancaire.

3.- Le recours doit par conséquent être rejeté, dans
la mesure où il est recevable, aux frais des recourants qui
succombent (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu à l'octroi
de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable;

2. Met un émolument judiciaire de 3'000 fr. à la
charge des recourants;

3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re des recourants, au Juge d'instruction cantonal, au Procu-
reur général et à la Chambre d'accusation du Tribunal canto-
nal du canton du Jura.

Lausanne, le 23 août 2000
PMN/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.266/2000
Date de la décision : 23/08/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-08-23;1p.266.2000 ?
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