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17/08/2000 | SUISSE | N°6S.269/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 août 2000, 6S.269/2000


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6S.269/2000/odi

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
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17 août 2000

Composition de la Cour : M. Schubarth, Président, Prési-
dent du Tribunal fédéral, M. Schneider, M. Wiprächtiger,
M. Kolly et Mme Escher, Juges. Greffier: M. Denys.

______________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, représenté par Me Julien Fivaz, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 31 mars 2000 par la Cour de c

assation
genevoise, dans la cause qui oppose le recourant au Pro-
cureur général du canton de G e n è v e, à SA Louis
D r...

«»
6S.269/2000/odi

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
***********************************************

17 août 2000

Composition de la Cour : M. Schubarth, Président, Prési-
dent du Tribunal fédéral, M. Schneider, M. Wiprächtiger,
M. Kolly et Mme Escher, Juges. Greffier: M. Denys.

______________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, représenté par Me Julien Fivaz, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 31 mars 2000 par la Cour de cassation
genevoise, dans la cause qui oppose le recourant au Pro-
cureur général du canton de G e n è v e, à SA Louis
D r e y f u s & Cie et à Louis D r e y f u s Négoce
SA, toutes deux à Paris et représentées par Me Jean-
Daniel Borgeaud, avocat à Genève;

(utilisation sans droit de valeurs patrimoniales;
faux dans les titres)

A.- Né en 1950, X.________ est le directeur avec
signature individuelle de la société I.________ SA, dont
le siège social est à Genève et qui est en particulier
active dans le courtage et le commerce de produits agri-
coles. Aston Trading GmbH (ci-après: Aston), dont le siè-
ge social se trouve à Hambourg, est une société active
dans le commerce des produits céréaliers. SA Louis Drey-
fus & Cie (ci-après: Dreyfus) et Louis Dreyfus Négoce SA
sont deux sociétés domiciliées à Paris, également actives
dans le commerce des céréales, la première détenant les
actions de la seconde.

Le 2 juillet 1996, Aston a vendu 6'000 tonnes
d'orge à I.________ SA. Par contrat du 2 septembre 1996,
cette dernière à revendu la moitié de cet orge à Dreyfus.
Ces transactions ont été traitées par l'intermédiaire
d'un courtier domicilié à Paris, la SA Sotour (ci-après:
Sotour).

Par fax du 11 septembre 1996, X.________ a de-
mandé à Sotour que les documents et la facture concernant
les 3'000 tonnes d'orge vendues à Dreyfus soient présen-
tés directement par Aston à Dreyfus et que le montant re-
venant à I.________ SA au titre de sa marge bénéficiaire,
4,5 US$ par tonne, soit versé sur le compte d'I.________
SA auprès de l'UBS à Genève. Sur cette base, Aston a fait
établir le 20 septembre 1996, par l'entremise de la
Dresdner Bank, deux factures séparées, l'une en sa faveur
pour le montant de la marchandise vendue (483'000 US$),
l'autre concernant les 13'500 US$ (équivalant à 4,5 US$
par tonne) en faveur d'I.________ SA. Le 23 septembre
1996, Aston a transmis une copie de ces deux factures à
X.________. Par fax du même jour, celui-ci a prié Sotour
d'informer Dreyfus de s'acquitter des deux factures si-

multanément. Il a derechef adressé un fax à Sotour le 30
septembre 1996, dont il ressort notamment qu'il a autori-
sé "la présentation des documents en direct".

Il a été retenu que X.________ avait souhaité,
s'agissant de l'orge vendue par I.________ SA à Dreyfus,
faire directement payer par cette dernière société le
prix dû à Aston et ne recevoir que la marge bénéficiaire
de 13'500 US$ et que cette manière de procéder (accord
dit de "by-pass") avait été acceptée par Dreyfus et As-
ton.

Le 2 octobre 1996, un employé de Dreyfus a donné
par erreur l'ordre de créditer I.________ SA de l'inté-
gralité de la transaction, donc non seulement les 13'500
US$, mais aussi les 483'000 US$. Le même jour en fin
d'après-midi, Dreyfus a informé X.________ par fax du
fait que les 483'000 US$ qui devaient être versés à Aston
avaient été crédités par erreur sur le compte
d'I.________ SA auprès de l'UBS.

Le 3 octobre 1996 dans la matinée, X.________ a
donné instruction à l'UBS de préparer des chèques bancai-
res à hauteur de 483'000 US$. Le même jour, il a eu di-
vers entretiens téléphoniques avec le directeur adminis-
tratif de Louis Dreyfus Négoce SA; selon les déclarations
de celui-ci et celles d'autres témoins, X.________ a in-
diqué qu'il rembourserait Dreyfus une fois que cette so-
ciété aurait payé Aston.

Le 7 octobre 1996, Dreyfus a versé 483'000 US$
sur le compte bancaire d'Aston auprès de la Dresdner
Bank, conformément à la facture du 20 septembre 1996.

En l'absence de remboursement des 483'000 US$
versés par erreur sur le compte d'I.________ SA, une
plainte pénale a été déposée contre X.________. Lors de
l'instruction, celui-ci a produit une facture à l'en-tête
d'Aston, datée du 20 septembre 1996, aux termes de la-
quelle la société Dreyfus était invitée à payer les
483'000 US$ sur le compte d'I.________ SA auprès de
l'UBS. Il a été constaté que X.________ avait produit ce
document alors qu'il était conscient de sa fausseté, dans
le but d'améliorer indûment sa situation d'inculpé; il
n'a pas été établi qu'il était lui-même l'auteur du faux.

B.- Par arrêt du 23 avril 1999, la Cour correc-
tionnelle genevoise siégeant sans le concours du jury a
condamné X.________, pour utilisation sans droit de va-
leurs patrimoniales (art. 141bis CP) et faux dans les ti-
tres (art. 251 ch. 1 al. 3 CP), à douze mois d'emprison-
nement avec sursis durant cinq ans. Elle l'a en outre
condamné à payer 483'000 US$ plus intérêts à Dreyfus.

Par arrêt du 31 mars 2000, la Cour de cassation
genevoise a rejeté le recours formé par X.________.

C.- Celui-ci se pourvoit en nullité au Tribunal
fédéral contre cet arrêt. Il conclut à l'annulation de la
décision attaquée et, sur le plan civil, à sa libération
du montant alloué à Dreyfus. Il sollicite par ailleurs
l'effet suspensif.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le pourvoi ne peut être formé que pour vio-
lation du droit fédéral, mais non pour violation directe
d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF).

La Cour de cassation n'est pas liée par les mo-
tifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des con-
clusions du recourant (art. 277bis PPF). Les conclusions
devant être interprétées à la lumière de leur motivation
(ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66 et les arrêts cités), le
recourant a circonscrit les points litigieux.

Sous réserve de la rectification d'une inadver-
tance manifeste, la Cour de cassation est liée par les
constatations de fait contenues dans la décision attaquée
(art. 277bis al. 1 PPF). Elle est également liée par les
constatations d'instances inférieures ou d'experts lors-
que la dernière instance cantonale s'y réfère ou y ren-
voie, explicitement - comme c'est le cas en l'espèce dès
lors que la Cour de cassation cantonale résume les faits
retenus par la Cour correctionnelle (cf. arrêt attaqué,
p. 2 al. 3) - ou implicitement. La Cour de cassation ne
peut pas elle-même compléter l'état de fait; elle examine
l'application du droit fédéral uniquement sur la base de
l'état de fait retenu. Le recourant ne peut pas présenter
de griefs contre des constatations de fait, ni de faits
ou de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b
PPF). Dans la mesure où son argumentation serait fondée
sur des faits qui ne sont pas constatés dans l'arrêt at-
taqué, il n'est pas possible d'en tenir compte. Le pour-
voi en nullité est une voie de recours qui provoque le

contrôle de l'application du droit fédéral à un état de
fait arrêté définitivement par l'autorité cantonale (ATF
126 IV 65 consid. 1 p. 66/67 et les arrêt cités).

A plusieurs reprises dans son pourvoi, le recou-
rant laisse entendre que la Cour de cassation cantonale
aurait insuffisamment exposé les faits. Il perd de vue,
ainsi qu'il vient d'être rappelé, que celle-ci a résumé
les faits retenus par la Cour correctionnelle, auxquels
il convient donc de se référer. Au reste, savoir s'il a
été tenu compte de tous les faits pertinents relève de
l'application du droit pénal.

2.- Le recourant se plaint d'une violation des
art. 1 et 141bis CP. Dans la mesure où son argumentation
revient à dire que les conditions d'application de l'art.
141bis CP ne sont pas données, l'invocation de l'art. 1
CP - selon lequel "nul ne peut être puni s'il n'a commis
un acte expressément réprimé par la loi" - n'a pas de
portée propre.

a) Aux termes de l'art. 141bis CP, "celui qui,
sans droit, aura utilisé à son profit ou au profit d'un
tiers des valeurs patrimoniales tombées en son pouvoir
indépendamment de sa volonté sera, sur plainte, puni de
l'emprisonnement ou de l'amende". En vigueur au 1er jan-
vier 1995, cette disposition a été adoptée afin de rendre
superflue l'application par analogie de l'art. 141 aCP au
détournement de créances (ATF 121 IV 258 consid. 2a p.
259; à propos de l'application de l'art. 141 aCP au dé-
tournement de créances, cf. ATF 116 IV 134; 87 IV 115).

b) Le recourant affirme d'abord que les valeurs
patrimoniales ne sont pas tombées en son pouvoir "indé-
pendamment de sa volonté"; selon lui, cet élément consti-
tutif ne serait pas réalisé car il ne concernerait que le
cas de celui qui reçoit des valeurs patrimoniales de ma-
nière totalement inattendue.

Les termes "indépendamment de sa volonté" visent
en particulier, dans le domaine du trafic des paiements
sans numéraire, le virement qui parvient à l'auteur par
erreur, autrement dit, le paiement destiné à un autre
compte (ATF 126 IV 161 consid. 3c, p. 163; Trechsel,
Kurzkommentar, 2ème éd., Zurich 1997, art. 141bis n° 3;
Rehberg/ Schmid, Strafrecht III, 7ème éd., Zurich 1997,
p. 140; Hans Wiprächtiger, Entwicklungen im revidierten
Vermögensstrafrecht, in PJA 1999 p. 382 n° IV/4; Marcel
Alexander Niggli, Urteilsanmerkung, in PJA 1998, p. 120).
Cette erreur ne doit en outre pas avoir été délibérément
provoquée par l'auteur (cf. ATF 123 IV 125 consid. 2b p.
128).

Le recourant soutient qu'en vertu du contrat de
vente du 2 septembre 1996 entre I.________ SA et Dreyfus,
I.________ SA avait le droit de recevoir le prix de vente
de 483'000 US$. Il occulte ainsi totalement que, posté-
rieurement audit contrat, les parties se sont mises d'ac-
cord pour que le prix de vente soit payé directement par
Dreyfus à Aston. A ce propos, l'autorité cantonale a re-
tenu que, selon la réelle et commune intention des par-
ties, Dreyfus devait verser les 483'000 US$ non pas à
I.________ SA, mais directement à Aston. Elle a ainsi
tranché une question de fait (ATF 125 III 305 consid. 2b
p. 308; 118 II 365 consid. 1 p. 366; 107 II 430 consid. 2
p. 433), que le recourant n'est pas recevable à mettre en

cause dans un pourvoi en nullité. En outre, Dreyfus a
tout de suite signalé au recourant qu'elle avait viré par
erreur les 483'000 US$ sur le compte d'I.________ SA. Il
résulte de ce qui précède que c'est contrairement à l'ac-
cord entre les parties et par erreur que le compte
d'I.________ SA a été crédité. On se trouve donc typique-
ment dans un cas de figure visé par l'art. 141bis CP; le
montant viré est tombé sous la maîtrise du recourant "in-
dépendamment de sa volonté".

c) Le recourant affirme qu'il n'a pas sans droit
utilisé à son profit ou au profit d'un tiers les 483'000
US$.

aa) Selon Stratenwerth (Schweizerisches Straf-
recht, Bes. Teil I, 5ème éd., Zurich 1995, § 14 n° 15),
il n'est pas aisé de définir quelle utilisation de va-
leurs patrimoniales doit être considérée comme "sans
droit". La formulation de l'art. 141bis CP est sur ce
point similaire - elle est identique en allemand "un-
rechtmässig in seinem oder in eines andern Nutzen ver-
wendet" - à celle de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP relatif à
l'abus de confiance sur des valeurs patrimoniales con-
fiées. Mais à la différence de l'abus de confiance,
l'art. 141bis CP n'implique pas d'engagement particulier
de l'auteur envers le lésé sur les valeurs patrimoniales.
Chaque acte de disposition sur des valeurs patrimoniales
ne saurait réaliser l'énoncé légal, notamment si un tel
acte n'empêche pas l'auteur de satisfaire les prétentions
en enrichissement illégitime du lésé par d'autres moyens
ou plus tard. En conséquence, ne peut être qualifiée
d'utilisation sans droit que le comportement qui vise à
entraver complètement les prétentions du lésé.

Pour Rehberg/Schmid (op. cit., p. 140/141), cet
élément constitutif est réalisé, à l'instar de l'art. 138
ch. 1 al. 2 CP, lorsque l'auteur dispose du montant viré
par erreur d'une manière qui démontre clairement que la
demande en restitution du lésé est entravée. Il ne suffit
donc pas que l'auteur laisse le montant viré par erreur
sur son compte, sans informer la banque, respectivement
la poste, ou le donneur d'ordre. Il en va différemment
lorsque, comme à l'ATF 87 IV 115, le montant est tout de
suite transféré en intégralité sur un autre compte et est
ainsi rendu indisponible, ou lorsque, à l'exemple de
l'ATF 116 IV 134, il est utilisé pour les besoins person-
nels de l'auteur, au-delà de ce que lui permettent ses
avoirs réguliers.

Gunther Arzt (Vom Bargeld zum Buchgeld als
Schutzobjekt im neuen Vermögensstrafrecht, recht 13/1995
p. 136, ch. 3) est d'avis qu'une utilisation illicite ne
peut être démontrée qu'à l'égard d'un auteur "pauvre",
qui a utilisé le montant à des fins personnelles et qui
ne peut plus rembourser le lésé. En revanche, une telle
utilisation ne saurait être démontrée lorsqu'il reste sur
le compte des fonds qui dépassent le montant viré par er-
reur; il en est de même si l'intégralité des avoirs est
transférée sur un autre compte ou aussi longtemps que
l'auteur est dans la possibilité de payer car, comme
c'est le cas pour le refus de restituer une chose mobi-
lière en violation d'un devoir contractuel (115 IV 207
consid. 1b/aa p. 210/211), la protection assurée par le
droit civil est suffisante. Trechsel (op. cit., art.
141bis n°4) et Rehberg/Schmid (op. cit., p. 141, note n°
332) jugent cette approche selon la capacité financière
de l'auteur trop restrictive, le premier relevant en par-
ticulier, en référence à l'ATF 121 IV 23 consid. 1c
p. 25

examinant l'application de l'art. 138 CP, que la volonté
d'utilisation sans droit peut aussi découler de dissimu-
lations de l'auteur.

bb) La Cour de cassation cantonale a admis une
utilisation illicite pour le motif que l'établissement
des chèques à partir du montant versé par erreur trans-
crivait, à l'instar d'un transfert du montant sur un au-
tre compte, la volonté du recourant de rendre plus diffi-
cile le recouvrement de la créance par le lésé.

En l'espèce, le recourant était conscient que le
versement de Dreyfus du 2 octobre 1996, intervenu con-
trairement à l'accord entre les parties, était lié à une
erreur de cette société, qui l'a d'ailleurs avisé de ce
fait le jour-même. Il s'est empressé de donner des ins-
tructions à l'UBS de préparer, par le débit du compte,
des chèques bancaires à concurrence du montant viré par
erreur, qu'il a gardés par devers lui. Selon les consta-
tations cantonales, il n'avait alors nullement à l'esprit
d'éteindre par compensation une créance qu'il aurait eue
envers Dreyfus. Il n'a pas non plus été constaté que
l'établissement des chèques bancaires avait pour fonction
de préserver les droits de Dreyfus sur le montant versé à
tort et d'en favoriser la restitution; au contraire, la
Cour correctionnelle a noté que le recourant avait caché
lors de ses entretiens téléphoniques du 3 octobre 1996
avec le représentant de Dreyfus qu'il avait ou allait
faire établir des chèques et qu'il avait par ailleurs in-
diqué à la police les avoir nantis en Ukraine. Enfin, il
n'a pas été retenu qu'à la suite de l'établissement des
chèques, le compte d'I.________ SA aurait encore disposé
de fonds équivalant au montant viré par erreur.

Le recourant s'est ainsi procuré des papiers va-
leurs aisément négociables. Sous cet aspect, contraire-
ment à ce qu'affirme celui-ci, il n'est donc pas indiffé-
rent qu'il ait fait établir des chèques bancaires en fai-
sant débiter le compte ou laissé l'argent sur ce compte.
En transformant en chèques bancaires le montant versé par
erreur sans que le compte ne dispose encore de l'équiva-
lent dudit montant à la suite de cette opération, le re-
courant a clairement concrétisé sa volonté d'entraver les
droits de Dreyfus sur les 483'000 US$. Dans les circons-
tances d'espèce, faire établir des chèques et les garder
par devers soi, c'est utiliser sans droit au sens de
l'art. 141bis CP. Selon le recourant, l'autorité cantona-
le aurait omis de constater des éléments pertinents, à
savoir que les chèques bancaires ont été libellés au nom
d'I.________ SA et qu'il ne les a pas endossés; outre
qu'un endossement de sa part n'était qu'une simple forma-
lité, les faits invoqués n'influent pas sur le caractère
illicite de l'utilisation, mais uniquement, le cas
échéant, sur la personne à qui profite cette utilisation,
qui peut être l'auteur ou un tiers selon l'art. 141bis
CP. Enfin, l'utilisation illicite étant réalisée au tra-
vers de l'établissement des chèques, il importe peu que,
près d'un an après, le recourant en ait progressivement
recrédité la contre-valeur sur le compte d'I.________ SA;
au demeurant, la Cour correctionnelle a relevé que, mal-
gré cela, les avoirs disponibles sur le compte n'avaient
jamais atteint, et de loin, le montant versé par erreur.

d) Selon le recourant, c'est à tort que l'auto-
rité cantonale a admis un dessein d'enrichissement illé-
gitime.

Du point de vue subjectif, bien que ceci ne res-
sorte pas expressément de la formulation de l'art. 141bis
CP, il faut que l'auteur ait agi dans un dessein d'enri-
chissement illégitime (cf. Stratenwerth, op. cit., § 14
n° 16; Trechsel, op. cit., art. 141bis n° 5). L'auteur
doit agir avec la conscience que les valeurs patrimonia-
les ne lui étaient pas destinées et vouloir les utiliser
à son profit ou celui d'un tiers; le dessein d'enrichis-
sement illégitime sera alors sans autre donné (cf. Reh-
berg/Schmid, op. cit., p. 141). Le dessein est ce que
l'auteur avait en vue; déterminer la volonté ou le des-
sein de l'auteur relève des constatations de fait qui
lient la Cour de cassation (ATF 125 IV 49 consid. 2d p.
56 et les arrêts cités). En conséquence, est seul rece-
vable le moyen tiré d'une interprétation ou d'une appli-
cation erronées de la notion d'enrichissement illégitime.

L'argumentation du recourant repose largement
sur des faits non constatés ou qui s'écartent de ceux re-
tenus, de sorte que, dans cette mesure, elle est irrece-
vable.

Pour nier son dessein d'enrichissement illégiti-
me, le recourant invoque en particulier la compensation,
affirmant être titulaire d'une créance de 78'000 US$, qui
résulterait d'une mauvaise exécution contractuelle d'As-
ton. Cet argument s'écarte des constatations cantonales
puisqu'il a été admis, d'une manière qui lie le Tribunal
fédéral (art. 277bis al. 1 PPF), qu'au moment où le re-
courant a fait établir les chèques, il n'avait nullement
l'intention de compenser. A noter au demeurant que le re-
courant n'oppose pas en compensation une créance d'un
montant au moins égal à la valeur de ce qu'il s'est ap-
proprié de sorte que, même si l'autorité cantonale avait
admis qu'il voulait compenser, un dessein d'enrichisse-

ment illégitime n'aurait le cas échéant pu être écarté
qu'à concurrence de 78'000 US$, soit un montant nettement
inférieur aux 483'000 US$ versés par erreur.

Le recourant prétend aussi qu'il avait en tout
temps la possibilité de restituer le montant litigieux,
ce qui, selon lui, est attesté tant par le fait que les
chèques ont ultérieurement été recrédités sur le compte
d'I.________ SA auprès de l'UBS que par les propositions
qu'il a formulées au cours de la procédure pénale. Il se
prévaut ainsi de l'"Ersatzbereitschaft", par quoi on dé-
signe l'état de l'auteur qui peut justifier d'avoir eu à
tout moment la volonté et la possibilité de représenter
l'équivalent des montants employés (ATF 118 IV 32 consid.
2a p. 34). La pertinence de cette notion en l'espèce peut
rester indécise car il n'a de toute façon pas été consta-
té, bien au contraire, que le recourant aurait eu la vo-
lonté de restituer le montant versé par erreur lorsqu'il
a fait établir les chèques.

En l'espèce, le recourant savait que le verse-
ment de Dreyfus était dû à une erreur. Il a fait établir
les chèques alors que son intention n'était ni de compen-
ser ni de restituer le montant à Dreyfus. Au vu de tels
faits, c'est sans violer le droit fédéral qu'un dessein
d'enrichissement illégitime a été admis.

e) En définitive, tant sur le plan objectif que
subjectif, l'application de l'art. 141bis CP ne viole pas
le droit fédéral. En tant qu'il est dirigé contre cette
disposition, le pourvoi est infondé dans la mesure où il
est recevable.

3.- Le recourant invoque une violation de l'art.
251 ch. 1 al. 3 CP.

Il prétend que le document qu'il a produit se-
rait un fax envoyé par Sotour. Ce fait a été écarté en
instance cantonale. En mettant en cause une question de
fait, le recourant présente une argumentation irrecevable
dans un pourvoi. Le recourant prétend aussi que l'autori-
té cantonale a admis à tort le caractère falsifié du do-
cument. Or, savoir si un document est matériellement fal-
sifié ou non, en d'autres termes, savoir si la déclara-
tion figurant dans le document émane ou non de son auteur
apparent, est une question de fait, qui ne saurait être
discutée dans le cadre d'un pourvoi. Le recourant ne for-
mule pas d'autre critique qui serait recevable. Dans la
mesure où le pourvoi ne contient pas au moins un grief
admissible et correctement motivé (cf. art. 273 al. 1
let. b PPF; Corboz, Le pourvoi en nullité à la Cour de
cassation du Tribunal fédéral, SJ 1991 p. 84/85; Schweri,
Eidgenössische Nichtigkeitsbeschwerde in Strafsachen,
Berne 1993, n. 476, p. 15) il n'y a pas lieu d'entrer en
matière et de rechercher d'office une violation de l'art.
251 CP. Sur ce point, le pourvoi est irrecevable.

4.- Sur le plan civil, le recourant a conclu à
la réforme de la décision attaquée en ce sens qu'il est
libéré des 483'000 US$ plus intérêts alloués à Dreyfus.

Le recourant n'énonce aucune critique recevable.
Il se limite en effet à soutenir que Dreyfus n'avait pas
à verser le montant litigieux à Aston. Autrement dit, il
s'en prend à la volonté réelle des parties et se fonde
ainsi sur un état de fait différent de celui retenu en
instance cantonale (cf. supra, consid. 2b), ce qui n'est

pas admissible dans un pourvoi. Il prétend aussi que
l'autorité cantonale a statué ultra petita en allouant à
la partie civile un montant en dollars américains alors
que celle-ci avait pris des conclusions en francs suis-
ses. Or, il appartient au droit cantonal de procédure, et
non au droit fédéral, de dire si et dans quelle mesure le
juge est lié par les conclusions des parties ou peut sta-
tuer ultra et extra petita (Poudret/Sandoz-Monod, Commen-
taire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol.
II, Berne 1990, art. 43, n. 1.3.2.7, p. 118 et 1.4.2.11,
p. 134 et les références citées). Le pourvoi n'étant re-
cevable que pour violation du droit fédéral (art. 269
PPF), le Tribunal fédéral ne saurait revoir l'application
du droit cantonal.

Le recourant ne fournit donc aucune motivation
recevable qui réponde aux exigences minimales de l'art.
273 al. 1 let. b PPF. Ses conclusions civiles ne sont que
la conséquence de l'acquittement invoqué sur le plan pé-
nal relativement à l'art. 141bis CP. A défaut d'acquitte-
ment, il n'y pas lieu d'entrer en matière sur celles-ci
et il peut être renoncé, contrairement à la règle de
l'art. 276 al. 3 PPF, à des débats oraux (ATF 76 IV 102
consid. 4 p. 107; Schweri, op. cit., n. 594, p. 188).

5.- Les frais de la cause doivent être mis à la
charge du recourant qui succombe (art. 278 al. 1 PPF).

Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité aux
intimées, qui, sur le fond, n'ont pas eu à intervenir
dans la procédure devant le Tribunal fédéral.

La cause étant ainsi tranchée, la requête d'ef-
fet suspensif est sans objet.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le pourvoi dans la mesure où il est
recevable.

2. Met un émolument judiciaire de 20'000 fr. à
la charge du recourant.

3. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties, au Procureur général du canton de
Genève et à la Cour de cassation genevoise.
_________

Lausanne, le 17 août 2000
DCH

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Cour de cassation pénale

Analyses

Art 141bis CP; utilisation sans droit de valeurs patrimoniales. Les termes "indépendamment de sa volonté" visent en particulier, dans le domaine du trafic des paiements sans numéraire, le virement qui parvient à l'auteur par erreur, autrement dit, le paiement destiné à un autre compte (consid. 2b). Une utilisation doit être qualifiée de "sans droit" lorsqu'elle tend à entraver les prétentions en restitution du lésé (consid. 2c). Du point de vue subjectif, il faut que l'auteur ait agi dans un dessein d'enrichissement illégitime (consid. 2d).


Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 17/08/2000
Date de l'import : 14/10/2011

Numérotation
Numéro d'arrêt : 6S.269/2000
Numéro NOR : 31847 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-08-17;6s.269.2000 ?
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