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31/07/2000 | SUISSE | N°1P.453/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 juillet 2000, 1P.453/2000


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1P.453/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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31 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Catenazzi. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

F.________, représenté par Me Etienne Soltermann, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 27 juin 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(détention préventive)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- F.________, ressortissant suisse né en 1970, se
trou...

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1P.453/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

31 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Catenazzi. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

F.________, représenté par Me Etienne Soltermann, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 27 juin 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(détention préventive)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- F.________, ressortissant suisse né en 1970, se
trouve en détention préventive à Genève depuis le 27 mars
2000 sous l'inculpation d'escroquerie par métier, abus de
confiance et gestion déloyale. Directeur des sociétés
X.________ SA et X.________ Sàrl, il aurait détourné, avec
J.________ et S.________, près de 3 millions de francs con-
fiés en vue d'investissements, au préjudice de plus de cent
personnes. Dès son arrestation, F.________ a reconnu avoir
retiré environ 1'000'000 fr. du compte postal de la société,
de décembre 1999 à mars 2000; J.________ aurait retiré
1'500'000 fr., et S.________ entre 400'000 et 500'000 fr.
F.________ et J.________ se seraient partagé 1'200'000 cha-
cun, et S.________ aurait perçu environ 400'000 fr., pour le
prix de son silence et à titre d'indemnité de départ. L'ins-
truction contradictoire a été suspendue, ainsi que le droit
de consulter le dossier, mesure reconduite jusqu'au 15 mai
2000.

B.- La détention préventive de F.________ a été pro-
longée par la Chambre d'accusation genevoise le 4 avril
2000,
compte tenu des motifs avancés par le juge d'instruction,
soit le risque de collusion avec J.________, lequel était en
fuite.

Le 23 juin 2000, F.________ a demandé sa mise en
liberté provisoire. Il relevait s'être livré spontanément à
la justice et avoir, lors de ses auditions des 27 et 30 mars
2000, admis et expliqué les actes commis par lui-même et ses
acolytes, ce qui avait notamment permis de confondre
S.________ et de récupérer une partie des fonds détournés.
Il
n'y avait pas de risque de collusion avec J.________, celui-
ci étant en fuite.

Par ordonnance du 27 juin 2000, la Chambre d'accusa-
tion a refusé la mise en liberté: les charges - non contes-
tées - étaient suffisantes; l'instruction était loin d'être
terminée, de nouvelles plaintes parvenant régulièrement au
Parquet; des pièces comptables et documents des sociétés
X.________ avaient été détruites; le risque de collusion
avec
les plaignants et J.________ ne pouvait être exclu, la tota-
lité du butin n'ayant pas été retrouvée; le risque de fuite
a
également été reconnu, l'inculpé ayant, lors d'une audition
du 28 mars 2000, fait part de son intention de partir à
l'étranger, S.________ ayant par ailleurs précisé que
F.________ avait placé des fonds en Hongrie. S.________
avait
été libéré le 30 mai 2000 par le juge d'instruction, mais sa
situation était différente car, contrairement à F.________
et
J.________, il n'avait pas organisé et exécuté les détourne-
ments, mais s'était contenté de recevoir de l'argent pour
son
silence.

C.- Par acte du 12 juillet 2000, F.________ forme un
recours de droit public contre cette dernière ordonnance. Il
en demande l'annulation, ainsi que sa mise en liberté provi-
soire, subsidiairement le renvoi de la cause à la Chambre
d'accusation, pour nouvelle décision au sens des considé-
rants. Il requiert l'assistance judiciaire.

La Chambre d'accusation se réfère aux considérants
de sa décision. Le Procureur général conclut au rejet du re-
cours, sans observations. Le juge d'instruction a renoncé à
se déterminer.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours est interjeté dans le délai et les
formes utiles contre une décision rendue en dernière
instance
cantonale, le recourant ayant par ailleurs qualité pour agir
(art. 88 OJ). Le recourant conclut à sa mise en liberté immé-

diate. Par exception à la nature essentiellement cassatoire
du recours de droit public, cette conclusion est recevable
(ATF 124 I 327 consid. 4 p. 332).

2.- Une mesure de détention préventive n'est compa-
tible avec le droit constitutionnel, soit essentiellement
l'art. 31 Cst., et le droit international, en particulier
l'art. 5 CEDH, que si elle repose sur une base légale (art.
31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), en l'espèce l'art. 34 du
code de procédure pénale genevois (CPP/GE). Elle doit en
outre répondre à un intérêt public et respecter le principe
de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I
268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la priva-
tion de liberté doit être justifiée par les besoins de l'ins-
truction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de
réitération (cf. art. 34 let. b et c CPP/GE). La gravité de
l'infraction - et l'importance de la peine encourue - n'est,
à elle seule, pas suffisante (ATF 117 Ia 70 consid. 4a).
Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de
l'intéressé des charges suffisantes (ATF 116 Ia 144 consid.
3). Cette dernière exigence coïncide avec la règle de l'art.
5 par. 1 let. c CEDH, qui autorise l'arrestation d'une per-
sonne s'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'elle
a
commis une infraction.

S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une
grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283
consid. 3, 112 Ia 162 consid. 3b).

3.- Le recourant admet l'existence de charges suffi-
santes. Il conteste en revanche les besoins de
l'instruction,
ainsi que les risques de collusion et de fuite retenus par
la

cour cantonale. S'agissant des besoins de l'enquête, il relè-
ve que l'instruction contradictoire a été suspendue durant
plus de deux mois pour prévenir toute collusion, et que le
juge d'instruction a eu tout le loisir de procéder aux inves-
tigations nécessaires. La Chambre d'accusation évoque la né-
cessité d'entendre les plaignants, mais aucun d'entre eux
n'a
été entendu durant trois mois et demi; le montant du préju-
dice pourrait déjà être déterminé avec précision sur le vu
des pièces comptables saisies, éventuellement avec l'aide
d'un expert. Quant au mode opératoire, il serait clairement
défini, abstraction faite des contestations de S.________
pour certains faits qui le concernent. On ne verrait pas,
dès
lors, en quoi les besoins de l'instruction justifieraient
son
maintien en détention. Il n'y aurait pas de risque de collu-
sion avec les plaignants, ni avec J.________; s'agissant de
ce dernier, le risque de collusion a été nié à l'égard de
S.________ par la Chambre d'accusation dans son ordonnance
de
libération provisoire, au motif que J.________ était en
fuite
et que son arrestation était incertaine à brève échéance. On
ne verrait pas ce qui justifierait une solution différente
en
ce qui concerne le recourant.

a) Le maintien du prévenu en détention peut être
justifié par l'intérêt public lié aux besoins de l'instruc-
tion en cours (cf. art. 34 let. c CPP/GE), notamment lors-
qu'il est à craindre que l'intéressé ne mette sa liberté à
profit pour faire disparaître ou altérer les preuves, ou
qu'il prenne contact avec des témoins ou d'autres prévenus
pour tenter d'influencer leurs déclarations (cf. aussi
l'art.
34 let. b CPP/GE concernant le danger de collusion). On ne
saurait toutefois se contenter d'un risque de collusion
abstrait, car ce risque est inhérent à toute procédure
pénale
en cours; il doit, pour permettre à lui seul le maintien en
détention préventive, présenter une certaine vraisemblance
(ATF 123 I 31 consid. 3c p. 36, 117 Ia 257 consid. 4c p.
261). L'autorité doit ainsi indiquer, au moins dans les gran-

des lignes et sous réserve des opérations à conserver secrè-
tes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer,
et
en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accom-
plissement (cf. ATF 123 I 31 consid. 2b p. 33/34, 116 Ia 149
consid. 5 p. 152).

b) Les éléments retenus par la Chambre d'accusation
ne paraissent pas suffisants pour reconnaître un risque de
collusion à l'égard des plaignants. En effet, le recourant a
admis, dès son inculpation, l'essentiel des charges qui lui
sont reprochées. Il a apporté de nombreuses indications
quant
au fonctionnement de ses sociétés, aux raisons de ses agisse-
ments et au mode d'opérer. L'autorité intimée relève que le
montant du préjudice n'a pas encore été arrêté, mais elle ne
prétend pas que les indications du recourant sur ce point ne
correspondraient pas aux différents montants articulés dans
les plaintes pénales. On ne voit d'ailleurs pas - et la Cham-
bre d'accusation ne l'explique pas - de quelle manière le
recourant pourrait tenter d'intervenir auprès des nombreux
plaignants afin d'entraver les investigations, ou d'obtenir
des revirements. Le recourant a certes tenté de se débarras-
ser des documents comptables des sociétés, mais il n'est pas
contesté que les pièces essentielles ont été retrouvées en
main des banques. Rien n'indique au surplus que la
libération
du recourant pourrait présenter un risque supplémentaire de
disparition de preuves.

Le risque de collusion n'est pas non plus évident
entre le recourant et J.________. Ce dernier est
actuellement
en fuite, avec une partie du butin. La Chambre d'accusation
a
toutefois considéré, à l'occasion de la mise en liberté de
S.________, qu'une arrestation de J.________ à brève
échéance
était incertaine. Si J.________ ne peut être interpellé, on
peut douter de l'intérêt du recourant à tenter d'obtenir de
sa part des déclarations qui lui soient favorables. En revan-
che, si la fuite de J.________ n'est pas déterminante sous

l'angle du risque de collusion, elle l'est en ce qui
concerne
le risque de fuite du recourant.

4.- a) Selon la jurisprudence, le risque de fuite ne
peut s'apprécier sur la seule base de la gravité de l'infrac-
tion même si, compte tenu de l'ensemble des circonstances,
la
perspective d'une longue peine privative de liberté permet
souvent d'en présumer l'existence; il doit s'analyser en
fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de
l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec
l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger
(ATF 117 Ia 69 consid. 4 et les arrêts cités).

b) En dépit des arguments avancés par le recourant,
on peut sérieusement craindre qu'il mette sa liberté à
profit
pour tenter de se soustraire à la poursuite pénale. Lors de
son audition du 30 mars 2000, le recourant a en effet admis
qu'il avait l'intention de fuir à l'étranger, expliquant no-
tamment que l'argent n'avait pas été partagé avec
S.________,
car il était marié "et qu'il n'était pas question pour lui
de
quitter ses attaches pour éventuellement fuir à l'étranger",
ce qui laisse entendre que le recourant et J.________
avaient
de telles intentions; cela s'est d'ailleurs vérifié s'agis-
sant de J.________. Durant la même audition, le recourant a
affirmé, plus clairement encore: "dans l'euphorie du début,
nous avions convenu avec J.________ de quitter la Suisse au
plus tard au mois de mars. Je pensais partir mais sans objec-
tif bien précis. C'est en janvier que j'ai pris
l'appartement
de M.________ avec l'intention d'y rester quelques mois.
Vers
la fin février, ma grand-mère ainsi que mon amie ont été hos-
pitalisées, ce qui m'a ôté le courage nécessaire pour
partir.
De plus, je me voyais mal être loin de mes parents. En fait,
depuis le 15 février j'avais écarté l'optique de partir en
Australie ou en Argentine".

Le recourant insiste sur le fait que ses projets de
départ sont demeurés vagues, alors qu'il a toutes ses atta-
ches en Suisse et notamment en Valais, où il a acheté un ap-
partement et où résident ses parents. Par ailleurs, les dé-
clarations de S.________, au sujet d'un compte ouvert par le
recourant en Hongrie et de ses projets de fuite en Belgique,
ne seraient pas dignes de foi. Ces éléments, notamment
l'existence de biens transférés à l'étranger, devront être
vérifiés par le juge d'instruction. En l'état, on ne voit
pas
pour quelle raison S.________ aurait faussement chargé le
recourant. Si celui-ci a renoncé dans un premier temps à ses
projets de fuite, il peut en aller autrement maintenant
qu'une procédure pénale est ouverte contre lui. Le recourant
s'est certes spontanément livré à la justice, mais la procé-
dure a pris une ampleur qu'il ne soupçonnait peut être pas
initialement, de sorte qu'il pourrait être tenté de s'y sous-
traire à la faveur d'une libération. Il pourrait enfin es-
sayer de rejoindre J.________, lequel dispose encore d'une
partie des sommes qui ont été détournées.

5.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
public doit être rejeté. L'assistance judiciaire peut en re-
vanche être accordée au recourant. Me Soltermann est désigné
comme avocat d'office, et rétribué par la caisse du Tribunal
fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Admet la demande d'assistance judiciaire, désigne
Me Etienne Soltermann comme avocat d'office du recourant et
lui alloue une indemnité de 800 fr. à titre d'honoraires, à
payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.


4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Juge d'instruction, au Ministère
public et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 31 juillet 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.453/2000
Date de la décision : 31/07/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-31;1p.453.2000 ?
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