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27/07/2000 | SUISSE | N°1P.331/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 juillet 2000, 1P.331/2000


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1P.331/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

27 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Hungerbühler et Catenazzi.
Greffier: M. Thélin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, représenté par Me Matteo Pedrazzini, avocat à
Genève,

contre

la décision prise le 8 avril 2000 par le Collège des juges
d'instruction du canton de Genève

dans la cause qui oppose
le recourant au Juge d'instruction Laurent K a s p e r -
A n s e r m e t ;

(récusation)

Vu ...

«»

1P.331/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

27 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Hungerbühler et Catenazzi.
Greffier: M. Thélin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, représenté par Me Matteo Pedrazzini, avocat à
Genève,

contre

la décision prise le 8 avril 2000 par le Collège des juges
d'instruction du canton de Genève dans la cause qui oppose
le recourant au Juge d'instruction Laurent K a s p e r -
A n s e r m e t ;

(récusation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- En juin 1994, les autorités judiciaires genevoi-
ses ont ouvert une enquête pénale contre A.________ et dix
autres coïnculpés, consécutive à la faillite des sociétés
Norit SA et Gefipro SA. Cinquante-deux parties civiles sont
actuellement parties à la procédure. Plusieurs juges d'ins-
truction se sont succédé pour diriger cette enquête;
celle-ci
fut, en dernier lieu, confiée au juge Laurent Kasper-
Ansermet.

Depuis août 1998, A.________ était inculpé de défaut
de vigilance en matière d'opérations financières, de gestion
déloyale et, subsidiairement, d'abus de confiance; il avait,
le cas échéant, commis ces infractions dans son activité de
collaborateur de Morgan Guaranty Trust à Zurich, au
préjudice
des clients des sociétés faillies. A l'audience du 26 mai
1999, à raison des mêmes faits, le Juge d'instruction a pro-
noncé contre lui une inculpation complémentaire pour escro-
querie. Divers établissements bancaires avaient émis des ga-
ranties en faveur de Norit SA et Gefipro SA, pour le compte
de leurs propres clients, afin de couvrir les engagements de
ces sociétés envers Morgan Guaranty Trust. En procédant à
l'appel de ces garanties pour rembourser, en fait, les
dettes
d'une société tierce Norit Company Ltd, en décembre 1993,
A.________ avait exploité une erreur desdits établissements
quant à l'objet des garanties et avait ainsi porté préjudice
aux clients concernés.

Immédiatement après cette inculpation complémentai-
re, par ordonnance de soit-communiqué du 28 mai 1999, le
Juge
d'instruction a mis fin à l'enquête et a transmis le dossier
au Procureur général.

B.- Le 8 juin 1999, A.________ a demandé la récu-
sation du juge Kasper-Ansermet. Il faisait valoir que l'un
des établissements concernés, selon l'inculpation complémen-
taire, était la Banque Scandinave en Suisse, devenue entre-
temps la Banque Edouard Constant, et qu'à l'époque où les
garanties avaient été émises ou renouvelées, Laurent Kasper-
Ansermet - qui ne faisait alors pas partie de la
magistrature
- était membre de la direction de cette banque et assumait
la
fonction de chef de son service juridique. Le requérant
soutenait qu'en raison de cette ancienne relation avec l'une
des banques impliquées dans la cause, le Juge d'instruction
ne satisfaisait pas à la garantie d'impartialité des magis-
trats.

Le 4 août suivant, le Collège des juges d'instruc-
tion a prononcé que cette demande de récusation était irrece-
vable parce que tardive: elle avait été déposée après le des-
saisissement du juge visé; de plus, elle était irrecevable
ou
mal fondée pour d'autres motifs encore. A.________ a formé
contre ce prononcé un recours de droit public pour contester
le refus d'entrer en matière, recours que le Tribunal fédé-
ral a rejeté, dans la mesure où il était recevable, par un
arrêt rendu le 13 décembre 1999.

C.- La décision de soit-communiqué du 28 mai 1999 a
fait l'objet de plusieurs recours à la Chambre d'accusation
du canton de Genève, formés par A.________ et diverses
autres
parties, tendant notamment à obtenir des investigations sup-
plémentaires à la suite de l'inculpation nouvelle intervenue
à l'audience du 26 mai. Statuant le 9 février 2000, la juri-
diction saisie a admis que l'instruction n'était pas
complète
à l'égard des faits constituant l'objet de cette
inculpation,
prononcée de manière inattendue, et qu'il était nécessaire
d'entendre les organes des banques éventuellement trompées,
en particulier ceux de l'ancienne Banque Scandinave en
Suisse. A cette fin, la Chambre d'accusation a admis le re-

cours de A.________, annulé l'ordonnance de soit-communiqué
et renvoyé la cause au Juge d'instruction.

Le juge Kasper-Ansermet se trouvant à nouveau saisi
de l'affaire, A.________ a renouvelé sa demande de
récusation
fondée sur les anciens rapports d'emploi du magistrat avec
la
Banque Scandinave en Suisse. Par une deuxième décision prise
le 8 avril 2000, le Collège des juges d'instruction a
débouté
le requérant au motif que le juge n'était plus employé de la
banque au moment où celle-ci avait dû honorer sa garantie,
et
que, d'après le dossier, il n'apparaissait pas que le futur
magistrat eût, d'une façon quelconque, traité l'affaire au
moment de l'émission ou du renouvellement de cette garantie.

D.- Agissant derechef par la voie du recours de
droit public, A.________ requiert le Tribunal fédéral d'annu-
ler cette décision, qu'il tient pour contraire aux art. 9
Cst., 31 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Il se plaint d'une dé-
cision insuffisamment motivée et persiste, pour le surplus,
dans l'argumentation déjà soumise au Collège des juges
d'instruction.

Invités à répondre, cette autorité et le juge
Kasper-Ansermet proposent le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Collège des juges d'instruction a indiqué de
façon suffisamment précise, dans sa décision, pourquoi il a
considéré que la suspicion de partialité n'était pas justi-
fiée à l'égard du juge Kasper-Ansermet. La garantie du droit
d'être entendu conférée par l'art. 29 al. 2 Cst., qui compor-
te aussi le droit d'obtenir une décision motivée, est ainsi
satisfaite (cf. ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi

ATF 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146 consid. 2a p.
149, 123 I 31 consid. 2c p. 34). Il est sans importance que
l'autorité intimée n'ait pas répondu de façon spécifique aux
arguments que le recourant fondait sur diverses dispositions
cantonales en matière de récusation, dépourvues de portée
indépendante par rapport à la garantie constitutionnelle de
l'indépendance et de l'impartialité des magistrats.

2.- La garantie d'un tribunal indépendant et impar-
tial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la
protection conférée par l'art. 30 al. 1 Cst., permet au plai-
deur de s'opposer à une application arbitraire des règles
cantonales sur l'organisation et la composition des tribu-
naux, qui comprennent les prescriptions relatives à la récu-
sation des juges. Elle permet aussi, indépendamment du droit
cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la situation
ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur
son impartialité; elle tend notamment à éviter que des cir-
constances extérieures à la cause ne puissent influencer le
jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impo-
se pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effecti-
ve du juge est établie, car une disposition interne de sa
part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circons-
tances donnent l'apparence de la prévention et fassent re-
douter une activité partiale du magistrat. Seules des cir-
constances constatées objectivement doivent être prises en
considération; les impressions purement individuelles d'une
des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 116 Ia 135
consid. 2; voir aussi ATF 125 I 119 consid. 3a p. 122, 124 I
255 consid. 4a p. 261, 120 Ia 184 consid. 2b).

Les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. ne s'appli-
quent pas à la récusation d'un juge d'instruction ou d'un
représentant du ministère public, car ces magistrats, pour
l'essentiel confinés à des tâches d'instruction ou à un rôle
d'accusateur public, n'exercent pas de fonction de juge au

sens étroit (ATF 124 I 76, 119 Ia 13 consid. 3a p. 16, 118
Ia
95 consid. 3b p. 98). L'art. 29 al. 1 Cst. assure toutefois,
en dehors du champ d'application des règles précitées, une
garantie de même portée (jurisprudence relative à l'art. 4
aCst.: ATF 125 I 119 consid. 3b p. 123 et les arrêts cités),
à ceci près que cette disposition, à la différence desdites
règles, n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme
maxime d'organisation des autorités auxquelles elle s'appli-
que (ibidem, consid. 3f p. 124).

3.- En l'occurrence, il est nécessaire de rechercher
si les investigations restant à accomplir dans l'enquête pé-
nale, ordonnées par la Chambre d'accusation, doivent éven-
tuellement porter sur des faits dans lesquels le Juge d'ins-
truction serait personnellement impliqué. En pareil cas, les
parties pourraient légitimement redouter que ce magistrat ne
s'abstienne de mettre au jour des faits pourtant aptes à in-
fluencer l'issue de la cause pénale, mais aussi de nature,
le
cas échéant, à susciter une appréciation critique de sa pro-
pre activité au sein de la banque; la récusation
s'imposerait
donc pour garantir des recherches sans lacunes et permettre
que le juge remplacé puisse lui-même, au besoin, être inter-
rogé en qualité de témoin.

Cependant, la simple possibilité théorique d'une im-
plication personnelle du juge Kasper-Ansermet, inhérente au
seul fait que celui-ci appartenait à la direction de la Ban-
que Scandinave en Suisse à l'époque où cet établissement a
émis ou renouvelé sa garantie en faveur des sociétés Norit
SA
et Gefipro SA, ne saurait suffire à entraîner sa récusation.
En effet, l'enquête pénale est, en l'espèce,
particulièrement
complexe; le travail qu'elle occasionnerait à un nouveau
juge
d'instruction, qui devrait d'abord prendre connaissance de
ce
dossier extrêmement abondant, pourrait causer un retard con-
sidérable dans l'avancement de la procédure, propre à mettre
en péril à la fois l'issue de la poursuite pénale, en raison

de la prescription, et le droit des prévenus d'être jugés
dans un délai raisonnable. La récusation du juge Kasper-
Ansermet ne peut donc se justifier que si, d'après les résul-
tats actuels de l'enquête, l'implication personnelle de ce
juge apparaît suffisamment vraisemblable.

Dans la procédure consécutive à la première demande
de récusation présentée par le recourant, le juge Kasper-
Ansermet a déposé des observations détaillées, datées du 28
juillet 1999. Il a indiqué qu'à titre de responsable du ser-
vice juridique de la banque, il n'avait aucune raison d'in-
tervenir - sauf contentieux - lors de l'émission de
garanties
bancaires, domaine exclusif du service des crédits. L'appel
des garanties en cause, tenu pour abusif et constitutif de
l'escroquerie, n'est intervenu que le 21 décembre 1993,
alors
que sa propre activité au service de la banque avait pris
fin
depuis le 31 mars 1992 déjà. Il a expliqué comment la banque
avait été induite en erreur au moyen de documents établis
par
certains des prévenus le 3 juin 1993, à l'insu des clients
concernés, par lesquels Norit SA et Gefipro SA s'engageaient
à couvrir les dettes de Norit Company Ltd. Le juge a
confirmé
et développé, par l'adjonction de diverses écritures des par-
ties civiles, ces explications dans sa réponse au recours de
droit public dirigé contre la décision du 4 août 1999. Or, à
l'appui de sa deuxième demande de récusation, A.________ n'a
aucunement tenté de réfuter cette argumentation pour démon-
trer que les faits déterminants, sur lesquels des investiga-
tions restent à effectuer, seraient en réalité survenus aupa-
ravant, alors que le juge faisait encore partie de la direc-
tion de la banque. Il n'a pas non plus tenté de rendre vrai-
semblable une intervention du service juridique de la banque
au sujet des garanties émises en faveur de Norit SA et Gefi-
pro SA. Il apparaît donc que la demande de récusation n'est
pas fondée sur le soupçon concret et suffisamment vraisembla-
ble d'une implication personnelle du Juge d'instruction,
mais
seulement sur la simple possibilité théorique d'une telle im-

plication. Dans ces conditions, le Collège des juges d'ins-
truction n'a pas violé l'art. 29 al. 1 Cst. en rejetant
cette
demande.

4.- Le recours de droit public se révèle ainsi mal
fondé et doit, par conséquent, être rejeté; l'émolument judi-
ciaire incombe à son auteur (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met un émolument judiciaire de 3'000 fr. à la
charge du recourant.

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Juge d'instruction Laurent Kasper-
Ansermet et au Collège des juges d'instruction du canton de
Genève.

Lausanne, le 27 juillet 2000
THE/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.331/2000
Date de la décision : 27/07/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-27;1p.331.2000 ?
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