La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/07/2000 | SUISSE | N°4C.109/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 juillet 2000, 4C.109/2000


«AZA 3»

4C.109/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. CDE S.A., à Carouge,
2. Nicolas Chavaz, à Saint-Julien-en-Genevois (France),
demandeurs et recourants, tous deux représentés par Me
Didier
Bottge, avocat à Genève,

et

Aramis Cremonini, à Genève, défendeur et intimé,

représenté
par Me Daniel Vouilloz, avocat à Genève;

(concurrence déloyale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f ...

«AZA 3»

4C.109/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. CDE S.A., à Carouge,
2. Nicolas Chavaz, à Saint-Julien-en-Genevois (France),
demandeurs et recourants, tous deux représentés par Me
Didier
Bottge, avocat à Genève,

et

Aramis Cremonini, à Genève, défendeur et intimé, représenté
par Me Daniel Vouilloz, avocat à Genève;

(concurrence déloyale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Aramis Cremonini, né en 1918, a été secré-
taire syndical du Syndicat de l'industrie et du bâtiment de
1960 à 1983. Au début des années soixante, il a mis sur pied
un réseau de distribution de différents vins (suisses et
étrangers) et, par la suite, de divers produits
alimentaires,
qu'il exploitait, à l'enseigne du "Club de l'Economie", sous
la forme d'une raison individuelle.

Le "Club de l'Economie" (ci-après: le Club) fonc-
tionnait de la manière suivante. Chaque année, cinq
syndicats
remettaient à Cremonini, à titre confidentiel et en sa quali-
té de syndicaliste, la liste de leurs adhérents. Le Club or-
ganisait des promotions annuelles sur deux semaines environ,
pendant lesquelles les membres des syndicats avaient la pos-
sibilité de souscrire, sur la base de l'envoi d'un bulletin
de commande, à l'achat de vins et de différents produits na-
turels.

En 1992, Aramis Cremonini a souhaité remettre son
entreprise. Il a ainsi proposé son affaire à Joris Chavaz et
à André Glaus, actionnaires majoritaires de la société
Scherrer S.A., laquelle était le principal fournisseur de
vins français du Club depuis un quart de siècle. Après diver-
ses négociations, Cremonini et Nicolas Chavaz, fils de Joris
Chavaz, ont signé le 20 septembre 1993 un contrat de vente
et
de société simple, à teneur duquel les cocontractants conve-
naient de fixer le prix de vente de l'entreprise à
1 200 000 fr., payable à raison de 600 000 fr. au moment de
la signature du contrat et 600 000 fr. au plus tard à la fin
1996, ce dernier montant étant garanti par l'émission d'une
garantie bancaire en faveur du vendeur. Il était prévu que
les associés exploitent ensemble le Club jusqu'au retrait de

Cremonini à la fin 1994; ce dernier avait la tâche de former
Nicolas Chavaz, de le présenter à la clientèle en qualité de
successeur et d'entreprendre toutes démarches propres à assu-
rer la continuité du Club ainsi que le maintien et le déve-
loppement de la clientèle, grâce notamment à l'exploitation
du fichier des clients habituels. L'exécution de la conven-
tion n'a donné lieu à aucun litige jusqu'au mois de décembre
1994.

Le 9 décembre 1994, un protocole d'accord a été
conclu entre Nicolas Chavaz et la société Tissot Glaus & Cie
S.A., devenue CDE S.A. le 23 mars 1995, d'après lequel le
premier vendait le Club à la seconde; Nicolas Chavaz
devenait
créancier de CDE S.A. pour un montant de 600 000 fr., alors
que cette société acceptait de reprendre l'engagement de
Chavaz envers Cremonini. Informé de cet accord, Cremonini a
exigé vainement du repreneur un montant supplémentaire de
300 000 fr., soutenant que la transformation en société ano-
nyme était contraire aux engagements pris oralement par
Nicolas Chavaz; celui-ci a contesté cette prétention, au mo-
tif que la transformation de l'entreprise en société anonyme
avait été évoquée dans les pourparlers ayant précédé la remi-
se du commerce.

b) Le 13 décembre 1996, CDE S.A. et Nicolas Chavaz
ont déposé plainte pénale contre Cremonini pour tentative
d'extorsion et violation de la loi sur la concurrence déloya-
le. Le 3 octobre 1997, la Chambre d'accusation du canton de
Genève a confirmé l'ordonnance de classement rendue le 26
mai
1997 par le Procureur général.

c) Le 18 août 1998, CDE S.A. et Nicolas Chavaz ont
ouvert action contre Aramis Cremonini devant la Cour de jus-
tice du canton de Genève; arguant que Cremonini a violé dif-
férentes dispositions de la loi fédérale contre la concurren-
ce déloyale du 19 décembre 1986 (LCD; RS 241), les
demandeurs

ont conclu à ce que le défendeur leur doive paiement de
663 312 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er octobre 1996.
Après
les enquêtes, ils ont réduit leurs conclusions à 524 845
fr.,
soit 320 607 fr. pour la perte de valeur vénale de l'entre-
prise et 204 238 fr. pour la perte d'expansion de l'entrepri-
se, le tout avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995.

Les demandeurs ont allégué que Cremonini a usé de
ses liens privilégiés avec les syndicats pour détourner
petit
à petit la clientèle du Club. Ainsi, trois syndicats
auraient
renoncé à collaborer avec CDE S.A., au motif que la transfor-
mation du Club en société anonyme était contraire à l'esprit
syndical. Les demandeurs ont encore fait valoir qu'ils
avaient la conviction que Cremonini était l'animateur de
groupements, qui, à l'exemple de "Vinalis Club" et de "l'Eco-
nomie du Chablais", avaient offert des prestations stricte-
ment analogues à celles de CDE S.A., matérialisées par des
bulletins de commandes identiques dans leur présentation ty-
pographique et par la gamme des produits offerts.

Le défendeur s'est opposé à la demande. Il a nié
être l'initiateur d'une campagne visant à diminuer la clien-
tèle de CDE S.A. et soutenu que la perte de clientèle invo-
quée par les demandeurs était due aux agissements commercia-
lement maladroits des nouveaux dirigeants de CDE S.A. Cremo-
nini a contesté avoir un lien quelconque avec les
groupements
précités, affirmant que l'entreprise "Vinalis Club" avait
été
fondée par un ancien fournisseur du Club et que "l'Economie
du Chablais" n'était que le nom de fantaisie que se serait
donné une commission syndicale.

B.- Par arrêt du 18 février 2000, la Chambre civi-
le de la Cour de justice du canton de Genève a débouté les
demandeurs de toutes leurs conclusions. En substance, la
cour
cantonale a considéré que les demandeurs n'étaient pas parve-
nus à démontrer que la perte de clientèle subie par CDE S.A.

fût survenue dans des circonstances propres à contrevenir à
l'art. 3 let. a et let. d LCD. L'annonce par le défendeur de
la vente du Club et de sa transformation en société anonyme
ne saurait constituer une allégation dénigrante, dès l'ins-
tant où cette modification juridique a fait l'objet d'une
publication dans la Feuille officielle suisse du commerce
(FOSC). Le fait que différents groupements, tels le "Vinalis
Club" (qui avait disparu à la date de l'arrêt cantonal),
"l'Economie du Chablais" et le "Club de la Solidarité" aient
utilisé des bulletins de commande semblables à ceux de CDE
S.A. ne démontraient pas l'existence de manoeuvres déloyales
imputables au défendeur, car les formules en question indi-
quaient clairement les noms des entités desquelles elles
émanaient. Enfin, les demandeurs n'avaient pas établi que
Cremonini ait été le "deux ex machina" des trois organisa-
tions susmentionnées ou que l'intéressé ait incité la clien-
tèle à rompre les contrats passés avec CDE S.A. pour en con-
clure d'autres avec lesdites structures de vente.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité par arrêt de
ce jour, CDE S.A. et Nicolas Chavaz exercent un recours en
réforme au Tribunal fédéral. A titre principal, ils repren-
nent leurs conclusions d'instance cantonale.
Subsidiairement,
ils requièrent que la cause soit retournée à la cour cantona-
le et qu'elle soit invitée à statuer sur le montant des
dommages-intérêts qui leur seraient dus par le défendeur.

L'intimé propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par les parties qui ont succombé
dans leurs conclusions en paiement et dirigé contre un juge-

ment final rendu en instance cantonale unique par un
tribunal
supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile
dont
la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été déposé en temps utile et dans les formes
requises
(art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit
de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et
les
arrêts cités). Dans la mesure où un recourant présente un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée sans se prévaloir de l'une des exceptions qui vien-
nent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir comp-
te. Il ne peut être présenté de griefs contre les constata-
tions de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55 al. 1 let. c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des
conclusions des parties, il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), pas plus que par ceux
de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 59
consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).

2.- a) Les recourants soutiennent que la cour can-
tonale a violé l'art. 3 let. a LCD. Ils fondent leur grief

sur le fait que l'intimé, irrité de s'être vu refuser le ver-
sement d'un complément de prix de 300 000 fr., aurait
décidé,
en vue d'anéantir CDE S.A., d'informer les syndicats que le
Club était devenu une société anonyme, afin que ceux-ci
soient dissuadés de poursuivre une relation contractuelle
avec le Club. Le défendeur aurait utilisé cet élément pour
dénigrer les recourants auprès des syndicats, car il était
conscient que ces derniers, pour des raisons éthiques, se-
raient sensibles à l'argument consistant à ne pas favoriser
une entreprise capitaliste. Pourtant, cette modification
juridique n'avait aucune incidence sur le fonctionnement du
Club. En outre, selon les recourants, la Cour de justice
aurait perdu de vue que le défendeur a propagé ses déclara-
tions dans un milieu syndical.

b) L'art. 2 LCD dispose qu'est déloyal et illicite
tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou
qui contrevient de toute autre manière aux règles de la
bonne
foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou
entre
fournisseurs et clients. Agit en particulier de façon déloya-
le celui qui dénigre autrui, ses marchandises, ses oeuvres,
ses prestations, ses prix ou ses affaires par des
allégations
inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes (art. 3
let. a LCD). Une allégation n'est pas déjà illicite au sens
de l'art. 3 let. a LCD du seul fait qu'elle dénigre les mar-
chandises d'un concurrent; il faut qu'elle soit encore
inexacte - c'est-à-dire contraire à la réalité -, ou bien
fallacieuse - soit exacte en elle-même, mais susceptible,
par
la manière dont elle est présentée ou en raison de
l'ensemble
des circonstances, d'éveiller chez le destinataire une
impression fausse, - ou encore inutilement blessante - à sa-
voir qu'elle donne du concurrent, respectivement de ses pres-
tations au sens large, une image négative, outrancière, que
la lutte économique ne saurait justifier (ATF 124 III 72 con-
sid. 2b/aa; Mario M. Pedrazzini, Unlauterer Wettbewerb,
n. 5.2.3, p. 74 s.).

c) In casu, on ne voit pas comment le défendeur au-
rait dénigré CDE S.A. en avisant les syndicats que le Club
avait désormais la structure juridique d'une société anonyme
et qu'il n'était plus en mains syndicales. Il n'est en effet
pas contesté que l'information était strictement véridique.
En outre, l'information n'avait aucun caractère secret, du
moment qu'elle avait fait l'objet d'une parution dans la
FOSC
le 7 mars 1995 (cf. art. 643 et 931 al. 1 CO). Enfin, annon-
cer qu'un réseau de distribution de vins et autres produits
alimentaires est exploité sous la forme d'une société
anonyme
dont les actionnaires ne sont pas des anciens syndicalistes
ne jette aucun discrédit sur l'entreprise ou ses produits.
Lorsque les recourants semblent affirmer que l'intimé les a
qualifiés de "suppôts du capitalisme", ils présentent une
version des faits qui n'a pas été retenue par les juges can-
tonaux, laquelle est irrecevable (art. 63 al. 2 OJ).

Le moyen est privé de tout fondement.

3.- a) Les recourants allèguent qu'ils ont démon-
tré que l'intimé a participé à la création d'une entreprise
concurrente proposant les mêmes produits que CDE S.A. sous
une forme identique, ce qui était de nature à faire naître
une confusion avec les prestations offertes par la demande-
resse au sens où l'entend l'art. 3 let. d LCD. N'ayant pas
suivi ce point de vue, la Cour de justice aurait transgressé
le droit fédéral.

b) Pour tomber sous le coup de l'art. 3 let. d LCD,
l'acte qui fait naître une confusion notamment avec les pres-
tations d'autrui doit constituer un comportement trompeur ou
contrevenir de toute autre manière aux règles de la bonne
foi
conformément à la condition générale de l'art. 2 LCD. Agit
ainsi de façon déloyale celui qui égare le public en créant
un risque de confusion avec un concurrent qui jouit d'une
renommée. Le
risque de confusion est une notion de droit qui

est examinée librement par le Tribunal fédéral. Il faut en
juger selon la manière dont le public en général perçoit la
prestation litigieuse, à moins qu'il faille prendre en
compte
la perception des cercles spécifiques de la branche en ques-
tion (ATF 126 III 239 consid. 3a; 125 III 193 consid. 1b;
116
II 365 consid. 3b).

c) En l'espèce, comme la cour cantonale l'a relevé,
les réseaux de distribution de vins et de divers aliments
qui
ont été créés après la transformation du Club en société ano-
nyme ont proposé leurs produits en indiquant clairement, en
première page de leurs bulletins de commande, leur nom, qui
suivi de leur adresse et numéro de téléphone ("Vinalis
Club",
"Club de la Solidarité"), qui suivi du groupe industriel
dont
il émanait ("l'Economie du Chablais"). Il n'apparaît donc
pas
qu'un acheteur un tant soit peu attentif soit amené à croire
que l'offre de ces groupements puisse provenir de CDE S.A.

Les recourants ne peuvent rien tirer du fait que la
présentation des bulletins de commande desdites entreprises
concurrentes se rapproche de celle adoptée par le propre bul-
letin de commande de CDE S.A. De par leur destination, de
tels bulletins de commande doivent presque obligatoirement
comporter, après l'indication de l'origine du vin ou de la
nature de l'aliment qui sont offerts en souscription, un
descriptif détaillé des différents crus ou des quantités et
qualités des denrées alimentaires, avec, en regard, le prix
proposé.

Le moyen est totalement infondé.

4.- Comme aucun acte de concurrence déloyale n'a
été commis par le défendeur, c'est à bon droit que
l'autorité
cantonale a jugé que l'action en dommages-intérêts des deman-
deurs fondée sur l'art. 9 al. 3 LCD devait être rejetée.

Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la
mesure de sa recevabilité, l'arrêt attaqué étant confirmé.
Les frais et dépens doivent être mis solidairement à la
charge des recourants qui succombent (art. 156 al. 1 et 7,
art. 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 8000 fr. solidai-
rement à la charge des recourants;

3. Dit que les recourants verseront solidairement à
l'intimé une indemnité de 10 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de justice du canton de
Genève.

____________

Lausanne, le 26 juillet 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.109/2000
Date de la décision : 26/07/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-26;4c.109.2000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award