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24/07/2000 | SUISSE | N°4P.36/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 juillet 2000, 4P.36/2000


«AZA 3»

4P.36/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

24 juillet 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Nyffeler, juges.

Greffier: M. Carruzzo.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Agnès Reboul, à St-Sulpice, représentée par Me Alain-Valéry
Poitry, avocat à Nyon,

contre

le jugement rendu le 22 février 1999 par la Cour civile du
Tribunal canto

nal du canton de Vaud dans la cause qui oppose
la recourante à Jacqueline Peter, à Coppet, représentée par
Me Bernard Cron, avoca...

«AZA 3»

4P.36/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

24 juillet 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Nyffeler, juges.

Greffier: M. Carruzzo.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Agnès Reboul, à St-Sulpice, représentée par Me Alain-Valéry
Poitry, avocat à Nyon,

contre

le jugement rendu le 22 février 1999 par la Cour civile du
Tribunal cantonal du canton de Vaud dans la cause qui oppose
la recourante à Jacqueline Peter, à Coppet, représentée par
Me Bernard Cron, avocat à Lausanne;

(art. 9 Cst.; procédure civile vaudoise, appréciation des
preuves)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Jacqueline Peter (défenderesse) est la nièce et
la filleule d'Agnès Reboul (demanderesse). Ces deux
personnes
étaient très liées. La demanderesse a toujours été très géné-
reuse envers les siens, en particulier, avant leur mésenten-
te, avec la défenderesse et sa famille.

Le 31 octobre 1977, la défenderesse a signé un acte
sous seing privé, intitulé "reconnaissance de dette", où
elle
se reconnaissait débitrice de la demanderesse de la somme de
400 000 fr., qui lui avait été remise en prêt. Le même jour,
elle a acquis un immeuble à Coppet pour le prix de 390 000
fr.

Après diverses péripéties, dont une renonciation
aux intérêts, la signature de quittances annuelles d'amortis-
sements de 10 000 fr. entre 1978 et 1987, la donation à la
défenderesse, en 1985, de trois immeubles sis à Le Vaud, la
brouille survenue en 1988, une procédure en séparation de
corps entre la défenderesse et son mari, où a été évoqué le
versement litigieux de 400 000 fr., la demanderesse a intro-
duit, en 1996, une poursuite de 300 000 fr. contre la défen-
deresse. Le 18 juin 1996, le Président du Tribunal du dis-
trict de Nyon a rejeté une requête de mainlevée d'opposition
présentée par la demanderesse, au motif que la défenderesse
avait "rendu suffisamment vraisemblable que la poursuivante
avait voulu lui faire une avance d'hoirie de 400 000 fr. et
que le contrat signé le 31 octobre 1977 constitu[ait] en réa-
lité un acte simulé par lequel les parties [avaient] voulu
créer l'apparence d'un prêt dans le but d'éviter un impôt
sur
la donation".

B.- Le 18 octobre 1996, la demanderesse a assigné
la défenderesse en paiement de la somme de 300 000 fr., plus
intérêts, et en mainlevée définitive de l'opposition.

Par jugement du 22 février 1999, la Cour civile du
Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté les conclusions
de la demanderesse. Après avoir examiné les éléments de preu-
ve qui lui avaient été fournis, elle a retenu que la recon-
naissance de dette signée par la défenderesse le 31 octobre
1977 était un acte simulé. En effet, selon les premiers ju-
ges, il ressortait suffisamment des indices fournis par la
défenderesse que les parties avaient eu l'intention, en
1977,
de conclure un prêt afin de dissimuler une donation. Ulté-
rieurement, vraisemblablement par dépit, la demanderesse,
qui
se plaignait d'un manque de gratitude et qui avait peut-être
été déçue par l'échec du mariage de la défenderesse, en
était
venue à se prévaloir de l'acte apparent, mais simulé, pour
remettre en cause la libéralité sous-jacente, mais sincère.

C.- La demanderesse a formé un recours de droit pu-
blic, fondé sur l'art. 9 Cst., en vue d'obtenir l'annulation
du jugement de la Cour civile. Elle y invoque une apprécia-
tion arbitraire des preuves.

La défenderesse conclut au rejet du recours.

La Cour civile se réfère aux motifs énoncés dans
son jugement.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le Tribunal fédéral examine d'office et li-
brement la recevabilité du recours de droit public (ATF 124
I
11 consid. 1).

Aux termes de l'art. 86 al. 1 OJ, le recours de
droit public n'est recevable qu'à l'encontre des décisions
prises en dernière instance cantonale. Cette disposition si-
gnifie que les griefs soulevés devant le Tribunal fédéral ne
doivent plus pouvoir faire l'objet d'un recours ordinaire ou
extraordinaire de droit cantonal (ATF 119 Ia 421 consid. 2b).

Il faut donc examiner si, en procédure civile vau-
doise, le grief tiré de l'appréciation arbitraire des
preuves
peut faire l'objet du recours en nullité de l'art. 444 CPC
vaud., lequel est recevable contre tout jugement principal
d'une autorité judiciaire quelconque, et plus particulière-
ment "pour violation des règles essentielles de la
procédure"
(art. 444 al. 1 ch. 3 CPC vaud.).

Dans un arrêt non publié du 23 novembre 1995, en la
cause 4P.145/1995 (consid. 1), le Tribunal fédéral a posé
que, bien que la jurisprudence cantonale ne soit pas fixée
fermement sur ce point et mériterait de l'être une fois pour
toutes par un arrêt de principe, le grief tiré de l'apprécia-
tion arbitraire des preuves ne constituait apparemment pas
un
motif de nullité au sens de l'art. 444 al. 1 ch. 3 CPC vaud.
Il s'est référé à trois arrêts cantonaux et à deux avis de
doctrine, en relevant toutefois que deux arrêts relativement
récents semblaient vouloir conférer à l'autorité cantonale
de
recours, saisie d'un recours en nullité, un pouvoir
d'examen,
certes fort restreint, dans le domaine de l'appréciation des
preuves. Constatant que la situation n'était pas du tout
claire et que, dans ces conditions, on ne pouvait affirmer
avec certitude que le recourant aurait dû soumettre le grief
de déni de justice matériel à la Chambre des recours du Tri-
bunal cantonal vaudois avant de saisir le Tribunal fédéral,
ce dernier a considéré que le doute qui subsistait à ce
sujet
permettait de faire abstraction, en l'occurrence, d'une éven-
tuelle violation de la règle de l'épuisement préalable des
instances cantonales (art. 86 al. 1 OJ), conformément à la

jurisprudence en la matière (ATF 116 Ia 442 consid. 1a). Il
est donc entré en matière sur le recours de droit public.

b) Toutefois, depuis lors, dans un arrêt du 4 fé-
vrier 1998, publié au JdT 1999 III 89 (consid. 1a), la Cham-
bre des recours du Tribunal cantonal vaudois a estimé que
l'on pouvait "exceptionnellement admettre un moyen de
nullité
fondé sur l'appréciation arbitraire des preuves lorsque le
premier juge a[vait] par exemple établi un état de fait qui
[était] choquant au regard des preuves administrées". Elle
admet ainsi l'ouverture d'un recours en nullité cantonal à
l'encontre de l'appréciation des preuves dans les mêmes limi-
tes restrictives que celles assignées par le Tribunal
fédéral
au recours de droit public pour arbitraire dans l'apprécia-
tion des preuves. Les rédacteurs du Journal des Tribunaux
ont
compris de la sorte le considérant précité, puisqu'ils l'ont
résumé comme il suit dans l'en-tête de l'arrêt: "Le recours
en nullité est ouvert pour appréciation arbitraire des preu-
ves, celle-ci constituant la violation d'une règle essentiel-
le de procédure, mais le pouvoir de l'autorité de recours
est
restreint et ne peut en particulier porter sur l'opportunité
de procéder à des mesures d'instruction".

Sur le vu de ce dernier arrêt, on ne peut plus di-
re, comme dans l'arrêt précité du 23 novembre 1995, que la
situation n'est pas du tout claire et que, dans ces condi-
tions, il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que
la
recourante aurait dû soumettre le grief de déni de justice
matériel à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vau-
dois avant de saisir le Tribunal fédéral. Force est, au con-
traire, de constater que la voie du recours en nullité canto-
nal pour appréciation arbitraire des preuves est bel et bien
ouverte. La recourante aurait donc dû soumettre ses griefs
d'arbitraire dans l'appréciation des preuves à la Chambre
des
recours du Tribunal cantonal vaudois avant de saisir le Tri-
bunal fédéral. En agissant directement par la voie du
recours

de droit public, elle a dès lors violé la règle de l'épuise-
ment préalable des instances cantonales, posée à l'art. 86
al. 1 OJ, de telle sorte que son recours doit être déclaré
irrecevable.

c) Cette solution - il convient de le souligner -
est en harmonie avec celle de la procédure pénale vaudoise,
qui ouvre la voie du recours cantonal en nullité pour appré-
ciation arbitraire des preuves (art. 411 let. i CPP vaud.;
Bersier, Le recours à la Cour de cassation pénale du
Tribunal
cantonal vaudois en procédure vaudoise, in JdT 1996 III 65
ss, 83 s. ch. 26 et 27). La Cour de cassation du Tribunal fé-
déral en a tiré les conséquences logiques en posant, dans un
arrêt récent, que le recourant ne peut en principe pas criti-
quer, dans le cadre d'un recours de droit public, une consta-
tation de fait pour arbitraire qu'il n'a pas précédemment
contestée dans le recours en nullité à la Cour de cassation
pénale vaudoise (arrêt non publié du 28 avril 1999, dans la
cause 6P.22/1999, consid. 4b).

Le recours cantonal en nullité pour arbitraire dans
l'appréciation des preuves ne peut ainsi plus être considéré
comme étranger à la procédure vaudoise, tant au civil qu'au
pénal.

2.- La recourante, qui succombe, devra payer l'émo-
lument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ) et verser des dépens à
l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Déclare le recours irrecevable;

2. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 7000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

___________

Lausanne, le 24 juillet 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.36/2000
Date de la décision : 24/07/2000
1re cour civile

Analyses

Recevabilité du recours de droit public; épuisement des moyens de droit cantonal. Recours en nullité en procédure civile vaudoise. En procédure civile vaudoise, le recours en nullité est ouvert pour appréciation arbitraire des preuves (consid. 1).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-24;4p.36.2000 ?
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