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19/07/2000 | SUISSE | N°1P.82/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 juillet 2000, 1P.82/2000


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1P.82/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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19 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aeschlimann, Juge
présidant, Catenazzi et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

W.________, représenté par Me Alain Berger, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 15 décembre 1999 par le Conseil d'Etat
du canton de Genève;

(refus de promotion; droit d'être ente

ndu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Né en 1951, W.________ est entré au c...

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1P.82/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

19 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aeschlimann, Juge
présidant, Catenazzi et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

W.________, représenté par Me Alain Berger, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 15 décembre 1999 par le Conseil d'Etat
du canton de Genève;

(refus de promotion; droit d'être entendu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Né en 1951, W.________ est entré au corps de
police de la Police de sûreté genevoise en 1973 avant d'être
nommé inspecteur en 1974, puis inspecteur principal adjoint
en 1991.

Dans une note adressée le 25 octobre 1999 à la pré-
sidence du Département cantonal de justice et police et des
transports (ci-après, le Département), le Chef de la Police
de sûreté a proposé que W.________ ne soit pas nommé inspec-
teur principal au 1er février 2000 et que sa situation soit
à
nouveau évaluée à la fin de l'an 2000, en vue d'une éven-
tuelle nomination au 1er février 2001. Il se référait aux
qualifications établies en 1996, 1998 et 1999, qu'il
estimait
peu satisfaisantes, s'agissant en particulier des aptitudes
au commandement, respectivement jugées "suffisant", "moyen"
et "faible". Compte tenu de cette situation, il a proposé de
soumettre le cas de W.________ à la Commission instituée par
l'art. 27 al. 2 de la loi genevoise sur la police, du 26 oc-
tobre 1957 (LPol), chargée d'émettre un préavis lorsque le
département entend déroger aux règles en matière de
promotion
dans le corps de police (ci-après, la Commission).

Siégeant le 26 novembre 1999 dans la composition
prévue par l'art. 27 al. 2 LPol, la Commission a examiné la
proposition de la hiérarchie consistant à ne pas nommer
W.________ inspecteur principal à fin 1999, à le transférer
dans une autre brigade en 2000 et à procéder à une nouvelle
évaluation à fin 2000. Selon le procès-verbal de la séance,
le Chef du Département et le Chef de la Police de sûreté ont
soutenu cette proposition alors que les deux représentants
du
personnel l'ont combattue, le Chef de la police genevoise
s'étant abstenu. L'auteur du procès-verbal indique qu'"en

conséquence, le Département recommandera au Conseil d'Etat
la
solution préconisée par la hiérarchie".

Adoptant le préavis de la Commission, le Conseil
d'Etat genevois a décidé, le 15 décembre 1999, de ne pas nom-
mer l'inspecteur principal adjoint W.________ au grade d'ins-
pecteur principal au 1er février 2000, de le transférer dans
une autre brigade dès le début de l'an 2000 et de procéder à
une nouvelle évaluation de sa situation à la fin de l'an
2000.

B.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 9 et 29 al. 2 Cst., W.________ de-
mande au Tribunal fédéral d'annuler cette décision. Il voit
une violation de son droit d'être entendu dans l'impossibi-
lité qu'il a rencontrée de participer à l'établissement des
faits et de faire valoir ses arguments devant la Commission
et devant le Conseil d'Etat, ainsi que dans "la totale absen-
ce de motivation de la décision" de cette dernière autorité.
Il se plaint également d'une application arbitraire de
l'art.
27 LPol.

La procédure a été suspendue du 3 mars au 13 juin
2000, dans l'attente de la décision de la Commission de re-
cours des fonctionnaires de police et de la prison du canton
de Genève, intervenue le 2 mai 2000.

Invité à répondre, le Département conclut au rejet
du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
126
I 81 consid. 1 p. 83 et les arrêts cités).

a) Aux termes de l'art. 88 OJ, ont qualité pour for-
mer un recours de droit public les particuliers ou les col-
lectivités lésés par des arrêtés ou décisions qui les concer-
nent personnellement ou qui sont d'une portée générale;
cette
voie de recours leur est ouverte uniquement pour qu'ils puis-
sent faire valoir leurs intérêts juridiquement protégés; en
revanche, elle ne permet pas de défendre des intérêts de por-
tée générale ou de purs intérêts de fait. La qualité pour
agir par la voie du recours de droit public se détermine ex-
clusivement selon l'art. 88 OJ; il est sans importance que
la
qualité de partie ait ou non été reconnue au recourant en
procédure cantonale (ATF 126 I 43 consid. 1a p. 44). En ce
qui concerne plus particulièrement l'interdiction de l'arbi-
traire - qui prévaut dans toute activité étatique -, la ju-
risprudence considère qu'elle ne confère pas, à elle seule,
un droit juridiquement protégé au sens de l'art. 88 OJ (ATF
123 I 279 consid. 3c/aa p. 280). La qualité pour former un
recours fondé sur l'art. 4 aCst. ou 9 Cst. dépend bien
plutôt
du fait que la législation dont l'interprétation ou l'appli-
cation arbitraire est alléguée accorde un droit au recourant
(ATF 126 I 33 consid. 1 p. 34) ou a pour but de le protéger
d'une atteinte à ses intérêts (ATF 117 Ia 90 consid. 2b p.
93).

b) Selon l'art. 27 al. 1 let. b LPol, les promotions
dans la police de sûreté se font selon le rang du matricule
pour les grades d'inspecteur principal adjoint et d'inspec-
teur principal. Les fonctionnaires de la police genevoise
peuvent donc en principe déduire de cette norme un droit à
la

promotion à l'un de ces grades lorsqu'ils en réunissent les
conditions. Toutefois, l'art. 27 al. 2 LPol permet au Dépar-
tement de déroger à cette règle, après avoir recueilli le
préavis de la commission instituée à cet effet. L'incidence
de cette faculté dérogatoire sur la qualité pour agir au
fond
d'un inspecteur qui n'aurait pas été promu au grade d'inspec-
teur principal adjoint ou d'inspecteur principal en dépit de
son ancienneté peut demeurer indécise, car le recours doit
de
toute façon être admis pour des motifs formels que
W.________
est habilité à invoquer.

En effet, même s'il n'a pas qualité pour agir au
fond, un recourant peut se plaindre de la violation d'une ga-
rantie de procédure qui équivaut à un déni de justice
formel.
Dans un tel cas, l'intérêt juridiquement protégé exigé par
l'art. 88 OJ découle non pas du droit de fond, mais du droit
de participer à la procédure. Un tel droit existe lorsque le
recourant avait qualité de partie en procédure cantonale. Si
tel est le cas, il peut se plaindre de la violation des
droits de partie que lui reconnaît la procédure cantonale ou
qui découlent directement de dispositions constitutionnelles
(ATF 125 II 86 consid. 3b p. 94). Tel est notamment le cas
du
grief de violation du droit d'être entendu, que le recourant
peut invoquer indépendamment de sa qualité pour agir sur le
fond. Comme il ne fait pas valoir la violation de règles de
droit cantonal de procédure régissant son droit d'être en-
tendu, c'est à la lumière de l'art. 4 aCst., applicable à la
présente procédure dans la mesure où la décision attaquée a
été prise avant le 1er janvier 2000, date de l'entrée en vi-
gueur de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, qu'il
convient d'examiner le moyen avancé (ATF 126 I 15 consid. 2a
p. 16 et les arrêts cités).

En revanche, il ne saurait se plaindre d'une appré-
ciation prétendument arbitraire des preuves, ni du fait que
des moyens de preuve ont été écartés pour défaut de perti-

nence ou par appréciation anticipée (ATF 122 V 157 consid.
1d
p. 162 et la jurisprudence citée). De même, il ne peut en
principe pas soulever le grief de motivation insuffisante de
la décision attaquée ou d'une réfutation insuffisante des ar-
guments développés dans le recours. L'examen de ces
questions
ne peut en général pas être séparé de l'examen du fond lui-
même; or celui qui n'a pas qualité pour recourir au fond ne
peut pas exiger un tel examen (ATF 120 Ia 227 consid. 1 p.
230).

c) En l'espèce, le recourant ne se trouve pas con-
fronté à une motivation insuffisante de la décision attaquée
ou à la réfutation insuffisante de ses arguments, mais à une
absence totale de motivation équivalant à un déni de justice
formel, qui peut aisément être distinguée de l'examen de
l'objet du litige sur le fond et être traitée indépendamment
de celui-ci au titre de la protection des garanties
générales
de procédure, notamment de l'art. 4 aCst. Dans ce sens, il
est habilité à faire valoir cet aspect du droit d'être enten-
du que représente l'obligation de motiver, à la charge de
l'autorité qui rend une décision, indépendamment de sa qua-
lité pour agir sur le fond.

2.- a) L'obligation de motiver est un élément essen-
tiel du droit d'être entendu. Elle a pour but que
l'intéressé
puisse comprendre la décision rendue à son égard et l'atta-
quer utilement, s'il y a lieu, devant l'autorité de recours
qui doit pouvoir exercer son contrôle. Pour mieux répondre à
ces exigences, il suffit que l'autorité mentionne, au moins
brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle
a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse
comprendre la portée de celle-ci et l'attaquer en connais-
sance de cause. Aucune prétention à une motivation écrite
exhaustive de la décision n'est reconnue. Il y a cependant
violation du droit d'être entendu si l'autorité ne satisfait
pas à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problè-

mes pertinents (ATF 125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 V 180
consid. 1a in fine p. 181; 124 II 146 consid. 2a p. 149; 122
IV 8 consid. 2c p. 14/15 et les références citées).

b) En l'occurrence, il ressort du procès-verbal de
la séance de la Commission du 26 novembre 1999 que deux voix
étaient opposées à la nomination immédiate du recourant au
grade d'inspecteur principal, au profit d'une nouvelle éva-
luation à fin 2000, alors que cette proposition était soute-
nue par deux voix, le dernier membre s'étant abstenu. Ainsi,
au terme de cette séance, la Commission n'était pas en
mesure
de formuler un préavis à l'intention du Conseil d'Etat, puis-
qu'aucune majorité ne se dégageait en faveur de la proposi-
tion de la hiérarchie ou, au contraire, de la nomination du
recourant au grade d'inspecteur principal. Par deux voix
contre deux, les votes étaient équilibrés, le Chef de la po-
lice genevoise estimant ne pas pouvoir juger concrètement,
même s'il avait "plutôt une bonne impression de cet inspec-
teur".

En sa qualité d'organe d'instruction de la procédure
sur laquelle tranche finalement le Conseil d'Etat, la Commis-
sion instituée par l'art. 27 al. 2 LPol doit formuler une
proposition claire et univoque, dégagée par une majorité de
ses membres, pour permettre au gouvernement cantonal de
faire
du préavis la motivation de sa propre décision ou, au con-
traire pour s'en écarter en indiquant les raisons qui l'empê-
chent de le suivre; dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat
doit lui-même respecter le droit d'être entendu du fonction-
naire de police en cause. Il est sans importance que la loi
ne prévoie pas la forme du préavis, lequel peut être écrit,
comme la pratique l'a retenu jusqu'à présent, ou éventuelle-
ment consister en une communication orale du Président du Dé-
partement aux autres membres du Conseil d'Etat; ce qui est
déterminant, c'est que dans les deux hypothèses, cette auto-
rité doit prendre connaissance de la volonté collective de
la

Commission, concrétisée par une majorité trouvée en son sein
et s'appuyant sur des considérations suffisantes pour lui
permettre de prendre une décision dûment motivée et conforme
aux garanties générales de procédure.

Tel n'est pas le cas en l'espèce. A défaut d'une ma-
jorité en faveur de la proposition de la hiérarchie, l'abs-
tention du Chef de la police genevoise ne pouvant pas être
tenue pour un vote positif, aucun préavis au sens de l'art.
27 al. 2 et 3 Lpol n'a pu être communiqué au Conseil d'Etat.
Cette dernière autorité ne pouvait en conséquence pas s'en
rapporter à la procédure qui s'était déroulée devant la Com-
mission et adopter son préavis, qui était inexistant. En
l'absence de motivation, la décision du Conseil d'Etat du 15
décembre 1999 doit être annulée.

c) Le recours doit donc être admis pour ce motif et
la décision attaquée être annulée, sans qu'il soit
nécessaire
d'examiner plus avant les autres griefs soulevés par le re-
courant en relation notamment avec son droit d'être entendu.
La procédure est ainsi replacée dans l'état où elle se trou-
vait avant la séance du 26 novembre 1999, pour la
formulation
d'un nouveau préavis émis dans le respect des droits, notam-
ment du droit d'être entendu, du recourant. On observera à
ce
sujet que l'information donnée par le Chef de la police de
sûreté au recourant, quant à la convocation d'une séance de
la Commission, était un élément d'information dont a pu béné-
ficier ce dernier, mais qui n'était pas suffisant au regard
des exigences de l'art. 4 aCst.

3.- Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu de per-
cevoir un émolument judiciaire (art. 156 al. 2 OJ). En revan-
che, l'Etat de Genève versera une indemnité de dépens au re-
courant qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un hom-
me de loi (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours.

2. Annule la décision du Conseil d'Etat du canton de
Genève du 15 décembre 1999.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Dit que l'Etat de Genève versera au recourant une
indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens.

5. Communique le présent arrêt en copie au manda-

taire du recourant et au Conseil d'Etat du canton de Genève.

Lausanne, le 19 juillet 2000
PMN/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Juge présidant,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.82/2000
Date de la décision : 19/07/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-19;1p.82.2000 ?
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