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13/07/2000 | SUISSE | N°5C.68/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 juillet 2000, 5C.68/2000


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5C.68/2000

IIe C O U R C I V I L E
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13 juillet 2000

Composition de la Cour: M. Weyermann, juge présidant, M. Ra-
selli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile pendante

entre

X.________, Compagnie d'assurances vie, défenderesse et
recourante, représentée par Me Philippe Bauer, avocat à
Neuchâtel,

et

P.________, demandeur et intimé, représenté par Me Philippe
Juvet, avocat à Neuchâtel;

(contrat d'as

surance; prescription)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Selon une police de prévo...

«»
5C.68/2000

IIe C O U R C I V I L E
**************************

13 juillet 2000

Composition de la Cour: M. Weyermann, juge présidant, M. Ra-
selli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile pendante

entre

X.________, Compagnie d'assurances vie, défenderesse et
recourante, représentée par Me Philippe Bauer, avocat à
Neuchâtel,

et

P.________, demandeur et intimé, représenté par Me Philippe
Juvet, avocat à Neuchâtel;

(contrat d'assurance; prescription)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Selon une police de prévoyance liée, B.________
était assuré sur la vie, dès le 1er juin 1990, par
X.________, Compagnie d'assurances vie (ci-après: la défende-
resse). En cas de vie au 1er mai 2019, il devait toucher
87'868 fr.; en cas de décès avant cette date, la somme
devait
être versée, en quatrième ligne, à ses frères et soeurs.

L'assuré est décédé le 6 mars 1995 en laissant pour
seul héritier légal son frère P.________ (ci-après: le de-
mandeur). La défenderesse en a été avisée le même jour. A sa
demande, un acte de décès lui a été transmis, ainsi que deux
certificats médicaux et un rapport médical complémentaire.
La
défenderesse a néanmoins refusé de verser le capital assuré
au motif que les renseignements donnés n'étaient pas suffi-
sants. Elle a entrepris elle-même certaines investigations
pour savoir si l'assuré avait été traité par un médecin
entre
1985 et 1990, notamment auprès de la Sécurité sociale fran-
çaise. Celle-ci a toutefois refusé de la renseigner en se
réfugiant derrière le secret professionnel. Par lettre du 31
octobre 1996, la défenderesse a fait savoir au mandataire du
demandeur que bien que l'assuré eût délié les autorités, mé-
decins, hôpitaux, sanatoriums, etc. du secret professionnel,
la caisse régionale d'assurance maladie en France avait refu-
sé de lui fournir tout renseignement; elle le priait dès
lors
de faire le nécessaire auprès de ladite caisse pour que lui
soient procurés les éléments dont elle avait besoin pour
l'examen du droit aux prestations.

B.- Le 28 novembre 1997, le demandeur a ouvert ac-
tion contre l'assureur en paiement de la somme de 87'868
fr.,
prétention portée par la suite à 97'860 fr., avec intérêts à
5% dès le 7 avril 1995. Jusqu'à cette date, il n'avait effec-
tué aucun acte susceptible d'interrompre la prescription,

bien que son mandataire eût menacé à plusieurs reprises la
défenderesse de lui faire notifier un commandement de payer.
Après avoir vainement invoqué l'incompétence à raison du
for,
moyen qui a été rejeté par jugement préjudiciel du 10 septem-
bre 1998, la défenderesse a soulevé l'exception de prescrip-
tion.

Par jugement du 31 janvier 2000, la IIe Cour civile
du Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté l'exception de
prescription, soulevée à son avis à l'encontre des règles de
la bonne foi, et a condamné la défenderesse à verser au de-
mandeur la somme de 97'860 fr. plus intérêts à 5% dès le 7
avril 1995. Le demandeur plaidant au bénéfice de
l'assistance
judiciaire, la défenderesse a en outre été condamnée à rem-
bourser à l'Etat les frais avancés pour le compte du deman-
deur par 4'400 fr. et à payer l'indemnité de dépens, soit
5'000 fr., due au mandataire d'office du demandeur.

C.- Par acte du 6 mars 2000, la défenderesse a in-
terjeté un recours en réforme pour fausse application de
l'art. 2 CC. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à
l'annulation du jugement du 31 janvier 2000 et au rejet de
la
demande, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.

Le demandeur conclut au rejet du recours dans la me-
sure où il est recevable.

Par décision du 5 juin 2000, l'assistance
judiciaire
a été accordée au demandeur.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Les allégations de la défenderesse relatant
dans le détail la correspondance échangée entre les parties
du 14 juin 1995 au 26 février 1996 sont irrecevables car, à
l'exception de la référence aux menaces réitérées de comman-
dements de payer, on ne trouve rien à ce sujet dans le juge-
ment attaqué et le Tribunal fédéral doit en principe fonder
son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par
l'autorité cantonale de dernière instance (art. 63 al. 2 OJ).

2.- a) Les motifs pour lesquels la Cour cantonale
a
jugé le comportement de la défenderesse contraire aux règles
de la bonne foi sont en substance les suivants: la défende-
resse n'a rien fait pour expliquer les raisons de son compor-
tement au demandeur et au tribunal; elle n'a pas produit la
proposition d'assurance ni les certificats médicaux, de
sorte
qu'on ne savait pas pourquoi elle recherchait le nom des mé-
decins traitants français de l'assuré; elle a néanmoins sol-
licité le demandeur de participer à ses investigations, sans
lui donner de raison; or l'ayant-droit n'avait que le devoir
de fournir des renseignements sur les données qu'il connais-
sait, voire dont il était sûr; son devoir de collaboration
ne
pouvait aller jusqu'à faire lui-même des investigations,
soit
rechercher des renseignements qui n'étaient pas en sa posses-
sion; au demeurant, on ne voyait pas comment le demandeur au-
rait pu obtenir des renseignements sur son frère auprès de
la
Sécurité sociale française. La Cour cantonale a dès lors dé-
duit que la défenderesse avait prolongé les pourparlers enga-
gés par le demandeur sans raison véritable, sinon pour pou-
voir s'abriter ensuite derrière la très courte prescription
régissant le contrat d'assurance; une telle attitude ne pou-
vait être protégée; elle allait à l'encontre des règles de
la
bonne foi: en faisant croire à l'ayant-droit que seule l'ab-

sence de renseignements empêchait le règlement du sinistre,
la défenderesse l'avait en effet amené à patienter; elle ne
pouvait lui opposer ensuite l'exception de prescription.

b) A l'appui de son grief de violation de l'art. 2
CC, la recourante fait valoir qu'elle n'a pas détourné inten-
tionnellement le demandeur d'interrompre la prescription, ni
eu une attitude engageant celui-ci à ne pas procéder dans le
délai; à aucun moment elle n'a laissé accroire qu'elle admet-
trait les prétentions du demandeur, mais elle a répondu à
chacun de ses courriers en réclamant à chaque fois les mêmes
renseignements; par sa lettre du 31 octobre 1996, elle a
clairement fait savoir qu'en l'absence des renseignements de-
mandés, elle ne verserait pas le capital assuré; de plus, ni
dans sa demande ni dans sa réplique, le demandeur n'avait
prétendu avoir été victime d'un abus de droit; il ne s'était
intéressé à cette question qu'après que le juge instructeur
eut attiré l'attention des parties sur le fait que le tribu-
nal l'examinerait d'office. La recourante dit par ailleurs
mal comprendre les liens qui, de l'avis de la Cour
cantonale,
semblent exister entre la motivation d'un assureur lorsqu'il
cherche des renseignements au sujet d'un sinistre, le devoir
d'un ayant-droit de fournir des renseignements et le fait
d'invoquer la prescription; pour conclure au rejet d'une de-
mande, il suffirait de soulever l'exception de prescription
sans avoir à invoquer d'autres moyens de fait ou de droit.
La
recourante estime enfin que rien ne permettait d'admettre
qu'à un moment quelconque elle a eu une attitude engageant
le
demandeur à ne pas procéder dans le délai de prescription;
de
surcroît, le dernier contact entre parties avait eu lieu
plus
de 4 mois avant l'échéance du délai de prescription et le de-
mandeur a toujours été représenté par un mandataire profes-
sionnel.

3.- En vertu de l'art. 46 al. 1 LCA, les créances
qui dérivent du contrat d'assurance se prescrivent par deux
ans à dater du fait d'où naît l'obligation. En l'espèce, le
délai de prescription a commencé à courir dès la date du dé-
cès (6 mars 1995) pour arriver à échéance le 6 mars 1997, de
sorte que, au moment du dépôt de la demande (28 novembre
1997), la prescription était en soi acquise. La contestation
porte seulement sur la question de savoir si l'exception de
prescription devait être rejetée parce que son invocation
tombait sous le coup de l'abus de droit.

a) Le débiteur commet un abus de droit en se préva-
lant de la prescription, non seulement lorsqu'il amène astu-
cieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais
aussi lorsque, sans dol, il a un comportement qui donne au
créancier l'assurance qu'il sera payé et l'incite donc à re-
noncer à entreprendre des démarches juridiques pendant le dé-
lai de prescription, étant précisé que l'inaction du créan-
cier doit apparaître objectivement compréhensible (ATF 113
II
264 consid. 2e p. 269; 108 II 287 consid. 5b; 89 II 262 /263
consid. 4). Un tel comportement peut consister par exemple à
faire patienter le créancier par des pourparlers, en entrete-
nant l'espoir d'un règlement amiable. Selon la
jurisprudence,
le débiteur de mauvaise foi peut aussi se prévaloir de la
prescription sans pour autant commettre un abus de droit.
Seul le comportement positif à l'origine du manquement de dé-
lai - même dépourvu d'astuce - justifie la contre-exception
de l'abus de droit (ATF 83 II 93, p. 101).

b) A elle seule, l'intention de la défenderesse -
constatée par la Cour cantonale - de faire patienter le
demandeur pour pouvoir ensuite invoquer la prescription ne
justifie pas la contre-exception soulevée par le demandeur.
Il faut plutôt se demander si le comportement de la défende-

resse, par sa lettre du 31 octobre 1996 en particulier, a
rendu compréhensible l'inaction ou la réaction tardive du
demandeur.

Selon les constatations de la Cour cantonale, la dé-
fenderesse a exigé du demandeur qu'il participe à ses inves-
tigations infructueuses auprès de la Sécurité sociale fran-
çaise, sans lui dire pourquoi véritablement elle avait
besoin
des informations sollicitées; elle lui a ainsi fait croire
que seule l'absence de ces renseignements empêchait le règle-
ment du sinistre. Cela étant, le demandeur ne pouvait pas
compter avec la possibilité d'un arrangement amiable, comme
c'est le cas par exemple lorsque le débiteur fait dépendre
sa
décision relative aux prétentions du créancier d'éclaircisse-
ments en cours. Du courrier de la défenderesse du 31 octobre
1996, il ressort bien plutôt qu'elle n'était précisément pas
parvenue à obtenir les renseignements dont elle faisait dé-
pendre le règlement du sinistre, mais qu'elle attendait du
demandeur qu'il entreprît les démarches nécessaires auprès
des instances françaises. Le demandeur n'avait plus aucune
raison d'attendre pour ouvrir action, dès lors que, comme
l'expose l'autorité cantonale, il était d'avis qu'il ne lui
appartenait pas de faire lui-même des investigations. Il ne
fait d'ailleurs pas valoir qu'il se serait efforcé (vaine-
ment) d'obtenir les renseignements complémentaires en ques-
tion. Même s'il peut paraître surprenant que la défenderesse
n'ait pas fait connaître au demandeur la véritable raison de
sa quête de renseignements en vue du règlement du sinistre,
son comportement - considéré d'un point de vue objectif -
n'était pas propre à inciter le demandeur à patienter et à
faire naître en lui l'assurance qu'il serait payé. Eu égard
au fait justement qu'on ne pouvait pas, sur la base du der-
nier courrier de la défenderesse, s'attendre à ce que celle-
ci fût disposée à examiner le droit aux prestations en l'ab-

sence des renseignements en question, que la défenderesse
n'a
pas obtenu ces renseignements et que le demandeur lui-même
estimait qu'il n'avait pas à s'en soucier, il devait être
clair pour ce dernier qu'il ne pouvait pas compter obtenir
de
prestations et que s'il entendait maintenir ses prétentions,
il devait ouvrir action. Il sied également de tenir compte
en
particulier du fait que le demandeur était représenté par un
mandataire professionnel et que le délai de prescription
n'est arrivé à échéance que plusieurs mois après le courrier
incriminé.

Il résulte de ce qui précède que la
contre-exception
d'abus de droit est mal fondée et que l'exception de pres-
cription doit en revanche être admise. Il y a lieu, en consé-
quence, d'admettre le recours, d'annuler le jugement
cantonal
et de rejeter la demande.

4.- Vu l'issue du procès, le demandeur doit être
condamné aux frais et dépens de l'instance fédérale (art.
156
al. 1 et 159 al. 1 OJ). L'assistance judiciaire lui ayant
été
accordée, il y a lieu de prévoir que l'émolument judiciaire
sera supporté provisoirement par la Caisse du Tribunal fédé-
ral.

La cause est renvoyée à l'autorité intimée pour ce
qui concerne la répartition des frais et dépens de la procé-
dure cantonale.

Par ces motifs,

le T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule le jugement attaqué.

2. Rejette la demande.

3. Met l'émolument judiciaire de 1'500 fr. à la
charge de l'intimé, mais dit qu'il sera supporté provisoire-
ment par la Caisse du Tribunal fédéral.

4. Dit que l'intimé versera à la recourante une in-
demnité de 4'300 fr. à titre de dépens pour la procédure fé-
dérale.

5. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
Me Philippe Juvet une indemnité de 4'000 fr. à titre d'hono-
raires.

6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal canto-
nal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 13 juillet 2000
FYC/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Juge présidant,


Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.68/2000
Date de la décision : 13/07/2000
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-13;5c.68.2000 ?
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