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12/07/2000 | SUISSE | N°4C.41/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 juillet 2000, 4C.41/1999


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4C.41/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

____________

Dans la cause civile pendante
entre

M._______, demandeur et recourant, représenté par Me Eric C.
Stampfli, avocat à Genève,

et

X.________ S.A. en liquidation, défenderesse, intimée et
recourante par voie de jonction, représentée par Me Soli
Pardo, avoca

t à Genève,

et

Y.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Renato Loriol, avocat à Genève;

(salaire dû...

«»

4C.41/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

____________

Dans la cause civile pendante
entre

M._______, demandeur et recourant, représenté par Me Eric C.
Stampfli, avocat à Genève,

et

X.________ S.A. en liquidation, défenderesse, intimée et
recourante par voie de jonction, représentée par Me Soli
Pardo, avocat à Genève,

et

Y.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Renato Loriol, avocat à Genève;

(salaire dû au travailleur qui a passé un contrat de travail
avec chacun des associés d'une société simple)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) M._______, expert-comptable, est spécialisé
dans le domaine de la réorganisation comptable et financière
des sociétés.

B.________ est ingénieur et promoteur immobilier.
En 1993, B.________ était actionnaire unique ou majoritaire
de sociétés constituant un important groupe, dont notamment
la société E.________ S.A. (ci-après: E.________) et la
régie
immobilière W.________ S.A. (ci-après: W.________). A cette
époque, il était encore inscrit au registre du commerce
comme
administrateur de W.________ avec signature individuelle.
Toutefois, ses pouvoirs au sein de la W.________ avaient été
limités sur le plan interne dès janvier 1993; ainsi, un rè-
glement interne du conseil d'administration de la
W.________,
du 29 janvier 1993, énonçait ce qui suit: "Conformément à la
décision du conseil d'administration du 14 janvier 1993,
B.________ demeure inscrit au registre du commerce en
qualité
d'administrateur délégué avec signature individuelle, mais
renonce à toute fonction dirigeante au sein de la régie. Il
ne fera aucun usage externe de sa qualité d'administrateur
délégué et ne souscrira aucun engagement pour la société".

b) Par contrat du 10 mai 1993, M._______ a été en-
gagé par B.________ comme directeur financier à plein temps,
afin d'organiser la gestion administrative de la société
E.________ et des promotions B.________, puis, cela fait,
d'assurer la direction des opérations administratives, finan-
cières et comptables liées à cette société et aux activités
du promoteur. M._______ devait assumer parallèlement la di-
rection de la fiduciaire Y.________ S.A., laquelle, créée en
1991, avait repris le département de comptabilité et de fis-
calité de la W.________. M._______ devait enfin remplir la

tâche de conseiller comptable et financier au sein du groupe
B.________. La convention, portant l'intitulé "contrat de
travail", était conclue pour une durée indéterminée et sti-
pulait que le salaire de M._______ se monterait à 15 500 fr.
par mois dès 1994.

Le 2 juin 1993, le conseil d'administration de
Y.________ S.A. a décidé de considérer M._______ comme sala-
rié de la société, avec reprise des dispositions du contrat
signé avec B.________. Y.________ S.A. devait facturer à
B.________ ou à ses sociétés les prestations effectuées pour
chacune de ces dernières; la relation juridique directe
entre
M._______ et B.________ était toutefois maintenue.

Le contrat passé avec B.________ le 10 mai 1993 a
été modifié par un avenant du 6 septembre 1993, en considéra-
tion du fait qu'"une intervention à long terme et intensive
de la part de M._______ était définitivement envisagée pour
réorganiser la gestion du groupe (W.________)". Il était pré-
vu un délai de congé d'un an pour la fin d'une année civile.
Les sociétés Y.________ S.A., E.________ et W.________ repre-
naient les conditions du contrat du 10 mai 1993 dans les rap-
ports qu'elles pourraient avoir avec M._______.

Le 20 septembre 1993, la W.________ a confirmé
l'engagement de M._______ à la direction du groupe
W.________
aux mêmes conditions contractuelles que celles jusque-là en
vigueur avec B.________ personnellement.

Le 23 septembre 1993, B.________ a notamment préci-
sé par lettre à M._______ qu'il était engagé comme collabora-
teur à la direction du groupe W.________ sans titre particu-
lier jusqu'à nouvel ordre. Sa venue dans le groupe ne remet-
tait pas en cause ses relations contractuelles avec
B.________; jusqu'à nouvelle décision, la couverture de son
salaire et de ses charges sociales devait continuer d'être

assurée par B.________ et ne serait reprise par la
W.________
que si B.________ venait à faire défaut à ses engagements.

M._______ a pu disposer d'un bureau dans les locaux
de la W.________ et a été admis à la fondation de prévoyance
en faveur du personnel de ladite société.

Le 11 décembre 1993, B.________ a vendu à un tiers
le capital-actions de W.________.

Par courrier du 18 novembre 1994, Y.________ S.A. a
confirmé à M._______, à la demande de ce dernier, qu'il
était
considéré comme salarié à temps complet de la fiduciaire de-
puis le 1er décembre 1993, moyennant un salaire annuel de
185 000 fr.; Y.________ S.A. a précisé que les autres condi-
tions étaient identiques à celles conclues dans le cadre des
relations nouées par M._______ avec B.________ et E.________.

Le 10 janvier 1995, Y.________ S.A. a informé
M._______ que son salaire mensuel brut s'élèverait en 1995 à
15 833 fr.

c) Par courrier du 10 mars 1995, Y.________ S.A. a
résilié le contrat de M._______ pour l'échéance du 31 décem-
bre 1996 "selon les dispositions du contrat du 10 mai 1993
et
de son avenant du 6 septembre 1993, signé avec B.________",
accords que Y.________ S.A. déclarait avoir repris sans modi-
fication.

Le 17 juillet 1995, la W.________ a dressé la liste
des travaux d'organisation et de réorganisation restant à ef-
fectuer par M._______, selon un document signé par l'adminis-
trateur et directeur de la W.________.

Le 2 octobre 1995, une convention a été signée en-
tre Y.________ S.A. et M._______ dans les circonstances sui-

vantes. Dès les mois de juin et juillet 1995, Y.________
S.A., qui faisait toujours partie du groupe B.________,
s'était distancée de la W.________ à cause des dissensions
entre cette dernière et B.________, en sorte qu'elle n'avait
plus de raison d'être l'intermédiaire entre le groupe
B.________ et le groupe W.________. Pour sortir M._______ de
cette "structure", il a été convenu de ramener le terme du
contrat de travail au 31 décembre 1995, à condition que
Y.________ S.A. respecte les autres clauses du contrat et
paye notamment jusqu'à cette date les charges patronales et
salariales liées aux assurances sociales; en cas de non-
respect de l'une ou l'autre disposition de la convention,
M._______ pouvait exiger le retour aux conditions initiales,
singulièrement le respect de l'échéance contractuelle au 31
décembre 1996.

Le 6 novembre 1995, Y.________ S.A. a informé la
W.________ qu'elle entendait cesser d'agir comme intermédiai-
re entre cette dernière et M._______. Elle a rappelé qu'en
qualité de fiduciaire du groupe B.________, elle devait main-
tenir "une relation contractuelle parallèle de travail
(seule
officielle vis-à-vis de tiers, mais contractuellement cumula-
tive/sauf le salaire)" à l'endroit de M._______ et facturer
le salaire et les charges sociales de l'intéressé aux socié-
tés du groupe B.________. Y.________ S.A. a affirmé que
lorsque la W.________ était sortie du groupe B.________,
M._______ avait été rapidement occupé à plein temps par la
W.________ et qu'il avait alors cessé de traiter des
affaires
de B.________. Cependant, compte tenu des liens maintenus en-
tre la W.________ et Y.________ S.A., celle-ci a continué à
facturer mensuellement à la régie les salaires et charges so-
ciales de M._______. Y.________ S.A. invitait la W.________
à
régler ses relations juridiques avec M._______.

d) Le 13 décembre 1995, M._______ est tombé malade
et a touché jusqu'au 30 juin 1996 des indemnités pour perte
de gain.

Au printemps 1996, un litige s'est élevé entre
Y.________ S.A. et M._______ à propos de la prestation de
libre passage de ce dernier. Le 21 avril 1996, M._______
s'est prévalu de la convention du 2 octobre 1995 et du non-
respect par Y.________ S.A. de ses obligations, pour exiger
le retour à l'échéance du 31 décembre 1996 prévue par le con-
trat de travail du 10 mai 1993 et l'avenant du 6 septembre
1993.

B.- Le 17 juillet 1996, M._______ a fait notifier
un commandement de payer à X.________ S.A. (anciennement
W.________) et Y.________ S.A. (poursuite no 96 314733 X de
l'Office des poursuites et des faillites de Rhône-Arve),
puis, le 8 octobre 1996, il a ouvert action contre ces deux
sociétés et requis qu'elles soient condamnées,
solidairement,
à lui payer 226 049 fr. plus intérêts moratoires à 5% dès le
1er juillet 1996, soit 15 833 fr. à titre de salaire pour le
mois de décembre 1995, 190 000 fr. à titre de salaire pour
1996 et 20 216 fr. à titre d'indemnité de vacances pour
1996;
M._______ a réclamé également le prononcé de la mainlevée
définitive de l'opposition au commandement de payer du 17
juillet 1996. Le 30 mai 1997, le demandeur a amplifié ses
conclusions en capital à 239 077 fr.70, en faisant valoir
qu'à raison de son incapacité partielle de travail du 1er
janvier au 30 juin 1996, le délai de congé devait être repor-
té au 30 mai 1997.

Par jugement du 18 septembre 1997, le Tribunal des
prud'hommes de Genève a condamné conjointement et solidaire-
ment X.________ S.A. et Y.________ S.A. à payer à M._______
la somme de 217 688 fr.25 avec intérêts à 5% dès le 30 mars

1997 et prononcé la mainlevée définitive de l'opposition au
commandement de payer à due concurrence.

Le 31 mars 1998, le Tribunal de première instance
de Genève a prononcé la dissolution de Y.________ S.A.

Par arrêt du 24 novembre 1998, la Chambre d'appel
de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève a annu-
lé ce jugement et condamné X.________ S.A. à payer à
M._______ la somme brute de 71 248 fr.50 avec intérêts à 5%
du 8 octobre 1996; elle a également condamné Y.________ S.A.
en liquidation à payer au demandeur la même somme en capital
et intérêts. En substance, l'autorité cantonale a retenu que
Y.________ S.A. avait été l'employeur du demandeur en compa-
gnie de X.________ S.A. La Chambre d'appel a confirmé que le
délai de congé avait été reporté au 30 mars 1997, en raison,
d'une part, du non-respect par Y.________ S.A. en
liquidation
de la convention du 2 octobre 1995, d'autre part de la mala-
die du demandeur. Elle a jugé que, comme les contrats de tra-
vail avec les défenderesses n'avaient pas été conclus simul-
tanément et avaient des objets différents quant à leur conte-
nu et quant au lieu de leur exécution, les dettes salariales
en découlant ne sauraient être solidaires, aucune solidarité
n'ayant du reste été stipulée expressément ou tacitement. Il
s'agissait ainsi pour les magistrats genevois de dettes con-
jointes et divisibles, qui devaient être partagées par tête.
A considérer que le demandeur a touché de décembre 1995 à
fin
juin 1996 des indemnités d'assurance équivalant à l'entier
de
son salaire, ce qui a libéré les employeurs de leurs obliga-
tions de lui verser le salaire jusqu'au 30 juin 1996, il res-
tait dû à l'intéressé neuf mois de salaire, soit 142 497 fr.
(9 x 15 833 fr.), chacune des défenderesses étant redevable
de la moitié de cette somme, à savoir 71 248 fr.50.

C.- M._______ recourt en réforme au Tribunal fédé-
ral, en concluant à ce que X.________ S.A. et Y.________
S.A.

en liquidation soient condamnées conjointement et solidaire-
ment à lui payer 142 497 fr. avec intérêts à 5% dès le 8 oc-
tobre 1996, la mainlevée définitive de l'opposition au com-
mandement de payer étant prononcée. Subsidiairement, il re-
quiert que X.________ S.A. soit condamnée à lui payer
142 497 fr. avec intérêts à 5% dès le 8 octobre 1996, l'oppo-
sition au commandement de payer étant levée définitivement.

X.________ S.A. propose le rejet du recours dans la
mesure où il est recevable. Elle forme un recours joint, en
concluant à ce que le demandeur soit débouté de toutes les
conclusions qu'il a prises contre elle.

Y.________ S.A. en liquidation conclut au déboute-
ment du demandeur de toutes ses conclusions.
Subsidiairement,
elle demande que X.________ S.A. soit condamnée à payer à
M._______ 142 497 fr. avec intérêts à 5% dès le 8 octobre
1996; plus subsidiairement, elle conclut à la confirmation
de
l'arrêt cantonal.

Le demandeur propose le rejet du recours joint.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours en réforme est ouvert pour viola-
tion du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de
rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la vio-
lation du droit cantonal (ATF 123 III 337 consid. 3b, 395
consid. 1b, 414 consid. 3c).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-

rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et
les
arrêts cités). Dans la mesure où un recourant présente un
état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée sans se prévaloir de l'une des exceptions qui vien-
nent
d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir comp-
te. Il ne peut être présenté de griefs contre les constata-
tions de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55 al. 1 let. c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ),
il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63
al. 1 OJ), pas plus que par ceux de la décision cantonale
(art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246
consid. 2).

2.- Y.________ S.A. en liquidation ayant renoncé à
déposer un recours joint, l'existence d'un contrat de
travail
entre cette défenderesse et le demandeur n'est plus contes-
tée.

3.- a) La Chambre d'appel a jugé que B.________
avait qualité pour engager X.________ S.A. en concluant un
contrat de travail avec le demandeur le 6 septembre 1993.

La recourante par voie de jonction soutient que ce
contrat n'est pas valable, parce que B.________ n'avait pas
le pouvoir d'engager la société.

Il convient d'examiner ce point d'emblée, avant de
se prononcer sur le recours principal.

b) Selon l'art. 933 al. 2 CO, lorsqu'un fait dont
l'inscription est requise n'a pas été inscrit au registre du
commerce, il ne peut être opposé aux tiers que s'il est éta-
bli que ces derniers en ont eu connaissance.

En l'occurrence, lorsque le contrat de travail li-
tigieux a été signé, B.________ était, selon le registre du
commerce, habilité à engager la société par sa seule signatu-
re. Certes, le conseil d'administration de la W.________
avait décidé de retirer tout pouvoir à B.________, selon son
règlement du 29 janvier 1993. Cependant, ce retrait de la si-
gnature individuelle n'a pas été inscrit au registre du com-
merce. Et il ne résulte nullement de l'état de fait détermi-
nant (art. 63 al. 2 OJ) que le demandeur avait connaissance
de la suppression des pouvoirs de B.________ par le conseil
d'administration. Au contraire, les juges précédents ont re-
levé qu'il n'existait aucune circonstance d'où l'on pourrait
inférer que le demandeur connaissait ou aurait dû connaître
le retrait de la signature individuelle. Ce retrait, qui au-
rait dû être inscrit au registre du commerce, ne peut donc
pas être opposé au travailleur.

Le grief est mal fondé.

4.- La Chambre d'appel a jugé que les rapports ju-
ridiques noués entre la W.________ et le demandeur
relevaient
du contrat de travail. La recourante par voie de jonction le
conteste.

L'engagement du demandeur comme employé de la
W.________ a été confirmé par cette dernière à l'intéressé
les 20 et 23 septembre 1993. Le 20 septembre 1993, la
W.________ a déclaré reprendre intégralement les conditions

contractuelles en vigueur entre B.________ et le demandeur.
Or, le contrat entre les deux prénommés est intitulé expres-
sément: "Contrat de travail".

La cour cantonale, qui a correctement rappelé les
critères caractéristiques du contrat de travail au considé-
rant 4a de l'arrêt déféré, n'a retenu aucun indice donnant à
penser que, malgré la lettre de leur accord, les parties ne
voulaient pas être liées par un contrat de travail. Ainsi,
il
a été établi que le demandeur, pendant plus de deux ans, a
consacré la plus grande partie de son temps à la W.________,
dans les locaux de laquelle il avait un bureau; il était in-
corporé au fonds de prévoyance professionnelle de cette so-
ciété, lequel était réservé à ses employés. Dans ces circons-
tances, la cour cantonale pouvait admettre, sans violer aucu-
nement le droit fédéral, que les parties, conformément à la
volonté qu'elles avaient exprimée, avaient conclu un contrat
de travail. Le grief doit être rejeté.

Au demeurant, peu importe que le salaire du deman-
deur lui ait été versé en grande partie par Y.________ S.A.
C'était pour des raisons de simplification administrative
que
seule Y.________ S.A. remplissait, envers le fisc et les as-
surances sociales, les obligations incombant à l'employeur.
Une telle pratique n'est pas rare dans les groupes de socié-
tés, lorsqu'un salarié peut être appelé à travailler au ser-
vice de plusieurs entités du groupe, simultanément ou succes-
sivement. Elle n'a nullement pour conséquence que le salarié
doive être regardé comme employé uniquement par la société
qui lui verse son salaire (cf. à ce propos Pierre-Yves
Greber/Jean-Louis Duc/Gustavo Scartazzini, Commentaire des
articles 1 à 16 de la loi fédérale sur
l'assurance-vieillesse
et survivants (LAVS), n. 4 ad art. 12 LAVS, p. 364).

5.- Il résulte de ce qui précède que le demandeur
avait au moins deux employeurs: Y.________ S.A. et
X.________

S.A., selon deux contrats parallèles prévoyant une
occupation
de M._______ à plein temps.

a) La cour cantonale a jugé que les défenderesses
étaient débitrices du salaire du demandeur conjointement, de
sorte que chacune d'elle lui était redevable de la moitié de
sa créance en paiement de neuf mois de salaire.

Le recourant principal soutient que les deux socié-
tés sont solidairement débitrices des salaires qui lui sont
dus.

La recourante par voie de jonction conteste, pour
sa part, devoir quoi que ce soit au demandeur.

b) Il y a solidarité entre plusieurs débiteurs
lorsqu'ils déclarent s'obliger de manière qu'à l'égard du
créancier chacun d'eux soit tenu pour le tout (art. 143 al.
1
CO). A défaut d'une semblable déclaration, la solidarité
n'existe que dans les cas prévus par la loi (art. 143 al. 2
CO).

La solidarité peut résulter de rapports de société
simple entre les débiteurs (art. 544 al. 3 CO). En l'absence
de tels rapports, elle peut aussi résulter des
circonstances,
interprétées selon le principe de la confiance (ATF 116 II
707 consid. 1b in fine p. 709 et consid. 3 p. 712 et les ré-
férences).

Selon l'art. 530 al. 1 CO, la société simple est un
contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent
d'unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d'atteindre
un but commun. Le but de la société simple peut être de con-
clure en commun un contrat; les moyens nécessaires pour at-
teindre le but social peuvent consister dans des prestations
pécuniaires ou personnelles, qui ne seront pas
nécessairement

égales ni toujours prédéterminées. La conclusion d'un
contrat
de société simple peut résulter tacitement du comportement
des parties, même si ces dernières ne sont pas conscientes
de
conclure un tel contrat (ATF 124 III 363 consid. II/2a p.
365; 116 II 707 consid. 2a).

Lorsque deux personnes emploient un salarié à plein
temps dont elles déterminent l'occupation, en se répartis-
sant, sur la base d'accords internes, leurs droits et obliga-
tions envers lui, il convient d'admettre qu'elles sont liées
par un contrat de société simple, dont le but est l'utilisa-
tion des services du travailleur. Chacune d'elles a le droit
d'administrer la société (art. 535 al. 1 CO) et de la repré-
senter envers tout tiers, tel le salarié (art. 543 al. 3
CO),
les associés étant solidairement responsables des
engagements
qu'ils ont assumés envers ledit tiers, singulièrement en
agissant conjointement (art. 544 al. 3 CO).

C'est ce qui s'est produit en l'espèce. Le deman-
deur a conclu avec W.________ et Y.________ S.A. deux con-
trats de travail parallèles, selon lesquels, moyennant un
salaire à plein temps, il se mettait à la disposition de ces
deux employeurs, qui, selon leurs besoins, se répartissaient
les prestations du travailleur et les charges salariales en
fonction d'accords internes. Formant une société simple aux
fins d'exécuter les contrats de travail passés parallèlement
avec le demandeur, W.________ et Y.________ S.A. répondent
solidairement des dettes de la société simple envers lui.
Peu
importe que les deux contrats de travail aient été en rela-
tion avec d'autres contrats semblables conclus par le deman-
deur avec B.________ et des sociétés qui appartenaient ini-
tialement au même groupe.

C'est donc à tort que la cour cantonale a considéré
que les dettes salariales dues au demandeur devaient être

partagées par tête entre les défenderesses. Le grief du de-
mandeur est bien fondé.

Au reste, les juges cantonaux ont admis souveraine-
ment que le contrat conclu par le demandeur avec la
W.________ avait en particulier pour but de renforcer la ga-
rantie que le travailleur perçoive sa rémunération. Or, en
jugeant que la W.________ n'était redevable que de la moitié
du salaire, la cour cantonale a affaibli la position économi-
que du salarié, ce qui est clairement incompatible avec le
but du contrat tel qu'il vient d'être rappelé.

c) Selon la recourante par voie de jonction, le de-
mandeur ne pouvait pas se fonder sur le contrat de travail
conclu avec elle, parce qu'il s'agissait d'un contrat condi-
tionnel au sens de l'art. 151 al. 1 CO, qui ne devait dé-
ployer d'effet qu'à supposer que le travailleur ait mis sans
succès B.________ en demeure de lui payer le salaire. Elle
se
réfère à l'écriture adressée par B.________ à M._______ le
23
septembre 1993. Or, le demandeur n'a pas prouvé qu'il avait
vainement mis B.________ en demeure de se conformer à ses en-
gagements de lui verser un salaire.

Le 23 septembre 1993, B.________ a en effet informé
le demandeur que, jusqu'à nouvelle décision (c'est le Tribu-
nal fédéral qui souligne), la couverture du salaire et des
charges sociales de M._______ devait continuer d'être
assurée
par le premier nommé; elle ne devait être reprise par la
W.________ que si B.________ venait à faire défaut à ses en-
gagements.

Or, il résulte des faits constatés par la cour can-
tonale que la couverture du salaire et des charges sociales
du demandeur a été assumée par la W.________ elle-même, qui
les remboursait à Y.________ S.A. Il s'agit là d'une "nouvel-
le décision", selon l'expression utilisée par B.________, de

sorte que le demandeur n'avait plus à mettre B.________ en
demeure de le rémunérer. Quoi qu'il en soit, l'employeur est
le débiteur du salaire (art. 322 CO); il ne saurait subordon-
ner le paiement du salaire à la condition qu'un tiers le lui
rembourse.

d) La recourante par voie de jonction revient à la
charge en prétendant que B.________ s'était porté fort (art.
111 CO) du paiement du salaire du demandeur. Faute d'avoir
mis le porte-fort en demeure de s'exécuter, le demandeur ne
pourrait plus rien réclamer à X.________ S.A.

Au vu des faits retenus souverainement en instance
cantonale, on ne voit pas trace d'un engagement indépendant
pris par B.________ envers le demandeur de lui payer son sa-
laire. Le moyen est privé de tout fondement.

6.- En définitive, le recours principal doit être
admis et le recours joint rejeté. Le montant total de la
créance du demandeur n'étant pas contesté, l'arrêt attaqué
sera réformé en ce sens que les défenderesses sont solidai-
rement débitrices envers lui de 142 497 fr. avec intérêt à
5%
dès le 8 octobre 1996, la mainlevée définitive de l'opposi-
tion au commandement de payer notifié le 17 juillet 1996
étant prononcée.

Le demandeur, qui obtient le plein de ses conclu-
sions, voit les défenderesses succomber. L'émolument de jus-
tice pour la procédure de recours principal doit être mis
pour moitié à la charge de chacune des intimées, lesquelles
verseront solidairement au demandeur une indemnité à titre
de
dépens.

Le recours joint de X.________ S.A. est entièrement
rejeté. Elle doit donc payer, pour cette procédure, l'émolu-

ment judiciaire et verser au demandeur une indemnité à titre
de dépens.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours principal et réforme l'arrêt
attaqué en ce sens que X.________ S.A. et Y.________ S.A. en
liquidation sont condamnées solidairement à payer au deman-
deur le montant de 142 497 fr. plus intérêt à 5% dès le 8 oc-
tobre 1996, la mainlevée définitive de l'opposition au com-
mandement de payer (poursuite no 96 314733 X) étant pronon-
cée;

2. Rejette le recours joint;

3. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. pour
moitié à la charge de X.________ S.A., pour l'autre à la
charge de Y.________ S.A. en liquidation;

4. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. à la
charge de X.________ S.A. pour la procédure de recours joint;

5. Dit que X.________ S.A. et Y.________ S.A. en
liquidation verseront solidairement au demandeur une indemni-
té de 5000 fr. à titre de dépens pour la procédure de
recours
principal;

Dit que X.________ S.A. versera au demandeur une
indemnité de 5000 fr. à titre de dépens pour la procédure de
recours joint;

6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève.

____________

Lausanne, le 12 juillet 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.41/1999
Date de la décision : 12/07/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-12;4c.41.1999 ?
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