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10/07/2000 | SUISSE | N°1P.297/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 juillet 2000, 1P.297/2000


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1P.297/2000/VIZ

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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10 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Favre. Greffier: M. Parmelin.

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Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, à Morges, représenté par Me Claude Aberlé,
avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 avril 2000 par la Chambre pénale de la
Cour de justice du canton de G

enève, dans la cause qui
oppose le recourant à B.________, à Cologny, représenté par
Me Olivier Wyssa, avocat à Genève, et a...

«»

1P.297/2000/VIZ

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

10 juillet 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Favre. Greffier: M. Parmelin.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, à Morges, représenté par Me Claude Aberlé,
avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 avril 2000 par la Chambre pénale de la
Cour de justice du canton de Genève, dans la cause qui
oppose le recourant à B.________, à Cologny, représenté par
Me Olivier Wyssa, avocat à Genève, et au Procureur général
du canton de G e n è v e;

(procédure pénale; appréciation des preuves;
maxime "in dubio pro reo")

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- A.________ exploite un commerce de véhicules d'oc-
casion sous la raison sociale X.________, à Etoy. Le 26 mai
1997, il a vendu à C.________ une Opel Vectra de couleur
noire pour le prix de 18'000 fr. Une seule clé a été remise
à l'acquéreur, au nom duquel un permis de circulation a été
établi, le véhicule étant immatriculé XXX.

Le 19 novembre 1997, l'acheteur a confié sa voiture à
A.________ pour effectuer une réparation et pour obtenir un
double de la clé de contact. Il a repris le lendemain son
véhicule, la clé originale et un double de celle-ci, copiée
auprès de "Mister-Minit", à Morges.

Le 26 novembre 1997, B.________, qui dirige un commerce
de voitures d'occasion, à Genève, sous la raison sociale
"Y.________", a reçu la visite d'un inconnu qui lui a vaine-
ment proposé la vente d'une Opel Vectra noire, immatriculée
XXX.

Le 1er décembre 1997, C.________ a déposé une plainte
pénale pour le vol de sa voiture, commis à Bernex le jour
même, entre 12h00 et 14h00, sur le parking de son employeur.
Les permis de conduire et de circulation se trouvaient à
l'intérieur du véhicule. Aucune trace d'effraction n'a été
constatée sur les lieux du vol. Le 2 décembre 1997, l'incon-
nu s'est présenté à nouveau chez B.________, qui a acheté la
voiture pour 12'400 fr. Lors de l'établissement du contrat,
le vendeur a présenté les permis de conduire et de circula-
tion établis au nom de C.________, étant précisé que ce der-

nier document était annulé depuis le 25 novembre 1997. Il a
remis en outre à B.________ un double de la clé de contact
provenant de chez "Mister-Minit" et a repris les plaques de
contrôle du véhicule. B.________ a rapidement revendu celui-
ci avant d'apprendre, en effectuant les formalités d'imma-
triculation, qu'il était signalé volé depuis le 1er décembre
1997. Il a aussitôt déposé une plainte pénale contre inconnu
pour vol.

Le 13 janvier 1998, A.________ a été convoqué au poste
de gendarmerie d'Onex, puis arrêté après que B.________, non
sans quelque hésitation, puis l'un de ses employés,
D.________, l'eurent reconnu comme le vendeur de l'Opel Vec-
tra noire. Suivant ces derniers, A.________ ne portait ni
barbe ni moustache au moment des faits; à cet égard, celui-
ci a affirmé avoir laissé pousser sa barbe depuis le début
ou la mi-novembre 1997, en vue de se déguiser pour le
Nouvel-An, ce que deux de ses amis ont par ailleurs confir-
mé. Une photo de A.________ avec son déguisement, à la fête
masquée de Nouvel-An, montre une barbe et une moustache ne
correspondant pas à celles qu'il portait lors de l'audience
de comparution devant la Chambre pénale de la Cour de jus-
tice du canton de Genève (ci-après, la Chambre pénale ou la
cour cantonale), le 21 mars 2000.

La police a procédé à la fouille du véhicule de
A.________, stationné sur le parking public de la piscine
d'Onex, à plus de 100 mètres du poste de police. Elle a re-
trouvé cachés dans le coffre les permis de conduire et de
circulation de C.________ et les plaques d'immatriculation
XXX. Elle a en outre saisi sur A.________ une quittance de
10'900 fr. établie le 2 décembre 1997 au nom du prévenu par

le garage Z.________, à Genève, correspondant au solde du
prix de vente d'une Opel Corsa consignée dans cet établisse-
ment.

Dans un rapport préliminaire du 29 septembre 1998,
l'expert en écritures commis par le Juge d'instruction en
charge du dossier a relevé qu'il était impossible de dire si
A.________ avait ou non signé la quittance du 2 décembre
1997 attestant du paiement d'une somme de 12'400 fr. par
"Y.________". Dans un rapport complémentaire établi le 9
décembre 1998, l'expert a précisé qu'il était possible que
B.________ soit l'auteur de la signature figurant sur cette
quittance, mais que les meilleures concordances des particu-
larités graphiques intimes demeuraient dans l'écriture de
A.________.

B.- Statuant sur la base de ces faits, le Tribunal de
police du canton de Genève a reconnu A.________ coupable de
vol et d'escroquerie et l'a condamné à une peine de six mois
d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans. Sur appel de
l'accusé, la Chambre pénale a confirmé ce jugement par arrêt
du 10 avril 2000.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt.
Il reproche au Tribunal de police et à la cour cantonale
d'avoir violé la présomption d'innocence ancrée aux art. 4
aCst. et 6 § 2 CEDH, et son corollaire, la maxime "in dubio
pro reo", en tant que règles sur le fardeau de la preuve et
sur l'appréciation des preuves. Il requiert l'assistance ju-
diciaire.

La Chambre pénale se réfère aux considérants de son ar-
rêt. B.________ conclut au rejet du recours. Le Procureur
général du canton de Genève a renoncé à déposer des observa-
tions.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 126 I
81 consid. 1 p. 83 et les arrêts cités).

a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral ne peut être formé que pour violation du
droit fédéral, à l'exception de la violation directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF). Il n'est en
revanche pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation ar-
bitraire des preuves et des constatations de fait qui en dé-
coulent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités)
ou pour invoquer la violation directe d'un droit constitu-
tionnel ou conventionnel (ATF 120 IV 113 consid. 1a p. 114),
tel que la maxime "in dubio pro reo" consacrée aux art. 32
al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH (ATF 120 Ia 31 consid. 2b p.
35/36). Au vu des arguments soulevés, seule la voie du re-
cours de droit public est ouverte en l'espèce.

b) Aux termes de l'art. 86 al. 1 OJ, le recours de
droit public n'est recevable qu'à l'encontre des décisions
prises en dernière instance cantonale. Lorsque l'autorité
cantonale de recours jouit, comme en l'espèce, d'un plein
pouvoir d'examen, sa décision remplace celle de l'autorité
inférieure et peut seule être attaquée par la voie du re-
cours de droit public (ATF 125 I 492 consid. 1a/aa p.
493/494 et les arrêts cités), de sorte que le recours est
irrecevable en tant qu'il fait grief au Tribunal de police
d'avoir violé le principe de la présomption d'innocence.

c) Le recourant est directement touché par l'arrêt at-
taqué qui confirme sa condamnation pénale à une peine de six
mois d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans. Il a un

intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que
cette décision soit annulée et a, partant, qualité pour re-
courir selon l'art. 88 OJ.

Les autres conditions de recevabilité du recours de
droit public sont par ailleurs réunies, de sorte qu'il y a
lieu d'entrer en matière sur le fond.

2.- a) En tant qu'elle a trait à la constatation des
faits et à l'appréciation des preuves, la maxime "in dubio
pro reo" est violée lorsque l'appréciation objective de
l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute
insurmontable sur la culpabilité de l'accusé (ATF 124 IV 86
consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Saisi d'un
recours de droit public ayant trait à l'appréciation des
preuves, le Tribunal fédéral examine seulement si le juge
cantonal a outrepassé son pouvoir d'appréciation et établi
les faits de manière arbitraire (ATF 124 I 208 consid. 4 p.
211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38; 118 Ia 28 consid. 1b p.
30 et les arrêts cités). Une constatation de fait n'est pas
arbitraire pour la seule raison que la version retenue par
le juge ne coïncide pas avec celle de l'accusé; encore
faut-il que l'appréciation des preuves soit manifestement
insoutenable, en contradiction flagrante avec la situation
effective, qu'elle constitue la violation d'une règle de
droit ou d'un principe juridique clair et indiscuté, ou en-
core qu'elle heurte de façon grossière le sentiment de la
justice et de l'équité (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30), ce
qu'il appartient au recourant d'établir (ATF 125 I 492 con-
sid. 1b p. 495 et les arrêts cités).

En tant que règle sur la répartition du fardeau de la
preuve, la maxime "in dubio pro reo" signifie qu'il incombe
à l'accusation d'établir la culpabilité du prévenu et non à
ce dernier de démontrer son innocence. Elle est violée lors-

que le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que
l'accusé n'a pas prouvé son innocence ou lorsqu'il résulte à
tout le moins de la motivation du jugement que le juge s'est
inspiré d'une telle répartition erronée du fardeau de la
preuve pour condamner (ATF 120 Ia 31 consid. 2c p. 37; 118
Ia 28 consid. 1b p. 30). Le Tribunal fédéral examine libre-
ment cette question (ATF 120 Ia 31 consid. 3d p. 38).

L'art. 32 al. 1 Cst., entré en vigueur le 1er janvier
2000, qui consacre spécifiquement la notion de la présomp-
tion d'innocence, ne fait que reprendre les principes posés
dans ce domaine par la jurisprudence (FF 1997 I 1 ss, notam-
ment p. 188/189).

b) Dans le cas présent, malgré certaines tournures ré-
dactionnelles maladroites, il ressort des considérants de
l'arrêt attaqué que la cour cantonale n'a pas conclu à la
culpabilité du recourant parce que celui-ci n'aurait pas
prouvé que la voiture de C.________ aurait été dérobée par
un tiers, qui se serait astucieusement fait passer pour le
légitime propriétaire et vendeur auprès de B.________. Les
juges d'appel se sont au contraire appuyés sur un ensemble
d'indices convergents leur permettant de former raisonnable-
ment leur conviction sur la base des faits de la cause.

Il était à cet égard soutenable d'admettre que seul
A.________ avait pu disposer d'un double des clés de l'Opel
Vectra vendue à C.________ et savait où atteindre son
client. Le recourant ne peut pas tirer de la présence au
dossier de la clé originale et d'une copie de marque Silka
l'inexistence de deux doubles de clés "Mister-Minit". La
cour cantonale pouvait, sans tomber dans l'arbitraire ni
procéder à un renversement prohibé du fardeau de la preuve,
voir un indice supplémentaire de culpabilité dans le fait

que le jour même de la vente de l'Opel Vectra à B.________,
le recourant, qui se trouvait dans une situation financière
très difficile, s'était acquitté d'une somme de 10'900 fr.
auprès du garage Z.________, dont il n'a pu indiquer la pro-
venance. La personne poursuivie doit en effet collaborer à
l'établissement des faits dans toute la mesure où l'on peut
raisonnablement l'exiger d'elle et peut en particulier être
amenée à rapporter la preuve des éléments favorables suscep-
tibles d'exclure sa culpabilité. Si elle se soustrait sans
motif valable à son devoir de collaboration ou si la version
des faits qu'elle soutient apparaît d'emblée dénuée de toute
vraisemblance sur la base d'une appréciation non arbitraire
de l'ensemble des circonstances du cas, le juge peut alors
retenir qu'elle est l'auteur de l'infraction sans violer le
principe de la présomption d'innocence (ATF 105 Ib 114 con-
sid. 1a p. 117 et les arrêts cités; cf. Gérard Piquerez,
Procédure pénale suisse, Zurich 2000, p. 404, n. 1921).

Concernant la découverte des plaques de contrôle XXX
dans le coffre du véhicule que A.________ avait utilisé pour
se rendre au poste de police d'Onex le 13 janvier 1998, la
cour cantonale a exclu l'éventualité d'un complot dont
l'accusé aurait été la victime. Ceci parce que son auteur
aurait dû connaître la voiture du recourant, alors que ce
dernier ne l'utilisait que depuis quelques jours, savoir que
celle-ci était stationnée sur le parking public de la pisci-
ne d'Onex avec le coffre ouvert et enfin disposer des pla-
ques d'immatriculation de l'automobile de C.________, soit
un ensemble de conditions à réaliser amenant raisonnablement
la conviction que cet acte n'avait pas pu être commis au
préjudice du recourant. L'absence d'empreintes relevées sur
les plaques de contrôle et sur les permis de conduire et de
circulation ne remet nullement en cause cette appréciation.

La cour cantonale n'a pas fait état, dans ses considé-
rants en droit, de l'importance qu'elle attribuait aux dé-
clarations de B.________ et de son employé, quant à l'iden-
tification de l'inconnu venu présenter à la vente la voiture
de C.________, dans la personne de A.________, pas plus
qu'elle ne s'est prononcée sur le résultat de l'expertise
graphologique de la signature du reçu des 12'400 fr. payés
par "Y.________". A cet égard, les témoins de la défense ont
déclaré que le recourant s'était laissé pousser la barbe
dans le courant du mois de novembre 1997, alors que l'intimé
et D.________ ont affirmé reconnaître l'accusé malgré le
fait qu'il ne portait pas de barbe le 2 décembre 1997; face
à ces contradictions, l'autorité intimée pouvait sans arbi-
traire faire abstraction de ces témoignages et forger sa
conviction sur les autres éléments
du dossier. L'expertise
en écritures étant par ailleurs inutilisable, on ne saurait
lui reprocher de ne pas l'avoir prise en considération dans
l'appréciation des preuves.

c) En définitive, le recourant ne parvient pas à démon-
trer que sa condamnation reposerait sur une appréciation ar-
bitraire des preuves ou qu'un examen objectif de l'ensemble
de la cause aurait dû inciter la cour cantonale à concevoir
des doutes sur sa culpabilité au point que sa condamnation
soit contraire au principe de la présomption d'innocence.

3.- Le recours doit en conséquence être rejeté dans la
mesure où il est recevable. Les conditions de l'art. 152 al.
1 OJ étant réunies, il convient de faire droit à la demande
d'assistance judiciaire présentée par le recourant et de
statuer sans frais. Me Claude Aberlé est désigné comme avo-
cat d'office de A.________ pour la présente procédure et une
indemnité lui sera versée à la charge de la Caisse du Tribu-
nal fédéral (art. 152 al. 2 OJ). L'octroi de l'assistance
judiciaire dispense le recourant du paiement de l'émolument

judiciaire, mais pas de l'indemnité due à titre de dépens à
l'intimé, qui obtient gain de cause avec l'aide d'un avocat
(art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est receva-
ble.

2. Admet la demande d'assistance judiciaire.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Désigne Me Claude Aberlé en qualité d'avocat
d'office du recourant. La Caisse du Tribunal fédéral lui
versera un montant de 1'500 fr. à titre d'honoraires.

5. Il est mis à la charge du recourant une indemnité de
700 fr. à verser à B.________ à titre de dépens.

5. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties, au Procureur général et à la Chambre pénale de
la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 10 juillet 2000
PMN

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.297/2000
Date de la décision : 10/07/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-07-10;1p.297.2000 ?
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