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28/06/2000 | SUISSE | N°1P.275/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 juin 2000, 1P.275/2000


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1P.275/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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28 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Catenazzi et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________ , représenté par Me Paul Gully-Hart, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 29 mars 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recou-
rant au Pro

cureur général du canton de G e n è v e ;

(procédure pénale; décision de saisie)

Vu les pièces du dossier d'...

«»
1P.275/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

28 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Catenazzi et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________ , représenté par Me Paul Gully-Hart, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 29 mars 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recou-
rant au Procureur général du canton de G e n è v e ;

(procédure pénale; décision de saisie)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- A.________ est né le 18 novembre 1945 à Tbilissi,
en Géorgie; il a travaillé du 15 mai 1978 au 1er janvier
1994 comme directeur de l'entreprise B.________, à Tiflis,
avant de s'établir à Thessalonique avec son épouse,
C.________, et leurs trois enfants. Il a acquis la nationa-
lité grecque et dirige un commerce d'import-export depuis le
14 avril 1994, sous la raison sociale F.________. Il a héri-
té de l'ensemble des biens de son père au décès de ce der-
nier survenu le 22 septembre 1998.

Le 19 août 1998, C.________ a été interpellée à la
frontière franco-genevoise en possession de 300'000 dollars
américains que son mari lui aurait demandé de déposer à la
banque D.________, à Genève. Cette somme d'argent, qui pro-
viendrait de la vente de deux maisons de campagne sises dans
la banlieue cossue de Tbilissi et appartenant à A.________,
a été saisie sur ordre du Ministère public genevois (ci-
après, le Ministère public).

Interrogé le 28 août 1998, le directeur de la banque
D.________ a déclaré à la police genevoise que A.________
avait été introduit un mois plus tôt par un client,
E.________, qui avait fait un virement bancaire interne de
270'000 dollars américains sur un compte nouvellement ouvert
dans les livres de la banque au nom de A.________ et de ses
deux fils aînés. Cet homme avait en outre prévenu la banque
que ces personnes allaient verser sur ce compte une somme de
100'000 dollars américains provenant de la vente d'un bien
immobilier.

B.- Le 24 septembre 1998, le Procureur général du can-
ton de Genève (ci-après, le Procureur général) a ouvert une

enquête préliminaire du chef de blanchiment d'argent (art.
305bis CP) à l'encontre de C.________ étendue par la suite à
A.________. Par ordonnance du même jour, il a ordonné la
saisie conservatoire des avoirs et des valeurs dont ces der-
niers étaient les titulaires ou les ayants droit économiques
auprès de la banque D.________, à Genève.

Le 28 octobre 1998, la section "crime organisé" de la
police de sûreté genevoise a informé le Ministère public que
A.________ et son épouse faisaient l'objet d'une procédure
pénale en Grèce pour une contrebande de cigarettes. Les 28
et 29 juillet 1998, environ 410'000 paquets de cigarettes
avaient été découverts dans un de leurs entrepôts, aux envi-
rons de Thessalonique, ainsi que 4'000 autres paquets dans
un camion appartenant à A.________ et stationné à proximité.
Interrogé à ce sujet, ce dernier a nié toute implication
dans ce trafic qui aurait été mis en place à son insu par le
chauffeur du véhicule, ce que celui-ci aurait d'ailleurs
confirmé.

Le 9 février 1999, Interpol Tbilissi a indiqué que
A.________ possédait effectivement dans la banlieue de Tbi-
lissi deux maisons de campagne qu'il avait vendues le 22
juillet 1998.

Le Juge d'instruction genevois en charge du dossier
(ci-après, le Juge d'instruction) a ordonné des commissions
rogatoires en Géorgie, en Grèce et en Grande-Bretagne aux
fins de vérifier l'exactitude des allégations de A.________.

Le 29 octobre 1999, la section "crime organisé" de la
police de sûreté genevoise a transmis des informations en
provenance d'Interpol Athènes dont il ressortait que le
chauffeur impliqué dans la contrebande de cigarettes avait
été arrêté, que la procédure était en cours devant les tri-
bunaux et que A.________ était activement mêlé à ce trafic

selon la police de sûreté de Thessalonique. Interpol Athènes
précisait en outre qu'il n'avait à ce jour pas été possible
de localiser la compagnie d'import-export F.________.

C.- Le 15 novembre 1999, C.________ et A.________ ont
requis la levée des mesures de blocage frappant leurs
avoirs. Ils ont réitéré leur demande le 20 décembre 1999.

Le 23 décembre 1999, A.________ s'est plaint auprès de
la Chambre d'accusation du canton de Genève (ci-après, la
Chambre d'accusation) de l'absence de décision du Juge
d'instruction et du refus de l'autoriser à consulter le dos-
sier de la procédure.

Par courrier du 13 janvier 2000 valant ordonnance de
refus de levée de séquestre, ce magistrat a indiqué que la
mesure de saisie ne serait pas levée aussi longtemps que la
provenance réelle des fonds séquestrés ne serait pas éta-
blie.

A.________ a recouru contre cette décision auprès de la
Chambre d'accusation en sollicitant l'autorisation de con-
sulter le dossier.

Statuant par ordonnance du 29 mars 2000, cette autorité
a rejeté les recours après les avoir joints et a confirmé la
décision prise le 13 janvier 2000 par le Juge d'instruction.
Elle a considéré que le recours pour refus de statuer était
devenu sans objet. Elle a estimé que A.________ était infor-
mé de manière suffisante sur les reproches qui lui étaient
faits et a refusé de lui donner un accès plus large au dos-
sier. Elle a par ailleurs confirmé la saisie conservatoire
ordonnée à l'encontre des biens de l'intéressé parce que les
indications fournies à propos de sa société d'import-export
n'étaient pas de nature à démontrer la réalité de cette en-
treprise, que celui-ci n'avait produit aucune pièce permet-

tant de vérifier la provenance des fonds déposés auprès de
la banque D.________ et que ses explications au sujet de la
vente de deux maisons en Géorgie demeuraient insatisfaisan-
tes car il avait produit en lieu et place d'un acte notarié
un contrat de vente passé sous seing privé à une date posté-
rieure à celle de l'interpellation de C.________.

D.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cette or-
donnance et de renvoyer la cause à la Chambre d'accusation
pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il
voit une violation de son droit d'être entendu garanti à
l'art. 32 al. 2 Cst. dans le refus de lui donner accès au
dossier de la procédure. Il se plaint aussi d'une violation
du principe de la présomption d'innocence posé à l'art. 32
al. 1 Cst. et de la garantie de la propriété consacrée à
l'art. 26 Cst. Il tient enfin pour arbitraires les motifs
retenus pour confirmer la saisie conservatoire prononcée à
son encontre.

La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de
son ordonnance. Le Procureur général s'en remet à justice
s'agissant de la recevabilité du recours et conclut à son
rejet sur le fond. Le Juge d'instruction a renoncé à se dé-
terminer.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 125 III
461 consid. 2 p. 463; 125 I 412 consid. 1a p. 414).

a) L'ordonnance attaquée confirme la saisie conserva-
toire d'une somme d'argent et d'un compte bancaire ordonnée

en application de l'art. 115 A du Code de procédure pénale
genevois (CPP gen.), en relation avec l'art. 305bis CP. La
voie du recours de droit public pour violation des droits
constitutionnels est ouverte contre cette décision prise en
dernière instance cantonale, qui touche directement le re-
courant dans ses intérêts protégés par les normes dont il
invoque la violation (art. 84 al. 1 let. a, 86 et 88 OJ).

b) Selon l'art. 87 OJ, le recours de droit public est
recevable contre les décisions préjudicielles et incidentes
sur la compétence et sur les demandes de récusation, prises
séparément. Ces décisions ne peuvent être attaquées ulté-
rieurement (al. 1). Le recours de droit public est recevable
contre d'autres décisions préjudicielles et incidentes pri-
ses séparément s'il peut en résulter un préjudice irrépara-
ble (al. 2).

La décision ordonnant la saisie d'une somme d'argent et
le blocage d'un compte bancaire à titre conservatoire doit
être considérée comme une décision incidente, car elle ne
met pas fin à la procédure pénale dans laquelle elle a été
prise (ATF 123 I 325 consid. 3b p. 327 et les arrêts cités).
Cette décision est de nature à causer un dommage irréparable
en tant qu'elle porte au droit de propriété de l'intéressé
une atteinte qui ne saurait être réparée par une décision
finale favorable (ATF 89 I 185 consid. 4 p. 187; arrêt du 20
février 1980 dans la cause Union de Banques Suisses contre
Chambre d'accusation du canton de Genève, paru à la SJ 1980
p. 521 consid. 2 p. 524; voir aussi, s'agissant des mesures
provisoires, ATF 108 II 369 consid. 1 p. 371). Le recours
est ainsi recevable au regard de l'art. 87 OJ.

c) Sous réserve des conclusions qui vont au-delà de la
simple annulation de la décision attaquée et qui sont de ce
fait irrecevables (ATF 125 I 104 consid. 1b p. 107; 125 II
86 consid. 5a p. 96; 124 I 327 consid. 4a p. 332 et les ré-

férences citées), les autres conditions de recevabilité du
recours de droit de public sont réunies, de sorte qu'il y a
lieu d'entrer en matière sur le fond.

2.- Le recourant soutient que la juridiction intimée a
violé son droit d'être entendu découlant de l'art. 32 al. 2
Cst. en lui refusant l'accès aux pièces du dossier justi-
fiant le maintien de la saisie.

a) Cette disposition, qui reprend les termes de l'art.
6 § 3 let. a et b CEDH, garantit à toute personne accusée le
droit d'être informée, dans les plus brefs délais et de ma-
nière détaillée, des accusations portées contre elle ainsi
que de faire valoir les droits de la défense. On peut se de-
mander si les garanties conférées par l'art. 6 § 3 CEDH sont
effectivement en cause en l'occurrence dans la mesure où le
recourant n'a pas été inculpé et n'encourt pour l'heure au-
cune peine ni aucun verdict de culpabilité (cf. arrêt non
publié du 22 février 1995 dans la cause S. contre Tribunal
d'accusation du canton de Vaud, consid. 2c). Peu importe en
définitive, car les exigences déduites de ces dispositions
sont de toute manière respectées en l'état. Le recourant
sait en effet que son compte ouvert auprès de la banque
D.________, à Genève, a été bloqué parce qu'il pourrait
avoir servi de refuge au gain provenant d'un trafic de ciga-
rettes dans lequel il serait impliqué; il sait également que
les pièces auxquelles le Juge d'instruction lui refuse l'ac-
cès émanent d'Interpol Athènes et contredisent celles qu'il
a versées au dossier à propos de son éventuelle implication
dans un trafic de cigarettes. Dans ces conditions, il dispo-
sait des indications nécessaires pour assurer efficacement
la défense de ses intérêts. Pour le surplus, le recourant ne
se prévaut pas de la violation de son droit de consulter le
dossier tel qu'il découle de l'art. 29 al. 2 Cst. La receva-
bilité du recours sous cet angle peut demeurer indécise car
il est de toute manière mal fondé.

b) En tant que garantie générale de procédure, le droit
d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. (art. 4
aCst.) permet au justiciable de consulter le dossier avant
le prononcé d'une décision, indépendamment de toute inculpa-
tion. En effet, la possibilité de faire valoir ses arguments
dans une procédure suppose la connaissance préalable des
éléments dont l'autorité dispose (ATF 126 I 7 consid. 2b
p. 10). Selon la jurisprudence, la garantie constitutionnel-
le de l'accès au dossier comprend le droit de consulter des
pièces au siège de l'autorité, de prendre des notes et de
faire des photocopies, pour autant qu'il n'en résulte pas un
surcroît de travail excessif pour l'autorité (ATF 122 I 109
consid. 2b p. 112 et les arrêts cités). Ce droit n'est pas
absolu et peut être limité pour la sauvegarde d'un intérêt
public prépondérant, dans l'intérêt d'un particulier, voire
même dans l'intérêt du requérant lui-même (ATF 122 I 153
consid. 6a p. 161 et les arrêts cités). Il peut également
être restreint ou supprimé lorsque l'intérêt public ou l'in-
térêt prépondérant de tiers exige que tout ou partie des do-
cuments soient tenus secrets. Dans cette hypothèse, confor-
mément au principe de la proportionnalité, l'autorité doit
permettre l'accès aux pièces dont la consultation ne compro-
met pas les intérêts en cause (ATF 125 I 257 consid. 3b
p. 260 et les arrêts cités). Une pièce dont la consultation
a été refusée à la partie ne peut être utilisée à son désa-
vantage que si l'autorité lui en a communiqué, oralement ou
par écrit, le contenu essentiel se rapportant à l'affaire et
lui a donné en outre l'occasion de s'exprimer et de fournir
des contre-preuves (ATF 122 I 153 consid. 6a p. 161; cf.
art. 27 et 28 PA).

c) En l'occurrence, le Juge d'instruction a refusé de
lever la mesure litigieuse parce qu'il n'avait pas encore en
mains le résultat des commissions rogatoires mises en oeuvre
à l'étranger afin de contrôler l'exactitude des allégations
du recourant concernant l'origine des fonds saisis ou blo-

qués. Si celui-ci était autorisé à consulter le dossier et,
par conséquent, à prendre connaissance des pièces à charge
dont le Juge d'instruction cherche précisément à confirmer
ou à préciser la teneur par voie de commissions rogatoires,
il y aurait un risque non négligeable que celui-ci ne con-
trecarre le déroulement de l'instruction en Grèce ou en
Géorgie. En l'état, l'intérêt public à la poursuite de l'en-
quête sans entrave et à la découverte
de la vérité s'oppose
donc à la consultation du dossier. On relèvera d'ailleurs à
ce propos que l'ordonnance attaquée n'exclut pas que le re-
courant puisse accéder ultérieurement au dossier selon
l'évolution des circonstances.

La Chambre d'accusation n'a ainsi pas violé, en l'état
de la procédure qui est en principe secrète (art. 131 et 142
al. 1 CPP gen.), le droit d'être entendu du recourant en lui
refusant la consultation du dossier de la procédure pénale.

3.- Le recourant voit une violation du principe de la
présomption d'innocence garanti à l'art. 32 al. 1 Cst., en-
visagé tant sous l'angle de la répartition du fardeau de la
preuve que de l'appréciation des preuves.

Pour les raisons évoquées au considérant précédent, il
est douteux que les garanties conférées par cette disposi-
tion soient en cause (cf. ATF 117 IV 233 consid. 3 p. 237).
Cette question peut demeurer indécise car supposé recevable
sur ce point, le recours serait de toute manière mal fondé.
En effet, si le recourant a collaboré activement à la procé-
dure en produisant des pièces censées établir l'origine
réelle des fonds, il n'en demeure pas moins que certaines
indications fournies doivent encore être vérifiées, en rela-
tion notamment avec l'activité déployée par la société d'im-
port-export que le recourant dirige en Grèce et avec l'acte
de vente passé sous seing privé le 25 août 1998. Il n'est
ainsi pas exclu que les investigations entreprises à ce su-

jet aboutissent à corroborer les informations transmises par
le recourant. On ne saurait donc dire que le Juge d'instruc-
tion instruirait exclusivement à charge en reportant entiè-
rement sur les épaules du recourant le fardeau de la preuve
de son innocence et qu'il aurait violé l'art. 32 al. 1 Cst.
sous cet angle (cf. ATF 120 Ia 31 consid. 2c et 3 p. 37 et
39). Pour le surplus, le moyen tiré de la violation du prin-
cipe de la présomption d'innocence en tant que règle d'ap-
préciation des preuves se confond avec le grief d'arbitraire
(ATF 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88; 120 Ia 31 consid. 2e et
4b p. 38 et 40).

4.- Se fondant sur l'art. 26 Cst., le recourant sou-
tient que la saisie conservatoire dont il est l'objet ne re-
poserait sur aucun intérêt public suffisant et violerait le
principe de la proportionnalité. Il tient également pour ar-
bitraires les motifs invoqués pour refuser de lever cette
mesure.

a) La saisie conservatoire de valeurs patrimoniales est
une restriction au droit de propriété garanti par l'art. 26
al. 1 Cst. qui n'est compatible avec cette disposition que
si elle repose sur une base légale, est justifiée par un in-
térêt public et respecte le principe de la proportionnalité
(art. 36 al. 1 à 3 Cst.; pour la jurisprudence relative à
l'art. 22ter aCst., ATF 125 II 129 consid. 8 p. 141; 121 I
117 consid. 3b p. 120). Ce dernier principe exige qu'une me-
sure restrictive soit apte à produire les résultats attendus
et que ceux-ci ne puissent pas être atteints au moyen d'une
autre intervention moins incisive. En outre, il interdit
toute limitation qui aille au-delà du but visé et il exige
un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts pu-
blics et privés qui sont compromis (ATF 124 I 40 consid. 3e
p. 44/45, 107 consid. 4c/aa p. 115; 122 I 236 consid. 4e/bb
p. 246; 119 Ia 41 consid. 4a p. 43, 348 consid. 2a p. 353,
374 consid. 3c p. 377).

b) La saisie conservatoire a pour but de préparer la
confiscation ou la dévolution à l'Etat des objets et valeurs
patrimoniales qui ont servi à l'infraction ou qui en sont le
produit; elle intervient donc dans l'intérêt public, soit
pour supprimer un avantage ou une situation illicites obtenu
par la commission d'une infraction, soit pour confisquer de
manière définitive les objets qui ont servi à la commission
de l'infraction. Le recourant conteste par conséquent à tort
l'intérêt public d'une telle mesure. Quant au moyen tiré de
la violation du principe de la proportionnalité, il doit
être examiné en relation avec le grief d'arbitraire éga-
lement invoqué.

c) Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole grave-
ment une règle ou un principe juridique clair et indiscuté
ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le senti-
ment de la justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de
dernière instance que si elle est insoutenable ou en contra-
diction évidente avec la situation de fait, si elle a été
adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit cer-
tain; par ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la
décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que
celle-ci soit arbitraire dans son résultat (ATF 125 I 166
consid. 2a p. 168 et la jurisprudence citée).

d) La mesure litigieuse repose sur l'art. 115 A CPP
gen. Cette disposition est respectée lorsque la saisie porte
sur des objets ou des valeurs patrimoniales dont on peut
vraisemblablement admettre qu'ils pourront être confisqués
en application du droit pénal fédéral (cf. SJ 1990 p. 443).
En début d'enquête, la simple probabilité suffit car, à
l'instar de toute mesure provisionnelle, la saisie se rap-
porte à des prétentions encore incertaines; en outre, les
autorités judiciaires doivent pouvoir décider rapidement du
séquestre provisoire, ce qui exclut qu'elles résolvent des

questions juridiques complexes ou qu'elles attendent d'être
renseignées de manière exacte et complète sur les faits
avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99; 103 Ia 8 con-
sid. III/1c p. 13; 101 Ia 325 consid. 2c p. 327; cf. Gérard
Piquerez, Les mesures provisoires en procédure civile, admi-
nistrative et pénale, RDS 1997 II 1, ch. 6, p. 89 et les ré-
férences citées). Le séquestre pénal se justifie aussi long-
temps que subsiste une probabilité de confiscation (SJ 1994
p. 90 et 102).

e) Le recourant considère que le Juge d'instruction
dispose des informations nécessaires pour retenir que les
sommes saisies ne proviendraient pas d'une infraction et le-
ver la mesure de blocage. Il soutient que l'argent saisi en
mains de son épouse le 19 août 1998 correspondrait au prix
payé pour l'achat de deux maisons de campagne appartenant à
son père, en date du 22 juillet 1998, et que la somme de
275'000 dollars américains versée sur son compte à Genève
serait des économies héritées de ses parents. Il a versé di-
verses pièces destinées à établir ses allégations, dont une
convention passée avec l'acquéreur le 25 août 1998, une at-
testation d'Interpol Tbilissi certifiant qu'il était effec-
tivement propriétaire de biens immobiliers à Tiflis ainsi
que diverses pièces retraçant la carrière professionnelle de
son père.

De son côté, le Juge d'instruction a reçu diverses in-
formations d'Interpol Athènes suivant lesquelles A.________
serait impliqué en Grèce dans un trafic de cigarettes. Il
avait ainsi le devoir de vérifier cette information et, si
celle-ci devait se confirmer, de s'assurer que les sommes
saisies ou bloquées ne provenaient pas de ce trafic, mais
bien de la vente de deux maisons de campagne appartenant au
recourant, comme l'affirme ce dernier, ou de l'héritage de
son père. Dans l'attente de cette confirmation, il pouvait

sans arbitraire tenir la demande du recourant tendant à la
levée de la saisie pour prématurée.

Par ailleurs, l'autorité intimée a considéré à juste
titre que les pièces produites par le recourant n'étaient
pas suffisantes pour établir l'origine réelle et licite des
fonds saisis ou bloqués. Elle pouvait en effet sans arbi-
traire voir un élément insolite dans le fait que le recou-
rant avait versé au dossier un acte de vente sous seing pri-
vé conclu après la transaction et la venue en Suisse de son
épouse, et retenir qu'il convenait d'en vérifier l'authenti-
cité, malgré les explications données à ce sujet et l'attes-
tation d'Interpol Tbilissi confirmant que le recourant avait
effectivement vendu des biens immobiliers le 22 juillet
1998. De même, le recourant n'a versé à la procédure aucun
document permettant d'appréhender la fortune de son père à
son décès et, partant, d'admettre sans doute possible que
les fonds déposés auprès de la banque D.________ provenaient
de l'héritage de ses parents. Enfin, Interpol Athènes a in-
diqué ne pas avoir localisé la société d'import-export que
le recourant dirige; l'autorité intimée pouvait ainsi égale-
ment de manière soutenable retenir que les indications four-
nies au Juge d'instruction étaient insuffisantes à démontrer
la réalité de ce commerce et que des investigations supplé-
mentaires concernant l'activité déployée par cette société
étaient nécessaires.

Le Juge d'instruction n'a donc pas fait preuve d'arbi-
traire en refusant de lever la mesure incriminée aussi long-
temps qu'il n'a pas obtenu la confirmation de l'origine
réelle et licite des sommes d'argent saisies en mains de
C.________ et déposées sur le compte du recourant auprès de
la banque D.________, à Genève. Pour le surplus, on ne voit
pas en l'état quelle mesure moins grave que celle ordonnée
permettrait d'éviter le risque que celui-ci ne dispose, dans
l'intervalle, des sommes saisies. Sous cet angle, l'ordon-

nance attaquée est conforme aux exigences de principe de la
proportionnalité. Il est exact en revanche que l'instruction
de la cause dure depuis un temps assez long; il ressort tou-
tefois du dossier qu'après une période de relative inaction
difficilement compatible avec les exigences de célérité de
la procédure, celle-ci se déroule aujourd'hui normalement
avec l'envoi de plusieurs commissions rogatoires internatio-
nales dont certaines ont déjà exécutées. Pour respecter le
principe de la proportionnalité sous cet angle, le Juge
d'instruction devra veiller à ce que les autorités requises
donnent suite dans les meilleurs délais à ces mesures d'ins-
truction et, le cas échéant, lever la saisie si les investi-
gations menées à l'étranger devaient confirmer les déclara-
tions du recourant étayées par pièces selon lesquelles les
fonds proviendraient d'un héritage de ses parents et de la
vente de deux immeubles en Géorgie.

5.- Le recours doit par conséquent être rejeté dans la
mesure où il est recevable, aux frais du recourant, qui suc-
combe (art. 156 al. 1 OJ); vu l'issue de la procédure, il
n'y a pas lieu à l'octroi de dépens (art. 159 al. 1 et 2
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est receva-
ble;

2. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire
de 5'000 fr.;

3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant, au Procureur général, au Juge d'instruction et
à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 28 juin 2000
PMN/mnv

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.275/2000
Date de la décision : 28/06/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-06-28;1p.275.2000 ?
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