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19/06/2000 | SUISSE | N°1A.32/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 juin 2000, 1A.32/2000


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1A.32/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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19 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Zimmermann.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

Forus (Cyprus) Ltd, à Nicosie (Chypre),
Forus Investment Finance Ltd, à Tortola (Iles Vierges
britanniques),
Forus Services SA, à Lausanne,
Forus Leasing SA, à Lausanne,
Forus Ho

lding SA, à Luxembourg,
J.________,
K.________, et
P.________,
tous représentés par Me Thomas P. Zemp, avoca...

«»
1A.32/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

19 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Zimmermann.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

Forus (Cyprus) Ltd, à Nicosie (Chypre),
Forus Investment Finance Ltd, à Tortola (Iles Vierges
britanniques),
Forus Services SA, à Lausanne,
Forus Leasing SA, à Lausanne,
Forus Holding SA, à Luxembourg,
J.________,
K.________, et
P.________,
tous représentés par Me Thomas P. Zemp, avocat à Zurich,

contre

la décision de clôture de la procédure d'entraide prise le
28
décembre 1999, ainsi que les décisions incidentes prises les
13, 14, 15 juillet et 3 août 1999 par le Ministère public de
la Confédération;

(Entraide judiciaire à la Fédération de Russie; art. 1, 2,
3,
5 et 14 CEEJ; art. 1, 1a, 2, 3, 28, 64 et 80h EIMP; double
incrimination; ordre public; principe de la proportionnalité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 5 mai 1999, le Procureur général de la Fédé-
ration de Russie, M.B. Katychev, a demandé l'entraide judi-
ciaire à la Suisse pour les besoins de la procédure pénale
ouverte contre les ressortissants russes Boris Abramovitch
Berezovski, Nikolai Alexeievitch Glouchkov et Alexander
Semionovitch Krasnenker, pour fraude et blanchiment
d'argent,
délits réprimés par les art. 159 et 174 du Code pénal russe
(CPR).

La demande expose que le 1er avril 1993 a été cons-
tituée la société Aeroflot (ci-après: Aeroflot) - reprenant
la compagnie aérienne préexistant sous le même nom - dont la
Fédération de Russie détient 51% du capital-actions. A l'ins-
tigation de Berezovski, Glouchkov était devenu le premier
adjoint du directeur économique et financier d'Aeroflot,
Krasnenker adjoint pour les affaires commerciales et
E.________, adjoint pour la logistique. Berezovski et
Glouchkov étaient les principaux actionnaires et dirigeants
de la société A.________, constituée à Lausanne le 7 février
1994. Le 9 mai 1996, Glouchkov aurait, au nom d'Aeroflot,
conclu un accord (désigné sous la rubrique n° xxx) avec
A.________, aux termes duquel celle-ci mettait un compte
bancaire (désigné sous la rubrique n° aaa) à la disposition
de Berezovski et de Glouchkov. Cette opération violait
l'art.
5 par. 2 de la loi russe du 9 octobre 1992 sur la réglementa-
tion de change et le contrôle des devises. Le 30 mai 1996, à
l'instigation de Berezovski, de Glouchkov et de Krasnenker,
G.________, à l'époque directeur général d'Aeroflot, aurait
donné l'ordre aux représentations d'Aeroflot à l'étranger de
transférer 80% des bénéfices réalisés sur le compte n° aaa.
Un montant total de 400'000'000 USD aurait été détourné. Dès
le mois d'avril 1996, un montant d'environ 200'000'000 USD,
correspondant aux émoluments à payer par les compagnies
étrangères pour l'utilisation des voies aériennes russes,
aurait été viré sur un compte appartenant à une société
Forus
Services SA, dont Berezovski et Glouchkov étaient les
administrateurs. Un montant de 100'000'000 USD aurait été
acheminé, via une société H.________ contrôlée par
Berezovski, sur le compte n° bbb ouvert au nom d'une société
I.________ auprès de l'UBS à Lausanne. Un montant de
15'000'000 USD, provenant des bénéfices d'Aeroflot, aurait
été transféré sur le compte ouvert au nom d'une société
L.________. Berezovski et ses comparses auraient utilisé ces
fonds blanchis pour des opérations financières en Russie, à
des fins personnelles. Etaient aussi impliqués dans l'affai-
re, outre Berezovski, Glouchkov, Krasnenker, E.________ et
G.________, les dénommés Y.________, P.________, N.________
et O.________. La demande tendait à la saisie de tous les
documents relatifs aux activités de A.________ et de Forus,
en relation avec les faits décrits dans la demande; à la
remise de la documentation relative aux comptes n° bbb et
aaa, ainsi que de tout autre compte ouvert au nom des
sociétés citées dans l'exposé des faits et dont Berezovski
serait le bénéficiaire. Le Procureur Katychev a aussi
demandé
aux autorités suisses de déterminer si Berezovski,
Glouchkov,
Krasnenker, E.________, Y.________, P.________, G.________,
N.________ et O.________ étaient titulaires de comptes ou de
cartes de crédit auprès de l'UBS ou d'autres établissements
bancaires; de vérifier si ces personnes avaient payé des
impôts en Suisse ou possédaient des biens immobiliers en
Suisse; de saisir tous ces comptes et biens; de remettre la
documentation relative à leurs séjours en Suisse. La demande
tendait à l'audition comme témoins de M.________, de
J.________, de F.________, de K.________, de Q.________,
R.________, de S.________ et de T.________, ainsi que de
P.________ qui résidait en Suisse. Le Procureur Katychev a
demandé en outre à ce que des collaborateurs du Ministère
public russe et du Ministère des finances soient autorisés à
participer à l'exécution des mesures d'entraide.

Le 23 juin 1999, l'Office fédéral de la police (ci-
après: l'Office fédéral) a délégué l'exécution de cette de-
mande au Ministère public de la Confédération (ci-après: le
Ministère public).

Le 30 juin 1999, le Ministère public est entré en
matière sur la demande et a ordonné la perquisition des lo-
caux des sociétés Forus Leasing SA (ci-après: Forus Leasing)
et Forus Services SA (ci-après: Forus Services), à Lausanne.
Au cours de cette perquisition qui a eu lieu le 1er juillet
1999, quatre cent quatre-vingt-sept objets (classeurs et
cartons contenant des documents) ont été séquestrés.

Le 13 juillet 1999, le Ministère public a ordonné le
séquestre du compte n° 80640.6 ouvert auprès du Crédit Lyon-
nais à Genève au nom de la société Forus Investment Finance
Ltd (ci-après: Forus Investment), sur lequel P.________ déte-
nait une procuration. Le Ministère public a en outre exigé
la
remise de la documentation y relative. Le 16 juillet 1999,
le
Ministère public a levé le séquestre de ce compte, à concur-
rence d'un montant de 9'586'209,85 DEM, afin de permettre le
paiement de garanties accordées avant la mesure de
séquestre,
en cas d'appel de celles-ci.

Le 14 juillet 1999, le Ministère public a ordonné le
séquestre du compte ouvert au nom de Forus (Cyprus) Ltd (ci-
après: Forus Cyprus) auprès de la banque Crédit agricole
Indosuez à Genève, sur lequel P.________ détenait une procu-
ration. Le Ministère public a exigé la remise de la documen-
tation y relative.

Par deux décisions séparées du 15 juillet 1999, le
Ministère public a ordonné l'audition de K.________, d'une
part, et de P.________, d'autre part, en présence de colla-
borateurs du Ministère public russe et du Ministère russe
des
finances.

Le 16 juillet 1999, le Ministère public a ordonné le
séquestre, auprès du Crédit suisse à Lausanne, de tous les
comptes dont Berezovski et Glouchkov étaient les titulaires
ou les ayants droit économiques, soit notamment les comptes
n° ccc, ddd, eee et fff, ouverts au nom de Forus Cyprus,
Forus Leasing, Forus Holding Ltd (ci-après: Forus Holding)
et
Forus Services. Le Ministère public a exigé la remise de la
documentation relative à ces comptes.

Le 3 août 1999, le Ministère public a ordonné l'au-
dition de J.________, en présence de collaborateurs du Minis-
tère public russe.

Le 29 septembre 1999, le Tribunal fédéral a déclaré
irrecevables les recours de droit administratif formés par
Forus Investment, Forus Holding, Forus Services et Forus
Cyprus contre les décisions incidentes des 13, 14 et 16 juil-
let 1999, faute d'un préjudice immédiat et irréparable au
sens de l'art. 80e let. b de la loi fédérale sur l'entraide
internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS
351).

Le 29 septembre 1999, le Tribunal fédéral a déclaré
irrecevable le recours de droit administratif formé par
P.________ contre l'ordonnance du 16 juillet 1999, faute de
préjudice immédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let.
b EIMP.

Le 29 septembre 1999, le Tribunal fédéral a admis
partiellement les recours de droit administratif formés par
Forus Cyprus, Forus Investment, Forus Services, Forus
Leasing, Forus Holding, K.________ et P.________ contre les
décisions du 15 juillet 1999, en ce sens que la présence de
représentants du Ministère des finances russes à l'audition
de K.________ et P.________ a été refusée; les recours ont
été déclarés irrecevables pour le surplus.

Le 28 février 2000, le Tribunal fédéral a rejeté, en
tant qu'il avait conservé son objet, le recours et la dénon-
ciation (traités comme recours de droit administratif)
formés
par Forus Cyprus, Forus Investment, Forus Services, Forus
Leasing et Forus Holding au sujet du traitement de la
demande
par le Ministère public.

B.- L'Etat requérant a complété la demande à cinq
reprises.

Le 16 juillet 1999, Nikolai Vassilievitch Volkov,
Juge d'instruction chargé des enquêtes particulièrement im-
portantes auprès du Ministère public russe, a adressé direc-
tement au Procureur général de la Confédération un
complément
de la demande du 5 mai 1999. Ce document précisait que le sé-
questre des comptes visés dans la demande était rendu néces-
saire par les prescriptions du droit interne russe; que les
ressortissants russes désignés dans la demande étaient soup-
çonnés d'avoir utilisé des comptes en Suisse pour blanchir
le
produit des infractions commises au détriment d'Aeroflot ou
pour cacher les pots-de-vin versés par Berezovski; que les
mesures visant G.________ et N.________ avaient pour but de
vérifier si ces dirigeants d'Aeroflot avaient été corrompus
par Berezovski.

Le 30 juillet 1999, le Juge Volkov a complété la de-
mande du 5 mai 1999, en demandant à ce que soient saisis non
seulement les comptes ouverts au nom des personnes désignées
dans la demande, mais aussi ceux ouverts au nom des tiers
qui
auraient pu jouer le rôle de comparses ou d'intermédiaires.
Cela concernait notamment les dénommés Z.________, adjointe
de Y.________; W.________, directeur adjoint d'Aeroflot;
AA.________, directeur de L.________; BB.________, directeur
de la société CC.________, dépendante de la société
H.________; DD.________, représentante d'Aeroflot dans le
conseil d'administration de A.________; EE.________, diri-

geant de la banque FF.________ et de la société GG.________,
dominées par Berezovski; HH.________, épouse de ce dernier.

Le 13 août 1999, Vassili Vassilievitch Kolmogorov,
adjoint du Procureur général de la Fédération de Russie, a
réitéré la nécessité, pour les besoins de la procédure ou-
verte dans l'Etat requérant, de procéder à la saisie des
comptes bancaires pouvant avoir servi à la commission des
infractions poursuivies, notamment pour ce qui concernait la
saisie de la documentation relative aux comptes ouverts au-
près de l'UBS à Lausanne au nom des sociétés Forus et
A.________.

Le 12 novembre 1999, le Juge Volkov a demandé au
Ministère public de lui remettre la documentation propre à
démontrer que Berezovski et Glouchkov dominaient A.________,
ainsi que la documentation relative aux transferts de fonds
des comptes de A.________ aux comptes (ou sous-comptes)
d'Aeroflot. Le Juge Volkov a indiqué que, sur le vu du
développement de l'enquête, des inculpations pour fraude
(art. 159 CPR) seraient prochainement prononcées. Il appa-
raissait en effet que des sommes importantes, appartenant
aux
sociétés Aeroflot, JJ.________ et KK.________, titulaires de
comptes en Suisse par l'intermédiaire de A.________, avaient
été acheminées, au titre de paiements pour des contrats fic-
tifs, sur les comptes des personnes physiques citées dans la
demande et ses compléments et de sociétés (dont notamment
I.________, LL.________, MM.________, Forus, NN.________,
OO.________, PP.________, QQ.________, RR.________,
SS.________, TT.________ et UU.________). Le Juge Volkov a
précisé à cette occasion que les accusations d'activités
économiques illégales (art. 171 CPR) et de blanchiment (art.
174 CPR) avaient été abandonnées à l'encontre de Berezovski
-
mais non de Glouchkov et de Krasnenker -, sans qu'il soit
exclu de les ranimer sur le vu des renseignements qui pour-
raient être fournis par la Suisse en exécution de la
demande.

S'inscrivant en faux contre les allégations propagées par la
presse, le Juge Volkov a assuré le Ministère public que les
procédures contre Berezovski n'avaient pas fait l'objet d'un
classement. Le Juge Volkov a en outre joint un catalogue de
questions à poser aux témoins J.________, M.________,
F.________ et K.________.

Le 22 novembre 1999, le Procureur adjoint Kolmogorov
a adressé un complément au Procureur général de la Confédé-
ration, dont le contenu recoupe largement celui du
complément
du 12 novembre précédent, étant précisé qu'étaient mention-
nées, en outre, les sociétés VV.________, WW.________,
XX.________, YY.________, ZZ.________, AAA.________,
BBB.________, CCC.________, DDD.________, EEE.________,
FFF.________, GGG.________, HHH.________, III.________,
JJJ.________ et KKK.________.

C.- Des actes d'exécution ordonnés par le Ministère
public, il ressort que Berezovski était actionnaire des so-
ciétés du groupe Forus, de leur constitution jusqu'à fin oc-
tobre 1996. Il a occupé la fonction de directeur de Forus
Leasing de novembre 1993 à juillet 1997, de Forus Services
du
20 octobre 1993 au 16 mai 1996. Il a occupé la fonction d'ad-
ministrateur de Forus Leasing jusqu'au 12 juin 1998.
Glouchkov a été administrateur de Forus Leasing jusqu'au 12
juin 1998, de Forus Services
jusqu'au 26 mai 1997.

Berezovski et Glouchkov sont ou étaient les ayants
droit économiques des comptes n° ggg ouvert au nom de Forus
Cyprus auprès du Crédit Suisse à Lausanne, n° eee ouvert au
nom de Forus Holding auprès du Crédit Suisse à Lausanne,
n° ddd ouvert au nom de Forus Leasing auprès du Crédit
suisse
à Lausanne et n° fff ouvert au nom de Forus Services auprès
du Crédit Suisse à Lausanne.

Au cours de la procédure, le Ministère public a au-
torisé plusieurs fois la levée des séquestres, à concurrence
d'un montant de plusieurs centaines de milliers de francs,
afin de permettre aux sociétés concernées de faire face à
leurs obligations courantes. Dans le même but, le Ministère
public a autorisé la copie d'une partie des documents saisis.

En octobre 1999, le Ministère public a autorisé la
société LLL.________ à consulter le dossier pour les besoins
d'un mandat de révision confié par Forus Services pour
éclaircir ses relations d'affaires avec Aeroflot.
LLL.________ a établi son rapport le 6 décembre 1999.

Le Ministère public a procédé à l'audition de
J.________ les 26 et 29 novembre 1999, de P.________ le 30
novembre 1999 et de K.________ le 1er décembre 1999.

Le 28 décembre 1999, le Ministère public a rendu une
décision de clôture ordonnant la transmission à l'Etat requé-
rant d'une partie de la documentation réunie lors de l'exécu-
tion de la demande (ch. 1 et 2 du dispositif), sous réserve
du principe de la spécialité (ch. 4 du dispositif), et le-
vant, pour un montant de 2 millions de francs, le séquestre
visant le compte N° hhh dont la société Forus Holding SA
(Luxembourg) est la titulaire (ch. 3 du dispositif). Le Mi-
nistère public a considéré, en bref, que la procédure pénale
en Russie était toujours en cours; que les documents à trans-
mettre étaient utiles et nécessaires à l'enquête et que le
principe de la proportionnalité était respecté.

D.- Agissant le 28 janvier 2000 par la voie du re-
cours de droit administratif, Forus (Cyprus) Ltd, Forus
Investment Finance Ltd, Forus Services SA, Forus Leasing
SA, Forus Holding SA, ainsi que J.________, K.________ et
P.________ demandent principalement au Tribunal fédéral
d'annuler la décision du 28 décembre 1999, les décisions in-
cidentes des 30 juin, 13, 14, 15 juillet et 3 août 1999,
ainsi que l'arrêt rendu le 4 octobre (recte: 29 septembre
1999) par le Tribunal fédéral dans la cause 1A.156/1999, la
demande d'entraide devant en outre être rejetée. A titre sub-
sidiaire, les recourants demandent au Tribunal fédéral d'an-
nuler la décision de clôture et d'inviter le Ministère
public
à statuer à nouveau. A titre encore plus subsidiaire, les re-
courants concluent à la modification de la décision du 28 dé-
cembre 1999, de manière à ce que ne soit accordée la remise
que des documents concernant les relations avec Aeroflot,
selon la prise de position du 5 novembre 1999, et que soit
levé le séquestre touchant les autres comptes que celui visé
au ch. 3 du dispositif de la décision du 28 décembre 1999.
Subsidiairement sur ce dernier point, les recourants requiè-
rent que l'Etat requérant soit invité à confirmer soit l'ou-
verture d'une procédure pénale contre Berezovski, Glouchkov
et Krasnenker, soit la condamnation de ceux-ci par un juge-
ment entré en force avant le 31 décembre 2000, avec l'aggra-
vation de l'accusation mentionnée dans la demande du 5 mai
1999, à défaut de quoi les séquestres devraient être levés.
Enfin, les recourants demandent que leur soient remises des
copies des documents transmis, aux frais de la
Confédération.

Selon les recourants, la demande ne répondrait pas
aux exigences formelles de l'art. 28 EIMP. L'entraide
devrait
être refusée au regard des art. 2 let. a, c et d EIMP. Elle
concernerait un délit monétaire au sens de l'art. 3 al. 3
EIMP et porterait atteinte à l'ordre public suisse. La condi-
tion de la double incrimination et le principe de la propor-
tionnalité ne seraient pas respectés.

Le Ministère public et l'Office fédéral concluent au
rejet du recours dans la mesure où il serait recevable.

E.- Le 1er février 2000, les recourants ont communi-
qué au Ministère public une copie de l'inventaire des objets

saisis. Au regard de chacun de ceux-ci, les recourants ont
indiqué quels objets pouvaient être remis selon la procédure
simplifiée régie par l'art. 80c EIMP, lesquels ne pouvaient
être remis que partiellement et lesquels ne devraient, selon
eux, pas être transmis à l'Etat requérant. A chaque fois,
les
recourants ont brièvement motivé, en style télégraphique,
leur position. Le Ministère public a estimé que celle-ci ne
commandait pas de revoir la décision du 28 décembre 1999.

F.- Le 7 avril 2000, le Ministère public a indiqué
aux recourants avoir terminé le tri des documents conservés
sur la cassette de sauvegarde du système informatique des so-
ciétés Forus et sur une autre disquette qui avaient été sé-
questrées. Il ressortait de cet examen que ces supports - dé-
signés sous les ch. 86 et 88 de l'inventaire de objets
saisis
auprès des recourants - contenaient des informations utiles
pour les autorités de l'Etat requérant et feraient l'objet,
ultérieurement, d'une nouvelle décision de clôture.

G.- Le 11 avril 2000, les recourants sont intervenus
spontanément dans la procédure. Ils ont fait état d'un dos-
sier secret que l'Office fédéral aurait établi au sujet de
Berezovski, dossier dont le contenu avait été dévoilé par un
article paru dans le numéro 14/2000 du journal "Facts". Les
recourants se sont plaints à ce sujet d'une violation de
leur
droit d'être entendus et d'une violation du secret de fonc-
tion. Ces documents, attestant l'existence d'accords secrets
passés entre le Ministère public et les autorités russes, dé-
montreraient que l'autorité intimée collaborerait avec
l'Etat
requérant sur des bases secrètes, incompatibles avec le prin-
cipe de la légalité et en violation de l'art. 2 let. a EIMP.
Quant à la prise de position du 7 avril 2000, elle
prouverait
que l'autorité intimée n'avait pas procédé à un tri soigneux
des pièces à remettre à l'Etat requérant.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) A teneur de l'art. 37 al. 3 OJ, l'arrêt est
rédigé dans une langue officielle, soit, en règle générale,
celle de la décision attaquée. En l'espèce, la procédure a
été ouverte en français, langue du canton de Vaud sur le ter-
ritoire duquel ont été opérés les séquestres contestés. Les
décisions incidentes dont les recourants demandent l'annula-
tion, ainsi que les premiers arrêts rendus par le Tribunal
fédéral dans cette affaire l'ont été en français. Par la
suite, sans doute pour des motifs liés à l'organisation in-
terne du Ministère public, celui-ci a pris les décisions ul-
térieures en allemand, qui est aussi la langue du mandataire
des recourants. Cela étant, l'économie et le principe de cé-
lérité de la procédure (cf. art. 17a al. 1 EIMP) commandent
de statuer en français, dans la suite des premiers arrêts
rendus par le Tribunal fédéral. Les recourants n'en
subissent
au demeurant aucun dommage. Les personnes morales ne parlent
- par définition - aucun idiome particulier. K.________,
ressortissant luxembourgeois, a été interrogé en français.
Quant à P.________, ressortissant russe domicilié dans le
canton de Vaud et J.________, citoyen suisse, tous deux
interrogés en allemand, ils sont à même de comprendre le
présent arrêt rédigé en français. Il en va de même du man-
dataire des recourants. Tous ces éléments justifient de
déroger en l'occurrence à la règle et de statuer en
français,
malgré le fait que la décision attaquée et le recours sont
rédigés en allemand.

b) Il convient de prendre acte de ce que le Minis-
tère public a, selon sa détermination du 7 avril 2000, renon-
cé (du moins à ce stade de la procédure) à remettre à l'Etat
requérant les supports informatiques, désignés sous les ch.
86 et 88 de l'inventaire des objets séquestrés. Ces supports
ne font ainsi plus l'objet de la présente procédure, ce dont

il convient de prendre acte. Pour le surplus, l'écriture du
11 avril 2000, que les recourants ont produit sans y avoir
été invités (cf. art. 110 al. 4 OJ), est irrecevable. Elle
est écartée de la procédure.

2.- a) La Confédération suisse et la Fédération de
Russie sont toutes deux parties à la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1),
conclue à Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur
le
20 mars 1967 pour la Suisse et le 9 mars 2000 pour la
Russie.
Ce traité s'applique en l'espèce, selon la règle "pacta sunt
servanda", indépendamment du fait qu'il n'était pas en vi-
gueur pour la Russie au moment où le Ministère public a sta-
tué (cf. consid. 4 non publié de l'ATF 125 II 356). Les dis-
positions de la CEEJ l'emportent sur le droit autonome qui
régit la matière, soit l'EIMP et son ordonnance d'exécution
(OEIMP), qui sont applicables aux questions non réglées,
explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel
et
lorsque cette loi est plus favorable à l'entraide que la Con-
vention (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140
consid.
2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a
p.
191/192; 118 Ib 269 consid. 1a p. 271, et les arrêts cités),
sous réserve du respect des droits fondamentaux (ATF 123 II
595 consid. 7c p. 617). Pour le surplus, il va de soi que
les
accords que le Ministère public aurait conclus avec les auto-
rités de l'Etat requérant pour faciliter la procédure d'en-
traide n'ont pas pour effet de modifier ou de compléter les
dispositions du traité multilatéral, à la seule aune duquel
la décision attaquée doit être examinée.

b) La voie du recours de droit administratif est ou-
verte contre la décision ordonnant la transmission à l'Etat
requérant de documents concernant l'activité commerciale des
sociétés recourantes, de la documentation relative à des
comptes bancaires, ainsi que des procès-verbaux relatant
l'audition de témoins (art. 25 al. 1 EIMP). Elle est aussi

ouverte, simultanément avec le recours dirigé contre la déci-
sion de clôture (art. 80d EIMP), contre les décisions inci-
dentes antérieures (art. 80e EIMP; cf. ATF 125 II 238
consid.
6a p. 247, 356 consid. 3a p. 361). En revanche, il n'est pas
possible d'attaquer par la voie du recours de droit adminis-
tratif, comme le font les recourants (cf. le ch. 1 des con-
clusions du recours, mis en relation avec la pièce 17 des an-
nexes), un arrêt rendu antérieurement par le Tribunal
fédéral
au sujet d'un recours formé contre une décision incidente.
Sans doute les recourants remettent-ils en discussion, dans
le cadre de la présente procédure, les décisions incidentes
antérieures, le rejet de la demande d'entraide impliquant de
lever les mesures de contrainte initiales. Cela étant, il
n'y
a pas lieu d'admettre que le recours devrait être traité
comme une demande de révision de l'arrêt du 4 octobre
(recte:
29 septembre) 1999. La conclusion formée contre celui-ci sem-
ble au demeurant relever plutôt de l'inadvertance que de
l'intention.

c) Les autres conclusions qui vont au-delà de l'an-
nulation de la décision sont recevables (art. 25 al. 6 EIMP;
art. 114 OJ; ATF 122 II 373 consid. 1c p. 375; 118 Ib 269
consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les arrêts
cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les condi-
tions pour accorder l'entraide sont remplies et dans quelle
mesure la collaboration internationale doit être prêtée (ATF
123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269 consid. 2e p.
275). Il statue avec une cognition pleine sur les griefs sou-
levés sans être toutefois tenu, comme le serait une autorité
de surveillance, de vérifier d'office la conformité de la dé-
cision attaquée à l'ensemble des dispositions applicables en
la matière (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 119 Ib 56
consid. 1d p. 59). L'autorité suisse saisie d'une requête
d'entraide en matière pénale n'a pas à se prononcer sur la
réalité des faits invoqués et ne peut que déterminer s'ils
constituent une infraction, tels qu'ils sont présentés dans

la demande. Cette autorité ne peut s'écarter des faits dé-
crits par l'Etat requérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou
contradictions évidentes et immédiatement établies (ATF 118
Ib 111 consid. 5b p. 121/122; 117 Ib 64 consid. 5c p. 88 et
les arrêts cités).

d) Selon l'art. 80h let. b EIMP, a qualité pour agir
quiconque est personnellement et directement touché par une
mesure d'entraide et a un intérêt digne de protection à ce
qu'elle soit modifiée ou annulée. Dans le domaine de la coo-
pération judiciaire internationale en matière pénale, cette
disposition reprend - ainsi que l'art. 21 al. 3 EIMP pour ce
qui concerne la personne poursuivie dans la procédure étran-
gère - la règle de l'art. 103 let. a OJ. L'intérêt fondant
la
qualité pour agir peut être juridique ou de fait; il ne doit
pas nécessairement correspondre à celui protégé par la norme
invoquée. Il faut toutefois que le recourant soit touché
plus
que quiconque ou la généralité des administrés dans un inté-
rêt important, résultant de sa situation par rapport à l'ob-
jet litigieux. Un intérêt digne de protection existe lorsque
la situation de fait ou de droit du recourant peut être in-
fluencée par le sort de la cause; il faut que l'admission du
recours procure au recourant un avantage de nature économi-
que, matérielle ou idéale (ATF 125 II 356 consid. 3b/aa p.
361/362; 124 II 409 consid. 1e/bb p. 417/418, 499 consid. 3b
p. 504; 123 II 115 consid. 2a p. 117, 376 consid. 4a p.
376).
Le recours formé dans le seul intérêt de la loi ou d'un
tiers
est en revanche irrecevable (ATF 125 II 356 consid. 3b/aa p.

361/362; 124 II 499 consid. 3b p. 504; 123 II 542 consid. 2e
p. 545, et les arrêts cités).

aa) Forus Services a qualité pour agir, selon l'art.
80h let. b EIMP, mis en relation avec l'art. 9a let. b
OEIMP,
contre la transmission de la documentation relative à son ac-
tivité commerciale, saisie lors de la perquisition du 1er
juillet 1999. Forus Cyprus, Forus Investment, Forus Leasing

et Forus Holding ont aussi qualité pour agir sous cet
aspect,
en tant que la documentation saisie les concerne. En outre,
Forus Cyprus, Forus Services, Forus Holding, Forus Leasing
et
Forus Investment ont qualité pour agir, selon l'art. 80h
let.
b EIMP, mis en relation avec l'art. 9a let. a OEIMP, contre
la transmission de la documentation relative aux comptes ban-
caires dont elles sont titulaires (ATF 125 II 356 consid.
3b/bb p. 362; 123 II 161 consid. 1d/aa p. 164; 122 II 130
consid. 2a p. 132/133). Toutefois, en tant que personnes mo-
rales, les sociétés recourantes n'ont pas qualité pour invo-
quer l'art. 2 let. a EIMP, excluant l'entraide lorsque la
procédure étrangère n'est pas conforme aux principes de pro-
cédure garantis par la CEDH et le Pacte ONU II (ATF 125 II
356 consid. 3b/bb p. 362; 115 Ib 68 consid. 6 p. 86/87).
Cette restriction à la qualité pour agir doit être étendue
aux autres cas visés par l'art. 2 EIMP, notamment ceux des
let. c et d de cette disposition invoquées par les sociétés
recourantes. En effet, il ne se justifie pas de reconnaître
la qualité pour agir sous l'angle de l'art. 2 EIMP à des
personnes morales qui ne peuvent alléguer aucun intérêt
digne
de protection, lié à leur situation concrète, pour se préva-
loir d'une norme destinée avant tout à protéger l'accusé
dans
la procédure étrangère. On ne voit pas en effet en quoi la
situation des droits de l'homme en Russie serait de nature à
toucher, d'une quelconque manière, des sociétés de Chypre,
des Iles Vierges britanniques, de Suisse ou du Luxembourg.
L'intervention des sociétés recourantes tend à défendre la
loi, l'ordre public ou les droits de Berezovski; cela ne fon-
de pas cependant leur qualité pour agir au regard de l'art.
80h let. b EIMP, mis en relation avec l'art. 103 let. a OJ
(ATF 125 II 356 consid. 3b/bb p. 362/363).

bb) Le témoin a qualité pour agir, au sens de l'art.
80h let. b EIMP, dans une mesure limitée. Il peut s'opposer
à la transmission des procès-verbaux de son audition mais
uniquement dans la mesure où les renseignements communiqués

le concernent personnellement ou lorsqu'il se prévaut de son
droit de témoigner; il n'a pas qualité pour agir, en revan-
che, lorsque sa déposition porte sur des comptes bancaires
dont il n'est pas juridiquement titulaire (ATF 122 II 130
consid. 2b p. 133; 121 II 459 consid. 2c p. 462). Enfin, le
témoin ne peut s'opposer qu'à la transmission de ses propres
déclarations, mais non à la communication de pièces saisies
lors d'une perquisition (arrêt non publié C. du 27 février
1998, cité par Robert Zimmermann, La coopération judiciaire
internationale en matière pénale, Berne, 1999, n° 308,
n.1309).

Sur le vu de ces principes, les recourants
J.________, P.________ et K.________, contrairement à ce
qu'ils soutiennent, ne sont pas habilités à s'opposer à la
transmission de la documentation, y compris bancaire, rela-
tive aux sociétés Forus. Pour ce qui concerne les procès-
verbaux de leurs auditions, il ressort du dossier que les
recourants J.________, P.________ et K.________ ont été en-
tendus sur leur rôle dans la gestion des sociétés
mentionnées
dans la demande et notamment sur l'utilisation des comptes
bancaires qui auraient été ouverts en faveur de Berezovski,
Glouchkov et Krasnenker, sur les relations entre ceux-ci et
les sociétés impliquées, notamment celles du groupe Forus,
ainsi que sur les opérations concernant Aeroflot. P.________
a répondu à une question touchant à l'un de ses comptes ban-
caires. A cet égard, les recourants prétendent qu'ils
seraient recevables à s'opposer à la transmission des procès-
verbaux relatant leurs déclarations parce que le dévoilement
de ces documents dans la procédure pénale russe pourrait en-
traîner des poursuites contre eux du chef de blanchiment
d'argent au sens de l'art. 305bis CP et serait de nature à
compromettre leurs activités financières en Russie, dans
d'autres affaires. Il est douteux que la qualité pour agir
des recourants J.________, P.________ et K.________ doive
être admise pour ces raisons hypothétiques. Même à supposer

que le danger redouté se produise, les besoins de l'entraide
l'emporteraient, sur le vu des intérêts en présence. Cette
question souffre cependant de rester indécise, la qualité
pour agir des autres recourants devant être admise sur ce
point. Cela étant, il faut préciser que les recourants
J.________, P.________ et K.________ sont recevables à re-
courir seulement dans la mesure où la décision attaquée les
concerne. Cela exclut pour eux de soulever le grief tiré de
l'art. 2 EIMP, qui ne protège que l'inculpé dans la
procédure
pénale étrangère.

Sous ces réserves, il y a lieu d'entrer en matière.

3.- Selon les recourants, la demande ne satisferait
pas aux exigences de forme de l'art. 28 EIMP.

a) La demande d'entraide doit indiquer l'organe dont
elle émane et le cas échéant, l'autorité pénale compétente
(art. 14 al. 1 let. a CEEJ et 28 al. 2 let. a EIMP); son ob-
jet et ses motifs (art. 14 al. 1 let. b CEEJ et 28 al. 2
let.
b EIMP); la qualification juridique des faits (art. 14 al. 2
CEEJ et 28 al. 2 let. c EIMP); la désignation aussi précise
et complète que possible de la personne poursuivie (art. 14
al. 1 let. c CEEJ et 28 al. 2 let. d EIMP). Pour permettre
de
déterminer la nature juridique, la demande doit notamment
comprendre un bref exposé des faits (art. 14 al. 2 CEEJ et
28
al. 3 let. a EIMP). Les indications fournies à ce titre doi-
vent simplement suffire pour vérifier que la demande n'est
pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101;
115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77). Lorsque la demande tend, com-
me en l'espèce, à la remise de documents bancaires et au blo-
cage de fonds, l'Etat requérant ne peut se borner à communi-
quer une liste des personnes recherchées et des sommes qui
auraient été détournées; il lui faut joindre à la demande
des
éléments permettant de déterminer, de manière minimale, que
les comptes en question ont été utilisés dans le déroulement

des opérations délictueuses poursuivies dans l'Etat requé-
rant.

b) Dans un premier moyen, les recourants se plai-
gnent de ce que la demande n'indiquerait pas le lieu, le mo-
ment et le mode opératoire des délits qu'auraient commis
Berezovski, Glouchkov et Krasnenker. Les recourants y voient
une violation de l'art. 28 al. 3 let. a EIMP.

Ce grief doit être écarté. Il ressort en effet clai-
rement de la demande et de ses compléments que les autorités
de l'Etat soupçonnent Berezovski d'avoir joué de son influen-
ce pour placer ses acolytes Glouchkov, Krasnenker et
E.________ auprès de G.________, avec la mission d'influer
sur la marche des affaires d'Aeroflot dans un sens favorable
à ses propres intérêts, au détriment de ceux de la société.
Ainsi, dès le mois d'avril 1996, le produit d'émoluments ver-
sés à Aeroflot par des compagnies aériennes étrangères en
contrepartie du droit d'utiliser les voies aériennes russes,
aurait été viré sur des comptes ouverts au nom de Forus Ser-
vices SA, société dont Berezovski et Glouchkov étaient ad-
ministrateurs. Le 30 mai 1996, G.________ aurait, à l'insti-
gation de Glouchkov, Krasnenker et E.________, donné l'ordre
aux représentations d'Aeroflot à l'étranger de reverser un
montant correspondant à 80% de leurs bénéfices sur le compte
n° aaa ouvert par A.________ en faveur de Berezovski et de
Glouchkov. De même, divers montants provenant des bénéfices
d'Aeroflot auraient été transférés sur des comptes ouverts
au
nom des sociétés Forus, dont Berezovski et Glouchkov étaient
les ayants droit. Le complément du 12 novembre 1999 indique
en outre que des montants provenant notamment d'Aeroflot
auraient été virés, au titre de paiement de contrats
fictifs,
sur des comptes ouverts au nom de sociétés tierces.

Ces indications suffisent pour comprendre les soup-
çons qui pèsent sur Berezovski et ses comparses, ainsi que

l'époque, le lieu et les moyens des délits qui leurs sont
reprochés. Sous couvert de critiquer les prétendus défauts
de
la demande à cet égard, les recourants cherchent à expliquer
en quoi les mouvements de fonds entre Aeroflot, d'une part,
et les sociétés Forus, d'autre part, correspondraient à des
opérations commerciales licites. Selon les recourants,
Aeroflot aurait eu à faire face à de gros besoins de capi-
taux, notamment pour la modernisation de sa flotte et l'ac-
quisition de nouveaux appareils. A cette fin, Aeroflot
aurait
chargé le groupe Forus de lui procurer un crédit de l'ordre
de 180'000'000 USD. En échange de ces fonds, Aeroflot aurait
cédé aux sociétés Forus le produit d'accords ("Interline
Settlements") conclus entre Aeroflot et des compagnies étran-
gères, correspondant au versement de celles-ci à celle-là de
montants perçus pour l'utilisation des lignes aériennes et
des équipements des aéroports russes. Les sociétés Forus
auraient elles-mêmes cédé ces montants à des banques ("Secu-
rity Agents") ayant fourni le crédit demandé par Aeroflot.
En
d'autres termes, le rôle des sociétés Forus se serait limité
à celui d'un intermédiaire de services financiers.

Cette version des faits revient à contester l'accu-
sation. Or, il n'entre pas dans la mission du juge de l'en-
traide d'examiner de tels arguments, qui relèvent du seul
juge du fond (consid. 2c ci-dessus).

c) Dans un deuxième moyen, les recourants allèguent
que l'attestation de licéité des mesures de contrainte dans
l'Etat requérant ferait défaut, en violation de l'art. 76
let. c EIMP.

La CEEJ, entrée en vigueur pour la Russie dans l'in-
tervalle, ne range pas l'attestation de licéité au nombre
des
documents à joindre à la demande d'entraide (cf. art. 14
CEEJ); il suit de là que l'exigence de cette pièce supplémen-
taire n'est pas opposable à l'Etat requérant (arrêts non pu-

bliés D. du 7 décembre 1998, consid. 3b et W. du 18 avril
1996, consid. 2).

4.- Il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés
des art. 2 let. a, c et d EIMP soulevés par les recourants,
faute pour eux de qualité pour agir à cet égard (consid. 2d
ci-dessus).

5.- Les recourants prétendent que la procédure ou-
verte dans l'Etat requérant viserait à réprimer un délit de
contrôle des changes ne donnant pas lieu à l'entraide judi-
ciaire selon l'art. 3 al. 3 EIMP.

a) La CEEJ ne prévoit pas expressément que la coopé-
ration qu'elle régit puisse être refusée à raison de délits
à
la législation sur le contrôle des changes. La Suisse consi-
dère toutefois que la répression de ce type d'infractions
est
contraire à son ordre public et à ses intérêts essentiels,
expressément réservés à l'art. 2 let. b CEEJ (Message du
Conseil fédéral du 1er mars 1966, FF 1966 I p. 465ss,
484/485; cf. l'arrêt non publié M. du 10 septembre 1999,
consid. 7a).

b) La demande d'entraide a été présentée pour les
besoins d'une enquête ouverte pour fraude et blanchiment, in-
fractions réprimées par les art. 159 et 174 CPR. Il est
exact
que l'exposé des faits mentionne que l'accord passé le 9 mai
1996 entre Glouchkov, pour le compte d'Aeroflot, et
A.________, constituerait une violation de l'art. 5 par. 2
de
la loi russe du 9 octobre 1992 sur la réglementation de chan-
ge et le contrôle des devises. Cela ne signifie pas pour au-
tant que Berezovski et ses comparses seraient poursuivis de
ce chef par les autorités de l'Etat requérant. Même à suppo-
ser que tel fût le cas, les informations et documents trans-
mis par la Suisse ne pourraient servir à étayer l'accusation

sur ce point, conformément au principe de la spécialité ex-
pressément réservé dans la décision attaquée.

6.- Pour les recourants, la condition de la double
incrimination ne serait pas remplie en l'espèce.

a) Selon l'art. 5 al. 1 let. a CEEJ, applicable en
vertu de la réserve émise par la Suisse, l'exécution d'une
commission rogatoire aux fins de perquisition ou de saisie
d'objets est subordonnée à la condition que l'infraction
poursuivie dans l'Etat requérant soit punissable selon la
loi
de cet Etat et de l'Etat requis. L'examen de la
punissabilité
selon le droit suisse comprend, par analogie avec l'art. 35
al. 2 EIMP applicable en matière d'extradition, les éléments
constitutifs objectifs de l'infraction, à l'exclusion des
conditions particulières du droit suisse en matière de culpa-
bilité et de répression (ATF 124 II 184 consid. 4b p. 186-
188; 122 II 422 consid. 2a p. 424; 118 Ib 448 consid. 3a p.
451, et les arrêts cités). Ainsi, même dans les relations
avec des Etats liés à la Suisse par la CEEJ, et
contrairement
à ce que le libellé de la réserve émise à propos de l'art. 5
al. 1 let. a CEEJ pourrait laisser penser, l'autorité suisse
se borne à examiner la punissabilité selon le droit suisse,
sans avoir à contrôler de surcroît si les faits poursuivis
dans l'Etat requérant sont aussi punissables selon le droit
de ce dernier (ATF 116 Ib 89 consid. 3c/aa p. 94, et les
arrêts cités; cf. aussi ATF 124 II 184 consid. 4b p.
186/187). Il n'est fait exception à cette règle que dans le
cas où il ressortirait de la demande, de manière claire et
évidente, que les faits ne seraient manifestement pas punis-
sables dans l'Etat requérant, au point de faire apparaître
la
démarche de celui-ci comme abusive (cf. Zimmermann, op.
cit.,

349).

Il n'est pas nécessaire que les faits incriminés re-
vêtent, dans les deux législations concernées, la même quali-

fication juridique, qu'ils soient soumis aux mêmes
conditions
de punissabilité ou passibles de peines équivalentes. Il suf-
fit qu'ils soient réprimés dans les deux Etats comme des dé-
lits donnant lieu ordinairement à la coopération internatio-
nale (ATF 124 II 184 consid. 4b/cc p. 188; 117 Ib 337
consid.
4a p. 342; 112 Ib 225 consid. 3c p. 230 et les arrêts
cités).
En effet, la coopération internationale ne doit pas être en-
travée par les différences existant entre les systèmes juri-
diques des deux Etats.

b) La demande a été présentée pour les besoins de la
procédure ouverte dans l'Etat requérant du chef de fraude et
de blanchiment au sens des art. 159 et 174 CPR. La demande
du
5 mai 1999 se réfère expressément à ces dispositions. Dans
le
complément du 12 novembre 1999, le Juge Volkov a précisé que
l'accusation d'infraction à l'art. 174 CPR avait été abandon-
née pour ce qui concernait Berezovski uniquement, sous réser-
ve du dévoilement de preuves nouvelles.

Constitue une fraude au sens de l'art. 159 CPR la
soustraction de la propriété d'autrui ou l'acquisition d'un
droit sur la propriété d'autrui par le moyen de la tromperie
("Täuschung", selon la traduction allemande de cette disposi-
tion) ou de l'abus de confiance. Ce délit est passible de
l'amende, de l'astreinte au travail, de l'emprisonnement ou
de la réclusion jusqu'à trois ans (art. 159 al. 1 CPR). Si
les circonstances aggravantes visées aux al. 2 et 3 de cette
disposition sont réalisées, la peine maximale de réclusion
est de six à dix ans. L'art. 174 CPR réprime la légalisation
(blanchiment) d'argent acquis de manière illégale. L'infrac-
tion est consommée lorsqu'une personne utilise à des fins fi-
nancières ou commerciales des sommes d'argent ou d'autres
biens en sachant leur origine illégale ("..in Kenntnis der
Tatsache, dass sie auf ungesetzlichem Weg erworben wurden").
Elle est passible d'une sanction pécuniaire, d'une astreinte
au travail ou d'une peine privative de liberté allant
jusqu'à

quatre ans de réclusion. Ces peines peuvent aller jusqu'à
huit et dix ans de réclusion si les circonstances
aggravantes
visées aux al. 2 et 3 de l'art. 174 CPR sont réalisées.

c) Les recourants font valoir que le caractère in-
complet de la demande empêcherait de vérifier si la
condition
de la double incrimination est réalisée. Ainsi formulé, ce
grief recoupe celui tiré de l'art. 28 EIMP (cf. consid. 3 ci-
dessus). Il n'y a donc pas lieu de s'y arrêter. De même, les
recourants ne sont pas recevables à soutenir, comme ils le
font, que le rapport d'expertise établi le 6 décembre 1999
par LLL.________ démontrerait la régularité des relations
financières entre Aeroflot et les sociétés Forus, enlevant
ainsi tout fondement aux soupçons des autorités de l'Etat
requérant. Cette argumentation revient en effet à contester
le bien-fondé de l'accusation, ce qu'il n'est pas permis de
faire dans le cadre de l'examen de la double incrimination.

d) Selon la décision attaquée, les faits décrits
dans la demande et ses compléments auraient pu, s'ils
avaient
été commis en Suisse, tomber sous le coup des art. 314 CP
(gestion déloyale des intérêts publics) et 312 CP (abus d'au-
torité), mis en relation avec les art. 146 CP (escroquerie)
et 305bis CP (blanchissage d'argent).

aa) Les recourants contestent cette appréciation en
exposant que Berezovski, Glouchkov et Krasnenker ne pour-
raient, faute pour eux d'être fonctionnaires, avoir commis
des délits semblables à ceux réprimés par les art. 312 et
314
CP.

Il est constant que la collectivité publique - soit
la Fédération de Russie - détient la majorité du capital-
actions d'Aeroflot, qui présente ainsi les traits d'une so-
ciété d'économie mixte. Même si les dirigeants d'Aeroflot ne
peuvent être qualifiés de fonctionnaires - ni au regard du

droit russe, ni au regard du droit suisse -, il n'est cepen-
dant pas exclu d'emblée qu'ils puissent être assimilés aux
membres de l'autorité ou aux fonctionnaires au sens des art.
312 ss CP (arrêt non publié D. du 16 septembre 1999, concer-
nant le dirigeant, poursuivi pour corruption passive, d'une
société aérienne constituée sous la forme d'une société
d'économie mixte; cf. ATF 113 Ib 175 consid. 7b p. 181/182).
Cela étant, même à supposer que les faits reprochés à
Berezovski, Glouchkov et Krasnenker ne puissent tomber sous
le coup des art. 312 et 314 CP pour le motif indiqué par les
recourants, il resterait à envisager l'application, dans des
circonstances semblables, de l'art. 158 CP réprimant la ges-
tion déloyale. En effet, le procédé consistant, pour le di-
rigeant d'une société, à détourner à son profit une partie
des avoirs et des bénéfices de la société lèse les intérêts
de celle-ci au sens de l'art. 158 ch. 1 CP (cf. ATF 120 IV
190 consid. 2b p. 192-194). La condition de la double incri-
mination serait ainsi réalisée à cet égard (cf. aussi ATF
110
Ib 173 consid. 5b p. 181/182; 105 Ib 418 consid. 5b/aa p.
427/428), sans qu'il soit de surcroît nécessaire d'examiner
si elle l'est aussi au regard de l'art. 146 CP réprimant
l'escroquerie.

bb) Les recourants prétendent qu'Aeroflot n'aurait
subi aucun dommage à raison des faits exposés dans la deman-
de, comme le confirmerait aussi le fait qu'Aeroflot n'aurait
pas porté plainte contre Berezovski, Glouchkov et Krasnenker.

Dans la mesure où l'argumentation des recourants re-
vient, une nouvelle fois, à affirmer le caractère licite des
transactions entre Aeroflot et les sociétés Forus, le grief
porte sur le bien-fondé de l'accusation, que le juge de l'en-
traide n'a pas à examiner (consid. 2c et 3b ci-dessus). En
outre, afin de dissiper toute équivoque à ce sujet, le Juge
Volkov a indiqué au Ministère public que la nouvelle direc-
tion d'Aeroflot avait confirmé le préjudice subi et
manifesté

son intention de collaborer à la procédure pénale en cours.
Le Juge Volkov s'est référé sur ce point à un courrier que
lui a adressé le directeur des affaires juridiques
d'Aeroflot
le 14 décembre 1999. Les recourants contestent que tel
serait
véritablement le sens de cette missive, dont la traduction
allemande tronquerait le sens. Sur ce point, les recourants
jouent sur les mots: quelle que soit la traduction retenue,
il n'en demeure pas moins qu'Aeroflot - contrairement à ce
qu'affirment les recourants - ne prétend pas qu'aucun délit
n'aurait été commis à ses dépens; elle évoque clairement,
dans le courrier en question, l'existence d'un préjudice
justifiant, selon le résultat des investigations du juge, le
dépôt d'une plainte pénale. Cela suffit pour admettre que la
condition du dommage est remplie, sous l'angle de l'art. 158
CP.

e) De l'avis des recourants, la condition de la dou-
ble incrimination ne serait pas réalisée s'agissant du chef
de blanchiment d'argent, car le délit originaire (Vortat)
d'infraction à la législation sur le contrôle de change
selon
l'art. 171 CPR ne constituerait pas un délit au sens de
l'art. 9 CP.

Cet argument est dénué de pertinence. Le délit ori-
ginaire dont le produit aurait été blanchi est celui de frau-
de au sens de l'art. 159 CPR et non celui d'infraction à
l'art. 171 CPR qui ne donne pas lieu, en tant que tel, à
l'entraide.

f) Tous les moyens tirés de la double incrimination
doivent ainsi être écartés.

7.- Les recourants soutiennent qu'aucune accusation
n'aurait été notifiée à Berezovski, Glouchkov et Krasnenker.
En d'autres termes, les recourants allèguent que la demande
devrait être rejetée faute d'une procédure pénale ouverte

dans l'Etat requérant. Ils invoquent ainsi, de manière im-
plicite, l'art. 1 al. 1 CEEJ, aux termes duquel l'entraide
la
plus large possible doit être accordée dans toute procédure
visant des infractions (cf. aussi l'art. 1 al. 3 EIMP). Il
découle de cette règle, a contrario, que l'entraide régie
par
la CEEJ (et, accessoirement, par l'EIMP) est accordée seule-
ment si l'action pénale est ouverte dans l'Etat requérant.
Pour que tel soit le cas, une inculpation n'est pas indispen-
sable; l'ouverture d'une enquête préliminaire suffit, à con-
dition qu'elle puisse aboutir au renvoi des personnes impli-
quées devant un tribunal compétent pour connaître des infrac-
tions reprochées (ATF 123 II 161 consid. 3a p. 165; 118 Ib
457 consid. 4b p. 460; 116 Ib 452 consid. 3a p. 460/461; 113
Ib 257 consid. 5 p. 270).

Pour admettre l'existence d'une procédure pénale
dans l'Etat requérant, le Ministère public s'est fondé notam-
ment sur la décision rendue le 18 novembre 1999 par le Juge
Volkov, prolongeant jusqu'au 18 juin 2000 le délai pour con-
clure l'enquête préliminaire, décision confirmée le 22 novem-
bre 1999 par le Procureur adjoint Kolmogorov. Il ressort de
ce document que Glouchkov et Krasnenker ont été accusés for-
mellement des délits visés par les art. 171 et 174 CPR. Pour
contester ce point, les recourants se réfèrent aux déclara-
tions ("affidavit") faites le 21 décembre 1999 par Glouchkov
et Krasnenker. Outre le fait que ces dénégations sont sujet-
tes à caution, il aura échappé aux recourants que celles-ci
portent uniquement sur le chef d'infraction à l'art. 159
CPR.
Ainsi, contrairement à ce que prétendent les recourants, ces
déclarations ne contredisent pas les affirmations des autori-
tés de l'Etat requérant, dont il n'y a de toute manière pas
lieu de mettre en doute la véracité.

8.- Selon les recourants, l'octroi de l'entraide au-
rait pour effet de vider de sa substance le secret bancaire,
en violation de l'ordre public suisse.

a) L'Etat requis peut refuser sa coopération si
l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à
la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'au-
tres intérêts essentiels (art. 2 let. b CEEJ et 1a EIMP). Il
est douteux que ce grief soit recevable en l'espèce. En ef-
fet, les dispositions invoquées protègent principalement
l'Etat requis et subsidiairement la personne accusée dans la
procédure pénale étrangère, à l'exclusion des tiers (arrêt
non publié F. du 6 mai 1993, consid. 3a). A cela s'ajoute
que
l'art. 17 al. 1 EIMP prévoit que le Département fédéral de
justice et police décide dans le cas prévu par l'art. 1a
EIMP, règle qui devrait aussi s'appliquer lorsqu'est en jeu,
comme en l'espèce, l'art. 2 let. b CEEJ. Contre la décision
du Département fédéral est ouverte la voie du recours admi-
nistratif au Conseil fédéral selon l'art. 26, première
phrase, EIMP (cf. par exemple JAAC 49.85), fermant ainsi la
voie du recours de droit administratif.

b) Supposé recevable, le grief aurait dû être reje-
té.

Le dévoilement du secret bancaire ne fait en princi-
pe pas obstacle à l'entraide judiciaire, à moins que l'exécu-
tion de la demande ne conduise à vider entièrement le secret
bancaire de sa substance (ATF 123 II 153 consid. 7b p. 160;
115 Ib 68 consid. 4b p. 83). Tel n'est manifestement pas le
cas lorsque les mesures de contrainte critiquées concernent
quelques relations bancaires (ATF 123 II 153 consid. 7c p.
160/161; cf. aussi, en matière d'entraide administrative,
ATF
125 II 83 consid. 5 p. 84/85). Les recourants ne sauraient
sérieusement prétendre que la décision attaquée, portant sur
la transmission de la documentation relative à une demi-
douzaine de comptes, aurait pour effet de lever le secret
bancaire dans une telle mesure que cette institution, comme
telle, se trouverait en danger.

9.- Les recourants se plaignent d'une violation du
principe de la proportionnalité.

a) Ne sont admissibles, au regard des art. 3 CEEJ et
64 EIMP, que les mesures de contrainte conformes au principe
de la proportionnalité. L'entraide ne peut être accordée que
dans la mesure nécessaire à la découverte de la vérité re-
cherchée par les autorités pénales de l'Etat requérant. La
question de savoir si les renseignements demandés sont néces-
saires ou simplement utiles à la procédure pénale instruite
dans l'Etat requérant est en principe laissée à l'apprécia-
tion des autorités de cet Etat. L'Etat requis ne disposant
généralement pas des moyens lui permettant de se prononcer
sur l'opportunité de l'administration des preuves
déterminées
au cours de l'instruction menée à l'étranger, il ne saurait
substituer sur ce point sa propre appréciation à celle du ma-
gistrat chargé de l'instruction. La coopération internatio-
nale ne peut être refusée que si les actes requis sont sans
rapport avec l'infraction poursuivie et manifestement impro-
pres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande
apparaît comme le prétexte à une recherche indéterminée de
moyens de preuve (ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371; 121 II
241 consid. 3a p. 242/243; 120 Ib 251 consid. 5c p. 255). Le
principe de la proportionnalité empêche aussi l'autorité re-
quise d'aller au-delà des requêtes qui lui sont adressées et
d'accorder à l'Etat requérant plus qu'il n'a demandé (ATF
121
II 241 consid. 3a p. 243; 118 Ib 111 consid. 6 p. 125; 117
Ib
64 consid. 5c p. 68 et les arrêts cités). Au besoin, il lui
appartient d'interpréter la requête selon le sens que l'on
peut raisonnablement lui donner; rien ne s'oppose à une in-
terprétation large de la requête s'il est établi que, sur
cette base, toutes les conditions à l'octroi de l'entraide
sont remplies; ce mode de procéder évite aussi une
éventuelle
demande complémentaire (ATF 121 II 241 consid. 3a p. 243).
Sur cette base, peuvent aussi être transmis des renseigne-
ments et des documents non mentionnés dans la demande d'en-

traide (arrêt non publié D. du 7 décembre 1998, consid. 5).
Il incombe à la personne
visée de démontrer, de manière
claire et précise, en quoi les documents et informations à
transmettre excéderaient le cadre de la demande ou ne présen-
teraient aucun intérêt pour la procédure étrangère (ATF 122
II 367 consid. 2d p. 371/372). Lorsque la demande vise à
éclaircir le cheminement de fonds d'origine délictueuse, il
convient d'informer l'Etat requérant de toutes les transac-
tions opérées au nom des sociétés et des comptes impliqués
dans l'affaire (ATF 121 II 241 consid. 3c p. 244).

b) Dans un premier moyen, les recourants reprochent
au Ministère public de ne pas avoir procédé au tri des
pièces
à transmettre à l'Etat requérant.

aa) La participation du détenteur au tri des pièces
à remettre à l'Etat requérant découle, au premier chef, de
son droit d'être entendu (ATF 116 Ib 190 consid. 5b p.
191/192). Cette participation doit aussi être conçue comme
un
corollaire de la règle de la bonne foi régissant les
rapports
mutuels entre l'Etat et les particuliers (art. 5 al. 3
Cst.),
en ce sens que ceux-ci sont tenus de collaborer à l'applica-
tion correcte du droit par l'autorité. En matière d'entraide
judiciaire, cela implique pour la personne soumise à des me-
sures de contrainte d'aider l'autorité d'exécution,
notamment
pour éviter que celle-ci n'ordonne des mesures disproportion-
nées, partant inconstitutionnelles. Ainsi, la personne tou-
chée par la perquisition et la saisie de documents lui appar-
tenant est tenue, à peine de forclusion, d'indiquer à l'auto-
rité d'exécution quels documents ne devraient pas, selon
elle, être transmis et pour quels motifs. Ce devoir de colla-
boration découle du fait que le détenteur des documents en
connaît mieux le contenu que l'autorité; il facilite et sim-
plifie la tâche de celle-ci et concourt ainsi au respect du
principe de la célérité de la procédure ancré à l'art. 17a
al. 1 EIMP. Cette obligation est applicable non seulement

dans la procédure du recours de droit administratif (ATF 122
II 367 consid. 2d p. 371/372), mais aussi au stade de l'exé-
cution de la demande. Sous l'angle de la bonne foi, il ne
serait en effet pas admissible que le détenteur de documents
saisis laisse l'autorité d'exécution procéder seule au tri
des pièces, sans lui prêter aucun concours, pour lui repro-
cher après coup, dans le cadre d'un recours, d'avoir méconnu
le principe de la proportionnalité. Dans ce sens, contraire-
ment à ce que prétendent les recourants, le tri des pièces
n'est pas l'affaire exclusive de l'autorité d'exécution.
Encore faut-il que celle-ci donne au détenteur l'occasion,
concrète et effective, de se déterminer à ce sujet, afin de
permettre au détenteur d'exercer son droit d'être entendu et
de satisfaire à son obligation de coopérer à l'exécution de
la demande.

bb) En l'occurrence, les recourants se plaignent de
ne pas avoir disposé du temps suffisant pour exercer pleine-
ment leur droit d'être entendus. Cet argument n'est pas sé-
rieux: le Ministère public a autorisé les recourants à con-
sulter les pièces saisies, sans restrictions, du 13
septembre
au 8 octobre 1999, puis du 11 octobre au 10 novembre 1999.
Ce
délai de près de deux mois pleins doit être tenu pour large-
ment suffisant, quand bien même les séquestres ont porté sur
une très grande quantité de pièces.

cc) Le 27 août 1999, le Ministère public a autorisé
la consultation du dossier et invité les recourants à se dé-
terminer, dans un délai expirant le 15 octobre 1999, sur
l'entraide et la possibilité d'une exécution simplifiée de
la
demande selon l'art. 80c EIMP. Le 10 novembre 1999, le Minis-
tère public a invité le mandataire des recourants à un entre-
tien, au cours duquel ceux-ci ont été derechef invités à se
prononcer sur la transmission des pièces saisies à l'Etat re-
quérant. Les recourants n'ont pas donné suite à ces invita-
tions et ne se sont pas déterminés sur le tri des pièces.

Tout au plus ont-ils requis le Ministère public, le 10 décem-
bre 1999, de lever le séquestre des fonds, en échange de
quoi
ils étaient prêts à consentir à la remise des documents con-
cernant les transactions menées avec Aeroflot, à l'exclusion
de tout document bancaire ou ne concernant pas les rapports
avec Aeroflot. Cette prise de position, utilisant un critère
incertain (cf. consid. 9c ci-dessous), ne permettait pas au
Ministère public de discerner les raisons précises pour les-
quelles les recourants entendaient s'opposer à la remise de
telle ou telle pièce. En agissant comme ils l'ont fait, les
recourants ont renoncé à exercer pleinement leur droit de
participer au tri des pièces et négligé leur devoir de coopé-
ration avec le Ministère public. Ce n'est que le 1er février
2000, après le prononcé de la décision attaquée et le dépôt
du recours, que les recourants ont communiqué au Ministère
public une détermination - insuffisante (cf. consid. 9c ci-
dessous) - pour chaque pièce de l'inventaire des pièces sai-
sies.

Tolérer un tel comportement procédural reviendrait à
donner au détenteur de documents et de fonds saisis le moyen
d'empêcher l'autorité d'exécution de statuer rapidement,
comme l'exige l'art. 17a al. 1 EIMP. En omettant sciemment
de
se déterminer devant l'autorité d'exécution - ou, du moins,
en retardant indûment leur réponse à ce sujet - les recou-
rants ont entravé la tâche du Ministère public, lequel
aurait
eu intérêt, avant de prononcer la décision attaquée, à con-
naître les arguments des recourants, exposés de manière clai-
re et précise. Le particulier qui, à tort ou à raison, redou-
te une violation, à son détriment, du principe de la propor-
tionnalité, ne peut cacher ses observations à l'autorité
d'exécution pour les réserver exclusivement à l'autorité de
recours. Cela aurait pour conséquence, en l'espèce, de faire
du Tribunal fédéral l'instance unique du tri des pièces, ce
qui n'est pas compatible avec le système de l'EIMP.

Les recourants ayant pris le risque de ne pas se
déterminer devant le Ministère public comme ils auraient dû
le faire, ils doivent en assumer les conséquences.

c) Même à supposer que la prise de position du 1er
février 2000 n'ait pas été tardive, elle serait de toute ma-
nière insuffisamment motivée.

Lorsque les recourants entendent s'opposer à la
transmission d'une pièce déterminée, c'est toujours pour la
raison que, selon les recourants, elle ne concernerait pas
les transactions avec Aeroflot. Ce critère est inopérant,
car
il ne permet pas de déterminer de manière claire quels docu-
ments pourraient être transmis et lesquels ne pourraient
l'être. D'un côté, la seule mention du nom d'Aeroflot dans
un
document ne signifie pas encore qu'il concerne les relations
entre le groupe Forus et Aeroflot. A l'inverse, des
documents
ne citant aucun de ces noms pourraient remplir le critère
préconisé par les recourants.

Ceux-ci semblent partir de la prémisse - erronée -
que la demande porterait exclusivement sur les informations
et documents concernant, de près ou de loin, les relations
entre les sociétés Forus et Aeroflot. Une telle conception
méconnaît le principe dit de l'"utilité potentielle", qui
vient d'être rappelé, et conformément auquel le Ministère
public doit transmettre des documents concernant d'autres
personnes, sociétés ou comptes, même s'ils ne sont pas men-
tionnés dans la demande, pourvu que ces renseignements puis-
sent être utiles à la procédure ouverte dans l'Etat
requérant
et que les conditions de l'entraide soient remplies. Il ne
suffit donc pas de dire, de manière générale et indifféren-
ciée, que les documents ne concernent pas la procédure étran-
gère, mais bien de l'indiquer précisément, pièce par pièce.
Or, les recourants ne l'ont pas fait. Il n'appartient pas au
Tribunal fédéral de remédier d'office aux défauts du recours

sur ce point (cf. ATF 122 II 367 consid. 2d p. 371/372) et
de
défendre à leur place les intérêts des recourants.

10.- Dans une conclusion subsidiaire, les recourants
requièrent le Ministère public de leur remettre une copie
des
documents communiqués à l'Etat requérant, concernant la mar-
che de leurs affaires, aux frais de la Confédération.

a) Il est douteux qu'une telle requête soit receva-
ble dans le cadre du recours de droit administratif, car la
décision attaquée ne règle pas le point litigieux, ni dans
son dispositif, ni dans ses motifs. On pourrait dès lors se
demander si cette conclusion subsidiaire n'est pas sans
objet
ou, du moins, si elle n'est pas prématurée, de sorte qu'il
conviendrait de renvoyer les recourants à l'autorité
intimée.
Cela étant, par économie de procédure et en vue d'éviter
tout
atermoiement à cet égard, le point sera examiné brièvement.

b) Les recourants J.________, K.________ et
P.________ peuvent tout au plus demander à recevoir une
copie
de leurs auditions, ce qui leur a déjà été accordé. Quant
aux
documents relatifs aux comptes bancaires séquestrés, ils
sont
disponibles auprès des banques elles-mêmes. La requête des
recourants concerne ainsi uniquement les documents saisis
auprès des sociétés Forus et dont celles-ci ne détiendraient
pas de copie.

Les sociétés Forus ont le droit de disposer des do-
cuments d'affaires nécessaires à leur gestion. Conformément
à
l'art. 3 al. 3, première phrase, CEEJ, le Ministère public
ne
transmettra à l'Etat requérant que des copies certifiées
conformes des documents saisis. Il devra toutefois conserver
les originaux, pour le cas où les autorités de l'Etat requé-
rant en demanderaient la production (art. 3 al. 3, deuxième
phrase, CEEJ). Le Ministère public devrait être en mesure
d'établir une nouvelle série de copie des documents
transmis,

soit au moment de la communication elle-même, soit après
celle-ci. Cela étant, il va de soi que les frais en seront
supportés par les sociétés Forus, comme le prévoit l'ordon-
nance sur les frais et indemnités en procédure administra-
tive, du 10 septembre 1969 (RS 172.041.0), à laquelle il n'y
a pas lieu de déroger en l'espèce.

11.- Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesu-
re où il est recevable. Les frais en sont mis à la charge
des
recourants (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer
des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

2. Met un émolument judiciaire de 40'000 fr. à la
charge des recourants.

3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants, au Ministère public de la
Confédération
et à l'Office fédéral de la police (B 109672).

Lausanne, le 19 juin 2000
ZIR/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.32/2000
Date de la décision : 19/06/2000
1re cour de droit public

Analyses

Art. 64 et 80h let. b EIMP; qualité pour agir; principe de la proportionnalité; participation au tri des documents saisis. Qualité pour agir des personnes morales et des témoins, notamment sous l'angle de l'art. 2 EIMP (consid. 2d). Les personnes touchées ont l'obligation de participer au tri de la documentation saisie auprès d'elles, dès le stade de l'exécution de la demande, et de motiver, de manière précise, les arguments s'opposant selon elles à la remise (consid. 9b et c).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-06-19;1a.32.2000 ?
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