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15/06/2000 | SUISSE | N°1A.161/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 juin 2000, 1A.161/2000


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1A.161/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

15 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

L.________, représentée par Me Clarence Peter, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 15 mars 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire avec la Finlande)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 22 m...

«»

1A.161/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

15 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

L.________, représentée par Me Clarence Peter, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 15 mars 2000 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire avec la Finlande)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 22 mars 1996, le Procureur général près le
Tribunal de Vantaa (Finlande) a adressé à la Suisse une de-
mande d'entraide judiciaire pour les besoins d'une enquête
pénale ouverte, pour des délits de détournement, d'usure et
de fraude fiscale, contre L.________. Celle-ci se serait
approprié les biens de son mari U.________, de son vivant ou
peu après son décès survenu le 15 octobre 1994. La demande
tendait à l'obtention de renseignements au sujet d'un compte
n° xxx auprès de la banque Z._________ à Genève, sur lequel
34 millions de marks finlandais auraient été versés le 8
avril 1994.

Cette demande d'entraide a été exécutée par le Juge
d'instruction du canton de Genève qui, le 5 août 1996, a or-
donné la transmission des documents requis. Cette décision a
été confirmée par la Chambre d'accusation genevoise, puis
par
arrêt du Tribunal fédéral du 8 avril 1997, sur recours de
dame L.________, titulaire du compte. A cette occasion, le
Tribunal fédéral a considéré que les faits poursuivis en
Finlande tomberaient en tout cas sous le coup de l'art. 137
CP. L'autorité requérante mentionnait aussi une fraude fis-
cale pour laquelle l'entraide était exclue. Le rappel du
principe de la spécialité, et l'invitation faite à l'Office
fédéral de la police (OFP) d'attirer expressément
l'attention
de l'Etat requérant sur ce point, constituaient des mesures
propres à prévenir toute utilisation illicite des
renseignements obtenus.

B.- Le 8 avril 1998, le Procureur d'Helsinki a formé
une demande d'entraide complémentaire tendant à la
production
de renseignements relatifs d'une part au compte xxx (accords
avec la banque, relevés de sous-comptes, certains justifica-

tifs, compte-titres) et, d'autre part, à la location d'un
coffre.

Le 5 mai 1998, le juge d'instruction est entré en
matière. La banque a fourni les renseignements requis par
lettre du 26 juin 1998.

C.- Le 30 juin 1998, le juge d'instruction s'adressa
à l'OFP, en faisant état de violations du principe de la spé-
cialité commises par les autorités finlandaises. A réception
de la documentation transmise par la Suisse, l'inspecteur
R.________, commissaire de police judiciaire cosignataire de
la demande d'entraide complémentaire et chargé de l'enquête
contre L.________, avait requis à son encontre différentes
mesures coercitives (emprisonnement et retrait du
passeport),
en précisant que la poursuite se rapportait notamment à une
fraude fiscale. L'ancien avocat de U.________ avait été en-
tendu, par un autre enquêteur, en tant que complice possible
d'une fraude fiscale. Le commissaire R.________ avait égale-
ment tenté d'interroger par téléphone un employé de banque
en
Suisse.

Le 8 juillet 1998, après une intervention précédente
du 30 mars 1998, l'OFP s'est adressé au Ministère finlandais
de la justice (ci-après: le Ministère), en lui rappelant la
teneur du principe de la spécialité et en requérant que tou-
tes les mesures utiles soient prises afin que les informa-
tions remises par la Suisse ne soient pas utilisées dans le
cadre d'une poursuite pour violation de l'art. 29 par. 1 et
2
du code pénal finlandais (fraude fiscale caractérisée). Il
demandait en outre une garantie expresse de ce Ministère
quant à l'utilisation des documents requis dans la demande
complémentaire du 8 avril 1998.

Le 11 août 1998, le Ministère fit savoir que le Pro-
cureur d'Helsinki désirait être renseigné, notamment sur la

différence entre fraude et escroquerie fiscale, afin de véri-
fier si le principe de la spécialité avait été respecté par
les autorités de poursuite finlandaises. Sur plainte de dame
L.________, une enquête avait été ouverte afin de déterminer
si les enquêteurs avaient violé leurs obligations à cet
égard.

L'OFP répondit, le 25 août 1998, que la qualifica-
tion de l'escroquerie fiscale incombait aux autorités suis-
ses, et que cette infraction n'avait pas été retenue en
l'espèce. L'OFP produisait l'ordonnance de la Chambre d'ac-
cusation du 10 janvier 1997, ainsi qu'un arrêt du Tribunal
fédéral relatif à la notion d'escroquerie fiscale. Les ren-
seignements éventuellement utilisés dans la procédure
fiscale
devaient en être retirés.

Le 1er septembre 1998, le Ministère s'est engagé au
respect du principe de la spécialité, repris textuellement
de
la lettre de l'OFP du 8 juillet 1998, et a déclaré qu'il fe-
rait tout ce qui était en son pouvoir pour que les renseigne-
ments soient utilisés conformément à cette réserve.

Le 10 novembre 1998, l'OFP s'est à nouveau adressé
au Ministère: le mandataire de dame L.________ avait produit
un avis de droit d'un professeur à l'Université d'Helsinki,
dont il ressortait que le Ministère n'avait pas le pouvoir
d'imposer aux autorités pénales et fiscales le respect du
principe de la spécialité: rien n'empêchait les autorités
fiscales d'intervenir en tant que partie dans les procédures
pénales, et d'accéder aux informations qui s'y trouvent.
L'autorité étrangère était ainsi invitée à se déterminer, et
à confirmer son engagement formel "à ce que les informations
et documents fournis en exécution de la demande d'entraide
complémentaire du 8 avril 1998 dans l'affaire L.________
ne soient pas utilisés dans une procédure de nature fiscale
ni pour poursuivre des infractions à l'art. 29 du code pénal

finlandais". Les termes de la lettre du 1er septembre 1998
n'étaient pas assez affirmatifs pour lever tout doute sur ce
point.

Le 15 avril 1999, le Ministère a exposé que selon
l'art. 27 de la loi finlandaise sur l'assistance judiciaire,
les autorités finlandaises observent la confidentialité sur
les informations confiées, en tant que condition posée par
l'autorité publique étrangère. Lorsque le Ministère communi-
que les informations acquises aux autorités locales, il leur
signale cette réserve. Au cas où le fonctionnaire
négligerait
délibérément cette condition, il se rendrait coupable d'une
infraction au devoir de service passible d'une année de pri-
son. Le Ministère s'engageait dès lors au respect du
principe
de la spécialité, dans les termes rappelés par l'OFP dans
son
courrier précédent.

D.- Par ordonnance du 24 juin 1999, le juge d'ins-
truction a prononcé la clôture de la procédure d'entraide et
la transmission à l'autorité requérante des renseignements
complémentaires remis par la banque Z._________, en invitant
l'OFP à attirer l'attention des autorités judiciaires de
l'Etat étranger sur la règle de la spécialité, dont la
teneur
était rappelée en détail.

E.- Par ordonnance du 15 mars 2000, la Chambre d'ac-
cusation a rejeté un recours formé contre cette décision par
dame L.________. Selon les dernières informations fournies
par le Ministère, l'enquête suivie en Finlande se rapportait
aux infractions de fraude ou escroquerie aggravée, et d'omis-
sion de déclarer des avoirs dans l'inventaire successoral.
Il
n'y avait toutefois pas lieu de s'interroger à nouveau sur
la
condition de la double incrimination, déjà examinée par le
Tribunal fédéral dans son arrêt du 8 avril 1997. S'agissant
du respect du principe de la spécialité, il y avait certes
des indices sérieux que l'administration fiscale finlandaise

ait eu, et ait encore accès aux procédures pénales et aux
renseignements fournis par la Suisse. Toutefois, les démar-
ches nombreuses et insistantes entreprises par l'OFP avaient
abouti à la fourniture, par la Ministère, de deux
engagements
formels, le second encore plus affirmatif que le premier,
qui
traduisaient la volonté de l'Etat requérant. La recourante
voulait obtenir que de telles assurances soient aussi
exigées
de la part des autorités compétentes sur le plan interne,
soit le Procureur de la Cour d'Helsinki, en charge du
dossier
pénal et le Ministère des finances, à l'attention des autori-
tés de taxation. Toutefois dans un arrêt du 15 octobre 1999
dans la cause K. et A., auquel la Chambre d'accusation s'est
référée et sur lequel la recourante avait eu l'occasion de
se
prononcer, le Tribunal fédéral avait rejeté des griefs iden-
tiques, fondés sur le même avis de droit. Par ailleurs,
l'Etat requérant avait manifesté son intention de faire res-
pecter les garanties fournies à la Suisse. Il avait aussi
démontré que ses institutions pouvaient intégrer dans leurs
propres procédures les exigences imposées par la Suisse. Il
n'y avait enfin pas lieu d'exiger le retrait des pièces des
procédures à caractère fiscal. Les assurances de l'autorité
étrangère portaient aussi sur ce point, et le principe de la
spécialité s'opposait simplement à l'utilisation de ces piè-
ces, sans en exiger le retrait.

F.- L.________ forme un recours de droit administra-
tif contre cette ordonnance, dont elle requiert l'annulation.

La Chambre d'accusation se réfère aux considérants
de sa décision. L'OFP conclut au rejet du recours dans la
mesure où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours est formé en temps utile contre une
décision rendue en dernière instance cantonale (art. 25 al.
1
et 80f de la loi fédérale sur l'entraide internationale en
matière pénale - EIMP, RS 351.1, nouvelle teneur du 4
octobre
1996, en vigueur dès le 1er février 1997). La recourante est
personnellement et directement touchée par la mesure d'en-
traide, puisqu'elle est titulaire des relations bancaires
visées par la demande complémentaire. Sa qualité pour recou-
rir résulte des art. 21 al. 3, 80h al. 1 let. b EIMP et 9a
let. a OEIMP.

2.- La Finlande et la Suisse sont toutes deux par-
ties à la Convention européenne d'entraide judiciaire en ma-
tière pénale (CEEJ, RS 0.351.1). Aux termes de cette derniè-
re, les Parties contractantes s'engagent à s'accorder l'en-
traide judiciaire la plus large possible (art. 1). L'EIMP et
son ordonnance d'exécution (OEIMP, RS 351.11) s'appliquent
aux questions qui ne sont pas réglées par le droit conven-
tionnel, notamment la procédure à suivre devant les
autorités
suisses; le droit autonome s'applique également lorsqu'il se
révèle plus favorable à l'entraide que le droit
conventionnel
(ATF 118 Ib 269 consid. 1a).

3.- La recourante soutient que la demande complémen-
taire ne satisferait pas à la condition de la double incrimi-
nation. Les faits décrits dans la première demande avaient
été qualifiés d'abus de confiance par le juge d'instruction,
d'usure et d'escroquerie par la Chambre d'accusation, et
d'appropriation illégitime par le Tribunal fédéral. La re-
quête du 8 avril 1998 se référerait à la précédente demande.
Or, l'usure et l'escroquerie seraient exclues pour les
motifs
évoqués par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 8 avril
1997. L'abus de confiance, retenu par le juge d'instruction
dans son ordonnance de clôture du 24 juin 1999, serait égale-

ment exclu puisqu'on en ignorerait la victime: la recourante
se serait bornée à suivre les instructions de son mari, et,
après le décès de celui-ci, il n'existait aucun rapport de
confiance avec les héritiers, qui serait fondé sur une con-
vention ou découlerait de la loi. La qualification d'appro-
priation illégitime, retenue par le Tribunal fédéral, serait
erronée, car les fonds déposés sur un compte bancaire ne
constitueraient pas une chose mobilière au sens de l'art.
137
CP. La recourante exclut aussi l'application de l'art.
141bis
CP. Elle relève enfin que l'infraction relative à l'omission
de déclarer des avoirs dans l'inventaire successoral, d'ail-
leurs prescrite en droit finlandais, ne constituerait pas
une
infraction pénale en droit suisse, mais tout au plus une in-
fraction fiscale.

a) La question de la double incrimination a déjà été
examinée à l'occasion de la première demande d'entraide judi-
ciaire; elle a fait l'objet d'un arrêt du Tribunal fédéral
définitif et passé en force de chose jugée (art. 38 OJ), et
ne saurait en principe être revue à l'occasion d'une demande
complémentaire, sauf en cas de faits nouveaux déterminants.
Or la recourante n'est pas revenue sur cette question,
devant
la Chambre d'accusation. Son recours cantonal était exclusi-
vement fondé sur la question du respect du principe de la
spécialité. Ce n'est que dans des mémoires complémentaires
que la question de la double incrimination est abordée, non
pas en relation avec les demandes d'entraide elles-mêmes,
mais sur le vu de certaines inculpations prononcées en
Finlande, des chefs d'escroquerie aggravée et d'omission de
déclarer des biens dans l'inventaire successoral. La Chambre
d'accusation a répondu à cet argument en relevant que la
demande d'entraide complémentaire se situait dans le prolon-
gement de la demande initiale et que les considérations émi-
ses relativement à la condition de la double incrimination
pouvaient toujours s'appliquer, l'existence d'une seule in-
fraction punissable en droit suisse suffisant à l'octroi de

l'entraide. Or la recourante, qui se contente de reprendre
les arguments déjà soulevés dans son premier recours de
droit
administratif, n'invoque aucun fait nouveau,
soit un élément
pertinent qui serait apparu après le prononcé de l'arrêt du
8
avril 1997, qui en justifierait le réexamen.

De toute manière, un nouvel examen de la question ne
conduirait pas à une solution différente, en ce qui concerne
le sort du litige.

b) Selon la demande d'entraide, l'inventaire de la
succession de U.________ a été établi le 14 janvier 1995,
sur
la base notamment des indications de L.________, confirmées
par la suite sous serment. Les avoirs bancaires s'élevaient
alors à 28 millions de marks finlandais et, selon les esti-
mations faites par J.________, fils de U.________, 31 mil-
lions manqueraient à la succession. Un transfert de quelque
34 millions de marks finlandais avait eu lieu le 8 avril
1994, avec l'accord de U.________, au sujet duquel la recou-
rante ne s'était pas expliquée de manière satisfaisante. Il
ne serait pas exclu que la recourante ait profité de l'état
de santé de son mari, victime d'un attaque cérébrale en
1991,
pour s'approprier une partie de sa fortune.

c) Dans son arrêt du 8 avril 1997, le Tribunal fédé-
ral n'a pas exclu que les agissements décrits puissent cons-
tituer un abus de confiance au sens de l'art. 138 CP; il a
laissé la question indécise en considérant que l'art. 137 CP
serait de toute façon applicable. La recourante le conteste,
en relevant que cette disposition, qui n'est d'ailleurs en-
trée en vigueur que le 1er janvier 1995, soit
postérieurement
aux faits décrits dans la demande, ne s'appliquerait qu'aux
choses mobilières au sens de l'art. 713 CC, et non aux créan-
ces à l'égard d'une banque.

aa) Selon l'art. 137 CP, celui qui, pour se procurer
ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera
approprié une chose mobilière appartenant à autrui sera puni
de l'emprisonnement ou de l'amende, en tant que les condi-
tions prévues aux articles 138 à 140 ne seront pas
réalisées.
Par l'adoption de cette disposition, le législateur a
entendu
créer une véritable infraction de base pour les délits d'ap-
propriation, en l'étendant aux cas où la chose est parvenue
à
l'auteur avec la volonté de celui-ci, contrairement à l'an-
cien art. 141 CP. La recourante relève que cette disposition
n'est entrée en vigueur qu'après les faits décrits dans la
demande. La question de la double incrimination doit toute-
fois être résolue selon le droit en vigueur au moment où il
est statué sur l'admissibilité de l'entraide (ATF 122 II 422
consid. 2a p. 424).

Reprise de l'art. 141 aCP, l'expression "chose mobi-
lière" est indissociable de celles d'appropriation et de pro-
priété, le terme de valeur patrimoniale ayant une portée
trop
générale dans ce contexte. Selon l'auteur du message relatif
à l'art. 137 CP, l'appropriation de créances serait exclue
par la définition même de la propriété, qui ne peut porter
que sur des choses corporelles au sens des art. 713 ss CC
(FF
1991 II p. 967-968).

Selon la jurisprudence relative à l'art. 141 aCP,
commettait un détournement celui qui disposait d'une créance
bancaire en sachant qu'elle avait été portée par erreur sur
son compte (ATF 87 IV 115). Cet arrêt, critiqué par une par-
tie de la doctrine, a été confirmé pour l'essentiel dans
l'ATF 116 IV 136: la logique interne des art. 140 et 141
aCP,
ainsi que les valeurs et les buts qui inspiraient ces dispo-
sitions et les exigences de l'époque commandaient de
réprimer
également le détournement de créances. Dans cet arrêt, le
Tribunal fédéral a néanmoins estimé qu'il ne serait pas sa-
tisfaisant d'interpréter le nouvel art. 137 CP de la même

manière que l'art. 141 aCP; il a émis le souhait que le lé-
gislateur, s'il entendait réprimer l'usage abusif d'un
compte
bancaire alimenté par erreur, le fasse dans un texte clair.

Le législateur a ainsi adopté l'art. 141bis CP, qui
permet de poursuivre celui qui aura utilisé à son profit ou
au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales tombées en
son
pouvoir indépendamment de sa volonté. Le détournement de
créances est expressément visé, mais il est limité au cas
particulier où l'auteur a été surpris par des crédits portés
sur son compte sans sa volonté. Celui qui dispose de
montants
qui lui ont été remis de sa propre initiative n'est en revan-
che pas punissable pour cette infraction (ATF 123 IV 125 con-
sid. 2a p. 127). L'art. 141bis CP ne serait dès lors pas ap-
plicable aux faits décrits dans la demande, dès lors que le
virement opéré sur le compte de la recourante n'a manifeste-
ment pas eu lieu "indépendamment de sa volonté".

Compte tenu de la volonté exprimée par le législa-
teur, il est douteux que la jurisprudence extensive dévelop-
pée à propos de l'art. 141 aCP puisse continuer à
s'appliquer
à la disposition générale de l'art. 137 CP lorsque la dispo-
sition spécifique de l'art. 141bis CP n'est pas applicable.
Si l'opinion de la recourante peut être suivie sur ce point,
elle ne saurait l'être en revanche s'agissant du délit
d'abus
de confiance, retenu par le juge d'instruction.

bb) La recourante conteste avoir commis une telle
infraction au préjudice de U.________. Elle aurait ouvert le
compte sur les instructions de son époux, en vue de couvrir
les opérations commerciales de celui-ci, et les fonds
auraient été versés à une société conformément à sa volonté.
Il n'y aurait pas, par conséquent, de violation des directi-
ves quant à l'utilisation des fonds. Rien ne permettrait
d'affirmer que la recourante aurait, du vivant de son mari,
manifesté sa volonté de se comporter en propriétaire des

fonds, lesquels auraient effectivement servi à éteindre une
dette. Il n'y aurait pas non plus de relation de confiance
avec la succession de U.________.

La recourante argumente sur la base de sa propre
présentation des faits, perdant ainsi de vue que la double
incrimination s'apprécie sur la seule base de l'exposé des
faits fournis par l'Etat requérant. Or, selon la
présentation
de l'autorité requérante, le transfert de 34 millions de
marks finlandais a eu lieu sur ordre conjoint de la recouran-
te et de son époux. Il s'agirait sans le moindre doute du pa-
trimoine de ce dernier et la recourante ne prétend pas que
ce
versement constituerait une simple libéralité. Elle admet au
contraire que ce versement, sur un compte dont elle était ti-
tulaire, était destiné à une utilisation précise, soit en
particulier le désintéressement de créanciers de U.________;
la demande expose ensuite que lors de ses auditions, la
recourante avait prétendu que les fonds avaient servi à rem-
bourser un prêt ou avaient été utilisés pour les activités
commerciales de U.________, mais n'a pas été en mesure de
prouver ses allégations. On peut dès lors soupçonner, indé-
pendamment des explications fournies par la recourante qui
n'ont pas leur place dans le cadre de la procédure d'entrai-
de, que l'affectation initialement prévue pour les fonds ver-
sés sur le compte de la recourante n'a pas été respectée, ce
qui réaliserait l'infraction d'abus de confiance (cf. ATF
119
IV 127 s'agissant de l'auteur mis au bénéfice d'une procura-
tion sur un compte bancaire). La demande d'entraide
tendrait,
dans ce cas, à déterminer si la recourante a agi ou non con-
formément aux instructions de son mari.

Quant à l'argumentation relative aux desseins d'ap-
propriation et d'enrichissement illégitime, elle n'a pas à
être examinée dans le cadre de la procédure d'entraide, puis-
que l'autorité requérante soupçonne - ce qui est suffisant
pour justifier l'octroi de l'entraide - que la recourante a

disposé de tout ou partie des fonds qui lui avaient été con-
fiés.

Dès lors, la question laissée indécise dans l'arrêt
du 8 avril 1997 peut être résolue par l'affirmative et, pour
autant qu'elle soit recevable à ce stade, l'argumentation de
la recourante relative au principe de la double
incrimination
doit être écartée.

4.- La recourante persiste ensuite à considérer
qu'il existerait de sérieux indices que l'Etat requérant ne
sera pas en mesure de faire respecter par ses autorités le
principe de la spécialité. L'administration fiscale pourrait
avoir accès aux renseignements recueillis en Suisse et figu-
rant dans la procédure pénale. Les assurances données par le
Ministère de la justice ne lieraient pas les autorités de
poursuite pénale et fiscale. Le Ministère ne pourrait pas
leur donner d'injonctions sur ces points, en raison de l'in-
dépendance des autorités judiciaires.

a) La Chambre d'accusation n'a pas méconnu qu'il
existait de sérieux indices permettant de redouter une utili-
sation prohibée des documents remis par la Suisse. Elle a
néanmoins rejeté le grief en se référant à un arrêt du Tribu-
nal fédéral du 15 octobre 1999 relatif, lui aussi, à l'en-
traide judiciaire avec la Finlande.

Selon cet arrêt, le droit finlandais donne certes
aux autorités fiscales un droit étendu aux renseignements
nécessaires à la perception de l'impôt. Toutefois, l'utilisa-
tion par la Finlande des renseignements remis par la Suisse
en exécution de l'entraide judiciaire, est régie en premier
lieu par la CEEJ, qui constitue le fondement de la collabo-
ration entre les deux Etats. Malgré la conception dualiste
en
vigueur en Finlande, la primauté des engagements internatio-
naux est assurée, ce que confirme d'ailleurs l'art. 27 de la

loi finlandaise sur l'entraide judiciaire. Le Gouvernement
de
l'Etat requérant est par ailleurs en mesure de donner aux au-
torités fiscales et policières qui lui sont subordonnées les
directives nécessaires pour interdire toute investigation
fondée sur les renseignements fournis par la Suisse. Enfin,
il est sans importance que les documents remis par la Suisse
soient librement accessibles aux parties et aux autorités ju-
diciaires. En effet, le principe de la spécialité a pour
seul
effet d'empêcher l'utilisation de tels documents aux fins de
réprimer des délits fiscaux; il ne fait pas obstacle à la
simple divulgation de ces renseignements.

b) La Chambre d'accusation a encore relevé qu'en
l'espèce, l'OFP avait exigé et obtenu des garanties spécifi-
ques et dénuées de toute ambiguïté de la part du Ministère.
L'Etat requérant avait d'ailleurs apporté la preuve qu'il ne
tolérerait pas d'écart de la part de ses agents quant aux
conditions posées par la Suisse, puisqu'une enquête discipli-
naire était actuellement en cours à l'encontre, notamment,
de
l'enquêteur R.________. Une autorité judiciaire avait par
ailleurs refusé de donner suite à une requête tendant au
prononcé de mesures coercitives à l'égard de la recourante,
au motif que l'infraction de fraude fiscale ne pouvait être
retenue.

c) La recourante souligne que la présente cause se-
rait différente de celle ayant abouti au prononcé de l'arrêt
du Tribunal fédéral du 15 octobre 1999. D'une part, de nom-
breuses violations du principe de la spécialité auraient
déjà
eu lieu; d'autre part, le Directeur des affaires internatio-
nales des services généraux du Ministère finlandais de la
justice avait déclaré, lors d'une audition du 11 novembre
1998, que ce Ministère n'était pas compétent pour prendre
des
engagements relatifs au principe de la spécialité.

d) Il est vrai que la présente procédure est de na-
ture à susciter de vives inquiétudes sur la façon dont la
Finlande, partie à la CEEJ, assume ses engagements interna-
tionaux à l'égard d'un Etat cocontractant, en l'espèce la
Suisse, Etat requis. La déposition du haut fonctionnaire pré-
cité, M. H.________ est particulièrement éloquente à ce
propos. Ce dernier déclare ne pas s'être soucié de
rechercher
la portée de la réserve de la spécialité contenue dans la
lettre de couverture adressée par l'OFP le 27 janvier 1998,
contenant en annexe les informations demandées (p. 5). Par
ailleurs, l'intéressé déclare sans ambages que nonobstant la
réserve de la spécialité, les autorités finlandaises peuvent
utiliser des informations pour la poursuite d'infractions
fiscales (p. 7). Enfin, il estime que la condition imposée
par les autorités suisses n'a guère d'impact sur la question
de la publicité des informations, qui est de règle dans l'ad-
ministration finlandaise (p. 8).

e) Il ressort de ces déclarations que la réserve de
la spécialité formulée par la Suisse, en vertu d'une faculté
que lui offre la CEEJ (art. 2), est apparemment sans effet
dans ses relations avec la Finlande, du moins dans la présen-
te procédure. L'avis de droit du professeur G.O. Zacharias
Sundström (Helsinki, 28 septembre 1998), qui figure au dos-
sier, corrobore cette appréciation.

Cette situation ne laisse pas d'inquiéter, dans une
procédure d'entraide judiciaire qui a débuté le 22 mars
1996.
Dans son arrêt du 8 avril 1997 (1A.42/1997) rendu dans cette
même affaire, le Tribunal fédéral a écarté le grief de la re-
courante portant sur le principe de la spécialité, au motif
que l'on pouvait présumer, de la part des Etats contractants
à la CEEJ, le respect de leurs engagements internationaux
(consid. 5). Le Tribunal fédéral ajoutait:

"Dès lors, si l'Etat requérant a manifestement mé-
connu que la Suisse fait, en vertu de son droit in-
terne, usage de la possibilité réservée à l'art. 2
let. a CEEJ, il n'y a pas de raison de douter
qu'une fois cette réserve rappelée, son respect
sera assuré. Le rappel du principe de la spéciali-
té, tel qu'il figure dans la décision de clôture,
et l'invitation faite à l'OFP d'attirer expressé-
ment l'attention de l'Etat requérant sur ce point,
constituent par conséquent des mesures appropriées
afin de prévenir toute utilisation illicite des
renseignements transmis." (arrêt cité, consid. 5,
p. 8).

f) Trois ans plus tard, à l'occasion d'une demande

d'entraide complémentaire de la part de la Finlande dans
cette même affaire, force est de constater qu'il n'est tou-
jours pas possible de se fonder sur un engagement clair et
irrévocable de l'Etat finlandais de respecter la réserve de
spécialité posée comme condition à l'octroi de l'entraide
initiale par la Suisse, Etat requis. Sous l'angle des rela-
tions internationales, cette situation est préoccupante.
L'absence d'engagement ferme de la part de la Finlande ne
saurait être excusée par une référence toute générale aux
conceptions dualistes qui imprègnent, dans ce pays, les rap-
ports entre le droit international et le droit interne. Les
déclarations du haut fonctionnaire du Ministère finlandais
de
la justice illustrent le fait que les autorités de ce pays
semblent, dans la pratique, faire prévaloir les obligations
légales de publicité des actes de l'administration sur un
engagement international qui y pose certaines limites. Le
principe de la bonne foi dans les relations internationales,
qui constitue la pierre angulaire du droit des traités (pré-
ambule et art. 31 de la Convention de Vienne sur le droit
des
traités du 23 mai 1969, à laquelle la Finlande et la Suisse
sont parties), n'est ainsi pas respecté. La Suisse ne
saurait
se contenter plus longtemps d'engagements soit généraux du
Ministère de la justice (best endeavours clause, lettre du
1er septembre 1998), soit d'assurances certes plus précises,

mais ne valant que pour "les informations et documents four-
nis en exécution de la demande d'entraide complémentaire du
8 avril 1998" (lettre du Ministre finlandais de la justice
Järventaus du 15 avril 1999). L'engagement de la Finlande à
l'égard de la Suisse, au titre du principe de la spécialité,
doit porter sur l'ensemble des documents et informations
fournis par la Suisse à la suite de la demande d'entraide
initiale du 22 mars 1996, ou en voie de l'être par effet de
la demande complémentaire du 8 avril 1998. Sur le plan des
principes, il convient de rappeler que pour tout Etat, qu'il
soit de tradition moniste ou dualiste, un engagement interna-
tional lie l'ensemble de ses organes, y compris le pouvoir
judiciaire. Face au traité international, les organes de
l'Etat doivent chacun, dans leur sphère de compétences, veil-
ler à exécuter et mettre en oeuvre le traité, sans lui oppo-
ser un texte interne quel qu'il soit (art. 26 et 27 de la
Convention de Vienne; voir également ATF 122 II 485 consid.
3a p. 487, 125 II 417; voir déjà ATF 117 Ib 367 consid. 2e
p.
373).

g) Il convient donc de conditionner l'octroi de
l'entraide complémentaire demandée par la Finlande dans
cette
affaire à un engagement ferme, clair et irrévocable de la
Finlande de respecter le principe de la spécialité à l'égard
de l'ensemble de la procédure d'entraide (requête initiale
du
22 mars 1996 et requête complémentaire du 8 avril 1998), en
interdisant à toute autorité finlandaise d'utiliser, ou de
diffuser auprès d'autres autorités, les informations déjà
transmises ou à transmettre, pour la poursuite d'infractions
fiscales qui ne relèveraient pas, au sens du droit suisse,
de
l'escroquerie en matière fiscale.

h) Dans son recours, la recourante ne voit pas d'au-
tre moyen efficace d'assurer le principe de la spécialité
dans le cas d'espèce que d'obtenir des assurances
spécifiques
des instances finlandaises spécialement compétentes sur le

plan fiscal (Ministère des finances, Commission nationale de
taxation, Helsinki), et d'exiger de la Finlande la confirma-
tion que les pièces déjà reçues par voie d'entraide de la
Suisse dans cette affaire ont bien été retirées du dossier
fiscal de la recourante et, le cas échéant, de son dossier
pénal en ce qu'il a trait à la poursuite de l'infraction à
l'art. 29 § 1 et 2 du Code pénal finlandais (voir sur ce der-
nier point les assurances données par le Ministre finlandais
de la justice dans sa lettre précitée du 15 avril 1999). Il
n'appartient toutefois pas au Tribunal fédéral suisse de spé-
cifier quel organe étatique finlandais doit prendre quel en-
gagement spécifique. Le Tribunal fédéral doit se borner à vé-
rifier qu'en tant qu'obligation de résultat, l'engagement in-
ternational de la Finlande de respecter le principe de la
spécialité à l'égard de la Suisse est assuré sur la base de
la réserve faite par la Suisse en application de l'art. 2
let. a de la CEEJ (teneur actuelle de la réserve suisse: RO
1999, p. 1353), instrument qui constitue le fondement de la
collaboration entre la Suisse et la Finlande dans le domaine
de l'entraide judiciaire.

5.- Il en découle que, sur ce point, le recours doit
être admis: l'octroi de l'entraide judiciaire complémentaire
est subordonné à l'assurance préalable, donnée par
l'autorité
finlandaise compétente, que le principe de la spécialité
sera
respecté par toutes les autorités de cet Etat, y compris les
autorités judiciaires et fiscales. L'Office fédéral de la po-
lice fixera un délai approprié à l'Etat requérant pour four-
nir cet engagement. Il statuera ensuite conformément à
l'art.
80p al. 3 EIMP, tel qu'interprété par la jurisprudence (ATF
124 II 132 consid. 3 et 4 p. 139-144).

La recourante, qui obtient partiellement gain de
cause, a droit à des dépens réduits, à la charge de l'OFP.
Compte tenu de l'issue de la cause, il n'est pas perçu d'émo-
lument judiciaire.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours.

2. Dit que l'octroi de l'entraide judiciaire complé-
mentaire à la Finlande dans l'affaire L.________ est subor-
donné à l'assurance préalable, donnée par l'autorité finlan-
daise compétente, que le principe de la spécialité réservé
par la Suisse en application de l'art. 2 let. a de la CEEJ,
et qui lie la Finlande dans cette mesure, sera respecté à
l'égard de l'ensemble de la procédure d'entraide (requête
initiale du 22 mars 1996 et requête complémentaire du 8
avril
1998). Il est interdit à toute autorité finlandaise d'utili-
ser, ou de diffuser auprès d'autres autorités, les informa-
tions déjà transmises ou à transmettre, pour la poursuite
d'infractions fiscales qui ne relèveraient pas, au sens du
droit suisse, de l'escroquerie en matière fiscale.

3. Invite l'Office fédéral de la police à fixer un
délai approprié à l'Etat requérant pour fournir cet engage-
ment.

4. Alloue à la recourante une indemnité de dépens de
1000 fr., à la charge de l'Office fédéral de la police.

5. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

6. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre
d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office
fédéral
de la police (B 102 238).

Lausanne, le 15 juin 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.161/2000
Date de la décision : 15/06/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-06-15;1a.161.2000 ?
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