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14/06/2000 | SUISSE | N°4C.457/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 juin 2000, 4C.457/1999


«AZA 3»

4C.457/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

14 juin 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

Guenat S.A. Montres Valgine, aux Breuleux, demanderesse et
recourante, représentée par Me Lucien Tissot, avocat à La
Chaux-de-Fonds,

et

Jean-Pierre Jaquet, à La Chaux-de-Fonds, défendeur et
intimé,
représent

é par Me Christian Haag, avocat à La Chaux-de-Fonds;

(contrat d'entreprise)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les ...

«AZA 3»

4C.457/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

14 juin 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

Guenat S.A. Montres Valgine, aux Breuleux, demanderesse et
recourante, représentée par Me Lucien Tissot, avocat à La
Chaux-de-Fonds,

et

Jean-Pierre Jaquet, à La Chaux-de-Fonds, défendeur et
intimé,
représenté par Me Christian Haag, avocat à La Chaux-de-Fonds;

(contrat d'entreprise)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) La société les Fils d'A. Guenat S.A. Montres
Valgine, devenue en 1990 Guenat S.A. Montres Valgine (ci-
après: Montres Valgine), dont le siège est aux Breuleux, a
pour but la fabrication et la commercialisation de montres
en
tous genres. Au début de l'année 1989, cherchant un spécia-
liste dans les complications horlogères afin de réaliser un
modèle de montre à heures sautantes pour un client italien,
la maison Faraone, cette société entra en relations avec
Jean-Pierre Jaquet. Le 8 février 1989, ce dernier lui
adressa
une offre écrite en vue de la réalisation d'une telle montre.

Par courrier du 22 mars 1989, Montres Valgine fixa
à Jean-Pierre Jaquet un délai au 15 avril 1989 pour la pré-
sentation d'un dossier technique, demandant que la
production
des séries intervienne au plus tard à la fin du mois d'octo-
bre 1989.

Le 24 avril 1989, Montres Valgine fit savoir par
fax à Jean-Pierre Jaquet que le développement du module à
heures sautantes devait être prévu sur deux calibres - l'un
automatique, l'autre à quartz - et qu'il était prévu trois
grandeurs de boîtes, si bien que les disques devaient être
de
dimensions différentes. Elle demandait que lui soit remis
d'urgence le "plan d'élément de base" et rappelait qu'elle
attendait les prototypes pour le mois de juin au plus tard.

Le 3 mai 1989, Faraone commanda à Montres Valgine
2250 montres, certaines étant à heures sautantes; la moitié
de la commande devait être livrée à la fin du mois de novem-
bre 1989, l'autre moitié à la fin du mois de mai 1990. Le 13
juillet 1989, Montres Valgine confirma les livraisons à ces
deux échéances.

Les montres à heures sautantes ne purent être con-
çues et réalisées dans les délais envisagés. Montres Valgine
écrivit plusieurs fois à Jean-Pierre Jaquet pour lui
demander
d'établir un calendrier de dates précises, afin qu'elle puis-
se livrer les montres en temps utile.

Le 17 novembre 1989, Jean-Pierre Jaquet envoya à
Montres Valgine une facture de 40 000 fr. pour le travail de
recherche et de développement des montres à heures sautantes.

Le 8 décembre 1989, Montres Valgine se plaignit au-
près de Jean-Pierre Jaquet du fait que le beau-frère de ce
dernier, qui avait établi les plans, avait commis une erreur
de conception, les heures tournant dans le mauvais sens. Ain-
si, elle fixa un délai à fin avril 1990 en vue de la livrai-
son des montres, ajoutant qu'à défaut, la commande de
Faraone
serait annulée et qu'elle devrait récupérer les sommes inves-
ties auprès de Jean-Pierre Jaquet. Elle demanda à celui-ci
de
contresigner cette communication, ce qu'il s'abstint de fai-
re.

Le 9 décembre 1989, Montres Valgine adressa à Jean-
Pierre Jaquet le procès-verbal d'un entretien ayant eu lieu
la veille, lui fixant des délais pour la livraison des plans
et la réalisation de divers modules et lui demandant de
faire
le nécessaire pour arriver au terme du projet dans le délai
le plus court possible en raison des réactions violentes de
ses clients, quitte à laisser en suspens ses autres projets.
Jean-Pierre Jaquet ne contresigna pas ce document.

Dans le courant du mois de décembre 1989, la socié-
té Exidel S.A. fut chargée de procéder à la refonte de l'étu-
de. Dans une lettre destinée à Jean-Pierre Jaquet, avec
copie
à Montres Valgine, elle résuma les travaux qu'elle considé-
rait être de son ressort, relevant qu'il était nécessaire au
regard des exigences de Faraone que les cadrans tournent
dans

le sens contraire à celui de l'heure. Elle indiquait que le
dossier de croquis relatifs au module automatique devait
être
achevé pour le 15 février 1990.

Lors d'une entrevue réunissant, le 21 février
1990,
les représentants de Montres Valgine, Jean-Pierre Jaquet et
André Cachin, pour Exidel S.A., il fut convenu, selon le pro-
cès-verbal établi le lendemain par cette dernière société,
que Jean-Pierre Jaquet aurait la responsabilité de mener à
chef le travail, Exidel S.A. assurant la livraison des plans
et croquis nécessaires à sa réalisation. Il y était encore
précisé que cette société était en mesure de livrer incessam-
ment le solde des plans. A teneur de ce document, Montres
Valgine devait être en possession d'un prototype de montre à
heures sautantes le 15 mars 1990 et recevoir d'autres proto-
types destinés à la Foire d'échantillons de Bâle.

Le 4 mai 1990, Montres Valgine et Faraone convin-
rent qu'une première série de montres à heures sautantes se-
rait livrée le 15 juin 1990 et une autre le 30 juin 1990,
une
indemnité de 5 000 000 lires italiennes étant due par jour
ouvrable de retard.

Le 7 mai 1990, Montres Valgine impartit à Jean-
Pierre Jaquet un délai au 31 mai 1990, respectivement au 8
juin 1990, pour la livraison de modules montés sur calibre
automatique et sur quartz, précisant qu'à défaut, elle
serait
contrainte de lui réclamer 6000 fr. par jour de retard.

Le 28 mai 1990, Jean-Pierre Jaquet contesta toute
responsabilité, reprochant à Montres Valgine d'avoir confié
l'établissement des plans à son beau-frère sans lui donner
les informations nécessaires et de s'être livrée à trop de
pressions sur les personnes avec lesquelles elle collaborait
en vue de la réalisation des montres à heures sautantes, ce
qui les empêchait de travailler selon les règles de l'art.

Jean-Pierre Jaquet relevait encore qu'en cours d'exécution
du
projet, Montres Valgine avait exigé la production de trois
grandeurs de boîtes et la confection d'une montre à quartz,
ce qui changeait les coûts. Le même jour, il fit parvenir à
Montres Valgine une facture de 120 000 fr. qui fut réglée à
concurrence de 50 000 fr. au cours du mois de juillet 1990
et
de 70 000 fr. en décembre 1990.

Les délais fixés pour le mois de juin 1990 ne fu-
rent pas tenus et, le 18 juillet 1990, Faraone fit part à
Montres Valgine de son inquiétude au sujet de ce retard en
précisant qu'elle pourrait remettre en cause les pénalités
convenues au moment de la livraison et qu'elle se réservait
la possibilité de renoncer à la seconde moitié de sa comman-
de.

b) Au cours de la période allant du mois de novem-
bre 1990 au mois de juin 1991, 424 modèles à aiguilles et
666
montres à heures sautantes furent livrés à Faraone. Durant
ce
laps de temps, Jean-Pierre Jaquet et Montres Valgine discutè-
rent du partage du travail en vue de la réalisation du cali-
bre des montres à heures sautantes ainsi que du prix, le pre-
mier soulignant, dans un courrier daté du 8 avril 1991,
avoir
déjà investi plus d'un demi-million de francs dans l'opéra-
tion.

Faraone se plaignit de la qualité des montres; des
discussions intervinrent entre Montres Valgine et Exidel
S.A.
et cette dernière donna, en date du 16 novembre 1991, un
avis
sur la manière de fabriquer les calibres pour des montres à
heures sautantes.

Dans une lettre du 26 mars 1992, Montres Valgine
reprocha à Jean-Pierre Jaquet le mauvais résultat des tests
faits pour ce type de montres, remarquant qu'il avait été
convenu que des examens supplémentaires seraient effectués

par un organisme neutre, soit le laboratoire Dubois; elle de-
mandait en outre que le nécessaire soit fait pour que les
montres puissent être confiées à ce dernier au plus tard à
la
mi-avril 1992; enfin, elle ajoutait que, si elle n'obtenait
pas satisfaction, elle serait obligée d'en conclure que le
dispositif additionnel d'heures sautantes développé par Jean-
Pierre Jaquet n'était pas fiable et d'exiger le
remboursement
des 120 000 fr. versés par elle, le problème de poursuites
éventuelles de la part de Faraone demeurant réservé. Montres
Valgine adressa encore à Jean-Pierre Jaquet divers
courriers,
lui demandant de respecter certains délais et se plaignant
de
retards.

En effet, la situation de Montres Valgine devenait
difficile par rapport à Faraone qui se plaignait du retard
pris dans la réalisation de montres à heures sautantes fia-
bles et qui faisait part de son intention de réclamer des
dommages-intérêts.

Le 17 décembre 1992, le laboratoire Dubois présenta
son rapport selon lequel les montres qui avaient pu être exa-
minées avaient un comportement satisfaisant dans des condi-
tions de port normales. Cependant, dans des conditions sévè-
res (exercice d'un sport par exemple), il fallait s'attendre
à quelques lacunes de fonctionnement du mécanisme de déclen-
chement des heures (blocage). Ainsi, il était préconisé un
renforcement du mécanisme et un test de fiabilité
intervenant
sur dix pièces de série par modèle au minimum, le nombre de
pièces idéal étant de 40.

Dans le courant du mois de mars 1993, Faraone refu-
sa d'accepter la livraison du solde de la commande,
invoquant
le manque de fiabilité des montres et le retard apporté dans
l'exécution du projet. Elle assigna Montres Valgine devant un
tribunal de Milan.

Jean-Pierre Jaquet et Montres Valgine tentèrent de
trouver un arrangement face à cette situation. La seconde
proposa au premier de racheter les composants en sa posses-
sion pour les terminer et les vendre et de lui donner quit-
tance à propos d'une éventuelle réclamation en dommages et
intérêts, tout en prévoyant cependant une clé de répartition
des frais, des profits et risques du procès l'opposant à Fa-
raone. Les discussions se soldèrent par un échec.

B.- Le 6 octobre 1994, Montres Valgine assigna
Jean-Pierre Jaquet en paiement de 718 745 fr.60, plus inté-
rêts. Ce montant englobait en particulier les 120 000 fr.
versés à Jean-Pierre Jaquet et un poste de 227 031 fr. cor-
respondant à la marge bénéficiaire de la demanderesse sur le
solde des 1160 montres restant à livrer à Faraone sur les
2250 exemplaires commandés. La demanderesse reprochait, en
substance, au défendeur de n'avoir pas réussi à produire une
montre fiable dans les quantités convenues et dans les
délais
impartis.

Jean-Pierre Jaquet souleva principalement l'excep-
tion de défaut de qualité pour défendre et conclut, à titre
subsidiaire, au rejet de la demande. Au sujet de sa conclu-
sion subsidiaire, il relevait, notamment, qu'il avait réussi
à concevoir, à développer et à réaliser un mouvement fiable
à
la fin de l'année 1992 et qu'il avait toujours informé la de-
manderesse qu'en raison de la complexité de l'ouvrage, il ne
pourrait terminer son travail dans les délais qui lui
étaient
impartis, ce que l'intéressée avait implicitement accepté en
reportant constamment les délais.

Par jugement sur moyen séparé du 9 juillet 1996, la
IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel
a
rejeté l'exception de défaut de qualité pour défendre. Sta-
tuant ultérieurement sur les prétentions litigieuses, par ju-

gement du 1er novembre 1999, elle a débouté la demanderesse
de toutes ses conclusions.

C.- La demanderesse interjette un recours en réfor-
me au Tribunal fédéral, concluant à ce que le défendeur soit
condamné à lui payer la somme de 692 325 fr.60 plus intérêts.
A titre subsidiaire, elle requiert le renvoi de la cause à
la
cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des consi-
dérants.

Le défendeur propose le rejet du recours, dans la
mesure où il est recevable, et la confirmation de la
décision
attaquée.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Contrairement à l'avis du défendeur, les con-
clusions chiffrées prises par la demanderesse dans l'acte de
recours sont parfaitement valables au regard de l'art. 55
al.
1 let b OJ, car il en résulte sans doute possible que la re-
courante entend recevoir de sa partie adverse la somme de
692 325 fr.60, intérêts en sus. Rien ne s'oppose, partant, à
l'entrée en matière.

2.- a) Il est constant et non contesté que les re-
lations juridiques nouées par les parties relevaient du con-
trat d'entreprise au sens des art. 363 ss CO, le défendeur
devant fournir une prestation de travail aboutissant à un ré-
sultat matériel, à savoir la réalisation de modules destinés
à la confection de montres à heures sautantes (cf. Gauch, Le
contrat d'entreprise [adaptation française par Benoît Car-
ron], n. 24 à 27).

b) Avant la survenance du terme prévu pour la li-
vraison de l'ouvrage, la demeure de l'entrepreneur est régie
par la disposition spéciale de l'art. 366 al. 1 CO (Gauch,
op. cit., n. 668). La cour cantonale a examiné la cause sous
l'angle de cette disposition, que la défenderesse "parai[s-
sait] implicitement invoquer", et elle est arrivée à la con-
clusion qu'il n'y avait pas matière à résiliation anticipée
du contrat d'entreprise par le maître en l'espèce.

Dans son recours en réforme, la demanderesse con-
teste formellement avoir fondé ses prétentions sur l'art.
366
al. 1 CO. Elle écarte aussi l'hypothèse d'une action en ga-
rantie des défauts de l'ouvrage (art. 368 CO). Selon ses di-
res, son intention était de renoncer à l'exécution de la
prestation promise et de réclamer à l'entrepreneur en
demeure
des dommages-intérêts
pour cause d'inexécution, conformément
à l'art. 107 al. 2 CO. Le Tribunal fédéral prend acte de ces
explications et restreindra donc son examen à la question de
la demeure de l'entrepreneur dans la livraison de l'ouvrage.

3.- a) Pour que le créancier puisse opter entre
l'une des trois voies ouvertes par l'art. 107 al. 2 CO, il
faut, entre autres conditions, que le débiteur soit en demeu-
re de s'exécuter. La demeure de l'entrepreneur dans la li-
vraison de l'ouvrage et ses conséquences sont réglées par
les
dispositions générales des art. 102 à 109 CO (Gauch, op.
cit., n. 659).

La demeure du débiteur dépend de la réalisation des
conditions suivantes: l'obligation doit être exigible, ne
pas
avoir été exécutée et être encore exécutable; en outre, sauf
cas spéciaux, le débiteur doit avoir été interpellé par le
créancier (Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e
éd., p. 684).

Selon l'art. 75 CO, à défaut de terme stipulé ou
résultant de la nature de l'affaire, l'obligation peut être
exécutée et l'exécution peut en être exigée immédiatement.
Pour déterminer le terme en fonction de la "nature de l'af-
faire", il faut se fonder sur la volonté hypothétique des
parties, qui permet en général à l'entrepreneur de disposer,
jusqu'à la livraison, du temps dont un entrepreneur
compétent
a besoin pour exécuter et livrer l'ouvrage en ne différant
pas le début des travaux (Gauch, op. cit., n. 649). Un terme
peut aussi être arrêté d'un commun accord après la
conclusion
du contrat. Sauf convention contraire, ni le maître ni l'en-
trepreneur ne sont en droit de fixer unilatéralement le
terme
de livraison (Gauch, op. cit., n. 650).

D'après l'art. 102 CO, le débiteur d'une obligation
exigible est mis en demeure par l'interpellation du
créancier
(al. 1), sauf si le jour de l'exécution a été déterminé d'un
commun accord ou fixé par l'une des parties en vertu d'un
droit à elle réservé et au moyen d'un avertissement régulier
(al. 2). L'interpellation suppose nécessairement que le
créancier fasse savoir au débiteur qu'il entend recevoir la
prestation due et la déclaration doit exprimer clairement
cette intention (Engel, op. cit., p. 685; Wiegand, Commentai-
re bâlois, 2e éd., n. 5 ad art. 102 CO). Il n'est possible
de
renoncer à cette formalité, par une application analogique
de
l'art. 108 ch. 1 CO, que lorsqu'elle apparaît superflue
selon
les règles de la bonne foi, soit lorsque le débiteur a sans
doute possible manifesté par son comportement qu'il ne s'exé-
cutera pas et qu'il découle de cette attitude qu'une inter-
pellation serait inutile. En revanche, la demande du
débiteur
tendant à l'octroi d'un délai ou son affirmation qu'il ne
peut s'exécuter pour l'instant ne permettent pas à elles seu-
les de faire l'économie d'une interpellation (ATF 110 II 141
consid. 1b et les références).

Lorsque le débiteur est en demeure et qu'il s'est
vu accorder un délai de grâce (art. 107 al. 1 CO), à moins
que cette formalité n'ait pas été nécessaire (art. 108 CO),
le créancier peut persister dans sa demande d'exécution de
la
prestation promise et réclamer des dommages-intérêts pour
cause de retard, au sens de l'art. 103 al. 1 CO; il est même
présumé avoir choisi cette solution s'il ne renonce pas immé-
diatement à la prestation promise (art. 107 al. 2 CO). Dans
ce cas, il peut fixer au débiteur un ou plusieurs délais suc-
cessifs pour s'exécuter, puis opter derechef pour l'une des
trois voies prévues à l'art. 107 al. 2 CO (ATF 86 II 221 con-
sid. 11c p. 235 et les références; Gauch/Schluep/Schmid/Rey,
Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol.
II,
7e éd., n. 3045).

b) En l'espèce, il ressort des constatations souve-
raines de la cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ) que les par-
ties n'ont pas fixé par écrit le cadre précis de l'ouvrage
commandé, en particulier le nombre de pièces à livrer, qu'el-
les ne sont pas convenues d'un terme de livraison et que les
contours du contrat ne se sont précisés qu'au fil du temps.
Ainsi, conformément aux principes susmentionnés, à défaut de
terme stipulé et abstraction faite des délais fixés unilaté-
ralement par la demanderesse les 8 et 9 décembre 1989, l'exi-
gibilité de la prestation de l'entrepreneur était fonction
de
la nature de l'affaire, c'est-à-dire du temps qu'il fallait
au défendeur pour concevoir et réaliser les montres à heures
sautantes. Il va sans dire qu'il s'agissait là d'un travail
de longue haleine, qui comportait une part d'impondérable et
dont le succès n'était pas assuré d'avance. Dans ces condi-
tions, il paraît déjà difficile de déterminer l'exigibilité
de la prestation promise, étant précisé que celle-ci ne sau-
rait dépendre, faute d'accord sur ce point, des dates de li-
vraison que la demanderesse avait arrêtées avec l'acquéreur
des montres. Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner

plus avant la question de l'exigibilité de la prestation de
l'entrepreneur pour les motifs indiqués ci-après.

c) aa) A supposer que la prestation de l'entrepre-
neur fût déjà exigible à l'époque, la lettre du 7 mai 1990,
par laquelle la défenderesse impartissait au défendeur un dé-
lai au 31 mai 1990, respectivement au 8 juin 1990, pour la
livraison de modules montés sur calibre automatique et sur
quartz, sous peine d'être astreint à payer 6000 fr. par jour
de retard, devrait assurément être considérée comme une in-
terpellation valable (art. 102 al. 1 CO), voire comme la fi-
xation du délai de l'art. 107 al. 1 CO coïncidant avec l'in-
terpellation, procédé admissible (ATF 103 II 102 consid. 1a
p. 105; Gauch, op. cit., n. 667).

Le défendeur étant en demeure et - dans la dernière
hypothèse évoquée - s'étant vu fixer un délai de grâce, la
demanderesse aurait pu alors se prévaloir de l'art. 107 al.
1
CO et renoncer à la prestation promise. Or, il n'en a rien
été. De fait, non seulement elle n'a eu aucune réaction à
l'expiration du délai qu'elle avait fixé, mais, qui plus
est,
elle a accompli des actes incompatibles avec le choix d'une
telle option. Il s'agit notamment de la réception d'une par-
tie de l'ouvrage (prestation partielle de l'entrepreneur) -
les 666 montres à heures sautantes comprises dans le lot de
1090 montres livrées par la demanderesse à la maison Faraone
entre novembre 1990 et juin 1991 - et, surtout, du paiement
sans condition, en juillet et décembre 1990, de la facture
de
120 000 fr. que le défendeur avait adressée à la
demanderesse
le 28 mai 1990. Ce sont là des actes concluants dont on peut
inférer soit un retrait de l'interpellation, qui est juridi-
quement possible (cf. Weber, Commentaire bernois, n. 109 ad
art. 102 CO), soit le choix de persister dans l'exécution du
contrat (art. 107 al. 2, 1ère hypothèse, CO), tout en renon-
çant à exiger des dommages-intérêts pour cause d'exécution
tardive (art. 103 al. 1 CO).

bb) Sur le vu des seuls faits constatés dans le ju-
gement attaqué, il n'est pas possible de déterminer si le dé-
fendeur avait pris l'engagement de livrer d'autres modules
en
plus de ceux qu'il avait déjà remis à la demanderesse et,
dans l'affirmative, quel en était le nombre exact.

Quoi qu'il en soit, il ne résulte pas des constata-
tions de la cour cantonale qu'au cours de la période allant
de novembre 1992 à mars 1993, le défendeur ait fait l'objet
d'une mise en demeure sur la base d'une interpellation en
bonne et due forme portant sur les modules qu'il lui restait
encore à livrer, par hypothèse. Rien ne justifiait pourtant
de renoncer à une interpellation. Au contraire, en raison de
l'incertitude régnant quant à l'obligation de livrer incom-
bant encore au défendeur, il était d'autant plus indispensa-
ble que la demanderesse clarifiât la situation en indiquant
à
l'entrepreneur le nombre exact de modules restant à livrer
et
en le sommant d'agir en conséquence. Or, curieusement, la de-
manderesse n'a pas adopté un tel comportement, mais paraît
s'être plainte essentiellement de la qualité des modules
déjà
livrés et des difficultés relatives à leur mise au point. De
même, force est de constater que, postérieurement au 17 dé-
cembre 1992, date d'établissement du rapport du laboratoire
Dubois préconisant certaines mesures en vue d'améliorer la
fiabilité du mécanisme des montres à heures sautantes, la de-
manderesse est restée inactive et n'a en particulier pas ré-
clamé au défendeur la livraison d'autres modules. Tout porte
à croire, en réalité, que les parties étaient conscientes
l'une et l'autre des difficultés objectives rencontrées dans
la réalisation de ces montres et qu'à l'époque, il n'était
pas encore question de la livraison d'autres modules par le
défendeur.

cc) Il ressort de ces considérations que le défen-
deur n'a pas été mis valablement en demeure. Par conséquent,
la demanderesse n'est pas en droit de lui réclamer des domma-

ges-intérêts positifs en application de l'art. 107 al. 2,
2ème hypothèse, CO. Que la maison Faraone ait refusé d'accep-
ter la livraison du solde de la commande en mars 1993 n'y
change rien. Pareille circonstance rendait peut-être super-
flue la fixation du délai de grâce (cf. art. 108 ch. 2 CO),
mais elle ne suffisait pas à suppléer le défaut d'une mise
en
demeure préalable du débiteur.

4.- Cela étant, la cour cantonale n'a pas violé le
droit fédéral en rejetant l'action en paiement introduite
par
la demanderesse. Son jugement sera donc confirmé, quelle que
soit la pertinence des motifs sur lesquels il repose.

La demanderesse, qui succombe, devra payer les
frais de la procédure fédérale (art. 156 al. 1 OJ) et verser
des dépens au défendeur (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme le jugement
attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 8000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimé une
indemnité de 8000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal canto-
nal du canton de Neuchâtel.

___________

Lausanne, le 14 juin 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.457/1999
Date de la décision : 14/06/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-06-14;4c.457.1999 ?
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